Le 20 septembre 2017, le président de l’Assemblée nationale François de Rugy a lancé le chantier d’un « Parlement de demain », à la suite du discours du président de la République du 3 juillet dernier. La Fondation Jean-Jaurès a alors sollicité un certain nombre d’acteurs et de spécialistes de la vie parlementaire et ce présent rapport d’étape – et ses propositions – sont le fruit de leurs réflexions.
Le 3 juillet 2017, fort de sa victoire à l’élection présidentielle de mai, Emmanuel Macron a pris la parole devant le Congrès, comme l’y autorise la Constitution depuis la révision de 2008. Alors même que cette préoccupation a finalement peu affleuré tout au long de sa « chevauchée » politique, la question de la réforme institutionnelle occupa une place non négligeable dans son long discours :
Il n’est pas de République forte sans institutions puissantes. Nées de temps troublés, nos institutions sont résistantes aux crises et aux turbulences. Elles ont démontré leur solidité. Mais, comme toutes les institutions, elles sont aussi ce que les hommes en font. Depuis plusieurs décennies maintenant, l’esprit qui les a fait naître s’est abîmé au gré des renoncements et des mauvaises habitudes. En tant que garant du bon fonctionnement des pouvoirs publics, j’agirai en suivant trois principes : l’efficacité, la représentativité et la responsabilité.
L’orientation était fixée, devant des parlementaires chez qui se partageaient le soutien enthousiaste des nouveaux élus de La République en marche, l’attentisme dubitatif de beaucoup d’élus des précédentes mandatures, l’opposition sourde, certes (deux semaines seulement s’étaient écoulées depuis les élections législatives, qui avaient été marquées par une vague conséquente), mais farouche des troisièmes. Ces caractérisations ne recouvraient d’ailleurs pas des frontières partisanes bien marquées. Là aussi, le temps était plus au « et » qu’à la soustraction.
C’est dans ce cadre que doit être replacée l’initiative du nouveau président de l’Assemblée nationale, François de Rugy. Le 20 septembre 2017, il a présenté un ambitieux chantier de réforme de cette institution qu’il connaît bien, en mettant en place sept groupes de travail : sur le statut des députés, celui de leurs collaborateurs, sur la procédure législative, le contrôle et l’évaluation des textes de loi, sur le développement durable, la transparence et enfin la démocratie numérique et la participation citoyenne. Ces groupes réunissent des parlementaires issus de l’ensemble des groupes politiques représentés à l’Assemblée. Le président devrait sous peu présenter les premières pistes de réformes. Son souhait est qu’elles se déroulent durant toute la mandature, en une « réforme permanente ».
La Fondation Jean-Jaurès a décidé de ne pas bouder son plaisir et de contribuer à ce chantier d’intérêt citoyen. Elle a d’ailleurs déjà publié un certain nombre de notes sur ce sujet. L’objet de ce rapport est d’en présenter les éléments les plus saillants. Certains auteurs ont formulé des propositions qui ne sont pas reprises ici, non parce qu’elles sont rejetées, mais par souci de cohérence. D’autres propositions pourraient encore voir le jour dans les semaines qui suivront la publication du présent rapport, tant les acteurs que nous avons sollicités ont été nombreux à répondre favorablement. De nouvelles notes seront donc publiées après le présent texte. Leurs auteurs sont tant des acteurs parlementaires actuels que d’anciens acteurs ou des spécialistes du droit parlementaire. Il ne s’agit donc pas ici d’établir un rapport définitif, ficelé, en quelque sorte, mais bien plutôt un rapport d’étape pouvant, devant même donner lieu dans les semaines qui suivent à certaines amodiations, ajouts ou corrections. À n’en pas douter, les premières semaines de l’année 2018 verront les projets présidentiels, mais également ceux issus des trois chambres constitutionnelles (l’Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil économique, social et environnemental) se préciser.
