La victoire d’Elly Schlein : une surprise, des espoirs, des questions

À la suite de l’échec sévère de la gauche en général, et du Parti démocrate (PD) en particulier, aux dernières élections législatives italiennes de septembre 2022, une nouvelle secrétaire du PD a été élue fin février 2023, Elly Schlein. Alexandre Chabert analyse la campagne interne ainsi que son issue, et s’interroge sur les défis à relever pour la nouvelle dirigeante d’un parti en fort déclin.

Les élections législatives italiennes du 25 septembre 2022 se sont soldées par une cinglante défaite pour la coalition de centre-gauche et, singulièrement, pour le Parti démocrate (PD). Si la victoire de la droite était prévisible, les résultats que le PD recueille à la Chambre des députés (19,07% des suffrages exprimés) comme au Sénat (18,96%) n’en sonnent pas moins comme un lourd désaveu pour la formation dirigée par Enrico Letta depuis 2021. Tout en demeurant sans conteste la principale force de la coalition de centre-gauche et le deuxième parti politique d’Italie, le PD obtient néanmoins des résultats inférieurs de deux à trois points au regard de ce que les derniers sondages, réalisés quinze jours avant le vote, laissaient présager. Début août encore, certaines enquêtes d’opinion semblaient pouvoir faire croire au PD qu’il était en mesure de ravir à Frères d’Italie (FdI, extrême droite post-fasciste) le rang de premier parti du pays. Las, au dépouillement des urnes, près de sept points séparent le PD de la formation emmenée par Giorgia Meloni : la coalition dite de « centre-droit », qui engrange près de 44% des suffrages exprimés, terrasse sa rivale de centre-gauche (qui plafonne à 26%) et Giorgia Meloni est nommée présidente du Conseil. Quant au Mouvement 5 étoiles (M5S, historiquement populiste et anti-système, mais dont le positionnement s’ancre de plus en plus nettement à gauche), il enregistre certes un fort recul mais, en définitive, se maintient au-dessus de la barre des 15%, à un niveau plus haut que les sondages ne pouvaient le lui laisser craindre.

Au soir des résultats, Enrico Letta annonce la tenue d’un congrès exceptionnel, qui devra avoir une vocation « constituante », donner naissance à un « nouveau PD » et à l’occasion duquel le secrétaire sortant annonce dès le 25 septembre qu’il ne se représentera pas. Si le nom de Stefano Bonaccini commence à être prononcé avant même la fin de la campagne électorale, celui d’Elly Schlein, déjà, fait figure d’outsider potentiel.

Avant de parler de « nouveau PD », comment définir l’ancien ?

Cruelle, la défaite du PD et du centre-gauche aux élections législatives n’en était pas moins attendue. La coalition paye d’abord son incapacité à construire une large alliance, aussi bien avec le M5S de l’ancien président du Conseil Giuseppe Conte qu’avec la coalition libérale (Terzo Polo, « Troisième Pôle ») menée par Carlo Calenda et soutenue par Matteo Renzi. Le système électoral italien est mixte : près de deux tiers des sièges au Parlement sont attribués à la proportionnelle et le tiers des élus restants est désigné dans le cadre d’un scrutin majoritaire à un tour, à l’échelle des circonscriptions locales. C’est là que la division a coûté le plus cher aux opposants de la coalition de centre-droit qui, elle, ne présentait qu’un seul candidat dans chaque circonscription. Certains territoires emblématiques sont ainsi passés dans le giron de la droite, à l’instar de la circonscription de Modène où n’avaient toujours été élus que des députés communistes puis, après 1991, des représentants des successeurs du Parti communiste italien (PCI), et qui a été ravie à la gauche par Frères d’Italie en 2022. Mais le PD a aussi, sans doute, été sanctionné pour sa participation presque ininterrompue à des expériences de gouvernement très diverses et souvent impopulaires, quand Giorgia Meloni a réussi à aborder les élections législatives en apparaissant comme la seule opposante à Mario Draghi et au gouvernement d’unité nationale constitué par ce dernier en février 2021.

