La crise sanitaire en France : les droits des femmes mis à l’épreuve

Plus de deux ans après la pandémie de Covid-19, tous les indicateurs ont mis en lumière combien les conséquences sur les droits des femmes ont été multiples en France. Si les pouvoirs publics ont pris des mesures, la réponse à la crise n’a pas toujours été adaptée ou à la hauteur face à l’urgence des besoins des femmes, comme le pointe dans cette note, en partenariat avec la Fondation Friedrich-Ebert, Amandine Clavaud, directrice de l’Observatoire Égalité femmes-hommes de la Fondation Jean-Jaurès et autrice de Droits des femmes: le grand recul ? À l’épreuve de la crise sanitaire en Europe.

Rappel des confinements et des restrictions successives

La France a connu trois confinements successifs à l’image des autres pays européens en 2020 et en 2021. Le premier confinement, décrété par le président de la République, Emmanuel Macron, du 17 mars au 11 mai, impliquait l’interdiction de tout déplacement sans attestation au-delà d’un kilomètre, l’ouverture uniquement des commerces dits essentiels (alimentaire et premières nécessités), la fermeture des restaurants, bars et lieux culturels, et la fermeture des écoles, collèges, lycées et universités qui ont été rouvertes le 22 juin, peu de temps avant les vacances d’été.

À l’automne, la deuxième vague faisant son apparition, un couvre-feu a été annoncé le 17 octobre et fixé à 21h – ce qui n’était que les prémisses du deuxième confinement. Celui-ci a débuté le 29 octobre et s’est achevé le 15 décembre avec les mêmes règles que le premier, à la différence que les écoles, collèges, lycées et universités sont restés ouverts, mais avec une organisation mixant jauges, présentiel et distanciel pour le niveau supérieur.

La France a ensuite vécu sous couvre-feu de janvier à juin 2021 : d’abord fixé à 20h jusqu’au 16 janvier, il est passé à 18h jusqu’au 20 mars pour ensuite être avancé à 19h jusqu’au 19 mai, puis 21h jusqu’au 9 juin et enfin 23h jusqu’au 20 juin, date du déconfinement. Cette période de couvre-feu a, en effet, été assortie d’un troisième confinement hybride du 3 avril au 3 mai avec l’impossibilité de se déplacer entre les régions, la fusion des vacances scolaires de toutes les zones et une semaine de classe en distanciel.

Toutes ces mesures comprenaient la restriction des déplacements entre les départements et/ou régions, l’obligation du télétravail pour les métiers qui s’y prêtaient, la fermeture et réouverture des commerces en fonction de l’évolution de la situation sanitaire, la mise en place de jauges en fonction des lieux. Elles sont allées de pair avec la campagne vaccinale et la mise en place du passe vaccinal puis sanitaire. Mais quels ont été les effets de la pandémie et l’ensemble de ces mesures hétérogènes, pour en freiner l’étendue, sur les droits des femmes ?

Une augmentation sans précédent des violences conjugales et intrafamiliales

Dès l’annonce des confinements au niveau international, les signalements pour violences conjugales et intrafamiliales ont augmenté de manière exponentielle au point que le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a parlé de « pandémie de l’ombre ». La veille du premier confinement en mars 2020, la secrétaire d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations d’alors, Marlène Schiappa, publiait un communiqué expliquant que « la période de crise que nous connaissons et le confinement à domicile peuvent hélas générer un terreau propice aux violences conjugales »1Communiqué de presse, secrétariat d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, 16 mars 2020., rappelant que « l’éviction du conjoint violent doit être la règle ».

Au début du confinement, la ligne d’écoute nationale, anonyme et gratuite, le 3919, gérée par la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), réseau de 73 associations en charge de l’aide aux femmes victimes de violences conjugales vers les relais locaux et les centres d’hébergement d’urgence, a fait face à une « baisse drastique du volume d’appels des femmes », comme le révélait un communiqué conjoint de la secrétaire d’État Marlène Schiappa et de son homologue italienne, Elena Bonetti. Et pour cause, comment appeler à l’aide en étant à huis clos avec son agresseur ?

