Si la menace djihadiste demeure importante en France mais également en Europe, celle de l’ultradroite, nettement moins « visible », n’en est pas pour autant moins inquiétante. La manifestation à Paris, le 6 mai dernier, de certains de ses groupuscules en est une illustration. Jean-Baptiste Ronzon analyse ce phénomène en pleine expansion au niveau européen.
Comme l’a indiqué Catherine De Bolle, la directrice exécutive d’Europol, dans le dernier rapport publié sur la menace terroriste en Europe, « les acteurs isolés affiliés à l’extrémisme djihadiste ou d’ultradroite demeurent la principale menace de terrorisme potentiel et d’attaques violentes au sein de l’Union européenne ». Elle rappelle ainsi que si le djihadisme reste aujourd’hui encore la principale menace en Europe et en France, celle issue de l’ultradroite est en pleine expansion.
Différents concepts sont utilisés pour désigner les mouvances relevant de l’extrême droite (droite radicale, extrémisme de droite, ultradroite, fascisme, néofascisme, néonazisme). Même si différentes définitions existent, on considère qu’appartiennent à l’extrême droite les groupes caractérisés par la valorisation de l’ordre, de l’État fort et la méfiance envers la démocratie parlementaire, ainsi que par le rejet du multiculturalisme1Jean-Paul Gautier, Les extrêmes droites en France, Paris, Éditions Syllepses, 2017.. Il est aussi possible d’y ajouter la valorisation de valeurs dites traditionnelles comme la famille, la communauté ou encore la religion2Elyamine Settoul et Emmanuelle Bertout, « Quand une radicalisation en cache une autre : sociologie des mouvances d’ultra-droite française », Confluences Méditerranée, vol. 121, n° 2, 2022..
Il s’agit également de distinguer deux grands courants au sein de l’idéologie d’extrême droite. Ces derniers se différencient l’un de l’autre par leur acceptation de la démocratie et le niveau de violence qu’ils prônent. Existent ainsi la droite radicale, qui opère dans un cadre démocratique, et l’extrémisme de droite, qui favorise le recours à la force ou à d’autres moyens non conventionnels pour provoquer un changement politique. L’ultradroite quant à elle désigne des groupes appartenant idéologiquement à l’extrême droite, agissant hors du champ politique et susceptibles de poser une menace à l’ordre public3Audition de Nicolas Lebourg, dans le rapport de Muriel Ressiguier, fait au nom de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, n° 2006, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 6 juin 2019, p. 20..
État des lieux de la menace terroriste issue de l’ultradroite en Europe et dans le monde
Aujourd’hui, la menace djihadiste tend globalement à diminuer sur notre continent. Ainsi, 15 attentats ont été déjoués en 2021 contre 57 en 20204Ibid.. Même si les défis restent nombreux (la radicalisation en prison est toujours un phénomène important ; des milliers d’Européens restent détenus en Syrie ; la propagande djihadiste en ligne est certes dispersée mais davantage difficile à contenir5« European Union Terrorism Situation and Trend Report 2021 », Europol, décembre 2021. et que l’on mesure encore mal les conséquences de la prise de pouvoirs des talibans en Afghanistan depuis août 2021 ; les organisations terroristes (Al-Qaïda ou l’État islamique notamment) peinent à mener de nouvelles attaques d’envergure et misent désormais sur des individus isolés, qualifiés souvent de « loups solitaires »6Hugues Moutouh, « Loup solitaire », in Hugues Moutouh (dir.), Dictionnaire du renseignement, Paris, Perrin, 2018, pp. 517-518., radicalisés par internet et menant des attaques avec des moyens rudimentaires (arme blanche, véhicule, etc.).
