En Allemagne, le suspense électoral prendra fin ce dimanche 26 septembre, au terme d’une campagne surprenante et inédite. Qui les Allemands choisiront-ils pour succéder à Angela Merkel, et quel sera son mandat ? Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, revient sur les enjeux d’un scrutin qui déterminera pour partie le futur de la construction européenne.
La remontada du SPD
Les Allemands ont initialement semblé plébisciter la candidate des Verts, qui se sont pris à rêver d’être en mesure de former un gouvernement autour de la chancelière Annalena Baerbock. Celle-ci semblait alors incarner le renouveau et la fraîcheur après le si long règne d’Angela Merkel. Malheureusement pour eux, la candidate a elle-même gâché ses chances en embellissant son CV, en ne déclarant pas une partie de ses revenus et en publiant un livre qui comportait des passages manifestement plagiés.
De leur côté, les conservateurs ont eu du mal à choisir leur candidat, dans un processus de sélection qui a longtemps été guidé par des querelles politiciennes entre la CDU et sa petite sœur bavaroise de la CSU. Malgré des sondages qui lui étaient moins favorables que ceux de son concurrent Markus Söder, la CDU/CSU a porté son choix sur Armin Laschet, censé incarner la continuité avec les années Merkel. S’il a éprouvé d’immenses difficultés à s’imposer dès son entrée en campagne, c’est en étant surpris en train de plaisanter au milieu d’un hommage aux victimes des inondations meurtrières du mois de juillet dernier qu’il a perdu une grande partie de sa crédibilité. Alors qu’il dominait la course avec 35% des intentions de vote, il a alors commencé une longue descente qui l’amène aujourd’hui autour des 20%.
Les sociaux-démocrates ont été les principaux bénéficiaires de cette explosion en vol de la candidature d’Armin Laschet. Pourtant choisi par défaut par le SPD en septembre 2020, Olaf Scholz s’est révélé un candidat sérieux qui a habilement su faire valoir auprès des électeurs sa longue expérience gouvernementale. Conseillé par un ancien stratège de la campagne Merkel de 2017, Scholz a réussi à se présenter comme l’incarnation du changement dans la continuité. Répétant sans cesse qu’il gagnerait malgré des sondages qui ont mis longtemps à lui devenir favorables, sa campagne très personnalisée, éloignée du SPD et placée sous le signe du “respect” a semble-t-il séduit l’électorat.
Les libéraux, faiseurs de roi
À en croire les ultimes sondages de la campagne, Olaf Scholz dispose désormais d’une réelle chance de devenir le prochain chancelier : donné à 26%, le SPD devance à présent la CDU/CDU (21%) et les Verts (15%). Plusieurs coalitions seront possibles au lendemain du scrutin, mais une seule implique dorénavant la présence d’Armin Laschet à la chancellerie. Pour autant, l’intronisation de Scholz comme chancelier n’est pas encore acquise, et il est toujours possible que celui qui arrivera en deuxième position ce dimanche soit finalement amené à prendre le leadership de la future coalition. Tout se jouera en coulisses et à huis clos, au cours de négociations qui s’annoncent cette fois encore difficiles.
Une coalition bipartite étant improbable, les libéraux du FDP seront les faiseurs de roi. Leur chef, Christian Lindner, a déjà fait savoir qu’il négocierait son soutien en échange du portefeuille du ministre des Finances, et qu’il considérait que le rôle du prochain chancelier devrait être moins important que ce qui est prévu dans la loi fondamentale. De fait, il sera au cœur des négociations. Il a une carte à jouer, mais il lui faudra faire attention à ne pas trop rapidement dévoiler son jeu.
It’s the ecology, stupid!
La campagne s’est jouée autour des enjeux économiques et sociaux de la transformation écologique rendue nécessaire par la crise climatique. Les débats se sont tenus autour de la proposition des sociaux-démocrates, des Verts et de Die Linke de porter le salaire horaire minimum à 12 euros. Une proposition catégoriquement refusée par la CDU/CSU, qui préfère mettre l’accent sur l’innovation et le rôle du “Mittelstand“ dans la création d’emplois, la cohésion sociale et la maîtrise des déficits.