Fondé en 2007 après la fusion d’un parti héritier du PCI (Démocrates de gauche, DS) et d’une formation issue de l’aile gauche de l’ancienne Démocratie chrétienne (La Marguerite), le Parti démocrate a passé plus des deux tiers de son existence au pouvoir. Surtout, il l’a fait le plus souvent dans le cadre de gouvernements élargis (avec une partie du centre-droit, entre 2013 et 2018), d’alliances baroques (le gouvernement Conte II, de 2019 à 2021, avec le M5S) ou au sein de cabinets techniques d’unité nationale (Monti 2011-2013 ; Draghi, 2021-2022). En dehors du gouvernement Renzi (2014-2016), dominé par la personnalité du président du Conseil et les politiques de forte inspiration libérale impulsées par celui-ci, ces expériences au pouvoir font certes apparaître le PD comme un parti « responsable », garant de la stabilité de l’Italie face aux crises, mais elles ne contribuent pas à façonner son identité politique.

D’emblée, le principal enjeu du congrès et de la campagne organisée en amont de celui-ci était donc bien clair : (re)donner une identité au Parti démocrate. Cette tâche peut se décliner en deux volets. Il y a d’abord le plan purement idéologique, ou du moins programmatique, d’une formation certes membre du PSE à l’échelle européenne mais dont la majorité des dirigeants – au premier rang desquels Letta lui-même – hésitent à employer le terme même de « gauche », préférant la plupart du temps se définir « progressistes ». Cette prudence langagière apparaît comme le témoin de la difficulté du PD, structurelle depuis sa création, d’élaborer une synthèse entre les différents courants qui le composent. On distingue globalement trois grandes tendances au sein du parti : une mouvance d’inspiration sociale-démocrate ou « travailliste », qui regroupe de nombreux dirigeants et élus issus de l’ancien PCI ou de ses successeurs (Parti démocrate de la gauche – PDS –, puis DS), comme l’ancien secrétaire du PD Nicola Zingaretti, l’ancienne ministre Livia Turco ou encore l’actuelle présidente du PD et maire de Marzabotto Valentina Cuppi ; une mouvance libérale, qui rassemble la majorité des soutiens de Matteo Renzi qui ne l’ont pas suivi à son départ du PD en 2019, ainsi l’ancien président du Conseil Paolo Gentiloni, le maire de Florence Dario Nardella ou encore Stefano Bonaccini lui-même ; enfin, une mouvance proche du christianisme social qui réunit aussi bien d’anciens représentants de l’aile gauche de la DC (dont la principale figure est l’ancien ministre Dario Franceschini) que des tenants d’un socialisme libéral comme les anciens communistes turinois Piero Fassino et Sergio Chiamparino. Pour les critiques de la structure en courants, les différences – pour ne pas dire les divergences – de vues qui séparent les représentants des diverses tendances apparaissent comme la preuve éclatante que la création du PD n’a guère été qu’une « fusion à froid » des groupes dirigeants des formations post-communiste et post-démocrate-chrétienne, selon la formule d’Achille Occhetto, dernier secrétaire du PCI, qui a lui-même toujours refusé d’adhérer au PD. Mais, au-delà des difficultés liées à son équilibre interne, la formation démocrate doit également résoudre la question de sa stratégie électorale. Le PD doit-il plutôt chercher à nouer un accord avec le M5S, avec les centristes du « Troisième Pôle » ou bien avec l’une et l’autre de ces formations, qui cependant ont mis leur veto à toute alliance entre elles ? Le centre-gauche, et plus généralement les opposants à la coalition de centre-droit, peuvent-ils réellement prétendre l’emporter autrement qu’en constituant cette grande alliance ?

Le PD est donc en proie à des questionnements multiples, auxquelles les deux mois de campagne congressiste n’ont pas encore permis de répondre.

Heurs et malheurs d’une campagne

Si quatre candidats concourent au poste de secrétaire du Parti démocrate, deux favoris se détachent rapidement : Stefano Bonaccini, président de la région Émilie-Romagne depuis 2014, et celle qui est sa vice-présidente entre 2020 et 2022, Elly Schlein. Ni Gianni Cuperlo – dernier secrétaire de l’organisation de la jeunesse communiste italienne (la FGCI), qui tentait sa chance pour la deuxième fois après avoir été défait en 2013 par Matteo Renzi –, ni Paola De Micheli, députée depuis 2008 et ministre dans le gouvernement Conte II (2019-2021), ne parviennent à s’affirmer face aux deux autres prétendants.

