Au lendemain de l’attaque terroriste du Hamas en Israël, les cinq partis démocratiques du Bundestag ont affirmé que la sécurité d’Israël était, pour l’Allemagne, une « raison d’État ». Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, analyse la réaction de Berlin à un sujet intimement lié à l’histoire de la démocratie allemande.
La sécurité d’Israël, une raison d’État pour l’Allemagne
L’Allemagne considère que sa responsabilité dans l’Holocauste implique que le pays est soumis à un devoir permanent de défendre l’existence et la sécurité de l’État d’Israël. Pour Berlin, la sécurité d’Israël relève de « la raison d’État allemande ».
Cette responsabilité historique guide actuellement l’action du gouvernement allemand. Le chancelier Olaf Scholz a ainsi déclaré devant le Bundestag que, à l’heure actuelle, l’Allemagne n’avait qu’une seule position : être aux côtés d’Israël.
Un antisémitisme alarmant en Allemagne
Les manifestations de solidarité avec les attaques barbares des terroristes islamistes du Hamas doivent être combattues avec tous les moyens offerts par un État de droit.
Suite aux actes terroristes du Hamas, des manifestations pro-palestiniennes ont en effet eu lieu dans plusieurs villes, émaillées de graves incidents et de slogans violents et profondément antisémites.
L’antisémitisme n’est pas un phénomène marginal en Allemagne. Il n’est pas uniquement lié à la situation actuelle au Proche-Orient. Il est présent dans tous les milieux sociaux et, depuis des années, de nombreux Juifs ne se sentent plus en sécurité, notamment dans les grandes villes comme Berlin, Cologne ou Francfort.
Par ailleurs, l’Allemagne a connu une hausse spectaculaire du nombre d’actes antisémites depuis l’attaque terroriste contre Israël. Selon l’agence de recherche sur l’antisémitisme, il y a eu 240% d’incidents en plus depuis le 7 octobre 2023 par rapport à l’année précédente. Il apparaît désormais clairement que le développement de sociétés parallèles dans certaines villes favorise la haine fanatique contre Israël et les Juifs. Si le commissaire fédéral à l’antisémitisme, Felix Klein, souligne que la majorité des musulmans ne sont pas antisémites, il reconnaît toutefois qu’il est plus fréquent parmi ceux qui vont régulièrement à la mosquée. À cet égard, les imams radicaux ont certainement une influence sur la situation actuelle.
Le dernier sondage Deutschlandtrend du 2 novembre 2023 révèle que, depuis l’attaque du 7 octobre dernier contre Israël, plus de la moitié des citoyens allemands ont le sentiment que l’antisémitisme se répand en Allemagne (52%, contre 45% en octobre 2019), tandis que quatre sur dix (37%, +2) ne partagent pas cette opinion.
Malgré les événements récents, la perception d’un antisémitisme croissant dans la société allemande n’est plus aussi forte qu’il y a quatre ans – juste après l’attaque d’extrême droite contre la synagogue de Halle, au cours de laquelle deux personnes ont été tuées. Mais la majorité constate une montée de l’antisémitisme, quel que soit le bord politique : partisans des Verts (71%), partisans du SPD (64%), partisans de l’Union et du Parti de gauche (56% chacun). Seuls les partisans d’extrême droite de l’AfD ont une vision différente : 40% pensent que l’antisémitisme se propage en Allemagne, alors que 46% affirment le contraire.
Le chancelier coincé par les actions de ses ministres
Face à ce mouvement de fond, le gouvernement tente de réagir. Une vidéo publiée le 2 novembre 2023 sur X/Twitter par le ministre de l’Économie, Robert Habeck, fait ainsi l’unanimité. La Frankfurter Allgemeine Zeitung estime que son allocution se situe dans la lignée des grands discours historiques de Martin Luther King ou de John F. Kennedy.
Il y appelle, avec une rhétorique remarquable, à lutter avec rigueur contre l’antisémitisme. Il y a rappelle avec force des principes élémentaires : les droits de l’homme sont universels, la tolérance religieuse doit s’appliquer à tous. Quiconque brûle le drapeau d’Israël et loue la terreur du Hamas doit être poursuivi devant la justice et risque l’expulsion s’il n’a pas la nationalité allemande.
