La transition énergétique à l’heure du parlementarisme : pour un débat à la hauteur de l’urgence  

En l’absence de majorité absolue au sein de l’hémicycle, les discussions relatives à l’adoption d’une loi de programmation énergie-climat seront l’occasion pour la France d’éprouver une nouvelle méthode de décision, déjà largement appliquée chez nos voisins européens : celle d’un véritable parlementarisme. À l’occasion de la nomination du nouveau gouvernement, Benoît Calatayud, membre de l’Observatoire de la transition énergétique de la Fondation, Alain Delmestre, secrétaire national à la transition énergétique du Parti socialiste, et Phuc-Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques de l’énergie européenne et française au sein du Centre Énergie de l’Institut Jacques Delors, proposent de mettre en place un nouveau cadre de discussion afin de faire émerger un consensus transpartisan sur les questions énergétiques.

En France, la constante opposition entre le nucléaire et les énergies renouvelables phagocyte le débat public autour de la transition écologique. Cette polarisation naît du fait que l’électricité est le seul vecteur énergétique d’ampleur dont la production est faite sur le territoire français et relève de choix nationaux. Pour autant, elle demeure stérile car elle restreint la réflexion aux modalités de production et nous enferme dans une logique binaire (pour ou contre) qui fait le jeu des énergies fossiles, qui dominent encore largement nos consommations et donc notre mix énergétique (cf. graphique ci-dessous). 

Il est urgent de sortir de ces controverses, de faire preuve de nuance et de recentrer le débat autour de la façon d’opérer une substitution rapide des énergies fossiles dans nos usages. Sans cela, la transition restera l’otage de lobbies de toutes obédiences et de considérations politiques démagogiques ou réductrices, comme ce fut le cas durant les récentes campagnes électorales européennes et législatives. Car l’enjeu n’est pas tant de savoir comment produire de l’électricité que comment arrêter en premier lieu de consommer des énergies carbonées au travers du déploiement de mesures de sobriété énergétique, d’efficacité énergétique et de substitution des énergies carbonées.

Source : Phuc-Vinh Nguyen, juillet 2022 depuis les données de RTE et du ministère de la Transition écologique.

À cet égard, la constitution d’une nouvelle Assemblée nationale dans la foulée du second tour des législatives doit, conformément à l’article L. 100-1 A du code de l’énergie, être l’occasion de débattre puis d’adopter une loi de programmation énergie climat (LPEC). 

Destinée à fixer les grands objectifs de la politique énergétique et climatique de la France, sa promulgation aurait dû intervenir avant le 1er juillet 2023 et précéder la révision quinquennale de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Elle aurait également dû servir de base de travail consolidée pour l’élaboration du Plan national énergie climat (PNIEC) qui a nonobstant été remis à la Commission européenne le 10 juillet dernier. Or, les divers reports des Conseils de planification écologique à l’été 2023 l’ont prouvé : nos décideurs politiques ont, jusqu’à présent, été incapables de construire une séquence politique nationale complète et performative autour de l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone en 2050. La planification écologique demeure un objet politique technique issu de groupes de travail intégrant (fort logiquement) parlementaires, corps intermédiaires etc., mais souffre de l’absence d’un récit politique mobilisateur à destination des Français.

Jusqu’alors, l’absence de majorité absolue au sein de l’Assemblée nationale a conduit les gouvernements Borne (2022-2024) et Attal (2024) à avoir une grande réticence quant à la soumission d’un projet de loi énergie climat. Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, étant même allé jusqu’à retirer le projet de loi souveraineté énergétique, faute de consensus politique transpartisan quant à la voie à suivre. Il s’agit là du symbole de l’incapacité de l’exécutif à suffisamment cadrer les termes de la discussion, ce qui aurait permis d’éviter l’écueil d’un énième débat opposant nucléaire et énergies renouvelables. 

Du fait de l’absence de majorité absolue au sein du Palais Bourbon, la présentation d’une loi de programmation énergie-climat pourrait être définitivement abandonnée au profit d’une adoption par des textes réglementaires des grandes orientations énergétiques françaises. Figurant au sein du programme du Nouveau Front populaire, mais également dans le « pacte législatif » de la Droite républicaine (ex-Les Républicains), l’adoption d’une « loi énergie climat permettant de jeter les bases de la planification écologique » apparaît être un sujet de discussion transpartisan et nécessaire, comme a pu le rappeler le Sénat. En effet, il s’agit là d’un préalable indispensable à la réalisation de l’objectif transpartisan de réindustrialisation qui permet de combiner création d’emplois dans les technologies vertes, volet social et décarbonation de l’industrie.