Accroître l’efficacité de la procédure parlementaire
Dans son discours du 3 juillet 2017, le président de République s’est penché avec délices sur la procédure parlementaire. Voici ce qu’il en disait à Versailles devant celles et ceux dont il n’a jamais été le pair :
Il nous faut du temps pour penser la loi. Du temps pour la concevoir, la discuter et la voter. Du temps aussi pour s’assurer des bonnes conditions de son application. Souhaiter que nos institutions soient plus efficaces, ce n’est donc pas sacrifier au culte de la vitesse, c’est rendre la priorité au résultat. Sachons mettre un terme à la prolifération législative. […] Elle affaiblit la loi, qui perd dans l’accumulation des textes une part de sa vigueur et, certainement, de son sens. Telles circonstances, tel imprévu, telle nouveauté ne sauraient dicter le travail du législateur. Car la loi n’est pas faite pour accompagner servilement les petits pas de la vie de notre pays. Elle est faite pour en encadrer les tendances profondes, les évolutions importantes, les débats essentiels, et pour donner un cap. Elle accompagne de manière évidente les débuts d’un mandat.
Mais légiférer moins ensuite, c’est consacrer plus d’attention aux textes fondamentaux, à ces lois venant répondre à un vide juridique, venant éclairer une situation inédite. C’est cela, le rôle du Parlement. Légiférer moins, c’est mieux allouer le temps parlementaire. C’est, en particulier, réserver de ce temps au contrôle et à l’évaluation. […] Voter la loi ne saurait être le premier et le dernier geste du Parlement.
Ce long propos s’inscrit dans le droit-fil de ce qui est communément admis depuis de nombreuses années : le rôle du Parlement se saurait se limiter au seul vote des projets de lois proposés par le gouvernement. Il lui revient d’en suivre l’effectivité de la mise en place. Dont acte. Mais cela peut toutefois conduire à repenser la procédure parlementaire.
Tordons d’abord le cou à une idée préconçue. Notre Parlement n’est pas plus lent que les autres dans son travail législatif. Le délai moyen d’adoption des projets de lois (hors loi de finances) est de 149 jours, inférieur donc à la moyenne britannique (169 jours) ou italienne (180 jours) et équivalente à la moyenne allemande (156 jours) ou belge (149 jours). N’oublions jamais d’ailleurs que le premier rôle du Parlement est de permettre l’appropriation par tout un chacun des nouveautés induites par le parcours législatif. Il a, ainsi que le souligne Maxime des Gayets, un rôle essentiel de « légitimation des politiques publiques, plutôt que celui d’un espace de création et de décision ». Avant de blâmer le Parlement pour le temps qu’il passe à étudier le texte d’un projet de loi, admettons que la première des responsabilités en revient d’abord au gouvernement. Ce dernier, bien trop souvent, dépose ses projets dans l’urgence, avec des études d’impact peu ou mal renseignées (en dépit de la réforme de 2008). Cela conduit les parlementaires désignés rapporteurs au fond, ou pour avis, à procéder à un examen trop rapide du texte, ce qui inévitablement tend à justifier la lourdeur de la navette parlementaire. Il serait trop cruel, et aisé, de rappeler le nombre de ministres – de quelque gouvernement que ce soit – qui ont dû déposer en urgence un amendement et réécrit, parfois de manière substantielle, telle ou telle partie de leur propre texte de loi. Cette incapacité ministérielle et administrative à respecter le rôle des parlementaires doit cesser. Doit-on également rappeler que plus de 80 % des lois sont issues des projets gouvernementaux ? Si le Parlement légifère trop souvent, la responsabilité en revient bien d’abord… au gouvernement.
Comme le propose Bernard Rullier, il pourrait être prévu que, dès qu’un projet de loi est déposé au Conseil des ministres, celui-ci fasse l’objet d’un débat d’orientation devant les Assemblées. De cette manière, l’étude d’impact, qui est censée à la fois justifier de la nécessité de légiférer et présenter les avantages des dispositifs envisagés, pourrait être débattue par les groupes parlementaires. On disposerait également du temps nécessaire pour que cette étude d’impact puisse être éventuellement critiquée grâce à d’autres études. Cette mesure permettrait de se passer de la discussion générale. Cette dernière, qui confine parfois à un exercice lénifiant, n’autorise que rarement des expressions novatrices et se limite bien souvent à un exercice d’autocongratulation ou encore de mise en pièces du texte présenté par le gouvernement. Toujours dans le droit-fil de cette procédure, dès lors que plus des quatre cinquièmes des textes sont adoptés dans le cadre de la procédure dite accélérée, la question d’inscrire cette réalité dans le texte constitutionnel, comme le propose notamment Guillaume Gouffier-Cha, ne peut être éludée. Après tout, s’il s’agit de mettre la lettre en adéquation avec la pratique, il n’est nul besoin de se l’interdire. Toutefois, et c’est essentiel, ces deux réformes ne peuvent s’entendre que dans la mesure où la commission allonge le délai d’étude d’un projet de loi.
