La gauche française et l’Europe. Une synthèse possible pour 2022 ?

La gauche française peut-elle construire une convergence de ce qu’elle entend proposer pour l’avenir de l’Union européenne ? Pour apporter des éléments de réponse, les auteurs de cet essai livrent une triple grille de lecture : un récit historique depuis l’après-guerre, une étude de l’opinion et, enfin, l’analyse du positionnement politique des différents acteurs en lice. Laissant de côté les luttes d’appareils, ils éclairent d’un jour nouveau cette ligne de fracture majeure au sein de la gauche et qui peut s’avérer, à l’approche de l’élection présidentielle, décisive.

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TABLE DES MATIÈRES 

PRÉFACE. Ils en ont parlé Pervenche Berès 

AVANT-PROPOS. Une question qui finira par se poser

INTRODUCTION. Avenir de la construction européenne : une convergence à gauche est-elle possible ?

LA GAUCHE FRANÇAISE ET L’EUROPE : UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
États-Unis d’Europe versus Europe des États-Unis
Le rapprochement des années 1970 entre communistes et socialistes
La gauche au pouvoir : le pragmatisme mitterrandien
Le « péché originel » : le référendum de 2005
2012 et la ratification du TSCG : vers une amplification des divisions sur l’Europe ?
La France insoumise, Parti socialiste, Europe Écologie-Les Verts, héritiers de divisions historiques entre courants de la gauche

LES DEUX BLOCS DE GAUCHE DANS LA PERCEPTION DE L’UNION
Focus sur l’élection présidentielle de 2017
Vers une lecture partisane des enjeux européens : les deux blocs de gauche
Deux blocs difficilement conciliables dans la perspective de l’élection présidentielle

UNE CONVERGENCE PROGRAMMATIQUE EST-ELLE POSSIBLE ?
Une question de confiance : le constat d’une impuissance socialiste
« L’éléphant dans la pièce » : le plan A et le plan B ou la crainte d’une sortie de l’Union
La souveraineté en question à gauche
Des programmes européens convergents et une division stratégique

CONCLUSION. La possibilité d’une convergence

POSTFACE. L’union de la gauche n’est plus impossible Shahin Vallée

Préface
Ils en ont parlé
Pervenche Berès

Pourquoi publier aujourd’hui une étude sur la gauche et l’Europe alors que se prépare la prochaine élection présidentielle, que s’ouvre la conférence sur l’avenir de l’Union européenne et que la France exercera la présidence de l’Union au premier semestre 2022 ? Est-ce le sujet à aborder en priorité, si l’on veut dépasser le débat sur les gauches irréconciliables, quand la question européenne est si souvent un sujet de débats ou de controverses au sein et entre les formations de la gauche française ?

La gauche française est aujourd’hui plus éclatée qu’en 2002 et 2017 où elle n’était pas présente au second tour et elle n’a gagné en 1981, 1997 ou 2012 qu’en étant unie au premier ou au second tour.

Le rassemblement est donc souhaitable et il devra comprendre un volet européen, non seulement parce que le président de la République sortant en avait fait son étendard au commencement de son mandat ou que la présidente de la Commission européenne a fait du « Green New Deal » la colonne vertébrale de sa mandature, mais aussi parce que l’intégration européenne a marqué des points. En réponse à la crise sanitaire et son impact économique et social, l’Union européenne a, pour la première fois, lancé un emprunt commun pour soutenir les économies des États membres et la question d’une Europe de la santé est devenue d’actualité. L’évolution des rapports de force mondiaux et des technologies renvoie encore davantage à l’échelon européen pour trouver les réponses pertinentes aux défis qu’une politique intérieure de gauche doit relever, que ce soit le défi climatique, sanitaire, migratoire, la gouvernance économique et la fiscalité, le commerce international.

En traitant la question de la gauche et l’Europe, pour examiner la possibilité d’une plateforme commune, Daniel Cornalba, Rémi Lauwerier et Théo Verdier dressent un tableau historique. Raconter l’histoire, c’est forcément faire des choix.

Mais une réflexion sur le rapport de la gauche française à l’Europe devrait aussi faire l’inventaire de ce qu’elle a apporté avec le risque d’une superposition de ce qui relève de l’identité de la gauche et de l’exercice du pouvoir. La gauche doit le revendiquer avec fierté – même si souvent le temps est long entre l’initiative et sa concrétisation – et cela éclaire la capacité d’impulser le chemin européen.