Ce faisant, nous arguons qu’en l’absence de majorité absolue au sein de l’hémicycle, les discussions relatives à l’adoption d’une loi de programmation énergie-climat devront se tenir et seront l’occasion pour la France d’éprouver une nouvelle méthode de décision, celle d’un véritable parlementarisme, à l’image de ce que font nos voisins européens dans l’optique de la formation d’une majorité sur ces questions. En effet, disposer d’un récit démocratique mobilisateur en capacité d’embarquer l’ensemble des citoyens est indispensable pour la réussite de la transition écologique. 

À défaut, le nouveau gouvernement priverait les Français de la possibilité de débattre des différents leviers d’action disponibles, du degré d’engagement de la part des acteurs concernés, de la répartition des efforts devant être opérés par chacun (particuliers, État, collectivités, entreprises) et de l’échelle temporelle sur laquelle opérer ces changements. 

Un nouveau cadre de discussion est donc nécessaire afin de permettre l’émergence d’un consensus transpartisan sur les questions énergétiques. Afin de créer les conditions permettant à un tel narratif de voir le jour, nous identifions trois questions auxquelles il convient de répondre : 

  1. quels besoins (en énergie) ? 
  2. quelle offre (pour y répondre) ? 
  3. qui paye ?

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La cartographie précise des besoins de décarbonation permettra de déterminer l’offre à mettre en place

Afin d’évaluer au mieux les besoins de décarbonation d’ici à 2050, il est indispensable d’évaluer la demande énergétique (électricité, gaz, énergies renouvelables hors électricité) à cet horizon. C’est à cette condition que nous serons en mesure de mesurer l’effort de décarbonation à fournir et les moyens ou technologies à mettre en place. 

Si plusieurs scénarios prospectifs coexistent aujourd’hui (RTE – futurs énergétiques 2050 ; GRTGaz – Perspectives gaz ; Planification du SGPE (d’ici à 2030) ; Ademe – Transitions 2050), ils présentent des divergences méthodologiques, des bases de données et des hypothèses différentes, parfois contradictoires – hypothèses de croissance économique, hypothèses de prix des énergies fossiles (pétrole, gaz), de prix carbone, de développement des énergies renouvelables (coûts de production, politiques de soutien) –, et de politiques publiques (fiscalité carbone, normes d’efficacité énergétique, mécanismes incitatifs). Ces divergences peuvent engendrer des projections différentes en matière de consommation énergétique (évolution de la demande d’électricité, de gaz, baisse de la demande), de mix énergétique (part des différentes sources d’énergie) et donc de baisse d’émissions de gaz à effet de serre. 

À l’instar de ce qui existe pour le calcul des taux de croissance économique, dont la méthodologie est établie par l’Organisation des Nations unies (ONU), à l’avenir, une plus grande harmonisation méthodologique, fondée sur des référentiels communs discutés, débattus et opposables au travers de données partagées, permettrait d’aboutir à une vision plus convergente des futurs énergétiques possibles. 

Il ne s’agit pas d’uniformiser la méthodologie ou de rééditer les scénarios, mais de faire en sorte de créer des passerelles entre les différents scénarios prospectifs modélisés afin de diminuer le risque de controverses stériles fondées sur des hypothèses irréalistes (à l’instar du Rassemblement national, qui a pu prôner la mise en place d’un moratoire sur les énergies renouvelables en cas d’accession au pouvoir). Ce faisant, RTE a récemment pu réviser ses trajectoires concernant ses perspectives à l’horizon 2035 en matière d’hydrogène. De fait, ce type d’actualisation doit être l’occasion d’affiner les trajectoires modélisées en intégrant des référentiels communs. L’évolution du contexte (géo)politique (guerre en Ukraine, changement de majorité, nouveau cycle européen…) pourrait par exemple conduire à réinterroger la faisabilité des cibles de consommation d’électricité à l’horizon 2030, la demande étant atone et la stratégie de réindustrialisation tardant à se concrétiser. Cela contribuerait à légitimer et faciliter la prise de décision politique, en fournissant aux décideurs une base commune sur laquelle s’appuyer pour élaborer des politiques énergétiques cohérentes, efficaces et acceptables. 