Toutefois, une autre menace se développe davantage : celle provenant de l’ultradroite. Certes, le nombre d’attaques et de projets d’attentats liés à cette mouvance reste faible en Europe (3 attentats en 2021, 4 en 2020), mais il est en croissance. Ce développement s’appuie sur les craintes exprimées par une partie de l’opinion publique : submersion migratoire, paupérisation économique dans un contexte inflationniste, défense d’une tradition judéo-chrétienne, etc. Ainsi, les terroristes d’extrême droite Anders Breivik et Brenton Tarrant avaient précisément évoqué leur lutte contre le « grand remplacement »7Le grand remplacement est une théorie complotiste d’extrême droite introduite en 2010 par l’écrivain français Renaud Camus, et qui affirme qu’il existerait en France un processus de substitution de la population française et européenne par une population non européenne, originaire en premier lieu d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Ce changement de population impliquerait un changement de civilisation et ce processus serait soutenu par l’élite politique, intellectuelle et médiatique européenne, par idéologie ou par intérêt économique. avant leur passage à l’acte. Dans son manifeste intitulé 2083 – Une déclaration d’indépendance européenne, le Norvégien, auteur de l’attaque commise à Oslo le 22 juillet 2011 (77 morts, 151 blessés), dressait un réquisitoire ultranationaliste, raciste, néo-sioniste et antiféministe. L’auteur australien de l’attentat de Christchurch perpétré le 15 mars 2019 (51 morts, 49 blessés) avait adopté un argumentaire similaire, évoquant un « génocide blanc » dont seraient victimes les peuples européens. Cette tendance est massive et s’observe à l’échelle mondiale. Ainsi, le Comité du Conseil de sécurité de l’ONU chargé de la lutte contre le terrorisme a fait état d’une augmentation de 320% du « terrorisme d’extrême droite » dans le monde depuis 20168« Le temps du débat, ultradroite : la menace est-elle d’un genre nouveau ? », France Culture, 2 janvier 2023..
Preuve de l’intensification de la menace, les arrestations pour des faits de terrorisme liés à l’ultradroite sont en constante augmentation depuis 2011. Ainsi, d’après le dernier rapport publié par Europol sur l’évolution de la menace terroriste au sein de l’Union européenne9« European Union Terrorism Situation and Trend Report 2022 », Europol, 26 août 2022., 5 personnes auraient été arrêtées pour ces motifs en 2011, 34 en 2014, 44 en 2018 et 64 en 2021. L’une des augmentations les plus importantes du nombre d’arrestations a été enregistrée en France (29 arrestations en 2021, contre 5 en 2020 et 7 en 2019) et concerne principalement la mouvance « accélérationniste »10Tendance politique selon laquelle la transformation radicale de la société doit venir d’une accélération du capitalisme et des processus qui y sont historiquement associés, plutôt que de son renversement. Elle vise l’intensification du capitalisme afin d’en accentuer les tendances autodestructrices, pour en précipiter la chute.. Les suspects étaient principalement des hommes, ressortissants des pays dans lesquels ils ont été arrêtés, âgés de 23 à 62 ans.
Figure 1. Arrestations liées à l’ultradroite en Europe entre 2019 et 2021
Outre les arrestations reposant sur des infractions terroristes, certaines interviennent plus tôt sur l’iter criminis11L’iter criminis est le cheminement criminel. Il sert à déterminer le stade d’implication de l’individu dans l’accomplissement d’un geste antisocial. Il commence par la pensée fugace de commettre une infraction et se termine par la commission matérielle de celle-ci. Il est constitué de différentes étapes que franchit un délinquant dans la commission d’une infraction. et relèvent davantage de l’extrémisme violent d’extrême droite. Ainsi, dans certains cas, les suspects ont été arrêtés au tout début de la préparation d’actions violentes. Par exemple, en Italie, un homme de 22 ans a été arrêté en janvier 2021 car il était soupçonné de faire partie du groupe Nuovo Ordine Sociale (« Nouvel ordre social »), une organisation militante néonazie. Il aurait utilisé l’application Telegram pour diffuser sa propagande et exprimer son intention de commettre des actes violents (fusillades dans des écoles, attaque d’une manifestation féministe). Cet exemple illustre l’importance de la propagande pour ces mouvements (comme pour tout mouvement radical). Ainsi, leur capacité à mobiliser d’autres adeptes, souvent jeunes, doit être particulièrement surveillée. En Suède par exemple, la banalisation de la rhétorique anti-réfugiés de la part des responsables politiques d’extrême droite et la multiplication des appels à la violence de la part de leurs sympathisants sur les réseaux sociaux ont conduit à une augmentation significative des attaques menées contre les centres d’hébergement pour réfugiés. Alors que le pays comptait entre 4 et 19 attaques de ce type par an, leur nombre a atteint 50 en 201512Counter Extremism Project, Violent Right-Wing Extremism and Terrorism. Transnational Connectivity, Definitions, Incidents, Structures and Countermeasures, commissioned by the German Federal Foreign Office, Berlin, 2020, p. 108..
