Thierry Mérel, directeur du secteur Histoire et archives, revient sur la manière dont le fonds Renaudel a été donné à la Fondation Jean-Jaurès et toute la richesse qu’il représente. Une explication livrée lors de la première rencontre du projet Eurosoc.
C’est un vendredi après-midi, le 28 mars 2014, que les archives de Pierre Renaudel (1871-1935) sont réapparues. Alors que l’exposition Jaurès venait d’ouvrir aux Archives nationales et que la Fondation Jean-Jaurès entamait une « année Jaurès 2014 » riche d’événements, la petite-fille de Pierre Renaudel, Monique Bonnier Pitts nous contacta pour nous proposer dans un premier temps des manuscrits de Jaurès et un buste de son grand-père. Le lundi suivant, au cours de rangements dans le week-end, c’est tout un ensemble de boîtes d’archives et d’ouvrages qu’elle avait mis au jour et qu’il fut possible de découvrir dès le lendemain.
Billet d’entrée de la Conférence par Jean Jaurès à Rouen le samedi 2 juillet 1904. (Archives Pierre Renaudel – collection Fondation Jean-Jaurès)
Pierre Renaudel, dont le parcours est présenté dans le billet de Gilles Candar eut un fils et une fille, Thérèse, qui épousa en 1923 Claude Bonnier, compagnon de la Libération, décédé en 1944 (une biographie de Claude Bonnier est disponible sur le site Internet du Musée de l’Ordre de la Libération). Le couple eut deux enfants, Nicole, décédée à Paris le 20 janvier 2015, et Monique. Cette dernière se maria avec un Américain et vit depuis lors aux Etats-Unis. Thérèse Renaudel, décédée en 1991, vécut avec sa fille Nicole dans l’appartement familial près du Bois de Boulogne, conservant les souvenirs de ces deux hommes, Pierre Renaudel et Claude Bonnier. Ce sont ces souvenirs, objets, archives et ouvrages, comme réunis et figés dans le temps depuis plus de 60 ans, qui réapparurent au printemps 2014 et furent confiés à la Fondation Jean-Jaurès.
Depuis 1999, la Fondation veille à la préservation et à la valorisation des archives du Parti socialiste et de ses militants, et développe et coordonne des projets favorisant l’étude et la recherche historique sur le mouvement socialiste, des origines à aujourd’hui. De nombreux documents sont consultables gratuitement en ligne sur un site Internet dédié ouvert en 2014. C’est donc naturellement que les archives de Pierre Renaudel ont rejoint quelques jours après les contacts avec ses descendants les 1500 mètres linéaires de documents conservés. Rapidement, il fut facile d’isoler les pièces relatives à Jean Jaurès que Renaudel a trouvé dans le bureau de L’Humanité en août 1914, ou dans le casier parlementaire de Jaurès comme l’indique une mention sur une chemise. Année 2014 oblige, quelques objets ont intégré très vite l’exposition Jaurès contemporain au Panthéon comme les lunettes ou le porte-plume de Jaurès. Les manuscrits, pour certains visiblement inédits, vont faire l’objet de publications commentées – un premier manuscrit, « Monsieur de Bismarck et la démocratie » a été commenté par Emmanuel Jousse. En juin 2014, une interview dans L’Express de Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, fut l’occasion de dévoiler ces « trésors ».
Parallèlement, le nettoyage, le reconditionnement et le récolement du fonds d’archives principal commencèrent, l’inventaire est actuellement en cours. Quelques grands ensembles se détachent, et il est nécessaire de souligner la richesse du fonds par déjà tout simplement la période chronologique couverte, de la dernière décennie du XIXe siècle à 1935 : c’est un fonds d’archives unique pour un responsable socialiste face au devenir des archives des organisations partisanes précédant 1905 puis celles de la SFIO (Frédéric Cépède, « L’Office universitaire de recherche socialiste (OURS), 45 ans d’histoire (et) d’archives socialistes », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 24, septembre-décembre 2014). Renaudel était un homme de presse, et une part des photographies, des dessins, des collections de journaux conservées ou des brouillons d’articles en témoignent, que ce soient pour la Vie socialiste ou l’Humanité. Au total, le fonds d’archives représente 54 boîtes soit environ 250 dossiers, auxquels il faut ajouter l’ensemble des livres et des brochures de sa bibliothèque. L’historien trouvera notamment de riches séries de correspondance et des notes personnelles prises lors de réunions, que ce soient lors de comités de rédaction, des séances de la commission Armée de la Chambre des députés entre 1914 et 1919 ou pendant des réunions internationales dès 1918 puis de l’Internationale ouvrière socialiste après 1923. L’inventaire définitif affinera ces trop brèves remarques.
Extrait des groupes adhérents à la Fédération Socialiste Révolutionnaire de Seine-Inférieure adressé à Briand (Archives Pierre Renaudel – collection Fondation Jean-Jaurès)
La Fondation Jean-Jaurès et son secteur Histoire et archives nouent depuis 1999 des partenariats, avec des institutions publiques comme les Archives nationales, l’INA ou le Service interministériel des archives de France, avec des centres de recherches comme le Centre d’histoire de Sciences Po, le Centre d’histoire sociale du XXe siècle à l’université Paris I et au-delà avec de nombreux universitaires étudiant l’histoire du mouvement socialiste, et avec des associations comme l’Institut François Mitterrand, L’OURS et la Société d’études jaurésiennes ou regroupées en réseau comme le Codhos. Le partenariat avec Eurosoc s’inscrit dans cette dynamique, et visera à valoriser plus spécifiquement la « partie normande » du fonds d’archives Renaudel. L’objectif est de numériser les archives repérées, naturellement pour les préserver des manipulations rendues délicates par l’état de certains documents, et plus largement de les mettre plus rapidement à la disposition des chercheurs pour en favoriser l’analyse historique. Ces sources, pour l’historien, seront naturellement à croiser avec les fonds que les archives municipales ou départementales de Normandie peuvent conserver sur les premières années de l’implantation du socialisme, Pierre Renaudel se détournant de ses terres d’origine en 1909 pour s’implanter dans le Var. les correspondances de Pierre Renaudel précisent le développement des groupes socialistes dès la fin du XIXe siècle et éclairent probablement d’un regard nouveau par leurs détails et leurs précisions les élections législatives en 1902 ou les municipales de Rouen en 1904, et au-delà, les hommes, les réseaux et les dynamiques propres au socialisme en Normandie de 1896 à 1907. Les échanges et les futures contributions scientifiques des historiens intégrés à Eurosoc vont permettre l’étude de ces archives et l’apport de réflexions nouvelles.
Les archives de Pierre Renaudel, conservées par la Fondation, ont fait l’objet de la première rencontre du projet Eurosoc, qui vise à établir et consolider un réseau de recherche sur l’histoire du socialisme européen avant 1914 aux niveaux régional, national et européen, qui s’est tenue en février 2016.