Il reste que la gauche française porte la marque des défaites qu’elle a subies du fait d’engagements européens pré-électoraux qu’elle n’a pas pu ou su tenir. Pour François Mitterrand, l’enjeu concerne d’abord la politique intérieure. En 1981, pour mettre en œuvre son programme de relance de l’économie française, il a besoin d’un soutien européen qu’il n’obtient pas, l’obligeant, en 1983, à changer radicalement de trajectoire. Lionel Jospin l’a expérimenté, non pas avec le traité d’Amsterdam, mais avec le Pacte de stabilité pour lequel il n’obtiendra qu’une symbolique adjonction au titre du Pacte d’un « et de croissance » sans modification sur le fond. François Hollande avait fait campagne pour la renégociation du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) avant d’y renoncer après son arrivée au pouvoir. Dans ces deux derniers cas, il s’agissait d’engagements que leurs prédécesseurs avaient déjà signés au nom de la France.

Ce regard sur le passé devrait inciter les négociateurs d’un prochain programme présidentiel de la gauche française à évaluer ses chances d’aboutir, non pas pour être trop frileux mais pour ne pas fabriquer le mur sur lequel se heurter. C’est la question du dehors que doivent aussi se poser ceux qui travaillent au dedans. Pour cela, il faudrait écarter les totems, ne pas fabriquer des horizons impossibles et qui constitueront en retour des sujets d’échecs et de fractures. Sans même parler de la sortie de l’Union européenne ou de l’euro, la liste est infinie. À titre d’exemple, on peut citer l’annulation de la dette, la suppression de la 5G ou de la directive détachement des travailleurs…

Une évaluation des rapports de force européens est aussi nécessaire, y compris pour mesurer celui qui prévaut entre les forces politiques en présence et les alliances possibles à l’intérieur et entre les partis nationaux et européens. Dans ce travail, le Parlement européen est un bon laboratoire. Il faut se souvenir comme d’un contre-exemple de la situation d’octobre 1998 où le Conseil est à une écrasante majorité socialiste sans que cela ne se traduise par une inflexion significative de la politique européenne. Cette dimension peut également jouer à contre-courant, comme lors de l’élection présidentielle de 2017, où une partie des gouvernements de gauche au pouvoir en Europe voyaient dans l’élection d’Emmanuel Macron un moyen de compenser le poids de la chancelière Angela Merkel au Conseil européen.

Le champ d’un programme commun à l’arc de la gauche, dès lors qu’il y aurait une forte détermination au rassemblement, existe, sans doute en écho avec l’aspiration d’une majorité de son électorat qui ne veut pas en 2022 retrouver le même duel au second tour de l’élection présidentielle qu’en 2017. Pour y parvenir, il est préférable de progresser sur une Europe de projets plutôt que sur la nature du projet, entre souveraineté nationale et fédéralisme européen, « l’éléphant dans la pièce », comme l’appellent les auteurs de l’étude, et au sein duquel ils rangent étrangement l’euro. Dans cette volonté d’une unité possible, est-il utile de qualifier l’épisode de 2005 de « péché originel » ?

Le rassemblement sera aussi d’autant plus aisé qu’il porterait sur la déclinaison à l’échelle européenne de priorités retenues pour la future politique française et traduisant un accord sur l’écologie, l’économie et le fiscal, le social ou le sanitaire et le commerce international.

L’agenda européen lui-même s’imposera à la gauche française. Sur le « Green New Deal », la gauche unie pour voter au Parlement européen un objectif de 60 % de réduction des émissions de carbone en 2030 devrait pousser les frontières de la confiance dans la capacité de transformation des entreprises de marché et accroître l’intervention de la puissance publique, à l’instar de ce qui se joue sur la scène intérieure autour du projet de loi climat et résilience. Elle devrait aussi exiger que ce projet soit revisité pour tirer les leçons de la crise liée à la Covid-19 et tenir compte de son impact sur l’aggravation des inégalités ou de la nécessité d’une Europe de la santé. En matière fiscale, il faudra, entre autres, arrêter des positions communes sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou sur l’impôt sur les sociétés et la taxe sur le numérique. Sur la gouvernance économique, une expression commune doit être possible au moment où le futur du Pacte de stabilité et du fonds de relance et de résilience financé par l’emprunt européen se jouera. Il en va de même pour le commerce international alors que le Parlement européen aura à se prononcer sur l’accord commercial avec le Mercosur ou sur celui avec la Chine, incompatibles avec l’accord de Paris, l’autonomie stratégique européenne ou, pour ce dernier, avec les valeurs de l’Union.