Historiquement, les mouvements appartenant à l’ultradroite étaient d’inspiration néonazie et s’inscrivaient dans un cadre très hiérarchisé. Pourtant, ont émergé de nouveaux réseaux, moins organisés, constitués pour la plupart de jeunes hommes pouvant mener des attaques de manière isolée (à l’image également de ce l’on observe pour le djihadisme), adhérant aux idéologies SIEGE et accélérationnistes.
SIEGE : l’idéologie SIEGE s’inspire des newsletters publiées par le néonazi américain James Mason dans les années 1980 qui rendaient hommage à Adolf Hitler, Joseph Tommasi ou Charles Manson et préconisaient des attaques et des meurtres aléatoires afin de déstabiliser la société. En 1992, ces newsletters ont été publiées dans l’ouvrage Siege: The Collected Writings of James Mason par Michael Jenkins Moynihan. SIEGE promeut le « terrorisme sans chef, structuré en cellules et la révolution blanche » et appelle « les vrais » néonazis à se mobiliser, entrer en guérilla contre le « système ». James Mason fait notamment référence à William Pierce, auteur de The Turner Diaries, un roman décrivant un effondrement imaginaire du système politique aux États-Unis et la guerre raciale qui s’ensuivrait. La culture SIEGE englobe le concept d’accélération, c’est-à-dire l’utilisation de la violence, y compris les actes de terrorisme, dans le but d’obtenir un résultat politique. L’accélérationnisme repose sur l’idée que les gouvernements occidentaux sont irrémédiablement corrompus. Par conséquent, les suprématistes blancs doivent accélérer leur effondrement en semant le chaos et en créant des tensions politiques. La tactique privilégiée pour y parvenir est la violence sous la forme d’attaques contre les minorités, y compris les « non-blancs » et les Juifs, afin de rapprocher la société d’une « guerre raciale ». L’objectif ultime est de faire tomber le « système », afin d’ouvrir la voie à un avenir dominé par les « blancs ». Les idées accélérationnistes ont été citées dans le cas de l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande en 2019 et sont fréquemment mentionnées dans les forums en ligne suprémacistes. Aujourd’hui, l’idéologie SIEGE se concentre principalement aux États-Unis mais des groupes affiliés sont régulièrement identifiés en Allemagne également. Il s’agit par exemple de groupes internationaux comme la « Atomwaffen Division Deutschland » et la « Feuerkrieg Division Deutschland ». |
Propagande et recrutement
Comme de nombreux mouvements radicaux, la propagande de l’ultradroite intervient majoritairement en ligne. Ainsi, en juin 2021, un groupe d’extrémistes de droite a publié un guide de 136 pages intitulé « Militant Accelerationism: A Collective Handbook » sur Terrorgram13Terrorgram est un réseau de chaînes et de comptes Telegram qui souscrivent à l’accélérationnisme et en font la promotion. Les canaux Terrorgram partagent régulièrement des instructions et des manuels sur la manière de mener des actes de violence à caractère raciste et de terrorisme antigouvernemental et antiautoritaire. pour diffuser des incitations détaillées afin de faciliter la commission d’attaques contre des infrastructures stratégiques ou des violences contre les minorités, la police, les personnalités publiques ou les journalistes.