In fine, l’objectif est de conduire les différentes familles politiques à justifier leurs propositions programmatiques en matière de décarbonation sur la base de scénarisations aux hypothèses éprouvées par l’expertise technique. 

Enfin, elle permettrait de promouvoir la coopération européenne en s’assurant que nos partenaires européens disposent de trajectoires consolidées pouvant être intégrées au sein de leurs propres modélisations (Plans nationaux énergie climat), notamment en ce qui concerne les hypothèses d’importations et d’exportations d’énergie (électricité, hydrogène, gaz) afin d’optimiser celles-ci. 

De plus, cette harmonisation améliorerait la transparence et la lisibilité des scénarios pour le grand public, contribuant ainsi à une meilleure compréhension et appropriation des enjeux énergétiques en termes de création d’emploi, d’impact sur les factures ou de conséquences sur les modes de vie.  

Cela pourrait contribuer à faciliter l’adhésion des citoyens aux politiques de transition énergétique en illustrant concrètement les retombées économiques et sociales de la transition. Elle devra également reposer sur une mise au débat des différents leviers d’action disponibles, du potentiel degré d’engagement de la part des différents acteurs concernés, en interrogeant la répartition des efforts devant être opérée par chacun (particuliers, État, collectivités, entreprises) et à quelle échéance opérer ces changements. Le meilleur exemple concerne le potentiel de sobriété, qui doit être mis en débat auprès des citoyens. 

Investir un euro dans l’élaboration de scénarios prospectifs pertinents, c’est plus qu’une simple dépense : c’est une anticipation stratégique qui permettrait d’éviter des coûts supplémentaires futurs pour les finances publiques faute de planification. 

En conclusion, en complément du travail d’ores et déjà réalisé par les parties prenantes, notamment le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), une plus grande harmonisation des scénarios prospectifs énergétiques français est un enjeu majeur pour la crédibilité, l’efficacité et l’acceptabilité de la planification énergétique nationale. Elle constitue un préalable indispensable à une transition réussie vers un système énergétique durable, résilient et bas carbone d’ici à 2050.

Recommandations 

Dans la foulée de la nomination du gouvernement Barnier, sur la base de ce qui a déjà été réalisé par le SGPE, il faudrait réunir les groupes de travail pilotés par ce dernier et regroupant les acteurs clés de la prospective énergétique (RTE, GRTgaz, Ademe, administration, etc.) afin de définir des référentiels méthodologiques communs et de partager les données nécessaires à l’élaboration des scénarios de politique énergétique. 

Ce groupe de travail pourrait s’appuyer sur les travaux existants (du SGPE, du Conseil national de la transition écologique (CNTE), de l’Observatoire de l’énergie…). Ces conclusions seraient rendues dans le cadre de l’élaboration des décrets relatifs à la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et pourraient être discutées par la représentation nationale. 

Il faudrait développer et rendre publics des outils de modélisation (open source), fondés sur une méthodologie partagée, permettant de simuler l’impact des différentes hypothèses sur les résultats des scénarios et d’évaluer la sensibilité des projections aux incertitudes. Ces outils seraient notamment mis à disposition de l’ensemble des acteurs de la prospective énergétique, afin de favoriser la transparence, la reproductibilité et la critique des analyses.

Il s’agit enfin d’organiser des consultations publiques en s’appuyant sur l’initiative de Conférence des parties (COP) régionales pour recueillir les avis des parties prenantes et associer le public à la réflexion sur le potentiel de la sobriété énergétique, en s’appuyant notamment sur l’expertise éprouvée de la Commission nationale du débat public (CNDP). 