Stefano Bonaccini a 56 ans. Il adhère au PCI juste avant la disparition du parti, puis rejoint les différentes formations (PDS, DS, PD) qui lui succèdent après 1991. Son action et son bilan à la tête de l’Émilie-Romagne, dont la bonne administration fait office de vitrine pour la gauche italienne depuis des décennies, deviennent rapidement l’un des principaux arguments de campagne de cet ancien proche de Matteo Renzi. Depuis 2014, le Conseil régional que Bonaccini préside prend la forme d’une large union de la gauche et du centre et celui-ci assume son ambition de transposer à l’échelle nationale cette vaste alliance afin de battre la droite. Mais il est tout aussi clair que Bonaccini regarde davantage vers le centre qu’en direction de la gauche du PD et/ou du M5S. C’est d’ailleurs du côté de l’aile droite de son parti que le président de la région Émilie-Romagne engrange ses principaux soutiens : l’ancien ministre Graziano Delrio, issu des formations post-démocrates-chrétiennes ; la députée Deborah Serracchiani, présidente du groupe démocrate à la Chambre ; Piero Fassino, ancienne figure du PCI et ancien secrétaire des DS ; mais aussi plusieurs maires de grandes villes (Stefano Lo Russo à Turin, Dario Nardella à Florence, Giorgio Gori à Bergame) et la majorité des autres présidents de régions de centre-gauche (Vincenzo De Luca en Campanie, Eugenio Giani en Toscane, Michele Emiliano dans les Pouilles). Si Bonaccini affirme sans détour n’éprouver aucune « nostalgie des DS »1Silvia Bignami, « Bonaccini boccia un Pd che sta solo a sinistra: “Basta uscite da salotto, io non ho nostalgia dei Ds », La Repubblica, 10 août 2022., il essaye également de donner des gages à l’aile gauche du parti en déclarant que « [s]on PD » serait « ouvert et de gauche » et devait autant parler au M5S qu’aux forces centristes, sans pour autant laisser l’exclusivité, à l’une, de la représentation des classes populaires et, à l’autre, des classes moyennes à supérieures modérées. Il se déclare également favorable à l’abolition des courants au sein du Parti démocrate2Carmelo Lopapa, « Bonaccini: “Il mio Pd aperto e di sinistra. Basta con le correnti, l’avversario è la destra” », La Repubblica, 27 novembre 2022.. Dans la motion qu’il défend, « Énergie populaire » (Energia popolare), il soutient un vaste ensemble de mesures concrètes qui ressemble à un véritable programme de campagne et met implicitement en avant les qualités d’administrateur du président de région. Si ces propositions relèvent, à bien des égards, d’un réformisme « classique », elles témoignent également de la volonté de proposer une synthèse des différentes sensibilités qui animent le PD dont Stefano Bonaccini affirme explicitement vouloir faire « un grand parti de gauche et populaire, réformiste et pluriel »3C’est l’auteur qui souligne, cf. motion de Stefano Bonaccini. Les trois autres motions sont également consultables sur la même page.. Une définition qui peut paraître anodine, mais qui l’est moins quand on songe au fait que le terme « gauche » n’est pas mentionné une seule fois dans le statut du Parti démocrate – un document pourtant long de près de 15 000 mots…