Améliorer le processus d’amendement
À ce stade, l’épineuse question du droit d’amendement des parlementaires demeure. Droit individuel, il ne saurait être bridé, quand bien même il est aujourd’hui régulé par les groupes politiques (ou censé l’être). Or, en dépit de la réforme de 2008 faisant du texte étudié en séance celui voté par la commission, et non plus celui du gouvernement, il est trop fréquent que les amendements rejetés en commission réapparaissent en séance publique – souvent avec les mêmes acteurs, d’ailleurs. Compte tenu de l’organisation d’un véritable débat en début de processus parlementaire (comme nous venons de le proposer) et, rappelons-le, de la possibilité pour tout parlementaire de participer aux travaux des commissions et d’y défendre des amendements qu’il souhaite porter, la révolution consistant à ne pas autoriser le dépôt en séance d’amendements déposés en commission, voire à faire adopter le texte en commission, pourrait être instaurée. Il serait alors impératif que le ou la ministre en charge du projet de loi participe à l’ensemble des débats de la commission. Après tout, ce serait un signe, non pas d’une volonté de brider le débat, mais bien de respect du travail parlementaire. Nombreux d’ailleurs sont ceux qui ont salué cette méthode utilisée par le ministre à l’occasion de l’examen de la loi dite « Macron ».
Simplifier la procédure de la commission mixte paritaire (CMP)
Si, pour reprendre les termes du président du Sénat à l’occasion de son hommage à Nicole Bricq, la procédure de la commission mixte paritaire constitue le nec plus ultra du parlementarisme, sa simplification, en cas d’échec, n’est pas inenvisageable. À cet égard, les pistes avancées par Marc Marienval sont pertinentes. Aujourd’hui, la procédure se déroule en trois temps : l’Assemblée réaffirme d’abord sa position au cours d’une nouvelle lecture ; le Sénat examine ensuite ce texte avec la possibilité de l’adopter ou de l’amender (sans toutefois élaborer un nouveau texte) ; enfin, l’Assemblée adopte de nouveau son texte (en retenant éventuellement certains amendements souvent techniques du Sénat).
On pourrait envisager la possibilité d’un accord partiel en CMP, ce qui permettrait de sortir de la logique du tout ou rien qui prévaut aujourd’hui. « Ainsi les deux Assemblées pourraient-elles se mettre d’accord sur les points les moins clivants et les plus techniques tout en constatant leur désaccord sur les points les plus politiques, le dernier mot étant donné alors directement à l’Assemblée, sur ces points exclusivement », explique Marc Marienval.
Enfin, pour répondre à la dénonciation caricaturale sur l’absence de prise en compte du droit des parlementaires, l’utilisation du 49.3 pourrait être réservée aux deux seuls textes indispensables pour un gouvernement désirant gouverner : la loi de finances initiale et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. On en reviendrait ainsi à l’épure de la tradition d’un parlementarisme rationalisé. La conjonction des minorités ne saurait en effet empêcher un gouvernement de disposer des moyens de son action essentielle, tant que nulle autre majorité ne saurait remplacer.