Dans la perspective de l’élection de 2022, la gauche française s’inscrira aussi dans une Europe où la crise liée à la Covid-19 et ses conséquences économiques et sociales modifient la donne dans de nombreux domaines. Comment rétablir la libre circulation des personnes et des travailleurs, le fonctionnement de Schengen ? Jusqu’où mener les politiques d’accueil et d’asile ? Comment lutter contre les nouvelles formes de dumping social ? Jusqu’où plaider pour une souveraineté européenne ? Est-ce une protection suffisante ? Comment l’articuler avec le multilatéralisme ? Quelles solidarités internationales ? Comment répondre aux nouvelles menaces contre la démocratie ?

Si une volonté de rassemblement de la gauche est forte, la question européenne ne devrait pas être une pierre d’achoppement dès lors que la priorité sera donnée à des projets concrets que la gauche voudra porter. La gauche devra cependant éviter deux écueils. Le premier, celui de promesses pré-électorales qu’elle ne pourrait pas tenir ou dont elle ne saurait se donner des moyens ; c’est destructeur pour les progressistes. Le second, celui ou celle qui aspirera à porter les espoirs de la gauche d’être au second tour devra proposer une offre européenne crédible aux yeux de ceux qui, à gauche, sont d’abord sensibles à cette dimension des politiques au risque sinon de les perdre au premier tour.

In fine, contrairement aux a priori, et c’est tout l’enjeu de l’étude qui suit, un rassemblement est possible sur la question européenne dès lors qu’existera par ailleurs une véritable volonté d’union.

Postface
L’union de la gauche n’est plus impossible
Shahin Vallée

Ce bilan critique des divisions de la gauche est salutaire à quelques mois d’une élection cruciale pour la France et pour l’Europe. À ces deux échelles, une union de la gauche et des écologistes semble, en effet, à première vue, tout aussi indispensable qu’impossible. Sommes-nous capables aujourd’hui de trouver un terrain d’entente sur les trois sujets qui nous divisent les plus profondément ?

La centralité des enjeux climatiques et les sacrifices que la transition écologique imposerait à l’économie continuent de faire débat (productivisme/sobriété, nucléaire/renouvelable). La problématique identitaire et les tensions entre universalisme et multiculturalisme ne cessent d’être ravivées par la question de la laïcité. Et, enfin, la dernière a trait à la question européenne.

C’est cependant sur le volet européen qu’il est aujourd’hui le plus possible d’espérer. Si ce rapport explique bien les fondements, la profondeur et la rémanence des divisions de la gauche sur l’Europe, il semble néanmoins que plusieurs faits saillants sont de nature à permettre une convergence plus que de façade et circonstancielle, et d’entrevoir l’émergence d’un véritable projet européen commun partagé par tous les éléments de la gauche française trouvant des relais dans le reste de l’opinion et des forces politiques européennes.

Le premier élément fort est que, même si elle ne le révèle pas encore tout à fait publiquement, La France insoumise a tiré une leçon importante de son échec aux élections présidentielles et législatives de 2017. Le mouvement mesure à quel point cette idée d’un plan B et d’une possible sortie de l’Union européenne était un mirage et un repoussoir. En effet, malgré le rejet parfois violent que suscite l’Union européenne dans l’opinion, la crise de la zone euro et le spectre d’une sortie de la monnaie unique continuent d’effrayer l’opinion même la plus eurosceptique. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Rassemblement national lui-même ne fait plus référence à la sortie de l’euro, et pour cette même raison que les expériences grecques ou italiennes ont également marqué l’incapacité des forces d’extrême droite ou d’extrême gauche à prendre le risque de la rupture totale. Cela a été le cas aussi bien de Syriza en Grèce, du mouvement M5S et finalement de la Ligue du Nord en Italie. Il est à noter que même le mouvement DiEM de Varoufakis, qui avait pourtant exigé le référendum sur le programme grec et dénoncé la trahison du Premier ministre Tsipras, n’a jamais voulu s’associer à l’alliance proposée par Jean-Luc Mélenchon car il la jugeait insuffisamment fédéraliste. Aussi, le plan B de 2017 s’est avéré ne convaincre ni les électeurs français, ni les partenaires européens nécessaires à sa mise en œuvre. C’est pour cette raison que la ligne de La France insoumise s’est infléchie profondément et que la campagne des élections européennes en 2019 ne s’est pas structurée autour de cette chimère préparant un nouveau discours européen plus ouvert, encore en gestation pour 2022.