Elly Schlein apparaît quant à elle comme « l’anti-Meloni ». Née en Suisse en 1985, elle est la fille d’une mère italienne et d’un père américain d’origine ukrainienne et ne cache pas sa bissexualité. Elle participe comme bénévole aux deux campagnes présidentielles de Barack Obama, en 2008 et en 2012, s’engage dans différentes associations et travaille comme secrétaire de production à la production de documentaires engagés. En 2013, elle est l’une des figures du mouvement « OccupyPD », dont les membres « occupent » différents locaux du Parti démocrate pour protester contre le vote des cent « francs-tireurs » qui ont empêché l’élection de Romano Prodi à la présidence de la République et contre la constitution d’un gouvernement élargi au centre-droit dirigé par Enrico Letta. Elle adhère alors au PD et soutient Pippo Civati, l’un des principaux représentants de l’aile gauche du parti, à l’heure où Matteo Renzi poursuit son irrésistible ascension au sein du parti. Élue députée européenne en 2014, Elly Schlein quitte le PD l’année suivante, en rupture avec les politiques libérales promues par Renzi devenu président du Conseil. Dès lors, elle évolue au sein de différentes petites formations qui gravitent sur la gauche du PD tout en comptant parmi les alliés de celui-ci. Elle ne se représente pas aux élections européennes de 2019, mais elle est élue conseillère régionale en Émilie-Romagne en janvier 2020 et assume la fonction de vice-présidente de la région jusqu’en septembre 2022, où elle devient députée. À l’occasion du meeting de clôture de campagne du Parti démocrate, elle se fait remarquer par une prise de parole qui sonne comme un écho inversé à un discours célèbre de Giorgia Meloni. À la leader de Frères d’Italie qui avait orgueilleusement proclamé, lors d’un meeting à Rome en 2019, « Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne », Elly Schlein répond : « Je suis une femme, j’aime une autre femme et je ne suis pas une mère. Mais je n’en suis pas moins une femme ». Le 11 décembre 2022, Elly Schlein annonce qu’elle est candidate au poste de secrétaire du Parti démocrate. Le lendemain, elle se réinscrit au Parti et prend sa carte dans le célèbre cercle de la Bolognina, à Bologne, là même où, le 12 novembre 1989, Achille Occhetto avait lancé le « tournant » qui a conduit à la disparition du PCI et à sa transformation en un parti d’inspiration socialiste. En février 2022, Elly Schlein avait fait paraître un ouvrage, La nostra parte (Notre part)4Elly Schlein, La nostra parte. Per la giustizia sociale e ambientale, insieme, Milan, Mondadori, 2022., dans lequel elle déclinait les bases théoriques de ce qui ressemblait déjà à un programme politique, structuré autour de piliers tels que la justice sociale et environnementale (elle défend l’idée d’une véritable « conversion écologique »), le féminisme et la défense des droits civiques. On retrouve dans ce livre de nombreux thèmes qui apparaissent comme autant de fondamentaux de la motion qu’elle défend en vue du congrès : Parte da noi, « Cela commence par nous ». Elly Schlein mène une campagne extrêmement active sur le terrain – elle parcourt, en deux mois, l’ensemble de l’Italie, au rythme parfois de quatre ou cinq villes par jour – comme sur les réseaux sociaux, notamment Instagram, dont elle fait une utilisation massive. Véritable outsider de la campagne, Elly Schlein présente donc un profil et un programme politique qui tranchent au sein du Parti démocrate. Ils constituent d’indéniables atouts pour susciter l’enthousiasme parmi un peuple de gauche italien, notamment ses franges les plus jeunes, en mal de leaders et de formations aux positions plus affirmées, plus offensives – en un mot, plus à gauche. Mais ils peuvent également déconcerter. Susciter des réactions violentes également. Elly Schlein est victime de tentatives d’intimidation au cours de la campagne et, début décembre dernier, avant même qu’elle ne déclare sa candidature, un incendie criminel prend pour cible la maison de sa sœur Susanna, qui vit à Athènes.

Il n’en reste pas moins qu’Elly Schlein bénéficie aussi et surtout d’un nombre considérable de soutiens, à l’envergure croissante au fur et à mesure que la campagne avance. Le leader des « Sardines », Mattia Santori, est l’un des premiers à annoncer qu’il se range derrière la candidate et que, dans le même temps, il adhère au PD, ce que jusqu’alors il avait toujours refusé de faire. Il est rapidement suivi par des figures de l’aile gauche de la formation démocrate, comme le très respecté Fabrizio Barca (fils d’un dirigeant historique du PCI, et lui-même ancien membre du PCI), Dario Franceschini, l’ancienne présidente de la Chambre des députés Laura Boldrini, l’ancien secrétaire du PD Nicola Zingaretti, Livia Turco, le député Alessandro Zan (célèbre pour avoir été le rapporteur d’un projet de loi contre l’homophobie dont le rejet par le Sénat italien fin 2021 – et les scènes d’allégresse qui s’en étaient suivi – avait heurté une partie de l’opinion publique) ou encore Achille Occhetto lui-même. À la fin de la campagne, Elly Schlein enregistre deux soutiens de poids, deux figures de la région Émilie-Romagne pourtant dirigée par Stefano Bonaccini : le toujours très populaire Pier Luigi Bersani, secrétaire du PD entre 2009 et 2013, et l’actuel maire de Bologne, Matteo Lepore, figure montante de l’aile gauche du PD.