Amender la loi organique relative aux lois de finances
Dans le cadre de la procédure parlementaire, demeure néanmoins un trou noir. Il est trop souvent présenté de manière caricaturale au plus grand profit des parlementaires eux-mêmes, qui se plaignent ainsi de leur manque de pouvoir, et du gouvernement lui-même, qui s’en sert pour délégitimer toutes les demandes émanant des parlementaires, fussent-ils de sa propre majorité, afin de disposer de plus de pouvoirs budgétaires. La loi organique relative aux lois de finances doit faire l’objet d’un dépoussiérage à l’aune de la pratique. Marc Marienval a raison de souligner dans son propos que ses promesses « sont loin d’avoir été tenues ». La lisibilité des politiques publiques n’a été qu’en partie améliorée. Le périmètre des missions et des programmes demeure insuffisant et la multiplication d’outils budgétaires rend certaines politiques publiques illisibles. C’est parfois volontaire, à l’évidence. La division du temps parlementaire entre l’examen des recettes puis des dépenses rend d’ailleurs la procédure opaque. De même, le maintien en l’état de l’article 40 et son utilisation somme toute absconse sont impossibles.
L’une des pistes suggérées consisterait à supprimer l’irrecevabilité au dépôt, mais à laisser au gouvernement la possibilité de s’opposer à des mesures qu’il estimerait trop coûteuses. Les initiatives parlementaires pourraient ainsi être débattues tout en laissant au gouvernement la possibilité d’éviter un vote dont l’issue lui semblerait incertaine. Luc Carvounas rappelle, non sans malice, qu’une telle préconisation avait été avancée en son temps (en 2008…) par les deux présidents des commissions des finances du Sénat et de l’Assemblée nationale, Jean Arthuis et Didier Migaud. Toutefois, cette question de la procédure budgétaire mériterait d’être travaillée de manière encore plus approfondie.
Renforcer les liens entre les citoyens et le travail parlementaire
C’est notamment dans ce cadre de la procédure que l’enjeu des liens avec les citoyens grâce aux nouvelles technologies pourrait être utilement envisagé. Bien sûr, l’expérience de la loi pour une République numérique en montre à la fois les avantages et les faiblesses. Elle a certes l’avantage, notamment, de faire émerger des enjeux peu ou pas perçus dans le cadre de la préparation du projet de loi, et parfois de lutter contre les forces d’inertie, fussent-elles administratives. Elle a ainsi permis la reconnaissance d’un statut des e-gamers en mai 2016. Mais sa faiblesse est qu’il suffit pour un secteur, ou une communauté bien organisée, de bâtir une mobilisation numérique pour imposer une orientation dans le débat public. Mais, somme toute, cela différerait-il beaucoup des actions d’influence mises en œuvre par les associations de défense de telle ou telle orientation ou même, de manière plus discrète, par nombre de lobbyistes ? L’organisation de débats d’orientation entre le dépôt du projet de loi en conseil des ministres et l’examen du texte en commission pourrait permettre l’organisation de telles consultations. Cela pourrait se concrétiser par la mise en place d’une plate-forme de consultation numérique pour chaque projet de loi, dans le cadre des travaux préparatoires de chacune des Assemblées.
Parallèlement, on pourrait instituer la possibilité qu’une proposition de loi citoyenne par session parlementaire soit étudiée, comme le propose notamment Luc Carvounas. Ce dispositif pourrait être complété par une procédure numérique d’amendement citoyen, comme cela a été envisagé dans le rapport Refaire la démocratie. Ce renforcement des liens entre les citoyens et le travail parlementaire pourrait être utilement complété par la mise en place d’un office parlementaire d’évaluation citoyenne des textes législatifs en lien avec la Commission nationale du débat public, comme le préconise Guillaume Gouffier-Cha. Cet office pourrait d’ailleurs s’appuyer sur les outils déjà existants mais, comme le souligne Luc Carvounas, méconnus. Enfin, il pourrait être envisagé, s’agissant des questions d’actualité au gouvernement, qu’une séance par trimestre ne soit consacrée qu’à des questions posées par des citoyens tirés au sort parmi des volontaires dans le cadre de chaque circonscription électorale.
Rendre toute leur pertinence aux questions d’actualité au gouvernement
Mais, plus globalement, la séquence des questions d’actualité au gouvernement doit être profondément révisée, tant elle confine parfois au ridicule. Il est quelque peu singulier d’entendre des ministres répondre à des questions qu’ils ont parfois eux-mêmes sollicitées. Ici, le rôle de la question – mettre en difficulté le gouvernement sur des sujets d’actualité – a été perdu. Pourquoi, dès lors, ne pas réserver cette possibilité aux seuls parlementaires des groupes d’opposition, c’est-à-dire les parlementaires qui n’ont pas voté la confiance, ou n’ont pas voté le budget ? Après tout, les députés et les sénateurs de la majorité ne devraient pas être, en temps normal, les procureurs les plus virulents de l’action gouvernementale.