Dans cette même logique, le groupe a plus récemment publié un guide intitulé « Hard Reset »14« Flash Alert: High risk of violence with the publication of “The Hard Reset: A Terrorgram publication », The counterterrorism Group, 7 juillet 2022.. Sur ses 261 pages, 25 pages étaient consacrées à la description détaillée des tactiques, techniques et procédures à mettre en œuvre ; 50 pages étaient consacrées à la description détaillée des cibles les plus propices aux attaques (voies ferrées, personnes LGBTQ+, forces de l’ordre, structures garantissant le droit à l’avortement)15Global Network on extremism & Technology, Analysing Terrorgram Publications: A New Digital Zine, Matthew Kriner et Bjørn Ihler, 12 septembre 2022 [consulté le 6 mars 2023]..
En France par exemple, de nombreux sites d’information de la fachosphère existent et contribuent à la propagation de ses idées. Égalité et Réconciliation est le premier blog politique français, avec une audience comprise entre 5 et 7 millions de visiteurs par mois. D’autres sites ont également une influence significative, comme Riposte laïque, Boulevard Voltaire, Polémia, Fdesouche ou encore Novopress16Rapport d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, Assemblée nationale, 6 juin 2019..
Figure 2 : « Flash Alert: High risk of violence with the publication of “The Hard Reset: A Terrorgram publication », The counterterrorism Group, 7 juillet 2022
Toutefois, cette mouvance ne recourt pas exclusivement à la propagande en ligne. Une partie de celle-ci intervient également hors ligne. Elle se matérialise par des autocollants, des banderoles et des tracts. Le recrutement intervient principalement dans des clubs de sport (notamment les clubs de MMA17Le sigle anglais MMA désignent les arts martiaux mixtes, anciennement appelés combat libre ou free-fight. et de boxe), mais aussi lors des concerts de musique d’extrême droite, des matchs de football ou de manifestations.
Ce recrutement est extrêmement important pour l’extrême droite qui cherche à grossir les rangs de ses partisans, avant « l’effondrement de la société » qui nécessiterait des ressources importantes afin de combler une future vacance du pouvoir et de permettre la renaissance d’un ethno-État blanc.
Avec cet objectif, les stratégies de communication de ces mouvances tendent à se diversifier. Certains groupes utilisent ainsi les médias de manière presque professionnelle. Par exemple, le groupe suisse d’extrême droite Junge Tat (« La Jeune Action ») adopte un positionnement différent des autres mouvements similaires. Le groupe, particulièrement actif sur les réseaux sociaux, publie des vidéos de très bonne qualité, dénuées de toute référence idéologique, qui mettent l’accent sur l’importance de l’éducation, du sport18Service de renseignement de la Confédération suisse (SRC), Rapport annuel 2022, 26 juin 2022., de la tradition, de la communauté, de la défense de la patrie et de la nature ainsi que le rejet des médias conventionnels et du capitalisme excessif. Issu de la mouvance néonazie, Junge Tat veut aujourd’hui s’en démarquer (sur la forme). Le groupe organise ainsi des randonnées pour recruter de nouveaux membres et n’hésite pas à se montrer à découvert lors d’actions « coup de poing ».
Outre un recrutement plus ouvert et moins frontal, certaines organisations d’ultradroite ont également fait évoluer leur discours afin de répondre aux préoccupations d’une partie de l’opinion publique. Elles ont cherché à intégrer les questions d’actualité dans leur récit pour paraître plus pertinentes, et ont su répondre avec célérité et stratégie aux crises. Ainsi, à la suite des inondations qui ont touché certaines régions de Belgique en 2021, plusieurs groupes d’extrême droite ont organisé des collectes alimentaires pour les citoyens touchés par ces épisodes météorologiques. Ce type de stratégie n’est pas nouveau. En France, le Conseil d’État avait dû interdire en 2007, dans une décision très connue et médiatisée19Conseil d’État, Juge des référés, 5 janvier 2007, 300311., la distribution à Paris par une association d’extrême droite d’une « soupe au cochon » aux sans-abri. Ces actions permettent à ces groupes de se présenter comme des sauveteurs tout en soulignant les lacunes ou les retards de l’aide gouvernementale.