La campagne paraît initialement susciter peu d’enthousiasme. Beaucoup de figures du Parti démocrate refusent de prendre position en faveur de l’un·e ou l’autre des candidats. La campagne est également perturbée – et affaiblie – par le résultat de deux scrutins régionaux, organisés dans le Latium et en Lombardie les 12 et 13 février dernier et qui se soldent par deux déroutes pour le centre-gauche. Ce sont surtout la présence d’Elly Schlein et le vent d’air frais qu’elle semble insuffler à gauche qui attirent l’attention des médias. Peu à peu, en dépit de sondages (très) favorables à Stefano Bonaccini, la dynamique semble donc s’installer du côté de son ancienne numéro deux et l’écart entre les deux prétendants au leadership démocrate se réduit. En outre, à dix jours du scrutin, le président de la région Émilie-Romagne s’attire les foudres d’une fraction de son parti, dont Elly Schlein elle-même, en affirmant à propos de Giorgia Meloni qu’elle n’est « pas fasciste » et « compétente ». Le même jour, pour la première fois, un sondage indique qu’Elly Schlein arrive en tête des préférences chez les non-inscrits au PD qui déclarent penser voter le 26 février 2023.

Le scrutin pour l’élection du nouveau ou de la nouvelle secrétaire du PD a lieu en deux temps. Un premier vote, organisé dans les différentes sections locales entre le 3 et le 12 février, est réservé aux seuls adhérents du Parti démocrate. Le scrutin voit Stefano Bonaccini emporter la majorité absolue, avec 52,87% des suffrages, quand Elly Schlein arrive deuxième et recueille 34,88% des voix. Les deux candidats arrivés en tête s’opposent dans le cadre d’une primaire ouverte à tous les sympathisants du centre-gauche, qui peuvent voter à la condition de s’acquitter de la somme de deux euros, organisée le dimanche 26 février. Gianni Cuperlo, arrivé troisième (7,96%), ne donne pas de consigne de vote à ses soutiens et Paola De Micheli, qui ferme la marche (4,29%), se range derrière Stefano Bonaccini. Tous les sondages, et encore ceux qui sont publiés à quelques jours du scrutin, prédisent la nette victoire du président de la région Émilie-Romagne. Mais Elly Schlein crée une énorme surprise et l’emporte avec 53,75% des voix, soit plus de 80 000 voix d’avance sur son concurrent. Elle arrive en tête dans douze régions (sur un total de vingt, mais pas en Émilie-Romagne, où Bonaccini recueille 56% des suffrages) et, souvent avec une avance considérable, elle l’emporte dans la majorité des grandes villes.

Le PD s’est certes félicité d’avoir mobilisé près d’1,1 million de votants, mais la participation enregistre tout de même un net recul au regard des précédentes primaires. En fait, elle n’a cessé de diminuer depuis la première édition, organisée l’année de la fondation du parti, où 3,6 millions d’Italiens avaient participé au scrutin qui avait vu Walter Veltroni devenir le premier secrétaire du PD. Les électeurs étaient encore plus de 3 millions en 2009, pour désigner Pier Luigi Bersani secrétaire du PD, et 2,8 millions en 2013 à l’heure de choisir son successeur, Matteo Renzi. La participation connaît déjà un net recul en 2017 (1,8 million de suffrages exprimés pour confirmer Renzi) et en 2019 (1,6 million), quand Nicola Zingaretti prend la tête de la formation démocrate. La participation enregistre donc une baisse de près de 33% en quatre ans. Mais cette dynamique, certes loin de ne concerner que les élections internes au Parti démocrate, est structurelle en Italie, comme dans un nombre croissant des démocraties, et elle se renforce scrutin après scrutin. C’est aussi l’un des – nombreux – défis qui attendent la nouvelle secrétaire du PD.