Comme le note très justement Magali Alexandre, l’initiative prise par le Sénat depuis 2015 avec le droit de réplique pourrait être justement appliquée à l’Assemblée nationale. En effet, dans son article 75 bis, le règlement intérieur de la Haute Assemblée prévoit qu’afin de « préserver la spontanéité des échanges, les sénateurs ne transmettent pas par avance leurs questions aux ministres qu’ils comptent interroger. Chaque sénateur intervenant dispose d’un temps de parole de deux minutes ou deux minutes et demie, y compris, éventuellement, sa réponse au gouvernement. » Cette possibilité de la « réplique » empêche le gouvernement, sauf bien évidemment le Premier ministre, d’avoir le dernier mot. Les fameuses questions d’actualité au gouvernement recouvreraient alors leur fonction première : la mise en accusation du gouvernement. Dès lors, il pourrait n’y avoir qu’une séance dans chacune des deux Assemblées. On pourrait même envisager qu’une séance soit instituée devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), là aussi une fois par trimestre.
Favoriser la création de missions parlementaires
Un des thèmes fréquemment mis en avant, y compris par le président de la République lors de son intervention du 3 juillet 2017, est l’indispensable travail parlementaire de suivi du vote de la loi. À cet égard, les progrès ont été particulièrement significatifs ces quinze dernières années, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Le comité d’évaluation et de contrôle, par exemple, joue parfaitement son rôle à l’Assemblée, de même que les missions d’information parlementaires. Toutefois, nombreux sont ceux qui souhaitent voir leur nombre augmenter – avec raison. C’est le cas de Dominique Raimbourg comme de Luc Carvounas, même si tous deux reconnaissent qu’une telle disposition requiert un accroissement des moyens humains, afin que les parlementaires menant à bien ces missions soient entourés. Il ne serait d’ailleurs pas inapproprié d’accroître les capacités de l’opposition à déclencher la création de ces missions parlementaires. Elles participent ainsi tout à la fois du contrôle du gouvernement et de l’appropriation par les parlementaires eux-mêmes de thèmes nouveaux ou émergents, ce qui permet parfois de faire avancer dans le débat public un certain nombre de préconisations. Comme l’explique Maxime des Gayets, il n’est « pas alors question de légiférer dans l’instant mais plutôt de contrôler, de nommer, de se positionner et d’informer sur les spécificités d’une politique publique. Et donc de la faire vivre. »
Dresser le bilan des textes de loi votés
Dans un état d’esprit similaire, Maxime des Gayets préconise également une audition des ministres un an après l’adoption d’un texte de loi qu’ils auraient porté. Cela aurait l’avantage d’exercer une pression sur la structure gouvernementale pour la mise en place des décrets d’application de la loi et, subsidiairement, de vérifier que ces décrets sont en conformité avec l’esprit de la loi. Dans ce cadre, on pourrait d’ailleurs envisager une procédure de remise en cause de ces décrets par le biais d’une majorité qualifiée, comme le propose Marie-Noëlle Lienemann, si ceux-ci s’éloignaient trop du travail législatif.
Rattacher la Cour des comptes au Parlement
Évidemment, la question qui revient sans cesse est celle des moyens affectés aux Chambres afin de mener à bien ce rôle de contrôle de l’activité gouvernementale ainsi que, subséquemment, celle de la place de la Cour des comptes. Il n’est pas faux de relever, comme le fait Maxime des Gayets, qu’il y a quelque chose de singulier dans le fait ce que ce soient les rapports de la Cour des comptes qui, périodiquement, agitent le débat public plutôt que ceux des parlementaires. Si l’on souhaite être attentif à la dépense publique, alors effectivement, il ne serait pas inopportun de rattacher la Cour des comptes au Parlement – c’est d’ailleurs un vieux serpent de mer des réformes institutionnelles. Que celle-ci et son président s’y opposent est somme toute dans la logique des choses. Mais l’argument utilisé le plus souvent, ses activités juridictionnelles, pourrait être aisément contourné, comme le relève Marc Marienval.