Néanmoins, très vite, la FNSF et l’ensemble des acteurs associatifs sur le terrain ont vu l’augmentation sans précédent du nombre d’appels sur le numéro national d’écoute et de demandes de prise en charge, alors même que cela leur demandait une réorganisation interne en raison de la limitation des déplacements, des gestes barrières qu’il fallait respecter pour le personnel concerné2À noter, la France ne disposait pas de masques durant les premiers mois de la crise sanitaire., mais aussi parfois d’une baisse des effectifs, certains ayant été touchés par le coronavirus ou parce qu’étant à risque. La FNSF rappelait dans un communiqué que « [le] central d’appels […] a été transféré vers des téléphones portables » pour être opérationnel du lundi au samedi de 9h à 19h3Communiqué de presse, Fédération nationale Solidarité Femmes, 22 mars 2020..

La tendance à la hausse des violences est sans équivoque : fin mars 2020, au niveau de la préfecture de police de Paris, une hausse de 36% des signalements pour violences conjugales a été constatée en une semaine ; en zone gendarmerie, elle a été de 32%. Et au niveau national, les chiffres du ministère de l’Intérieur en attestent : la plateforme gouvernementale arretonslesviolences.gouv.fr a enregistré une augmentation des signalements de 40% au premier confinement et de 60% au deuxième sur l’année 2020. Au niveau du 3919, la FNSF a traité 164 957 appels, soit une augmentation de plus de 70% des appels en 2020 par rapport à 20194« Observatoire des violences conjugales 2021 : Extrait de l’analyse globale des données issues des appels au 3919-Violences Femmes Info. Année 2020 », Fédération nationale Solidarité Femmes, novembre 2021, p. 2.. Le nombre d’appels pour violences conjugales a ainsi progressé de près de 20%5Ibid., p. 2.. Et qui dit violences conjugales dit – malheureusement – violences intrafamiliales. Quatre femmes victimes de violences conjugales sur cinq ont au moins un enfant (83%) : près de 20 000 enfants auraient été concernés par ces violences6Ibid., p. 6.. Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) indique qu’il y a eu 9% de plaintes en plus pour violences intrafamiliales – ce qui s’inscrit là aussi dans une tendance à la hausse depuis 2018 (+10%) et 2019 (+14%)7Insécurité et délinquance en 2020 : bilan statistique, Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, 29 avril 2021..

Face à cette situation dramatique, les pouvoirs publics ont dû adapter les méthodes de signalement habituellement utilisées pour contourner l’emprise des conjoints violents. Plusieurs dispositifs ont été mis en place pour permettre aux femmes victimes de violences conjugales d’alerter les forces de l’ordre, que ce soit dans les pharmacies via un code d’alerte (en demandant un « masque 19 ») pour que le/la professionnel·le donne l’alerte8« Confinement : les violences conjugales en hausse, un dispositif d’alerte mis en place dans les pharmacies »Le Monde avec Reuters, 27 mars 2020., dans les centres commerciaux à travers des points d’accompagnement9Christine Mateus, « Violences conjugales : Marlène Schiappa annonce des points d’accueil dans les centres commerciaux »Le Parisien, 28 mars 2020. ou par SMS au 11410Winny Claret, « Le 114, un numéro d’alerte par SMS contre les violences conjugales pendant le confinement », France Bleu, 1er avril 2020.. Ces dispositifs ont été complétés par l’ouverture de 20 000 nuitées d’hôtel et l’annonce d’un financement supplémentaire d’un million d’euros aux associations féministes. En 2021, à la suite des mesures promises lors du Grenelle des violences conjugales et compte tenu de l’urgence que la crise sanitaire avait mise en lumière et accentuée, les horaires du 3919 ont été étendus pour qu’il soit accessible en mai 24h/24 du lundi au vendredi, et de 9h à 18h le week-end puis 24h/24 et 7 jours/7 à partir d’août11Marlène Thomas, « Violences faites aux femmes : le 3919 disponible 24h/24 en semaine », Libération, 25 mai 2021..

