« Guerre à la drogue », tel est le mot d’ordre le plus couramment utilisé pour traduire la volonté des gouvernements et des responsables politiques de lutter contre la production, le trafic, la vente et la consommation de drogue à travers le monde.
Derrière les mots se cache une réalité qui fait apparaître un profond décalage entre les intentions affichées et les effets réels des politiques menées. Sans entrer dans les détails chiffrés, mais pour situer l’ampleur du problème en France, il faut savoir que le nombre d’interpellations pour usage de stupéfiants est passé de trois mille en 1975 à plus de cinquante mille en 1994. Même si l’on tient compte du fait que cet indicateur traduit aussi, dans notre pays, l’activité des services de police, de gendarmerie et des douanes, il sert néanmoins de révélateur et démontre, si besoin en est, que la consommation de drogue s’est désormais installée en France mais aussi dans toute l’Europe. L’évolution du nombre de décès par surdose portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie est également significative: 35 en 1976, 564 en 1994. Dans 90 % des cas, le produit susceptible d’avoir provoqué la mort était l’héroïne. Ainsi, malgré les déclarations volontaristes des gouvernants, apparaissent au grand jour les limites des stratégies actuelles de contrôle de la drogue dans le monde. En effet, la production illicite de cannabis, d’opium, de coca et de drogues synthétiques atteint des sommets historiques. Les marchés illégaux de produits « raffinés » génèrent des dizaines de millions de dollars de bénéfices, « emploient » des milliers de personnes et enrichissent, de plus en plus, les organisations criminelles.
Des dizaines de gouvernements sont perméables à la corruption qui y est associée. Saisies de drogue, arrestations et incarcérations ont beau se multiplier, les doutes sur l’efficacité de la politique officielle de guerre contre la drogue grandissent sans cesse. Le régime général de prohibition globale de la drogue qui sert de politique unique à travers le monde a résisté, à ce jour, avec succès, à tout examen critique, sans doute en raison des tabous qui pèsent sur ce sujet. Les termes d’un débat franc et ouvert sur des stratégies alternatives sont rarement posés au niveau des gouvernements voire au niveau international. Les politiques de lutte contre la drogue continuent d’être basées sur le « mythe » de la réussite de méthodes de plus en plus répressives allant de pair avec une coopération internationale renforcée. Le temps semble venu de dresser un bilan objectif et critique des politiques conduites et des postulats qui les fondent; c’est à cette tâche que nous pourrions nous atteler. Si nous avons cet échange d’idées, c’est aussi pour tenter de proposer une nouvelle approche sur ce sujet, à partir du constat que je viens de faire. En effet, trop de rencontres internationales s’ouvrent sur l’examen des efforts de limitation de l’offre des pays consommateurs. Comme de nombreux pays sont, tout à la fois, consommateurs et producteurs, l’échange des différents points de vue doit permettre d’approfondir les connaissances. Très concrètement, notre objectif est d’analyser la possibilité de mise en oeuvres de politiques alternatives de contrôle de la drogue et de limitation de ses méfaits, la connaissance scientifique et des objectifs de santé publique trop souvent oubliés. En 1993, déjà, le Secrétaire général d’Interpol avait lancé un appel aux Etats pour qu’ils modifient leur stratégie de lutte contre la drogue en renforçant les méthodes et les moyens de la prévention au lieu de privilégier la seule répression qui fonctionne un peu comme « un tonneau des Danaïdes ». Le but, disait-il, est de casser la demande. Cette proposition a-t-elle été entendue, les moyens financiers adéquats ont-ils été dégagés, cette nouvelle stratégie est-elle réaliste et réalisable, voilà des questions parmi d’autres auxquelles nous allons tenter de répondre durant cette table ronde.