La déconnexion électorale

Depuis une décennie, la succession des crises a mis toutes les démocraties sous tension. Impensables, l’élection de Donald Trump et le Brexit ? Pourtant, ils se sont produits. En France, alors que la campagne présidentielle est parasitée par les « affaires », les interrogations sur l’avenir de la démocratie se multiplient. Marine Le Pen peut-elle arriver au pouvoir ? Les institutions de la Ve République sont-elles condamnées ? Que veulent les citoyens ? En revenant sur les dynamiques électorales du quinquennat de François Hollande, cet ouvrage livre un éclairage indispensable sur ces questions cruciales, et bien d’autres.

SOMMAIRE

Introduction
Florent Gougou, Vincent Tiberj

Dynamiques d’opinion et thèmes à l’agenda

Une spirale autoritaire
Vincent Tiberj

Le mouvement écologiste
Simon Persico

Les logiques de la défiance
Emiliano Grossman

Hommes et femmes face au politique
Anja Durovic

Les électorats partisans en 2015

Les dynamiques de la participation
Florent Gougou

Les électeurs de gauche
Florent Gougou

Les électeurs de droite
Nicolas Sauger

Les électeurs du Front national (2012-2015)
Nonna Mayer

Les logiques de vote en 2015

La compétence des partis et le vote
Isabelle Guinaudeau

Les Français dans tout leur État : les effets de la défiance
Adrien Degeorges

Les traces de La Manif pour tous
Manon Réguer-Petit, Léa Morabito

La France des périphéries
Joël Gombin

La place du Front national dans le système politique
Raul Magni-Berton

La situation politique à la veille des élections de 2017

Une démocratie mal en point ?
Camille Bedock

Les Français et l’intégration européenne
Céline Belot

La politique des post-baby-boomers
Vincent Tiberj

Vers un nouvel ordre électoral ?
Pierre Martin

 

SYNTHÈSE

La contestation des grands partis de gouvernement et la menace incarnée par le Front national conduisent à analyser les dynamiques politiques et électorales qui ont marqué la présidence de François Hollande. L’impopularité de ce dernier a touché tous les électeurs. D’une part, les électeurs de gauche du fait d’un rejet de la part de la gauche « culturelle » et de la gauche « sociale ». D’autre part, les électeurs du centre à cause du « ras-le-bol fiscal » et d’une incapacité à redresser les comptes publics. Enfin, au sein de l’électorat de droite, le président n’a jamais bénéficié de l’état de grâce.

Dans toutes les démocraties occidentales, il y a un décalage entre les demandes des électeurs et les marges de manœuvre des gouvernants et cela alimente la contestation des élites en place. Contrairement aux conceptions élitistes de la démocratie, qui se méfient des électeurs, il est possible de défendre une vision optimiste du rôle du citoyen. Toutefois, les responsables politiques rechignent à évoluer et, quand il y a changement, cela déçoit souvent les citoyens (démocratie participative ponctuelle et/ou localisée).

Cet essai présente les résultats d’une enquête par sondage académique qui a été réalisée pour la première fois, en 2015, après des élections régionales. Menée par Sciences Po Partis avec le soutien du Service d’information du gouvernement et de la Fondation Jean-Jaurès, cette enquête a été administrée par TNS-Sofres.

Dynamiques d’opinion et thèmes à l’agenda

Selon Vincent Tiberj, les attentats de janvier et novembre 2015 ont eu un effet sur les opinions. La poussée des actes islamophobes et les résultats élevés du FN sont une forme de réaction. Toutefois, selon un baromètre annuel de la CNCDH, les Français sont devenus plus tolérants de 2014 à janvier 2016. C’est le traitement politique des événements qui est le facteur le plus déterminant de la tolérance et, par exemple, les manifestations du 11 janvier ont permis une « sortie par en haut ».