Robert Habeck s’y prononce contre toute forme de banalisation et de relativisation des meurtres barbares du Hamas. Il y explique avec force que le rappel du « contexte » historique du 7 octobre 2023 constitue une lourde erreur de compréhension d’un massacre massif de petits enfants, de jeunes, de femmes et d’hommes. Il y condamne tous ceux qui considèrent l’organisation terroriste qui en est responsable, le Hamas, comme un mouvement de libération.
Ce grand discours de morale historique n’est cependant pas totalement dénué d’un sous-texte de politique intérieure. Il renvoie en effet à une vieille querelle qui oppose Robert Habeck à Annalena Baerbock, l’actuelle ministre des Affaires étrangères. Les deux élus des Verts se sont en effet opposés lors de la dernière campagne électorale. Annalena Baerbock se vantait d’être une intellectuelle, experte de droit international, tandis que Robert Habeck, issu du monde agricole, savait traire des vaches. Cette auto-éloge stupide se retourne désormais contre elle maintenant qu’elle est sous le feu des critiques après s’être abstenue à l’Assemblée générale des Nations unies lors du vote d’une résolution visant à améliorer la situation humanitaire dans la bande de Gaza mais ne condamnant pas explicitement le Hamas pour ses violences barbares contre Israël.
Elle justifie sa position en expliquant que cette abstention permettait à l’Allemagne de conserver ses canaux diplomatiques avec le monde arabe et de pouvoir être reconnue comme un potentiel médiateur dans le conflit. Une théorie qui ne tient pas le choc de la dure réalité : l’Allemagne ne joue aucun rôle dans les pourparlers diplomatiques et les négociations pour libérer les otages israéliens.
Cette séquence réactive des divergences politiques au sein de la coalition. Christian Lindner, le ministre des Finances issu des libéraux, critique la ministre des Affaires étrangères. En réaction, le ministre de l’Économie publie une vidéo remarquable. Pourtant, si la presse et l’ensemble de la classe politique le saluent unanimement comme la prise de parole d’un homme d’État digne de ce nom, la CDU/CSU considère quant à elle avec malice qu’un tel discours aurait dû être prononcé par le chancelier, et non pas par son ministre de l’Économie.
Ce n’est pas la première fois que le chancelier Olaf Scholz se retrouve ainsi dans une situation embarrassante au sein de sa coalition. Ici, le chancelier Olaf Scholz ne peut pas critiquer ouvertement sa ministre des Affaires étrangères sans risquer à nouveau une crise gouvernementale. Il se doit de soutenir un vote qui le situe désormais à équidistance diplomatique entre Israël et le Hamas. Les terroristes applaudissent, et Israël est choqué. L’ambassadeur israélien en Allemagne a dénoncé une abstention moralement inacceptable. Pourtant, Olaf Scholz a été le premier chef d’État à visiter Israël après les attaques pour y exprimer sa solidarité avec l’État hébreu. Il y a dénoncé l’inversion « bourreau-victime », et fustigé l’argument du « oui, mais » sur le droit d’Israël à se défendre. De fait, il se situe personnellement clairement dans la tradition diplomatique allemande de responsabilité historique nationale vis-à-vis du peuple juif.
L’interdiction du Hamas et de Samidoun
Cette ligne s’est concrètement traduite le 2 novembre 2023 par l’interdiction formelle en Allemagne de l’organisation terroriste du Hamas et de Samidoun, un groupe sympathisant, décidée par la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser (SPD).
C’est un geste qui peut être jugé sans doute tardif, mais qui est plus que justifié. Le Hamas collecte en effet des fonds en Allemagne depuis longtemps pour financer son terrorisme et, depuis sa création en 2011, Samidoun organise et alimente – surtout à Berlin – des manifestations anti-Israël particulièrement virulentes. Ainsi, l’organisation a salué les attaques du 7 octobre 2023, avant de distribuer des bonbons dans les rues de Berlin.
Cette interdiction est donc bienvenue. Néanmoins, il reste à voir si les autorités allemandes seront capables de la faire respecter, et surtout si les groupes ne se réorganiseront pas sous d’autres noms. La bataille est loin d’être gagnée, mais le gouvernement fédéral a eu le mérite de réaaffirmer que l’antisémitisme n’a pas sa place en Allemagne et qu’il ne devrait y avoir aucun sentiment d’impunité pour ceux qui haïssent les Juifs en Allemagne. « Plus jamais ça », c’est maintenant.