L’alliance transatlantique sous tension à l’ONU

À cinq semaines des élections présidentielle et législatives aux États-Unis, et au regard de la stratégie de sanctions renforcée de l’administration Trump, Farid Vahid revient sur l’enjeu que constituent ces scrutins pour l’Iran, pour l’Accord de Vienne de 2015, mais également pour le Moyen-Orient et l’Europe.

Washington contre le monde ? Pour la première fois depuis la révolution de 1979, nous observons un désaccord total entre les États-Unis et leurs alliés européens au sujet de l’Iran. « La stratégie de la pression maximale, engagée depuis plusieurs années, n’a pas permis à ce stade de mettre fin aux activités déstabilisatrices de l’Iran, ni de nous assurer qu’il ne pourra pas se doter de l’arme nucléaire ». Voici comment le président Macron a réagi à la politique iranienne de l’administration Trump lors de son message diffusé à l’Assemblée générale des Nations unies. « Nous ne transigerons pas sur l’activation d’un mécanisme que les États-Unis, de leur propre chef, en sortant de l’accord, ne sont pas en situation d’activer », a-t-il ajouté. Après leur échec au Conseil de sécurité des Nations unies, les Américains ont en effet annoncé le 20 septembre dernier le retour de toutes les sanctions de l’ONU contre la République islamique d’Iran. Cependant, étant sortis le 8 mai 2018 du JCPoA, les États-Unis ne sont juridiquement pas en mesure d’activer le fameux mécanisme de « snapback ».  

Mais quelle est la raison de cet acharnement américain ?

Un dernier effort pour tuer l’accord nucléaire avant les élections ?

Joe Biden a annoncé plusieurs fois qu’en cas de victoire, les États-Unis reviendront au sein du JCPoA. Même si cela ne se fera probablement pas sans condition, un éventuel assouplissement des sanctions américaines pourrait néanmoins permettre au gouvernement iranien de redresser l’économie. Dans ce cas-là, la politique de « pression maximale » de l’administration Trump aura été un échec total car elle n’aura abouti ni à un changement de régime, ni à une sortie de Téhéran du JCPoA. Suzanne Maloney, de la Brookings Institution, souligne à ce sujet que « le rejet de la diplomatie multilatérale par l’administration Trump n’a pas empêché l’Iran d’étendre son programme nucléaire ni réduit son influence régionale ».

La survie de l’accord de Vienne est en effet essentielle pour poursuivre les efforts diplomatiques entre l’Iran et les puissances mondiales, notamment les Européens. C’est d’ailleurs pour cette raison que les ultraconservateurs iraniens estiment qu’il est nécessaire pour Téhéran de ne plus respecter ses engagements. Le JCPoA est le symbole de la réussite de la diplomatie et les extrêmes (Iraniens et Américains) souhaitent le détruire. Donald Trump a dit à plusieurs reprises qu’en cas de réélection, les Iraniens chercheront très rapidement à conclure un nouvel accord avec lui. Le problème étant que les États-Unis, et encore plus spécifiquement les États-Unis de Donald Trump, cherchent à être dominants dans leurs relations avec les autres États. Les Iraniens voient cette domination comme une humiliation qui doit être à tout prix évitée.

Tant que Téhéran respectera l’accord nucléaire, il y aura un terrain d’entente entre les Iraniens et les Européens. Nous avons pu observer durant la semaine dernière une intensification des critiques des capitales occidentales (Berlin, Londres, Paris) vis-à-vis de la situation des droits de l’homme en Iran et des détentions arbitraires de certains citoyens binationaux comme la Franco-Iranienne Fariba Adelkhah et l’Irano-Britannique Nazanin Zaghari. Les Européens envoient ainsi un message clair aux dirigeants iraniens. L’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ne soutiennent pas la stratégie de « pression maximale » des États-Unis mais l’Iran devra aussi se montrer plus coopératif sur d’autres dossiers.

En cas de retour des États-Unis au sein du JCPoA, les Iraniens auront également leurs conditions, comme l’a annoncé Majid Takht-Ravanchi, ambassadeur d’Iran à l’ONU, dans une interview à la BBC. D’une part, les États-Unis devront garantir qu’ils ne se retireront plus de l’accord et, d’autre part, Washington devra compenser les coûts économiques et humains dus aux sanctions.

Le 18 octobre 2020, une date clé

La raison pour laquelle les États-Unis ont fait tout leur possible pour réimposer les sanctions de l’ONU contre l’Iran est simple et claire. Le 18 octobre prochain, après des années de sanctions internationales, l’Iran sera en mesure d’exporter et d’importer des armes. Le général Hajizadeh, commandant de la Force aérospatiale des Gardiens de la révolution, a déclaré récemment que le « programme de la République islamique ne changera pas. Nous sommes aujourd’hui indépendants dans nos productions militaires mais s’il n’y a plus de sanctions, le chemin pour les exportations sera ouvert ». En effet, depuis la guerre Iran-Irak, l’armée iranienne et les Gardiens de la révolution ont cherché à devenir indépendants des importations étrangères en produisant eux-mêmes leurs armes.

