L’Allemagne à la recherche d’un nouveau gouvernement

S’ils n’ont rien d’étonnant au regard de la campagne écoulée, les résultats des élections fédérales en Allemagne du 26 septembre 2021 sont pour le moins inédits. Si le SPD en est sorti vainqueur, le gouvernement est encore loin d’être formé. Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, revient dans sa chronique sur les enjeux des négociations en cours entre le SPD, les Verts et les libéraux.

Une courte victoire de la social-démocratie

Les sociaux-démocrates (SPD) doivent se contenter de 25,7% des votes exprimés, mais peuvent néanmoins se réjouir d’avoir réussi à sortir vainqueurs des urnes. Si l’écart avec les chrétiens-démocrates (CDU/CSU) n’est pas si significatif, il faut souligner que ces derniers, arrivés en deuxième position avec 24,1%, subissent leur plus mauvais résultat depuis 1949. La courte victoire d’Olaf Scholz est donc en même temps une défaite sanglante pour Arnim Laschet. Les chrétiens-démocrates ont été victimes des luttes fratricides en leur sein, mais surtout de leur incapacité à présenter un digne successeur d’Angela Merkel, leur chancelière au pouvoir depuis seize ans. 

Le parti écologiste (les Verts) n’a pas réussi à réaliser un score proche des deux partis arrivés en tête. Il n’arrive qu’en troisième position, avec 14,8% des votes. Leur stratégie de présenter un programme de gouvernement axé sur les enjeux climatiques n’a finalement pas séduit en dehors de leur propre électorat traditionnel. Si ce score est une déception au regard de leurs ambitions de début de campagne, les Verts peuvent néanmoins se satisfaire d’avoir gagné 5,8% par rapport aux élections de 2017.

Les libéraux (FDP) gagnent quant à eux 0,7% par rapport à 2017. Ils obtiennent 11,5% des votes exprimés, devant les extrémistes de droite de l’AfD, qui subissent un recul mais recueillent néanmoins 10,3% des suffrages.

Contrairement à ce que beaucoup attendaient, les Verts ne sont pas devenus de loin la force politique la plus importante parmi les primo-votants aux élections fédérales. Selon Infratest Dimap et ARD, les libéraux et les Verts se partagent la plus forte proportion de voix dans ce groupe d’électeurs, avec 23% chacun. Les partis précédemment au pouvoir sont logiquement moins populaires auprès des jeunes électeurs. La troisième place revient au SPD avec 15%. Ce ne sont donc pas les jeunes qui ont fait gagner les sociaux-démocrates : une grande partie de leur victoire est due au fait qu’ils ont considérablement progressé parmi les électeurs les plus âgés, qui ont massivement délaissé les chrétiens-démocrates. 

Avec 4,9%, la gauche radicale (Die Linke) enregistre de son côté un recul massif de ses résultats. Elle ne doit son maintien au sein du prochain Bundestag qu’à une spécificité de la loi électorale allemande qui prévoit que le seuil des 5% nécessaires pour siéger au sein du parlement n’est plus requis pour une force politique dès lors qu’elle gagne trois mandats « directs », c’est-à-dire la majorité des votes dans une circonscription C’est le cas de Die Linke, qui se verra donc attribuer des sièges sur la liste élue à la proportionnelle (le deuxième vote).

Après la constitution du nouveau parlement allemand (Bundestag), un chancelier proposé par le président de la République doit être élu avec une majorité absolue de 50% +1. Par la suite, le président de la République nomme les ministres du gouvernement sur proposition du chancelier élu. 

Les scénarios de formation du prochain gouvernement sont aujourd’hui limités. En principe, les sociaux-démocrates peuvent former une coalition avec les Verts et les libéraux – une coalition nommée “ampel“ (« feu rouge ») avec Olaf Scholz comme chancelier. 

Les chrétiens-démocrates ont théoriquement quant à eux la possibilité de s’allier avec les Verts et les libéraux pour tenter de former un gouvernement avec Armin Laschet comme chancelier, appelé coalition “Jamaika“. 

La reconduite d’une “grande coalition“ entre le sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates serait une possibilité du dernier recours, mais apparaît aujourd’hui politiquement non souhaitable. Enfin, il faut souligner que tous les partis considèrent comme absolument impossible toute alliance gouvernementale incluant la participation des extrémistes de droite de l’AfD. 

Un véritable succès d’Olaf Scholz  

La victoire électorale des sociaux-démocrates est avant tout un succès de la stratégie électorale adoptée pour promouvoir la candidature d’Olaf Scholz. Le SPD a réussi à reconquérir des électeurs qui lui avaient longtemps tourné le dos, et a recueilli 2,4 millions des voix supplémentaires par rapport à 2017. Près de douze millions d’Allemands ont accordé au SPD leur deuxième voix.

Olaf Scholz est arrivé en tête dans douze des seize États fédéraux. Les sociaux-démocrates ont réussi à convaincre d’anciens électeurs de presque tous les autres partis. Selon l’analyse de la migration des électeurs réalisée par l’institut de sondage Infratest-Dimap pour la chaîne de télévision allemande ARD, le SPD a réussi à attirer près de 1,4 million d’électeurs de la CDU/CSU. Il a également su convaincre 600 000 électeurs de Die Linke de 2017, ainsi que 210 000 ex-votants de l’AfD et 170 000 du FDP. De même, 320 000 abstentionnistes de 2017 ont également décidé de retourner voter et de glisser un bulletin pour le SPD.