Instituer une Délégation parlementaire à la prospective
Le dernier étage de ce nouvel édifice de contrôle est l’instauration d’une instance de prospective. On pourrait objecter que cela pourrait relever du temps long imparti au CESE, mais ce serait méconnaître la singularité du travail de cette chambre méconnue et ôter aux élus du peuple la capacité, et la légitimité de se projeter. C’est pourquoi la proposition de Luc Carvounas d’instituer une Délégation parlementaire à la prospective mérite d’être étudiée. Elle pourrait se réunir tous les cinq ans, à mi-mandat présidentiel. Elle regrouperait les acteurs des trois Chambres, mais également de France Stratégie, d’une Cour des comptes rattachée au Parlement et du Conseil constitutionnel, avec un ordre du jour établi d’un commun accord par les bureaux des trois Assemblées.
La question des parlementaires
Venons-en à l’épineuse question du nombre de parlementaires eux-mêmes. On peut être plus que dubitatif quant à l’argument de la prétendue meilleure efficacité du travail parlementaire induit par leur diminution. Il n’en demeure pas moins que cet engagement du candidat Macron a été réaffirmé avec force par le président de la République à l’occasion de son discours du 3 juillet 2017. Il convient ici de le citer également longuement :
Pour cela, il est une mesure depuis longtemps souhaitée par nos compatriotes qu’il me semble indispensable de mettre en œuvre : la réduction du nombre des parlementaires. Un Parlement moins nombreux, mais renforcé dans ses moyens, c’est un Parlement où le travail devient plus fluide, où les parlementaires peuvent s’entourer de collaborateurs mieux formés et plus nombreux. C’est un Parlement qui travaille mieux. C’est pourquoi je proposerai une réduction d’un tiers du nombre des membres des trois assemblées constitutionnelles. Je suis convaincu que cette mesure aura des effets favorables sur la qualité générale du travail parlementaire. […] Les Français, pour leur majeure partie, en sont également certains, cette réforme est indispensable. Cette réforme, qui devra être conduite en veillant à la juste représentation de tous les territoires de la République[…], n’a pas pour but de nourrir cet antiparlementarisme ambiant, elle vise à donner aux élus de la République plus de moyens et plus de poids.
Deux éléments sont essentiels dans ce propos : la réduction du nombre de parlementaires qui pose de réelles difficultés, mais surmontables, et les moyens accordés aux parlementaires.
Conséquences de la réduction du nombre de parlementaires
La réduction du nombre de parlementaires souhaitée par le président de la République, couplée avec la limitation à trois du nombre de mandats successifs, conduirait à une diminution de 30 % des effectifs. Le président de l’Assemblée nationale, quant à lui, préconise de revenir à quatre cents députés. La première réflexion à mener est de veiller à maintenir le rapport de force entre les élus du suffrage universel direct, et ceux du suffrage universel indirect pour la composition du Congrès. Dans l’hypothèse du président de l’Assemblée, le nombre de sénateurs devrait diminuer de près de 90. Il serait à cet égard logique de profiter de cette réforme pour, enfin, associer les députés européens au Congrès. Ils jouent à l’évidence un rôle majeur dans notre législation, et même dans le contrôle du gouvernement, notamment sur le plan de ses engagements européens (cf. infra).