Sans surprise, l’ultradroite s’est également positionnée rapidement parmi les rangs des contestataires des mesures sanitaires gouvernementales liées à la pandémie de Covid-19. Toutes ces mouvances présentent le point commun de s’être systématiquement opposées aux mesures mises en place par les gouvernements. Cette opposition a été particulièrement forte lors de l’introduction des passeports vaccinaux ou de la généralisation du port du masque obligatoire.
Par ailleurs, elle s’est également tournée vers un certain nombre de cibles jusque-là réservées à l’ultragauche, comme celles liées aux télécommunications (destructions d’antennes 5G).
Menace en France
Cette violence commise au nom d’une idéologie d’extrême droite n’est pas nouvelle. En France, elle naît avec l’émergence de l’Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale, « la Cagoule », en 1963 et s’exprimera tout particulièrement lors de la décolonisation de l’Algérie20Elyamine Settoul et Emmanuelle Bertout, « Quand une radicalisation en cache une autre : sociologie des mouvances d’ultra-droite française », Confluences Méditerranée, vol. 121, n° 2, 2022. qui permettra notamment à l’idéologie de se structurer.
Par la suite, ces mouvances vont se développer à mesure que se banalise, sous l’impulsion du Front national dans les années 198021Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, Les droites extrêmes en Europe, Paris, Seuil, 2015., un discours hostile aux changements démographiques et culturels, principalement tourné vers l’immigration et l’islam. Ce mouvement vient bouleverser les comportements électoraux22Nicola Gennaioli et Guido Tabellini, « Identity, Beliefs, and Political Conflict », in CESifo Working Paper Series, Munich, Center for Economic Studies and Ifo Institute, n° 7707, 2019.. Une partie des électeurs, confrontée à des difficultés socio-économiques, inscrit alors son vote dans un registre identitaire, participant ainsi à ce que certains qualifient de cultural backlash23Pippa Norris et Ronald Inglehart, Cultural Backlash. Trump, Brexit and Authoritarian Populism, Cambridge, Cambridge University Press, 2019.. Cette théorie du « contrecoup » ou du « retour de bâton » tend à expliquer la progression du vote conservateur, populiste, voire autoritaire dans le monde occidental par une réaction brutale face à la révolution des valeurs.
Cette tendance participe à l’émergence de mouvements radicaux qui vont savoir déployer des stratégies de communication particulièrement efficaces et « profiter » des attentats terroristes islamistes commis en France. Parmi ces stratégies de communication, la tactique de dédiabolisation est décisive pour comprendre la structuration de ces groupuscules. Ainsi, les grands sous-courants idéologiques de l’ultradroite vont se transformer en mouvement politique. Cette stratégie a notamment été adoptée par les Identitaires (connus un temps sous le nom de Bloc identitaire), structurés en parti politique en 2009 et participant à plusieurs campagnes électorales24Yannick Cahuzac et Stéphane François, « Les stratégies de communication de la mouvance identitaire : le cas du Bloc identitaire », in Figures du sacré, Metz/Nancy, Questions de communication, 2013.. Plusieurs mouvements ont adopté des techniques similaires afin d’occulter les franges extrémistes sur lesquelles ils s’appuient. C’est ce que l’on observe également au sein de l’organisation catholique extrémiste Civitas qui devient un mouvement politique en 2009 et déléguera l’organisation d’actions violentes en marge de ses manifestations à certains groupes radicaux qu’elle coordonne (Renouveau français, Jeunesses nationalistes, Œuvre française, etc.)25Elyamine Settoul et Emmanuelle Bertout, « Quand une radicalisation en cache une autre : sociologie des mouvances d’ultra-droite française », Confluences Méditerranée, vol. 121, n° 2, 2022.. Le Rassemblement national a également adopté cette stratégie, les membres radicaux ont été écartés du parti mais restent « prestataires de services », comme l’a indiqué Nicolas Lebourg, historien, chercheur à l’université de Montpellier26Rapport d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, Assemblée nationale, 6 juin 2019.. Ainsi, ils participent à l’organisation d’événements, notamment par des actions de communication, de soutien logistique ou en assurant le service d’ordre. Certains anciens membres de Génération identitaire sont même devenus des collaborateurs de personnalités du parti : Damien Lefèvre, plus connu sur les réseaux sociaux sous son pseudonyme de Damien Rieu, est devenu le collaborateur parlementaire de Gilbert Collard (alors député du FN, aujourd’hui rallié à Éric Zemmour).