La deuxième nouveauté importante est que le bilan européen du plus pro-européen des présidents de la Ve République, Emmanuel Macron, est somme toute loin du compte et laisse apparaître les limites d’une méthode qui repose sur deux erreurs axiomatiques. La première est que la France se doit d’être le meilleur élève qu’il soit en matière de réformes économiques ou de finances publiques pour avoir son mot à dire, la seconde est que l’accord franco-allemand est le préalable nécessaire à toute avancée. Sur ces deux points, la méthode Macron a permis quelques avancées circonstancielles mais a surtout établi un point désormais systématique : c’est uniquement quand la France parvient à être le pivot d’alliances transnationales et trans-partisanes qu’elle arrive à faire bouger l’Europe, avec ou sans l’Allemagne à ses côtés. Ce constat est important pour l’aile social-démocrate de la gauche française qui, sur le volet européen au moins, a longtemps vu le candidat Macron comme un modèle et longtemps pensé naïvement que la seule chose qui avait manqué à François Hollande pour changer l’Europe était le courage, la fougue et la vision d’un Emmanuel Macron.

Enfin, le dernier fait saillant qui peut rassembler la gauche et les écologistes est purement circonstanciel mais extrêmement puissant. En réalité, après le cycle ouvert par le référendum raté de 2005 et les nombreuses réformes institutionnelles déclenchées par la crise de la zone euro (création du mécanisme européen de stabilité, nouveau traité intergouvernemental instituant le durcissement du cadre budgétaire…), la crise liée à la Covid-19 et la nécessité d’une réponse économique commune sont en train de propulser de nouveau l’agenda institutionnel et constitutionnel européen au cœur de l’agenda politique et sera nécessairement un objet de débat important lors de la campagne présidentielle de 2022. La Cour constitutionnelle allemande ne s’y est pas trompée en interjetant à deux reprises. D’abord, en avril 2020, contre les programmes d’achat de dette par la Banque centrale européenne, ensuite, le 26 mars 2021, en demandant la suspension de la ratification de la décision sur les ressources propres autorisant l’endettement commun pour le plan de relance européen.

Derrière ces questions d’apparence techniques et juridiques se dessinent l’avenir et le noyau constitutionnel de l’Europe qui vient. Sur la base de ces contours essentiels, la gauche et les écologistes peuvent écrire un projet de refonte d’un pan entier de l’Union européenne. Quelles nouvelles règles budgétaires permettraient de protéger les services et l’investissement public, d’encourager la transition écologique et de stabiliser l’économie en temps de crise ? Quel budget de l’Union européenne et notamment quelles prérogatives sociales nouvelles pourrait-il endosser ? Une assurance-chômage européenne, un programme d’investissement dans les biens publics et les transitions climatiques ? Enfin, surtout, quel cadre de contrôle démocratique européen peut et doit s’organiser autour de ces nouvelles prérogatives afin qu’elles ne soient pas le résultat d’un débordement du cadre des missions de l’Union européenne sans contrôle le démocratique et politique nécessaire.

En tout et pour tout, des lignes de fracture sur l’Europe demeurent vivaces et les deux principaux camps qui s’opposent à gauche n’y apportent aucune solution. L’attitude réformatrice molle de la social-démocratie française comme l’attitude offensive d’une gauche plus radicale sont dans une impasse. Le moment qui s’ouvre devrait permettre à chacun d’apprendre de ses errements et de converger vers une position ambitieuse qu’offrent les circonstances uniques liées à la Covid-19. Cependant, pour cela il faudra néanmoins s’entendre sur deux points. Le constat incontournable que convaincre les électeurs français est une condition nécessaire mais pas suffisante qui doit s’accompagner d’un travail européen pour créer les coalitions nécessaires à faire bouger l’opinion publique européenne dans son ensemble. L’acceptation qu’une Europe unie, démocratique et souveraine exigera aussi des réformes institutionnelles nationales fortes, l’abandon de notre droit de veto et une mutualisation dont la France ne sera peut-être pas toujours récipiendaire. C’est peut-être sur ce dernier point que, même si elle s’unit, la gauche française devra le plus convaincre ses partenaires européens qu’elle ne souhaite pas l’Europe seulement pour mieux prolonger l’illusion de sa grandeur perdue.

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