Apparaît immédiatement la question du mode de scrutin de l’élection des députés. Et ce, d’autant plus que le président de la République a clairement signifié sa volonté d’introduire une dose de proportionnelle. Et même si à ce stade, nulle véritable indication n’émerge quant à son niveau, l’hypothèse de 25 % avancée par le président de Rugy peut être retenue. Dans ce cas, il faudrait redécouper les 577 circonscriptions actuelles en 300, ce qui immanquablement soulèvera la question de la représentation des territoires peu ou relativement peu peuplés. Et, s’il conviendra de s’appuyer sur le découpage des cantons effectué en 2015, sans s’interdire de constituer des circonscriptions interdépartementales, le gouvernement pourrait innover de manière appropriée en instituant une commission indépendante à la fois de l’exécutif et des passions parlementaires, chargée, en lien avec le Conseil constitutionnel, de procéder à ce découpage. La même commission devra se pencher sur la représentation sénatoriale. En effet, la réduction du nombre de sénateurs peut avoir pour conséquence qu’un certain nombre de départements voient leur représentation sénatoriale disparaître. Il faudrait alors réduire drastiquement celle de quelques départements très peuplés ou s’appuyer sur les circonscriptions régionales pour déterminer leur nombre. Après tout, cela pourrait être un moyen de modifier le corps électoral en assurant une meilleure prise en compte du « fait communautaire » qui a définitivement pris ses marques dans notre paysage institutionnel ces dernières années. Dans sa mission première, le Sénat doit en effet représenter les intérêts des collectivités territoriales.
Demeure une question délicate : quand doivent se dérouler les élections législatives ? La préconisation avancée par Marc Marienval de les coupler avec le scrutin présidentiel mériterait d’être retenue comme une piste sérieuse. Elle redonnerait une légitimité aux élections législatives. Et après tout, à quel moment se montre dans toute sa force et sa vigueur, parfois radicale, comme en juin 2017, la structuration politique de notre pays, sinon lors du premier tour de l’élection présidentielle ? C’est bien alors qu’apparaissent les rapports de force politiques, et non uniquement au second tour de cette « élection reine » de la Ve République.
Accroître les moyens dont disposent les parlementaires
D’après le discours présidentiel du 3 juillet 2017, cette diminution du nombre de parlementaires doit nécessairement s’accompagner d’un renforcement des moyens qui leur sont accordés pour mener à bien leurs missions. Outre le renforcement que pourrait indubitablement constituer le rattachement de la Cour des comptes que nous avons évoqué plus haut, l’accroissement des moyens est d’autant plus impératif qu’avec la fin, opportune, du cumul du mandat parlementaire et de la participation à l’exécutif local, l’utilisation induite par cette participation au profit du travail parlementaire bien réelle jusqu’alors a disparu. Ainsi, par exemple, l’enveloppe de 9 500 euros mensuels accordée aux députés pour rémunérer leurs collaborateurs pourrait être accrue de près de 40 %, ce qui leur permettrait de densifier leur force de travail et d’être ainsi mieux accompagnés. Et cela s’avérera d’autant plus nécessaire que les territoires à couvrir, et le nombre d’habitants, auront par la force des choses singulièrement crû. Non seulement la même logique devrait être appliquée à l’ensemble des moyens affectés aux parlementaires (on pense ici à l’enveloppe informatique d’un montant de 15 000 euros débloquée pour la durée du mandat), mais bien évidemment également à ceux des sénateurs. Ce ne serait que justice et démontrerait ainsi la volonté de renforcer les pouvoirs d’action des membres du Parlement.
Revoir l’organisation du travail parlementaire
Dans le même ordre d’idées, la question de l’organisation du travail parlementaire doit être abordée. Il serait par exemple sans doute opportun de remettre sur l’établi la semaine parlementaire, aujourd’hui bien trop souvent, par exemple à l’Assemblée nationale, concentrée sur deux jours, au mieux deux jours et demi. Les réunions de groupe, élément structurant de la vie à l’Assemblée nationale, se tiennent le mardi matin, suivies fréquemment de la réunion au sein de chaque groupe d’une même commission avant la séance des questions d’actualité au gouvernement, puis les votes solennels, et enfin les débats sur les projets de loi. Le mercredi, la matinée est consacrée au travail en commission, avant que la séance des questions d’actualité au gouvernement puis l’ordre du jour ne reprennent leurs droits. Bien sûr, l’Assemblée comme le Sénat siègent également le jeudi, voire le vendredi. Mais, bien trop fréquemment, les bancs se vident, qui pour retourner en circonscription, qui pour mener à bien des auditions dans le cadre des travaux parlementaires.