Concrètement, la France connaît un regain de l’activité des groupuscules d’ultradroite comme en atteste la multiplication des événements liés à cette mouvance au cours des dernières années : renaissance à Paris en novembre 2022 d’une section locale du GUD27« À Paris, le retour du GUD électrise l’extrême droite violente », Libération, 14 décembre 2022 [consulté le 16 mars 2023]., attaque contre un jeune militant de gauche blessé à la tête le 5 décembre à Lyon28« À Lyon, l’ultradroite « se lâche » et défie de nouveau les pouvoirs publics », Mediapart, 15 décembre 2022 [consulté le 16 mars 2023]., scènes de violences à l’issue du match France-Maroc de la Coupe du monde de football le 14 décembre dernier29« Violences après le match France-Maroc : le procès de sept proches de l’ultradroite s’ouvre à Paris », France 24, publié le 13 janvier 2023 [consulté le 16 mars 2023]., attaque contre le centre culturel kurde de la rue d’Enghien à Paris le 23 décembre 2022 qui a fait 3 morts (même si le mobile retenu a été le mobile raciste et non le mobile terroriste), etc. Le procès des « Barjols » qui vient de s’achever – ce groupuscule d’extrême droite identitaire actif de 2017 à 2018 en France avait été démantelé après avoir envisagé une attaque violente contre le président de la République Emmanuel Macron – illustre également les formes diversifiées que peuvent prendre ces mouvements et la variété des actions qu’ils projettent.
Aujourd’hui, il y aurait environ 3 000 personnes considérées comme membres de l’ultradroite30Rapport d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, Assemblée nationale, op. cit. (contre 2 500 en 1987 et 7 500 lors de la guerre d’Algérie). Parmi les régions les plus touchées, Lyon figure en tête des villes concernées par la problématique (les associations précédemment citées étaient ou y sont encore domiciliées) mais Marseille, Nice ou la région nantaise sont aussi visées.
Deux dynamiques semblent à l’œuvre aujourd’hui et témoignent de la mutation des profils susceptibles de se radicaliser. Ainsi, à la suite des attentats du 13-Novembre, des profils nouveaux, qui ne se revendiquent pas de l’extrême droite mais plutôt du gaullisme, ont rejoint l’ultradroite : seniors, retraités, enseignants de l’Éducation nationale, etc. Le mouvement « Action de la force opérationnelle » était notamment constitué d’un ancien policier, d’un ingénieur, d’une sophrologue, d’un professeur, et même d’un attaché d’ambassade. Ce groupe, qui souhaitait « s’opposer à l’islamisation », a fait évoluer son mode d’action, à la suite des attentats de 2015, et souhaitait radicaliser ses actions. Parallèlement à cette dynamique, et particulièrement depuis 2021, de plus en plus de jeunes adolescents sont quant à eux séduits par l’idéologie accélérationniste américaine. Ils prônent un djihad blanc et souhaitent s’inspirer des méthodes mises en place par Daech.
Outre ces actions violentes, on observe une volonté, parmi les militants de la mouvance, de s’organiser en cellules. Récemment, celle constituée par le groupe complotiste de Rémy Daillet-Wiedemann a été particulièrement médiatisée, à la suite de « l’affaire Mia ». En plus de ce type d’opération, ce dernier est suspecté d’avoir constitué une cellule qui prévoyait des attentats contre des loges maçonniques, des centres de vaccination, des antennes 5G et un coup d’État31Esther Paolini, « « Opération Azur » : le gourou Rémy Daillet aurait projeté une action violente contre l’Élysée », Le Figaro [en ligne], octobre 2021. lors d’une opération baptisée « Opération Azur », en collaboration avec le groupuscule néonazi complotiste « Honneur et nation »32Noémie Lair, « Attentat déjoué contre une loge-maçonnique : ce que l’on sait », France Bleu [en ligne], mai 2021.. D’autres opérations de ce type ont également été démantelées au cours des dernières années. En août 2021, Christian Maillaud, ancien gendarme, est interpellé pour différents projets d’enlèvements. Persuadé de « sauver » des enfants de réseaux pédophiles, il avait planifié plusieurs enlèvements, en France et à l’étranger33Margaux d’Adhémar, « Arrestation d’un ancien gendarme complotiste, membre d’une organisation appelant à renverser le gouvernement », Le Figaro, août 2021..