Ces consultations pourraient prendre la forme d’ateliers, de conférences ou de débats en ligne et déboucher sur des conventions citoyennes locales de la sobriété énergétique. Consulter les citoyens quant à leur degré de réceptivité et sur les conditions permettant à des politiques de sobriété structurelle de se déployer permettra d’affiner les hypothèses de réduction de consommation et d’usage. En ce sens, il apparaît nécessaire de généraliser des enquêtes d’opinion interrogeant les Français quant aux freins et facilitateurs de la transition, à l’instar de celle réalisée dans le cadre des scénarios prospectifs 2050 de RTE relative à la disposition des Français à changer leurs modes de vie en faveur de la transition énergétique

Surtout, ces consultations devront être suivies d’effets, afin de s’assurer que l’avis des citoyens soit dûment pris en compte et puisse servir de référentiel au moment d’adapter les modèles énergétiques. Cela passerait par un débat au sein de l’Assemblée nationale nouvellement constituée, suivi d’un vote des principales mesures préconisées.

Quelle offre mettre en place au niveau national et européen ?

Le développement d’une offre énergétique adaptée aux usages, tant sur le plan technique qu’économique, est crucial pour assurer une transition énergétique réussie. 

L’enjeu est de proposer des solutions énergétiques qui répondent aux besoins spécifiques des différents secteurs (mobilité, bâtiment, industrie, agriculture, etc.) en termes de puissance, de disponibilité, de coût et d’accès. 

Le premier enjeu est, dans le cadre d’une politique de substitutions des énergies fossiles, d’assurer une augmentation de la production de l’électricité bas carbone, et donc du parc nucléaire. Le taux de disponibilité de ce dernier est aujourd’hui trop faible pour répondre aux besoins d’électrification des usages, notamment en matière de décarbonation du secteur industriel. Le facteur de charge du parc est de 75% actuellement. Parvenir à augmenter progressivement ce facteur jusqu’à 90% d’ici 2030 permettrait de dégager des ressources permettant de financer de nouveaux programmes nucléaires.

La construction de nouvelles centrales nucléaires nécessite de lourds investissements, et doit donc être considérée à ce stade comme une option produisant des effets sur le long terme. En particulier, les petits réacteurs nucléaires (Small Modular Reactors) ne sont actuellement pas assez matures pour envisager un déploiement à court terme. Cela implique de se reposer sur les énergies renouvelables (électriques, chaleur, gaz) afin de décarboner notre consommation d’énergie fossile au plus vite.

Afin d’accompagner le déploiement des énergies renouvelables, le développement d’infrastructures est clé, que ce soit au niveau local avec le renforcement et le raccordement des réseaux ou au niveau européen au travers des interconnexions. Ces dernières réduisent les coûts et la gestion de la congestion en optimisant l’échange d’énergie entre régions et renforcent la solidarité énergétique européenne, notamment dans les périodes de crise comme celle que nous avons connue récemment, tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement compte tenu de la variabilité des énergies renouvelables. Au niveau européen, cela devrait reposer sur une meilleure planification des infrastructures afin d’optimiser les échanges (électricité) et éviter que les États européens se fassent concurrence (gaz). 

À moyen terme, les solutions de flexibilité pour gérer l’équilibre offre-demande et assurer la sécurité d’approvisionnement électrique seront essentielles, compte tenu des taux de pénétration des énergies renouvelables prévus. À titre d’exemple, au niveau européen, la Commission européenne a pu estimer à 69% la production d’électricité issue d’énergies renouvelables à l’échelle du continent en 2030. 

Il est essentiel d’anticiper dès à présent, au niveau national comme européen, le cadre permettant de favoriser le déploiement de solutions de flexibilité tant du côté de l’offre que de la demande, notamment pour les particuliers et les logements. En ce sens, la proposition du Nouveau Front populaire de « gratuité des premiers kWh » pose un cadre de débat intéressant pour sensibiliser les citoyens au potentiel que représente le pilotage dynamique des usages.

Recommandations

Comparer les coûts de production : Analyser les coûts d’investissement (coût complet), d’exploitation et de maintenance des différentes technologies énergétiques en réactualisant les hypothèses de coût de manière quinquennale, à chaque révision de la PPE. Raisonner en coût complet permettrait de tenir compte des différentes réalités propres à chaque énergie (production en baseload, intermittent, saisonnalité de la production, densité énergétique…)

Étudier les modèles économiques : Explorer les différentes options de financement (public, privé, mixte), de tarification (fixe, dynamique, incitative) et de régulation (marchés de l’énergie, contrats d’achat, etc.) et opérer des expérimentations (bacs à sable réglementaires dont le retour d’expérience permettra d’affiner la prise de décision).