Ensuite, l’organisation de la COP21 a joué un rôle limité. Selon Simon Persico, cela devait permettre de faire de la protection de l’environnement un thème majeur de la campagne électorale. Cependant, un constat s’impose : d’une part, le parti écologiste est en difficulté (défection de nombreux responsables, perte de près de la moitié des adhérents) ; d’autre part, le mouvement social est très actif (le succès des AMAP, etc.). EELV doit renforcer la visibilité des problématiques écologistes dans le débat public, mais cela fut difficile en 2015 du fait des attentats.

De plus, la persistance de la défiance est analysée par Emiliano Grossman. Selon lui, la France est engagée dans une dynamique de « déception répétée ». Les candidats font des promesses ambitieuses, et les espoirs sont vite déçus. Cependant, la droite classique ne profite pas vraiment de l’impopularité du gouvernement. Les deux partis semblent sanctionnés de manière similaire par les électeurs. Seul le FN semble bénéficier de la logique de sanction.

Enfin, il y a une poursuite timide de la féminisation de la compétition politique. L’objectif d’Anja Durovic est de vérifier si les femmes et les hommes se distinguent encore dans leur rapport à la politique. Selon elle, les femmes n’ont pas construit leur rapport à la politique de la même façon, ou bien les événements qui les ont marquées n’ont pas produit la même appétence politique. Il reste des différences.

Les électorats partisans en 2015

La participation est étudiée par Florent Gougou sous l’angle d’un abstentionnisme différentiel. En effet, pour expliquer l’effondrement de la gauche depuis 2012, on peut soit envisager un transfert d’électeurs (schématiquement, de la gauche vers la droite) ou une démobilisation des électeurs de gauche. Finalement, l’abstention est davantage expliquée par le poids des inégalités sociales et politiques.

Le même auteur a analysé les électeurs de gauche. L’objectif est de comprendre pourquoi une majorité des électeurs votant pour la gauche continue à préférer le Parti socialiste à ses alternatives à gauche. L’auteur montre que les électeurs du PS ne sont pas différents sociologiquement des autres électeurs de gauche. Cependant, ils ont une appréciation très positive du fonctionnement de la démocratie en France et ce sont les électeurs de gauche les plus libéraux. Il y a donc des différences dans cet électorat qui expliquent le maintien du PS.

C’est Nicolas Sauger qui a ensuite analysé les électeurs de droite. L’auteur insiste sur les évolutions profondes de cette famille politique. Le cœur de l’électorat de droite se retrouve autour de positions favorables au marché sur le plan économique, avec une appréciation modérée de la redistribution et des réserves sur la question migratoire. Cependant, les plus fidèles à la droite de gouvernement se trouvent chez les plus conservateurs. Pour mobiliser, il faut concilier des demandes apparemment opposées.

Enfin, les électeurs du Front national ont été étudiés par Nonna Mayer. Selon elle, il y a un vrai ancrage à droite malgré une progression chez les « ninistes », soit les personnes qui se classent au centre ou refusent de se situer. Aussi, la précarité sociale et la réticence des femmes à voter pour les droites radicales ont aussi un rôle important.

Les logiques de vote en 2015

Cette partie commence par l’analyse d’Isabelle Guinaudeau sur le poids de la compétence attribuée aux partis pour traiter les enjeux de politiques publiques. Nombreux sont les électeurs français qui déplorent le manque de compétence des élites politiques. Le FN ne sort du lot sur aucun sujet. Malgré son score élevé, il ne semble pas être parvenu à ce jour à s’établir comme un parti de gouvernement crédible.

Ensuite, il y a la question de la place de l’État. Adrien Degeorges définit la confiance dans l’État comme la perception essentielle des citoyens que la fonction étatique fournit les moyens d’agir de manière souveraine pour le bien commun, indépendamment de tout intérêt particulier. Cette question est majeure car, si l’immigration joue un rôle dans la compétition PS/FN aux européennes, c’est avant tout le rapport à l’État qui conditionne cette bataille.

