La responsabilité des gouvernants : première dette du pouvoir

Dans sa contribution d’une série réalisée en partenariat avec L’Hétairie, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille et auteur du blog La Constitution décodée, revient sur la notion de responsabilité des gouvernants, qui sera au cœur des échanges du sixième ForInCIP le 19 mars prochain.

La responsabilité des gouvernants est le corollaire du pouvoir qu’ils exercent : nul gouvernant ne saurait se voir confier un pouvoir sans être concomitamment investi du devoir d’en assumer la responsabilité devant celui qui le lui a confié. En étudier la nature, les mécanismes et les effets permettra d’apprécier son caractère essentiel au fonctionnement d’un régime démocratique. De surcroît, la crise mondiale actuelle confronte les gouvernants à leur responsabilité face au peuple. Toutes ces questions seront étudiées, à l’échelle de 14 systèmes juridiques, lors du 6e ForInCIP, organisé à Lille, le 19 mars 2021 (présentation dans le JCP-A du 1er mars 2021).

 

Gouverner, c’est décider : les gouvernants, c’est-à-dire ceux qui sont investis de la fonction de gouverner ou de participer à un gouvernement, accomplissent leur mission en prenant des décisions politiques, qui se traduisent par l’adoption de normes juridiques. Ces décisions ont pour objet de réaliser la politique qu’ils ont été chargés de mettre en œuvre, directement ou indirectement par le peuple, dans une démocratie : c’est le rôle du mandat qui leur est confié. Ce mandat n’est pas aveugle : le peuple le confie aux gouvernants et les gouvernants doivent en répondre devant le peuple. Tel est d’abord le sens de l’exercice du pouvoir : il appartient originairement au peuple, qui le confie aux gouvernants pour qu’ils l’exercent en son nom. Mais ils lui sont alors redevables : ils sont certes en mesure d’exercer librement ce pouvoir, en assumant leur fonction et leurs choix politiques, mais à la condition de rendre compte de leur action au titulaire originaire, seul à même d’apprécier si le pouvoir exercé est conforme au mandat qui fut confié.

C’est tout le sens de la « responsabilité », en droit constitutionnel : gouverner, c’est décider et c’est aussi assumer et répondre de ses décisions. Ainsi, Guy Carcassonne soulignait fort justement que « la responsabilité est la première dette du pouvoir » (Guy Carcassonne, La Constitution, introduite et commentée, Seuil, Paris, 11e éd., 2013, p. 25), reprenant Portalis qui soutint jadis que « la justice est la première dette de la souveraineté » (Portalis, Discours préliminaire du premier projet de Code civil, 23 frimaire an X -14 déc. 1801). Nul gouvernant ne saurait se voir confier un pouvoir sans être concomitamment investi d’un devoir : en assumer l’entière responsabilité devant celui qui le lui a confié.

Il est rare qu’un terme juridique irrigue toutes les branches du droit, ou presque. C’est pourtant le cas de la responsabilité, que l’on retrouve en droit civil et en droit administratif, en droit international public et en droit international privé, en droit européen et de l’Union européenne, en droit du travail et en droit pénal, ainsi qu’en droit constitutionnel. Ici, elle connaît cette spécificité de ne pas avoir que des origines et des implications juridiques : prévue et régie par des règles de droit, elle a également une dimension politique très forte, en ce qu’elle vient compléter le lien politique entre le peuple, gouverné et source du pouvoir, et les gouvernants, responsables. Par conséquent, si la responsabilité est altérée, non assumée, écartée, voire annihilée, c’est ce lien politique qui est rompu et l’équilibre même du régime qui est fragilisé, voire vacillant. C’est dire si la responsabilité est essentielle au fonctionnement d’un régime démocratique.

La responsabilité des gouvernants est ainsi l’objet du 6e ForInCIP (Forum international sur la Constitution et les institutions politiques), qui se déroulera le 19 mars 2021, dans le prolongement méthodologique et thématique des éditions précédentes.

Le ForInCIP, c’est d’abord une méthodologie, éprouvée désormais depuis cinq éditions et appelée la « science constitutionnelle ». À partir de la confrontation de différentes réglementations, pratiques et mises en œuvre de la responsabilité des gouvernants dans plusieurs systèmes juridiques différents (douze systèmes étrangers, européens et extra-européens, ainsi que la France et l’Union européenne en tant que telle), elle associe l’étude des normes en vigueur, par des universitaires juristes et politologues, à la mise en œuvre qui en est faite par les acteurs et les institutions, à partir du regard des experts institutionnels (élus et administrateurs). Les implications constitutionnelles de la responsabilité, dans leur double dimension juridique et politique, pourront ainsi être pleinement appréciées et analysées.

Le ForInCIP, c’est aussi une identité thématique, en contribuant à l’analyse des institutions politiques et de leur fonctionnement. Tel fut l’objet des cinq premiers thèmes, tous publiés aux Cahiers du ForInCIP chez LexisNexis (Cahiers du ForInCIP n° 1 : L’opposition politique, 2016, Cahiers du ForInCIP n° 2 : La désignation des gouvrenants, 2017, Cahiers du ForInCIP n° 3 : L’initiative de la loi, 2018, Cahiers du ForInCIP n° 4 : Les partis politiques, 2019, Cahiers du ForInCIP n° 5 : La déontologie politique, 2021).

À la multiplicité disciplinaire de la responsabilité correspond une diversité sémantique, que l’on retrouve à propos de la responsabilité des gouvernants. Il est donc d’abord nécessaire d’en cerner la nature, tant au regard de ses sources – juridiques, politiques, voire sociologiques – que de ses types, la responsabilité pouvant être individuelle ou collective, politique ou pénale, etc. Ensuite, il convient d’étudier ses mécanismes, c’est-à-dire, d’une part, ses destinataires et la diversité de son implication en fonction des destinataires concernés, ainsi que, d’autre part, ses mises en œuvre (déclenchement, procédure, fréquence, etc.). Enfin, il faut en analyser les effets, tant sur le fonctionnement des institutions que sur le discours relatif à ces institutions.

De plus, la crise mondiale que l’on traverse actuellement confronte les gouvernants à leur responsabilité quant aux décisions et choix politiques qu’ils ont dû opérer face à une situation extraordinaire, imprévisible et difficilement contrôlable mais qu’il fallait nécessairement maîtriser afin d’assurer la sécurité (sanitaire) des populations. Or garantir la sécurité du peuple se plaçant sous sa protection est la première mission de l’État, en étant l’objet même du contrat social. Par conséquent, sans consacrer un thème spécifique à la crise sanitaire, le ForInCIP propose d’aborder le thème de La responsabilité des gouvernants face à la crise sanitaire et de confronter ainsi les actes et les mécanismes mis en œuvre dans chacun des systèmes participant au Forum. Qu’il s’agisse des restrictions aux libertés, des mesures exceptionnelles d’urgence, de la législation déléguée, du bouleversement d’élections, tous les systèmes ont dû y faire face et leurs gouvernants voient ainsi leur responsabilité engagée, par des mécanismes diversifiés.

La journée même du Forum, qui se tiendra le 19 mars 2021, sera exclusivement dédiée à ce sujet, permettant d’aborder les autres aspects (nature, mécanismes et effets) sous ce prisme. Également en raison de la crise sanitaire, le Forum se tiendra exceptionnellement en visioconférence, avec un public pouvant donc y participer à distance. L’envoi du lien de connexion se fera sur la base d’une inscription préalable, gratuite mais obligatoire : forincip@gmail.com ou formulaire en ligne.

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