Mettre en place des mécanismes de soutien : garanties financières pour les technologies vertes (cleantech), incitations à développer des solutions de flexibilité (offre ou demande).

S’assurer de disposer d’un cadre réglementaire complet (normes, standards) permettant de favoriser le développement de la flexibilité : imposer des exigences de flexibilité énergétique pour les bâtiments, des équipements industriels et des bornes de recharge de véhicules électriques, faire en sorte que les nouvelles technologies soit compatibles avec les besoins de flexibilité (flex-ready). Cela devra être réalisé au niveau européen (réforme du marché européen de l’électricité) et décliné au niveau national. 

Réellement accélérer le déploiement des énergies renouvelables : Un bilan de l’efficacité de la loi accélération de la production d’énergies renouvelables est nécessaire, notamment sur l’efficacité des zones d’accélération. De même, il faut établir un bilan chiffré des résultats obtenus suite à l’adoption de la circulaire de septembre 2022 donnant consigne aux préfets afin qu’aucune instruction de projets d’énergies renouvelables n’excède les vingt-quatre mois. Sur la base de ses conclusions, il faudra formuler des recommandations, afin de réellement faciliter un octroi de permis accéléré, que ce soit par exemple pour l’agri-voltaïsme, le solaire toiture et l’éolien, notamment offshore posé.

Comment financer la transition énergétique ? 

Alors que les objectifs climatiques restent particulièrement ambitieux (neutralité climatique en 2050 au niveau européen), le financement des mesures pour y arriver est largement impensé à ce stade et a été, par exemple, totalement absent du débat des élections européennes. C’est un vrai sujet de solidarité européenne : face à l’ampleur des investissements nécessaires et aux concurrences américaine et chinoise, seul l’échelon européen permettra de répondre aux besoins, compte tenu de la complémentarité existante et grandissante des mix énergétiques européens. 

Alors que les besoins d’investissements commencent à être clairement identifiés (cf. ci-après), le financement du surcoût de la décarbonation, lié au fait que les biens et services « décarbonés » coûteront plus chers que leurs substituts « carbonés », nécessite d’être davantage évalué. En effet, le financement de ce surcoût peut peser directement sur les consommateurs, être financé par la collectivité (via des subventions) ou s’appuyer sur des obligations privées pesant sur les producteurs. Ces mesures doivent relever de choix démocratiques qui doivent faire l’objet de débats publics.

S’agissant des besoins d’investissement, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) a calculé que le déficit d’investissements publics et privés européens dans le domaine du climat s’élèvait à 406 milliards d’euros par an dans vingt-deux secteurs stratégiques, soit 2,6% du PIB de l’Union européenne. 

En résumé, il faudrait investir deux fois plus qu’aujourd’hui pour espérer mettre en application les promesses du Pacte vert européen, soit entre 2 et 3% du PIB en plus de ce que nous faisons déjà. 

Par exemple, la Commission européenne a pu estimer les besoins de financement pour les seuls réseaux électriques européens à 584 milliards d’euros entre 2020 et 2030. À court terme, la transition verte implique un effort d’investissement massif, dont la majeure partie des bénéfices économiques ne se feront sentir qu’à moyen-long terme, comme le rappelait le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz1Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, Les incidences économiques de l’action pour le climat, France Stratégie, 22 mai 2023.. Pourtant, la France comme d’autres États européens traversent une période marquée par l’austérité budgétaire. 

En France, plusieurs études ont récemment estimé le besoin de financement de la transition énergétique (le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz, le rapport de l’Institut de l’économie pour le climat et, plus récemment, celui de la direction générale du Trésor). Ces rapports situent les besoins financiers entre +55 et +130 milliards d’euros/an en 2030 par rapport à 2021, soit entre +2 et +5 % du PIB/an au total en 2030. Des ordres de grandeur proportionnellement comparables, donc, aux besoins européens évoqués précédemment. 

Ces montants sont colossaux, d’autant plus que la situation des finances publiques n’est pas favorable à court terme (taux d’intérêt, niveaux de dette et de déficit public importants, procédure pour déficit excessif). Il est donc nécessaire de trouver un moyen de mobiliser de l’argent public et privé rapidement pour répondre aux défis de la transition écologique.