Lors de cette élection, le solde migratoire électoral des sociaux-démocrates n’a été négatif que dans un seul sens : 320 000 anciens électeurs du SPD ont cette fois voté pour les Verts. 

Olaf Scholz était le candidat dont une majorité des électeurs pensaient qu’il pouvait occuper le poste de chancelier. Dans un sondage du groupe Forschungsgruppe Wahlen, 67% des personnes interrogées estimaient ainsi qu’il était apte à diriger le gouvernement, quand son concurrent de la CDU Armin Laschet ne réussissait à convaincre que 29% des sondés et la candidate verte Annalena Baerbock seulement 23%.

Qu’il s’agisse de sympathie, de crédibilité ou d’expertise, Olaf Scholz devançait systématiquement ses concurrents. Plus flatteur encore pour le candidat, mais moins pour son parti : c’est le constat d’Infratest-Dimap selon lequel près de la moitié des électeurs interrogés n’auraient pas voté pour le SPD si Olaf Scholz n’avait pas été leur candidat. 

Assiste-t-on à un renouveau de la social-démocratie européenne ? Certes, les récents succès rencontrés en Norvège et en Allemagne laissent espérer le début d’une nouvelle ère pour notre mouvement, ou du moins permettent de croire à l’apparition d’une lumière au bout du tunnel pour les partis de gauche de certains pays comme la France. Mais dans un récent débat télévisé, Peer Steinbrück, le candidat malheureux du SPD en 2013, s’est empressé de modérer ces espoirs : “c’est Olaf Scholz qui a gagné, et non pas le SPD, bien qu’il soit dans le SPD“.

Des négociations difficiles démarrent

Dès les résultats connus, les sociaux-démocrates ont mis l’accent sur le fait que les trois partis qui ont gagné des voix devaient former la nouvelle coalition gouvernementale. Mais les rencontres exploratoires menées au lendemain des élections ont également révélé une réalité politique nouvelle : les deux “petits“ partis, à savoir les Verts et les libéraux, mènent le jeu. Malgré leurs nombreuses divergences, notamment concernant la politique climatique, les finances publiques et les politiques sociales, ils ont montré une convergence étonnante dans leur ambition commune de vouloir peser sur les orientations politiques des quatre ans à venir. Ils entendent tous deux jouer les premiers rôles : ils ne ne considèrent plus simplement comme des “serveurs“, mais bien comme des “chefs cuisiniers“. 

Il faut voir dans cette analogie culinaire une référence à la fameuse phrase de l’ancien chancelier Gerhard Schröder, qui utilisa les mêmes termes en 1998 lors de la formation de son gouvernement entre le SPD et les Verts. Une piqûre que les Verts n’ont pas oubliée, de même que les libéraux se souviennent encore de l’insulte de la CSU à leur égard en 2011, lorsque le secrétaire général de l’époque, Alexander Dobrindt, les qualifiait de “troupe de concombres“.

Après leur défaite sanglante, les chrétiens-démocrates ne sont plus en position de négocier un nouveau gouvernement, quand bien même leur candidat Arnim Laschet fait mine de toujours croire à la possibilité que les libéraux puissent convaincre les Verts de négocier une nouvelle coalition sous la direction des conservateurs. Mais la CDU/CSU est en train de se déchirer autour de la responsabilité de leurs mauvais résultats, et par conséquent les Verts ont très vite mis un terme aux premiers pourparlers avec eux. 

Le 6 octobre 2021, les deux chefs des Verts, Annalena Baerbock et Robert Habeck, ont déclaré vouloir plutôt entamer des négociations avec les sociaux-démocrates. Cette déclaration a été immédiatement suivie par le leader des libéraux, Christian Lindner, et accueillie avec grande satisfaction par Olaf Scholz, qui s’est empressé dès le lendemain de proposer des pourparlers entre les trois partis. Toutefois, si les Verts et les libéraux n’ont pas exclu de revenir vers la CDU/CSU en cas d’échec avec le SPD, il s’agit d’abord et avant tout de maintenir la pression sur ces derniers au moment d’entamer les négociations avec eux.

Les négociations en cours détermineront les quatre prochaines années de la vie politique allemande. Les trois partis engagés dans ces discussions ont chacun exprimé leur volonté d’administrer autrement le pays. Tous veulent éviter les fautes de l’actuel gouvernement, dont bien des problèmes remontaient au fait que, s’il s’était formé en 2017, c’était moins par accord idéologique et objectifs communs que sous la contrainte. Pendant quatre ans, chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates ont forgé toutes sortes de compromis bancals dont l’unique objectif était de préserver les apparences. Cette grande coalition dont personne ne voulait a accouché d’un gouvernement sans ligne directrice ni ambition : le gouvernement Angela Merkel IV n’a pas agi, mais simplement réagi. 

Il est quasi certain que les négociations prendront du temps pour aboutir. Les trois partenaires potentiels ont en effet trop de divergences politiques et idéologiques à surmonter pour espérer les voir parvenir à des compromis à très court terme. À ce stade, les trois partis préfèrent éviter d’aller trop dans les détails de leur programme, préférant plutôt présenter un projet généraliste pour orienter l’Allemagne vers une économie verte, numérisée et préparée aux futures exigences de la mondialisation. En ces temps de crises transfrontalières, de crises climatiques et de crise sanitaire, le défi est de taille. 

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