Face à cette dynamique, les pouvoirs publics ne restent pas inactifs. Ainsi, le groupuscule identitaire Bastion social, lancé à Lyon en 2017, a été dissout en avril 2019 à la suite de la profanation de 96 tombes dans un cimetière juif alsacien34« La dissolution du mouvement d’ultradroite Bastion social prononcée en conseil des ministres », Le Monde, 24 avril 2019 [consulté le 16 mars 2023. ; tout comme le groupuscule Génération identitaire en mai 202135« La dissolution de Génération identitaire confirmée par le Conseil d’État », Le Monde, publié le 4 mai 2021.. Les discussions en cours sur la dissolution de l’association Les Remparts, héritière de Génération identitaire, illustrent également la stratégie mise en œuvre par les pouvoirs publics pour limiter l’influence de ces mouvements. Toutefois, certains spécialistes appellent à ce que les dissolutions ne soient pas la seule arme utilisée. Bien qu’efficaces, elles encouragent la dissémination des individus radicalisés (ce qui rend plus délicat leur suivi) et leur ôtent une issue politique (ce qui peut encourager un passage à l’acte). La loi confortant le respect des principes de la République publiée le 24 août 2021 est venue renforcer l’arsenal législatif à la disposition des pouvoirs publics dans ce domaine. Elle a étendu les motifs de dissolution des associations en permettant au Conseil des ministres, en sus de la procédure existante, de prononcer la dissolution de structures appelant à la provocation d’actions violentes contre des personnes ou des biens, ou qui discriminent des personnes en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. La loi a également renforcé la lutte contre la haine en ligne en punissant « la mise en danger d’autrui par la diffusion d’informations sur la vie privée, familiale ou professionnelle ».
- 1Jean-Paul Gautier, Les extrêmes droites en France, Paris, Éditions Syllepses, 2017.
- 2Elyamine Settoul et Emmanuelle Bertout, « Quand une radicalisation en cache une autre : sociologie des mouvances d’ultra-droite française », Confluences Méditerranée, vol. 121, n° 2, 2022.
- 3Audition de Nicolas Lebourg, dans le rapport de Muriel Ressiguier, fait au nom de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, n° 2006, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 6 juin 2019, p. 20.
- 4Ibid.
- 5« European Union Terrorism Situation and Trend Report 2021 », Europol, décembre 2021.
- 6Hugues Moutouh, « Loup solitaire », in Hugues Moutouh (dir.), Dictionnaire du renseignement, Paris, Perrin, 2018, pp. 517-518.
- 7Le grand remplacement est une théorie complotiste d’extrême droite introduite en 2010 par l’écrivain français Renaud Camus, et qui affirme qu’il existerait en France un processus de substitution de la population française et européenne par une population non européenne, originaire en premier lieu d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Ce changement de population impliquerait un changement de civilisation et ce processus serait soutenu par l’élite politique, intellectuelle et médiatique européenne, par idéologie ou par intérêt économique.
- 8« Le temps du débat, ultradroite : la menace est-elle d’un genre nouveau ? », France Culture, 2 janvier 2023.
- 9« European Union Terrorism Situation and Trend Report 2022 », Europol, 26 août 2022.
- 10Tendance politique selon laquelle la transformation radicale de la société doit venir d’une accélération du capitalisme et des processus qui y sont historiquement associés, plutôt que de son renversement. Elle vise l’intensification du capitalisme afin d’en accentuer les tendances autodestructrices, pour en précipiter la chute.