Trois grands débats télévisés ont été organisés au cours de la campagne, permettant à chacun des trois grands candidats d’expliquer sa vision dans les domaines de l’emploi, des affaires sociales, du climat ou de la sécurité intérieure. Malheureusement, quasiment aucune question n’a été consacrée à leurs intentions en matière de politique étrangère ou de construction européenne.
De même, le débat sur les raisons structurelles de la lenteur de la reprise économique au lendemain de la crise sanitaire n’a pas eu lieu. Selon The Economist, le PIB allemand ne devrait croître que de 3,1% en 2021, là où la France connaîtra une croissance de 5,5% et les États-Unis de 6%.
Le débat sur l’économie s’est contenté de généralités sur la nécessité d’investir davantage dans la numérisation et dans les infrastructures pour maîtriser le changement climatique et assurer la croissance. Chacun est resté fidèle à sa ligne. Les conservateurs de la CDU/CSU et les libéraux du FDP ont chanté en chœur les louanges de l’inventivité des entrepreneurs allemands, loué la force du marché et promis de briser les chaînes de la bureaucratie afin d’accélérer les changements dans l’industrie nationale.
De leur côté, le SPD et les Verts ont mis l’accent sur le rôle de l’État dans la transformation de l’économie, la candidate des Verts affirmant même que chaque interdiction décrétée au nom de l’écologie serait un moteur pour l’innovation. Sur la question énergétique, le SPD a insisté sur l’importance de pouvoir assurer un approvisionnement électrique suffisant pour l’industrie d’ici 2040, tandis que les Verts promettaient l’obligation d’installer un panneau solaire sur le toit de chaque nouvelle maison et la réquisition de 2% de la surface du territoire allemand pour y installer des centrales éoliennes. Entre les trois grands partis, la principale controverse a porté sur la date à laquelle le pays sortirait du charbon. Alors que celle-ci est prévue pour 2038, les Verts insistent de leur côté pour que cette date soit avancée à 2030 afin de se conformer au plus tôt aux objectifs climatiques des accords de Paris.
L’assourdissant silence sur l’Europe
Hélas, la politique étrangère et l’Europe ont été les grandes absentes des débats. L’avenir de l’Union européenne n’a été discuté qu’une seule fois, sans la candidate verte et dans une émission diffusée en toute fin de soirée et donc peu regardée. Le candidat conservateur y a avancé des arguments rétrogrades pour s’opposer à l’endettement commun européen (“Schuldenunion“), oubliant au passage que c’était la chancelière de son propre parti qui en avait acté le principe avec Emmanuel Macron pour sortir de la crise sanitaire.
Alors que les relations avec les trois grandes puissances du XXIe siècle seront un des défis majeurs du prochain gouvernement et détermineront les équilibres économiques, militaires et environnementaux, les États-Unis, la Chine et la Russie ont été à peine mentionnés.
De même, alors que la crise sanitaire a mis à nu les conséquences dramatiques d’une mondialisation dérégulée, cette dernière n’a pas été abordée dans les débats. Les pénuries de masques et de médicaments apparues au printemps 2020 semblent oubliées, et pas un mot n’a été dit ni sur la crise actuelle des semi-conducteurs indispensables à l’industrie automobile allemande, ni sur la difficulté grandissante pour les entreprises à se procurer certains matériaux de construction comme le bois.
Il s’est dégagé de cette campagne l’étrange impression que le pays se considérait comme le seul responsable de son bien-être, le reste du monde n’étant qu’un partenaire commercial qu’on n’évoque que pour rappeler qu’il aime acheter les produits allemands. Pourtant, l’Allemagne n’est pas une île, et il faut espérer qu’au lendemain des élections, le pays saura se souvenir et se préoccuper de nouveau des enjeux du moment sur la scène européenne et internationale.