Il est évident que Téhéran cherchera à signer des contrats avec ses alliés, comme la Russie et la Chine, à partir du 18 octobre 2020. Si, dans un avenir proche, il est peu probable d’imaginer la signature de gros contrats, comme l’achat d’avions de chasse, l’Iran cherchera, en revanche, à se doter d’outil nécessaires afin d’augmenter la qualité de ses productions. Certaines pièces et composants électroniques lui sont nécessaires afin d’augmenter la qualité de ses radars, de son système de défense antiaérien, de la précision de ses missiles, mais aussi de ses drones, navires de guerre, robots et satellites militaires.

Afin d’avancer plus rapidement dans tous ces domaines, l’Iran peut collaborer avec Moscou et Pékin. Les principaux défis pour les militaires iraniens sont le développement de leur système de défense antiaérien afin de réduire l’efficacité des opérations aériennes hostiles (des États-Unis et d’Israël) et d’améliorer la défense contre les cyberattaques. À moyen terme, l’Iran cherchera sans doute à rebâtir son armée de l’air. Des achats d’avions de chasse russes (Soukhoï Su-30) sont envisageables. L’Iran est également intéressé par le système de défense antiaérien russe, S-400.

Du point de vue des exportations, Téhéran pourra vendre des armes à ses alliés dans la région comme l’Irak, la Syrie ou le Hezbollah. Certains responsables iraniens ont même évoqué la possibilité de vendre des missiles au Venezuela. Les sanctions unilatérales des États-Unis ont donc pour objectif d’empêcher cette dynamique. 

Trois axes de pouvoir au Moyen-Orient

Il existe aujourd’hui un certain équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient. Nous pouvons parler de trois axes de pouvoir (ou d’influence) : 1) Iran/Irak/Syrie/Liban, 2) Israël/Arabie Saoudite/Émirats arabes unis et 3) Turquie/Qatar. L’administration de Donald Trump a essayé depuis le début de son mandat d’affaiblir le rôle de l’Iran et de ses alliés dans la région. Ils ont réussi dans une certaine mesure. L’Iran fait face à une très importante crise économique et est moins en mesure de venir en aide aux milices chiites de la région. Le nouveau gouvernement en Irak est nettement moins pro-Iran que le précèdent et la crise libanaise peut aboutir à réduire l’influence de l’Iran dans le pays. Enfin, la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis montre parfaitement la volonté de certains pays arabes du golfe Persique de lutter contre l’influence iranienne dans la région. Cela dit, des pays comme les Émirats arabes unis ou le Bahreïn n’ont pas d’histoire ni de liens culturels profonds avec les pays de la région, contrairement à l’Iran et à la Turquie dont l’influence culturelle et historique date de plusieurs siècles.

En annonçant le retour de toutes les sanctions internationales contre l’Iran, les États-Unis pourront arrêter dans les eaux internationales des bateaux susceptibles de livrer des armes à l’Iran, ou transportant des armes iraniennes. Les États-Unis menacent également de sanctionner toute entité ou personne qui ne respecterait pas ces sanctions. L’arrivée du porte-avions américain USS Nimitz dans le golfe Persique illustre également la volonté américaine d’accentuer la pression sur les Iraniens. Jusqu’à présent, l’Iran a fait preuve d’une patience stratégique. Les forces armées iraniennes n’ont pas réagi de manière sérieuse à l’assassinat du général Soleimani, au sabotage qui a eu lieu dans la centrale nucléaire de Natanz ou encore aux attaques régulières de l’armée israélienne contre les milices pro-Iran en Syrie.

Alors que la victoire de Joe Biden peut considérablement apaiser les tensions, une réélection de Donald Trump mettra les Iraniens dans une position très difficile. L’Iran se rapproche également de plus en plus de la Russie et de la Chine. Le 24 septembre dernier, lors d’une conférence de presse conjointe avec Sergueï Lavrov à Moscou, le ministre iranien des Affaires étrangères a déclaré : « nous pouvons affirmer avec certitude que dans l’histoire des relations entre les deux pays, le niveau des relations n’a jamais été aussi proche et stratégique » et d’ajouter par la suite : « les projets communs progressent malgré les pressions ».

Les prochains mois seront sans doute très compliqués pour le régime iranien. Le gouvernement d’Hassan Rohani n’a pas pu se montrer efficace dans la gestion de la crise sanitaire. La crise économique touche durement le pays et empêche le gouvernement de prendre des mesures restrictives dans les régions les plus touchées. Le ministre de la Santé a déclaré récemment que la guerre contre la pandémie ne peut pas être faite avec les « mains vides ». Il y a bientôt un an, la crise économique et l’annonce de l’augmentation du prix du carburant avaient déclenché de nombreuses manifestations dans les zones défavorisées. Ces mouvements ont été durement réprimés par l’État iranien. À l’approche des élections présidentielles américaine et iranienne, l’Iran fait de plus en plus face à un climat d’insécurité. La crise de confiance entre la population et l’État s’aggrave de jour en jour. Les prochains mois sont ainsi d’une importance cruciale pour Téhéran. Hassan Rohani a déclaré lors de son discours à l’Assemblée générale de l’ONU que « les États-Unis ne peuvent nous imposer ni la guerre, ni les négociations ». Ceci dit, la République islamique sera in fine obligée de choisir entre ces deux options.

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