La social-démocratie allemande est-elle de retour ?

Les sondages publiés la semaine dernière ont enregistré une spectaculaire remontée pour les sociaux-démocrates allemands. À trois semaines des élections fédérales qui se tiendront le 26 septembre 2021, le SPD est désormais en tête, certains instituts les plaçant même 5 points devant les chrétiens-démocrates

Un vote tactique ?

Les Allemands partagent traditionnellement leurs voix entre deux blocs. Ce vote “stratégique” a pu favoriser des petits partis. On peut ainsi prendre l’exemple des libéraux du FDP, qui ont ainsi pu facilement dépasser le seuil des 5%, faire leur entrée au Bundestag et y endosser le rôle de faiseurs de roi dans les négociations de formation des coalitions.

Cependant, le jeu politique allemand s’est désormais spectaculairement complexifié. Les scénarios de formation de coalition sont cette fois-ci difficilement lisibles, ce qui complique la réflexion des Allemands au moment de décider de leur vote. Une difficulté qui touche même les électeurs les mieux informés. 

Cette complexification du jeu politique allemand s’explique en partie par le déclin du Lagerkampf, la “lutte des camps”. Il fut en effet un temps où la politique allemande se divisait entre un bloc conservateur – les chrétiens-démocrates de centre-droit de la CDU, les Bavarois de l’Union chrétienne-sociale (CSU) et les libéraux du FDP – et un bloc “progressiste” constitué des sociaux-démocrates du SDP et des Verts. Cette frontière s’est depuis largement brouillée : les deux derniers gouvernements ont été formés autour de “grandes coalitions” incluant à la fois la CDU/CSU et le SPD. Ces alliances contre-nature entre deux blocs idéologiques antagonistes ont pu donner à une partie de l’électorat des deux camps le sentiment d’avoir été trompé. 

Ce mécontentement vis-à-vis des arrangements consentis par les grands partis pour se maintenir au pouvoir entraîne aujourd’hui leur affaiblissement. De cette défiance sont nés de nouveaux acteurs politiques, qui sont en mesure de peser sur la formation du prochain gouvernement. Clairement d’extrême droite, l’AfD n’est la bienvenue dans aucune coalition. Mais d’autres acteurs de gauche, comme Die Linke, ont leur carte à jouer. Incapables de remporter des majorités sur leur seul nom, les deux grands partis sont obligés de négocier et de se renier. On le voit déjà au niveau local : sur les 16 États fédéraux, 14 sont gérés par des coalitions différentes. 

Si les sondages voient juste, les élections du 26 septembre prochain devraient déboucher sur deux options de coalition : une alliance “feu rouge” entre le SPD, les Verts et les libéraux du FDP, ou un gouvernement « jamaïcain » conservateur réunissant la CDU/CSU, les Verts et les libéraux du FDP. Dans les deux cas, l’identité du prochain chancelier dépendra donc du choix d’alliance opéré par les Verts et les libéraux. 

Cette situation promet d’engendrer une période de flottement et d’intenses négociations : la CDU/CSU et le FDP tenteront de séduire les Verts, qui eux-mêmes travailleront parallèlement avec le SDP pour convaincre le FDP de former avec eux une coalition de centre-gauche. Les négociations promettent d’être laborieuses et complexes, car tout sera mis sur la table : le choix du chancelier, la répartition des postes ministériels, les orientations politiques du gouvernement, et même l’identité du prochain président allemand, qui doit être choisi d’ici le mois de février 2022. 

Au milieu de cette confusion, le réflexe des électeurs sera probablement d’abandonner tout vote tactique et de se contenter de voter pour son propre camp. Le résultat final étant cette année impossible à prédire ou anticiper, l’option la plus sage sera de se contenter de voter pour renforcer son parti ou son candidat préféré et d’espérer que les événements lui soient favorables. Le SPD disposant désormais de réelles chances de finir en tête et d’accéder à la chancellerie, beaucoup d’électeurs supplémentaires se tourneront probablement vers les sociaux-démocrates : c’est ce que les spécialistes du marketing commercial appellent le “bandwagon-effect“. 

Un vote social ?

À mesure que le scrutin se rapproche, il est intéressant de noter que la question sociale prend une place grandissante dans les débats de la campagne. Les sociaux-démocrates ne manquent ainsi aucune occasion de souligner la nécessité d’une nouvelle politique sociale. Ils plaident ainsi pour une réforme des retraites, une augmentation du salaire minimum, une réforme des allocations chômage, et la priorisation de l’égal accès à l’éducation, des jardins d’enfants jusqu’à l’université, afin de donner à chacun les mêmes chances de réussir. 

Les Verts vont dans le même sens, soulignant pour leur part que si tout le monde bénéficiera de la protection du climat, ce sont aujourd’hui surtout les personnes à faibles revenus qui souffrent déjà le plus des effets de la crise climatique. Ils insistent ainsi sur l’idée que, pour être possible, la protection du climat devra financièrement être abordable pour tous et partout. 

Signe de l’importance de ce thème, les conservateurs proposent leurs propres mesures pour élargir la politique sociale du gouvernement, et même les libéraux parlent à présent de la nécessité de mettre en place un amortisseur social dans la cadre de la politique climatique. 

La CDU/CSU et l’épouvantail gauchiste

Les chrétiens-démocrates ont déjà lancé leur campagne des “chaussettes rouges“ : avant chaque vote, ils accrochent en effet des chaussettes de cette couleur tricotées aux vitrines des magasins pour proclamer que le futur ne s’écrirait pas en chaussettes rouges, c’est-à-dire avec les héritiers des communistes de l’Allemagne de l’Est. Une attaque qui vise Die Linke. Il s’agit-là d’une vieille tradition, qui prend cette année une résonance particulière. En effet, le passage en tête du SPD dans les sondages change le ton de la campagne. Pour enrayer cette ascension et effrayer les électeurs, la CDU/CSU s’efforce d’agiter le spectre d’un virage gauchiste incarné selon les conservateurs par Olaf Scholz. Cette stratégie met ce dernier dans une position délicate car, pour des raisons tactiques, il lui est impossible d’assurer de façon catégorique qu’il ne formera pas de coalition avec Die Linke : en effet, s’il excluait publiquement et définitivement cette option, les libéraux gagneraient alors en importance comme partenaires de coalition et seraient donc en position de pouvoir exiger beaucoup plus de concessions de sa part en échange de leur soutien dans la course à la chancellerie. 

Si elles sont efficaces tactiquement, ces accusations de gauchisme à l’encontre d’Olaf Scholz sont par ailleurs dénuées de tout fondement. Un simple regard sur son parcours politique suffit pour comprendre qu’il n’a rien d’un communiste caché, et il a suffisamment longtemps occupé des postes à responsabilité pour être parfaitement conscient que de nombreuses positions de Die Linke seraient incompatibles avec la gouvernance d’un pays classé à la quatrième place des puissances économiques du monde, fermement ancré dans l’alliance atlantique et au cœur du projet européen. 

En réalité, loin des outrances de la campagne de la CDU/CSU, un possible gouvernement Scholz marquerait d’abord et avant tout le retour de la social-démocratie allemande. Un renouveau encore inespéré il y a un an et qui aura, souhaitons-le, de profondes implications pour le reste de l’Europe. 

Du même auteur

Sur le même thème