La problématique du genre : la grande absente des négociations de la COP 21

Quelle place a été accordée au genre lors des négociations pour l’Accord de Paris sur le climat ? Pour Jean Mendelson, ancien ambassadeur pour la préparation de la COP21 en charge de l’Amérique latine et des Caraïbes, les enjeux liés au genre face au changement climatique ont brillé par leur absence de traitement. Retrouvez l’intervention de Jean Mendelson lors du side event, organisé en partenariat avec la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS), à la COP 22 à Marrakech le 8 novembre 2016.

J’interviens devant vous à la demande de la Fondation Jean-Jaurès, qui porte le nom de l’un des pères du socialisme français, assassiné en août 1914 à la veille d’une guerre dont il s’efforçait d’arrêter l’infernal engrenage.

Lorsque la Fondation m’a demandé d’intervenir, sur la base de mon expérience d’ambassadeur français chargé de la préparation de la COP 21 pour l’Amérique latine et des Caraïbes, autour du thème « Genre et justice climatique : les bonnes pratiques pour faire face aux défis climatiques », j’ai fait valoir que ce sujet n’avait pas traversé ma mission. Si je suis ici dans une situation inhabituelle dans ma vie de diplomate, seul homme sur une tribune entouré par huit femmes – la situation inverse étant, elle, très fréquente –, cela m’aide à prendre compte d’une évidence qui ne m’avait pourtant pas frappé au long de cette année de préparation. En effet, je me suis rendu en 2015 dans presque tous les pays d’Amérique latine, afin de connaître le point de vue de chaque partenaire de cette négociation d’une complexité inédite, ses attentes, ses préoccupations, ses « lignes rouges », etc. Ce travail d’écoute a été un préalable indispensable à la négociation elle-même dans laquelle l’Union européenne disposait du mandat au nom des États membres : la France, pour sa part, conservait une stricte neutralité nécessaire à la présidence de la COP, mais elle voulait que chaque « partie » se sente et se sache écoutée et comprise.

Or, au cours de ces très nombreux entretiens, la problématique du genre n’a jamais été mise en avant par mes interlocuteurs, qui étaient souvent des interlocutrices. Les points de vue les plus divers étaient exposés, les problématiques les plus variées étaient abordées : le climat lui-même, bien sûr, mais aussi les effets économiques des mesures d’atténuation, la question des populations indigènes, etc. Mais jamais, pour autant qu’il m’en souvienne, l’angle du genre n’est intervenu, même lors des contacts que je me suis efforcé d’avoir systématiquement avec les acteurs non-gouvernementaux – notamment les collectivités territoriales, les entreprises, les ONG, les universités, la presse.

Cela démontrerait-il un caractère spécifiquement « machiste » de l’Amérique latine ? Ce serait surprenant, dans un sous-continent où les plus hautes charges de l’État étaient en 2015, dans des pays parmi les plus importants, tenus par des femmes (entre autres, Michelle Bachelet, Cristina Fernández de Kirchner ou Dilma Rousseff). Tenu par les quelques minutes qui me sont attribuées, je crois préférable de vous laisser réfléchir aux motifs de cette absence de la problématique du genre lors de la préparation de la COP 21 en Amérique latine et dans les Caraïbes. Mais je pense que cette absence parle par elle-même.

La présidence française a innové sur de nombreux points lors de la préparation de la COP 21 et de la conférence elle-même : le renversement du déroulé habituel (la présence des chefs d’État et de gouvernement au début et non à la fin de l’exercice, contraignant les négociateurs à s’inscrire dans la ligne des propos tenus par leurs mandants politiques), la désignation d’ambassadeurs itinérants chargés de recueillir les espoirs et inquiétudes de la totalité des États, en sont des illustrations. Il serait utile d’interroger les trois autres ambassadeurs pour savoir s’ils ont, eux, rencontré la question du genre au cours de leur mission. Mais mon impression est que cette dimension du combat pour la justice climatique aura été, pour une large part, passée sous silence. C’est dire que ce sujet demeure en friche, et que le chantier est encore à entreprendre…

 

Du même auteur

Sur le même thème