Ne serait-il pas opportun de substituer à cette organisation du travail parlementaire un tout autre rythme : une semaine consacrée au travail parlementaire, une autre en circonscription ? Cela permettrait aux parlementaires d’éviter des allers-retours préjudiciables à la permanence du travail parlementaire, et notamment du contrôle de l’action du gouvernement. Sans doute serait-il temps de rendre permanentes les commissions Europe, comme dans le cas des autres commissions des Assemblées, et d’instituer, comme le propose Luc Carvounas, une soirée bimensuelle de débat au Parlement organisée par la Commission des affaires européennes, et exclusivement consacrée aux thématiques européennes. De même faudrait-il, comme le préconise Guillaume Gouffier-Cha, mettre en place une instance sociale rassemblant l’ensemble des personnels des Assemblées et les représentants des employeurs, comme le prévoit la loi récemment adoptée par le Parlement. Enfin, il conviendrait de mettre en place un Comité de lutte contre le harcèlement au sein de chacune des Chambres, comité impérativement rattaché à la présidence. Cette préoccupation doit innerver l’ensemble des politiques sociales de ces lieux sacrés de la démocratie parlementaire.
Le « Parlement d’après-demain »
Conséquemment, et en lien direct avec la réforme portant sur le nombre de parlementaires qui est envisagée par le président de la République, il serait sans doute opportun de créer dans chaque circonscription des maisons de l’Assemblée nationale, comme le préconise Guillaume Gouffier-Cha. Elles seraient bien plus que des permanences conçues pour les parlementaires : des lieux d’échange, des espaces d’information et de consultation pour tous les citoyens. « Cela recréerait un véritable lien entre l’Assemblée nationale et les territoires », selon lui. C’est bien dans ce cadre que devront être remises à plat les méthodes de travail des parlementaires. À l’heure du numérique, sans envisager de « raser le Palais-Bourbon » comme le dit Adrien Taquet, il serait plus qu’opportun d’envisager de nouvelles formes de participation aux travaux parlementaires ne se résumant pas, même si elle est cruciale, à la présence en commissions ou en séances publiques. Mettre en place une mission parlementaire spécifique adossée aux acteurs de la French Tech, comme le préconise Guillaume Gouffier-Cha, doit nous permettre d’envisager le Parlement « d’après-demain ». Enfin, car ils sont partie prenante de la vie parlementaire, les collaborateurs des parlementaires doivent voir leurs conditions de travail continuer de s’améliorer. Bien sûr, les mesures sur l’augmentation de l’enveloppe consacrée aux collaborateurs que nous avons évoquées plus haut peuvent y contribuer. Mais il convient également de doter ces personnels dévoués à leur parlementaire, qui ne comptent pas leurs heures, en circonscription comme en Chambres, d’un véritable statut protecteur.
Procédure, statut des députés et de leurs collaborateurs, association de nos concitoyens, notamment grâce au numérique, contrôle et évaluation de l’action du gouvernement : dans chacun de ces domaines, les préconisations avancées ici – d’autres viendront s’ajouter par la suite ou approfondiront certaines esquissées – pourraient permettre de bâtir ce « Parlement de demain » envisagé par le président de l’Assemblée nationale.
Annexes : les contributions
Proportionnelle, nombre de parlementaires : modalités de la réforme
Bernard Rullier
La réforme de la procédure parlementaire
Bernard Rullier
Faire évoluer notre cadre institutionnel et nos pratiques politiques
Émeric Bréhier
Faire vivre le moment parlementaire
Maxime Des Gayets
Modification de la composition du Parlement : quels enjeux ?
Marc Marienval
Le Parlement et l’exécutif, un couple en éternelle crise
Magali Alexandre
Faut-il raser le Palais Bourbon ?
Adrien Taquet
De la démocratie représentative à la démocratie collaborative
Luc Carvounas
L’Assemblée nationale n’est-elle pas trop figée dans le temps ?
Guillaume Gouffier-Cha
Faire du citoyen un acteur continu de la démocratie
Émeric Brehier, Henri Isaac
Sept propositions pour lutter contre le harcèlement au Parlement
Juliette Clavière
Refaire la démocratie
Philippe Quéré, Dominique Raimbourg
Consentir librement à l’impôt, oui, en réformant sa préparation !
Vincent Éblé