Recommandations

Il est nécessaire de favoriser la recherche de financements publics innovants entraînant des effets de leviers pour des financements privés. Afin de bénéficier d’un effet multiplicateur maximum, cela devra être réalisé en premier lieu au niveau européen. Ce faisant, nous recommandons de :

  • rouvrir, dès les cent premiers jours suivant l’installation de l’exécutif européen, le débat sur les ressources propres afin de déboucher sur une proposition rapide de la Commission européenne permettant d’envisager la création d’une ressource dédiée exclusivement au climat. C’est ici du modèle de la taxe plastique qu’il faut s’inspirer. À moyen terme, le débat devra également aller de pair avec une réflexion d’ensemble incluant notamment la façon d’éventuellement exclure les investissements verts du calcul de la dette, dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance ;  
  • mettre en place un système de garanties européennes (Green Bonds), comme le préconise Enrico Letta dans son rapport2 Enrico Letta, Much more than a market, Conseil européen, 17-18 avril 2024., pour réduire les risques liés aux investissements dans les technologies vertes, en particulier pour les projets innovants, les infrastructures et les petites et moyennes entreprises (PME) ; 
  • opérer d’ici à 2025 une réforme de la directive européenne taxation de l’énergie, en rehaussant les taux minimaux des carburants fossiles afin de rééquilibrer l’écart de taxation entre énergies fossiles et électricité. Afin de parvenir à un accord politique au niveau européen, qui requiert l’unanimité, des exemptions devraient être accordées, au cas par cas, à condition de subordonner leur inscription à la présence de clauses de revoyure automatiques permettant de rouvrir le dossier et d’apprécier l’évolution de la situation en 2026-2027. En cas de non-accord lors de la réouverture du dossier, alors le seuil minimum de taxation serait automatiquement rehaussé, de manière à rendre l’exemption caduque ;
  • flécher une partie des revenus issus du marché carbone européen dans l’investissement dans des infrastructures permettant le développement de solutions bas carbone (interconnexions, réseau de transport routier…). Cela pourrait prendre la forme d’un nouveau Fonds européen pour les infrastructures, qui serait institué à l’occasion de la réouverture de la directive dite « ETS » en 2026. Compte tenu du fait que le retour sur investissement des infrastructures s’opère sur plusieurs décennies, allouer un pourcentage minimum des revenus issus du marché carbone à ce type de projets permettrait de s’assurer que la politique d’investissement ne soit pas uniquement focalisée sur des résultats de court-moyen terme. Recourir à des subventions permettrait d’améliorer la rentabilité de l’investissement tout en aidant à déclencher ces derniers.

À la manière de l’emprunt commun européen (NextGenerationEU) de plus de 700 milliards d’euros qui fut décidé afin de répondre à la crise liée à la pandémie de Covid-19, un endettement européen permettant de financer la transition écologique pourrait être discuté au cours des prochaines semaines, afin de mettre le sujet à l’agenda de la future Commission européenne. 

La réalisation de l’emprunt commun pourrait être subordonnée à l’adoption d’une feuille de route programmatique de la part de l’Union européenne et de ses États membres qui s’engageraient, au travers d’une programmation pluriannuelle des investissements climat, à financer un certain nombre des projets en lien avec la transition énergétique, à la manière de ce qui avait été fait avec le plan de relance européen (au moins 37% du montant total de la facilité pour la reprise et la résilience devaient être alloués). 

Au-delà de la question de la clé de répartition de l’enveloppe totale entre les différentes priorités que l’emprunt commun pourrait être amené à financer, les montants devraient également assurer une équitable répartition entre projets apportant un retour sur investissement à court-moyen terme (énergies renouvelables, sobriété) et long terme (interconnexions, efficacité énergétique). Cela permettrait également de renforcer la solidarité européenne et de favoriser les investissements de long terme dans la transition, temporalité qui sied plus à une politique européenne qu’à une politique nationale souvent plus court-termiste.  

  • élargir progressivement le champ d’application du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) aux secteurs industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre, tels que la pétrochimie, la production de plastiques, en tenant compte de leur potentiel de délocalisation carbone.

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