- 11L’iter criminis est le cheminement criminel. Il sert à déterminer le stade d’implication de l’individu dans l’accomplissement d’un geste antisocial. Il commence par la pensée fugace de commettre une infraction et se termine par la commission matérielle de celle-ci. Il est constitué de différentes étapes que franchit un délinquant dans la commission d’une infraction.
- 12Counter Extremism Project, Violent Right-Wing Extremism and Terrorism. Transnational Connectivity, Definitions, Incidents, Structures and Countermeasures, commissioned by the German Federal Foreign Office, Berlin, 2020, p. 108.
- 13Terrorgram est un réseau de chaînes et de comptes Telegram qui souscrivent à l’accélérationnisme et en font la promotion. Les canaux Terrorgram partagent régulièrement des instructions et des manuels sur la manière de mener des actes de violence à caractère raciste et de terrorisme antigouvernemental et antiautoritaire.
- 14« Flash Alert: High risk of violence with the publication of “The Hard Reset: A Terrorgram publication », The counterterrorism Group, 7 juillet 2022.
- 15Global Network on extremism & Technology, Analysing Terrorgram Publications: A New Digital Zine, Matthew Kriner et Bjørn Ihler, 12 septembre 2022 [consulté le 6 mars 2023].
- 16Rapport d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, Assemblée nationale, 6 juin 2019.
- 17Le sigle anglais MMA désignent les arts martiaux mixtes, anciennement appelés combat libre ou free-fight.
- 18Service de renseignement de la Confédération suisse (SRC), Rapport annuel 2022, 26 juin 2022.
- 19Conseil d’État, Juge des référés, 5 janvier 2007, 300311.
- 20Elyamine Settoul et Emmanuelle Bertout, « Quand une radicalisation en cache une autre : sociologie des mouvances d’ultra-droite française », Confluences Méditerranée, vol. 121, n° 2, 2022.
- 21Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, Les droites extrêmes en Europe, Paris, Seuil, 2015.
- 22Nicola Gennaioli et Guido Tabellini, « Identity, Beliefs, and Political Conflict », in CESifo Working Paper Series, Munich, Center for Economic Studies and Ifo Institute, n° 7707, 2019.
- 23Pippa Norris et Ronald Inglehart, Cultural Backlash. Trump, Brexit and Authoritarian Populism, Cambridge, Cambridge University Press, 2019.
- 24Yannick Cahuzac et Stéphane François, « Les stratégies de communication de la mouvance identitaire : le cas du Bloc identitaire », in Figures du sacré, Metz/Nancy, Questions de communication, 2013.
- 25Elyamine Settoul et Emmanuelle Bertout, « Quand une radicalisation en cache une autre : sociologie des mouvances d’ultra-droite française », Confluences Méditerranée, vol. 121, n° 2, 2022.
- 26Rapport d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, Assemblée nationale, 6 juin 2019.
- 27« À Paris, le retour du GUD électrise l’extrême droite violente », Libération, 14 décembre 2022 [consulté le 16 mars 2023].
- 28« À Lyon, l’ultradroite « se lâche » et défie de nouveau les pouvoirs publics », Mediapart, 15 décembre 2022 [consulté le 16 mars 2023].
- 29« Violences après le match France-Maroc : le procès de sept proches de l’ultradroite s’ouvre à Paris », France 24, publié le 13 janvier 2023 [consulté le 16 mars 2023].
- 30Rapport d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, Assemblée nationale, op. cit.
- 31Esther Paolini, « « Opération Azur » : le gourou Rémy Daillet aurait projeté une action violente contre l’Élysée », Le Figaro [en ligne], octobre 2021.
- 32Noémie Lair, « Attentat déjoué contre une loge-maçonnique : ce que l’on sait », France Bleu [en ligne], mai 2021.
- 33Margaux d’Adhémar, « Arrestation d’un ancien gendarme complotiste, membre d’une organisation appelant à renverser le gouvernement », Le Figaro, août 2021.
- 34« La dissolution du mouvement d’ultradroite Bastion social prononcée en conseil des ministres », Le Monde, 24 avril 2019 [consulté le 16 mars 2023.
- 35« La dissolution de Génération identitaire confirmée par le Conseil d’État », Le Monde, publié le 4 mai 2021.