Les langues régionales n’ont pas, en France, d’existence officielle. Les auteurs de cet essai reviennent sur les conditions historiques qui ont présidé à la marginalisation des langues régionales en France et appellent à la fin de la discrimination.
La France, fruit d’une ambition territoriale plutôt que d’une aspiration populaire, s’est construite grâce à une homogénéisation à marche forcée des différentes composantes du territoire. C’est à la suite d’un long processus, dont le commencement est marqué par l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, que les langues et cultures régionales ont acquis leur statut marginal d’aujourd’hui. En effet, alors que seulement 1% de la population parlait le français en 1533, combien de Français parlent encore aujourd’hui la langue de leur région ? Comment expliquer la position de la justice à l’égard de l’enseignement de ces langues ou de leur emploi dans les affaires publiques ?
Face à la multitude des patois locaux, la monarchie avait fait le choix d’une langue officielle unique qui remplacerait le latin dans tous les actes de la vie publique. Mais cet objectif a également marginalisé les langues régionales, processus qui s’est accéléré avec la « victoire » des Jacobins sur les Girondins en 1793. En effet, ceux-ci érigèrent le français en arme de combat politique, vecteur selon eux de progrès, de liberté et de vertu. Le symbole de cette « francisation » forcée fut la destruction organisée du breton. L’enseignement obligatoire instauré en 1881 assurera qu’aucun enfant n’échappe aux mailles du filet et le service militaire parachèvera ce processus sous la IIIe République.
À partir de 1945 néanmoins, un frémissement législatif laissera croire à un retour (certes très limité et dans le champ de l’enseignement uniquement) des idiomes régionaux. Cependant, seule la loi Deixonne de 1951 marquera un infléchissement en incitant (sans aucune mesure incitative ou contraignante par ailleurs) à l’enseignement du basque, du breton, du catalan et de l’occitan. Si le processus fut rationalisé sous François Mitterrand, il fallut entendre l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon pour assister de nouveau à une offensive sur cette question. Mais malgré les diverses tentatives de son gouvernement, le Conseil d’État, comme le Conseil constitutionnel, imposeront toujours une lecture très stricte du droit, arcboutés sur une lecture littérale de l’article 2 de la Constitution, qui dispose depuis la révision de 1992 que « la langue de la République est le français ». Ainsi, la France n’a jamais ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Depuis que Nicolas Sarkozy a fait de l’identité nationale un thème récurrent du débat politique, la question des langues régionales est au point mort, comme si celles-ci, composantes de notre patrimoine, mettaient l’unicité et l’indivisibilité de la République en péril. Lorsque certaines communes, comme celle de Villeneuve-lès-Magalone, font l’objet de décisions judiciaires pour avoir doublé les panneaux de signalisation en langue régionale, on perçoit la profondeur du problème. Un problème qui se conçoit à l’aune du long processus historique de construction de la France comme État-nation et qui nous permet aussi de comprendre, à travers cet essai, le débat sur l’identité nationale.