Le poids de la morale traditionnelle a été l’objet du travail de Léa Morabito et de Manon Réguer-Petit. Selon les auteures, l’abrogation de la loi Taubira reste au cœur des revendications du mouvement même s’il s’est saisi de nouveaux enjeux. Le poids de l’opposition à l’« adoption pour tous » reste important car les individus qui s’opposent totalement à l’adoption homoparentale ont quatre fois plus de chance de voter à l’extrême droite qu’à gauche. Le positionnement politique est lié aux opinions concernant l’adoption homoparentale.

Joël Gombin propose l’analyse de la problématique de la « France périphérique ». S’il y a bien des comportements électoraux différenciés, on peut observer un rééquilibrage et, surtout, les écarts s’expliquent davantage par la composition socioprofessionnelle des territoires plutôt que par un « esprit des lieux ». L’idée d’un clivage entre une France des métropoles et une France des périphéries s’avère empiriquement fragile et analytiquement discutable.

La dernière étude est menée par Raul Magni Berton sur la place du Front national dans le système politique. Les élections régionales ont démontré que, lorsqu’il s’agit d’exprimer des préférences positives, le FN bénéficie désormais d’un nombre de voix qui lui permet d’être dans les deux premiers partis. Toutefois, au moment de donner des préférences négatives (désigner le parti le plus détesté), le FN perd quasi systématiquement contre n’importe quel adversaire. Aussi, le rejet du « système » qui caractérise l’électorat du FN s’affaiblit au fur et à mesure que leur parti préféré bénéficie dudit système.

La situation politique à la veille des élections de 2017

Cette dernière partie fait le point sur les perceptions du fonctionnement de la démocratie par les citoyens (Camille Bedock), sur le poids de la dynamique d’intégration européenne (Céline Belot), sur les effets du renouvellement des générations (Vincent Tiberj) et sur les nouvelles structures de la compétition électorale qui se dessinent suite à la percée du Front national (Pierre Martin).

Camille Bedock propose d’aller au-delà des habituelles incantations sur la « crise de la démocratie » pour la confronter avec la réalité des perceptions des citoyens. Il semble que les maux perçus de la démocratie française par les citoyens résident avant tout dans l’incapacité perçue à produire des politiques justes et dans une politique produisant de réelles alternatives, plus encore que dans la critique des procédures institutionnelles existantes.

Céline Belot analyse un sentiment ambigu : près de deux tiers des Français reconnaissent fin 2015 que la France a bénéficié de son appartenance à l’Union européenne, mais seule une faible majorité considère que c’est une bonne chose que la France fasse partie de celle-ci. De nombreux Français ont peur que la construction européenne ne soit responsable d’une augmentation du nombre d’immigrés, de la perte de l’identité nationale, d’une diminution de la protection sociale et d’une hausse du chômage. Cette ambiguïté se nourrit de la difficulté à trouver un sens aux processus en cours et d’une forme de fatalisme sur les questions européennes comme sur les autres thèmes de politiques publiques.

Vincent Tiberj rappelle, quant à lui, qu’il n’existe pas une jeunesse mais des jeunesses. Surtout, il souligne qu’il faut rejeter la lecture par la jeunesse (temporaire) et étudier le changement porté par le renouvellement générationnel. Une nouvelle culture politique est en train d’émerger dans laquelle la « participation dirigée par les élites » est en train de disparaître au profit d’une participation plus autonome et distante. Ces électeurs sont moins sensibles à la notion de « devoir civique » et sont de plus en plus des votants intermittents.

Enfin, selon Pierre Martin, il y a bien un nouveau paysage politique en France, mais il est trop tôt pour affirmer qu’il y a un nouvel ordre électoral. Depuis les européennes de mai 2014, une nouvelle configuration partisane semble s’être installée autour de trois forces politiques (PS-DVG, LR-UDI, FN) avec un premier tour qui devient le tour décisif. Un système partisan tripartite semble émerger, mais des éléments de fragilité apparaissent.

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