Les défis d’Elly Schlein

La victoire d’Elly Schlein revêt une signification sans équivoque : la volonté d’impulser un virage à gauche au Parti démocrate. Elle témoigne d’un sentiment diffus depuis plusieurs années, et notamment depuis la période Renzi, au sein d’une partie du peuple de gauche italien, dont cependant peu de choses laissaient présager qu’il s’exprimerait si nettement à l’occasion de la primaire. Cette aspiration à une refondation plus à gauche, plus affirmée, plus offensive émane cependant moins des rangs du parti que de ses sympathisants et électeurs. L’élection d’Elly Schlein à la tête du PD est en effet paradoxale : alors que la majorité absolue des inscrits semblaient préférer une forme de continuité en choisissant Stefano Bonaccini, sa concurrente le dépasse au terme du vote ouvert à tous les électeurs. C’est la première fois dans l’histoire du PD que le résultat de la primaire ouverte contredit celui du vote organisé dans les cercles. Bersani en 2009, Renzi en 2013 et en 2017 et Zingaretti en 2019 avaient tous les trois recueilli une majorité de préférences parmi les adhérents comme dans le cadre de la primaire ouverte. Aussi certains interrogent-ils déjà la légitimité qui pourra être celle d’une secrétaire, certes élue par près de 54% des sympathisants du centre-gauche qui se sont exprimés, mais qui n’a bénéficié des suffrages que du tiers des inscrits d’un parti duquel elle-même n’est membre que depuis deux mois. Parler de risque de scission semble exagéré. Mais la nouvelle secrétaire devra assurément ressouder les rangs d’une formation politique fragmentée et que sa désignation risque de fragmenter encore. Dès lors, Elly Schlein pourra-t-elle inscrire à l’agenda politique du PD tous ses thèmes de campagnes ? Dans quelle mesure devra-t-elle faire des concessions aux idées défendues par Stefano Bonaccini et les soutiens de ce dernier ?

Elle devra également se confronter à la question de la stratégie électorale du PD. Au regard des thématiques mises en avant durant sa campagne, Elly Schlein a incontestablement plus de points de convergence avec le M5S de Giuseppe Conte qu’avec le pôle libéral de Matteo Renzi et Carlo Calenda. Mais, en même temps, après l’élection de la nouvelle secrétaire, le PD et le M5S risquent peut-être de voir leur rivalité accrue. Le PD d’Enrico Letta, qui a maintes fois reproché au M5S d’avoir précipité la chute du gouvernement Draghi, n’a pas réussi à s’entendre avec Giuseppe Conte pendant la campagne législative et les deux formations entretiennent depuis des relations particulièrement tendues. D’ailleurs, au lendemain de la victoire d’Elly Schlein, Conte s’est félicité de ce que, selon lui, l’arrivée de la députée à la tête du PD témoignait du fait que les « thèmes » portés par le M5S étaient « reconnus ». De son côté, Carlo Calenda a immédiatement affirmé que, « désormais, c’est le Troisième Pôle qui représente les réformistes »5« Vittoria Schlein, le reazioni nell’ex campo largo. Conte: “Riconosciuti i nostri temi”. Calenda: “Ora è il Terzo polo a rappresentare i riformisti” », La Repubblica, 27 février 2023.. La nouvelle secrétaire essaiera-t-elle de renouer la discussion avec les 5 Étoiles ? Restera-t-elle impassible en cas d’hémorragie sur la droite de sa propre formation ?

Voilà autant de questions auxquelles Elly Schlein devra répondre avant d’essayer de porter à nouveau la gauche italienne au pouvoir.

  • 1
    Silvia Bignami, « Bonaccini boccia un Pd che sta solo a sinistra: “Basta uscite da salotto, io non ho nostalgia dei Ds », La Repubblica, 10 août 2022.
  • 2
    Carmelo Lopapa, « Bonaccini: “Il mio Pd aperto e di sinistra. Basta con le correnti, l’avversario è la destra” », La Repubblica, 27 novembre 2022.
  • 3
    C’est l’auteur qui souligne, cf. motion de Stefano Bonaccini. Les trois autres motions sont également consultables sur la même page.
  • 4
    Elly Schlein, La nostra parte. Per la giustizia sociale e ambientale, insieme, Milan, Mondadori, 2022.
  • 5
    « Vittoria Schlein, le reazioni nell’ex campo largo. Conte: “Riconosciuti i nostri temi”. Calenda: “Ora è il Terzo polo a rappresentare i riformisti” », La Repubblica, 27 février 2023.

Du même auteur

Sur le même thème