Les confinements successifs, qui ont par conséquent exacerbé les violences sexistes et sexuelles, ont d’autant plus mis en avant les manquements existants en termes de politiques publiques posant à la fois la question de la formation des parties prenantes, celle du nombre de places d’hébergement d’urgence disponibles et celle du financement dédié par l’État à cette politique et notamment aux associations féministes qui en assurent en grande partie la prise en charge. Même si des efforts ont été déployés pour développer le nombre de places d’hébergement d’urgence permettant au parc d’atteindre 7820 places en décembre 202112Le gouvernement d’Emmanuel Macron s’est engagé à atteindre les 9000 places d’hébergement d’urgence dédiées aux femmes victimes de violences fin 2022. Voir Communiqué de presse, « Comité de suivi du Grenelle des violences conjugales du 11 janvier 2022 ». pour un budget de 83 millions d’euros, environ 4 femmes victimes de violences sur 10 ne se voient pas proposer de solution d’hébergement encore aujourd’hui, comme un rapport de la Fondation des femmes et la Fédération nationale Solidarité Femmes le déplore13Fondation des femmes et Fédération nationale Solidarité Femmes, « Où est l’argent pour l’hébergement des femmes victimes de violences ? », novembre 2021..

La hausse de la demande en termes de prise en charge et d’accompagnement de la part des femmes victimes de violences conjugales s’inscrit au-delà même des périodes de confinement, dans le sillage du mouvement #MeToo. Ainsi, l’année 2021 comptabilise une augmentation de 33% des violences sexuelles dans la continuité des hausses constatées les années précédentes. À noter, ce chiffre inclut une part importante de faits qui se sont déroulés antérieurement à l’année écoulée.

Enfin, si la France a vu le nombre de féminicides baisser en 2020, ils sont repartis à la hausse l’année suivante à la levée des restrictions, étant souvent commis au cours ou à la suite d’une séparation. En 2019, 146 féminicides ont été commis, en 2020, 102. En 2021, 122 femmes ont été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint14« Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple en 2021 », ministère de l’Intérieur, 26 août 2022.… Les défis sont donc immenses pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et le sont d’autant plus à la lumière du Covid-19, les services de prise en charge des victimes étant particulièrement mis en tension.

La santé des femmes fragilisée : entre renoncement aux soins, surexposition au virus et accès plus réduit aux droits et à la santé sexuelle et reproductive

Les confinements ont eu plusieurs effets sur la santé des femmes : tout d’abord celui de réduire le nombre de consultations dans les centres de santé, du fait de la limitation des déplacements. Les prises de rendez-vous auprès des généralistes et spécialistes ont considérablement chuté. Le renoncement aux soins déjà plus important – en dehors même de la pandémie – chez les femmes s’est d’autant plus renforcé dans ce contexte : « 64% des femmes déclarent avoir renoncé à un acte médical dont elles avaient besoin, contre 53% des hommes15Dominique Joseph et Olga Trostiansky, « Crise sanitaire et inégalités de genre », Conseil économique, social et environnemental, mars 2021.. » Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer : la fermeture de certains cabinets médicaux et centres de santé, la peur d’être contaminée, le souhait de ne pas surcharger les professionnels de santé, comme le soulignait l’avis du Conseil économique, social et environnemental de Dominique Joseph et Olga Trostiansky intitulé « Crise sanitaire et inégalités de genre » de mars 2021.

Si les hommes ont été plus touchés par le virus en termes de contamination, d’hospitalisation et de mortalité, les femmes ont néanmoins été surexposées au Covid-19 car majoritaires dans des emplois nécessitant d’être en présentiel, notamment les professions du care, c’est-à-dire celles liées au soin à la personne et à l’accompagnement. Un rapport d’EIGE révélait que les femmes représentaient 72% des cas positifs au sein des personnels de santé au niveau international en avril 202116EIGE, Gender Equality Index 2021 : Health, 28 octobre 2021, p. 124.. En France, les femmes représentent 78% de la fonction publique hospitalière dont près de 90% des infirmières et aides-soignantes, 89% dans le personnel des Ehpad17Voir les données issues de la Drees sur les professions de santé, et plus particulièrement les infirmières, ou le personnel des Ehpad.. Elles sont également nombreuses dans l’enseignement du primaire à 82%. On compte aussi entre 80 et 90% de caissières18Raphaëlle Rérolle, Marie-Béatrice Baudet, Béatrice Gurrey et Annick Cojean, « Coronavirus : dans toute la France, les caissières en première ligne »Le Monde, 22 mars 2020.. Toutes ces professions ont été particulièrement mobilisées durant la crise. 

Le Covid-19 a provoqué une réorganisation des services de santé et a contribué à rallonger les délais pour l’obtention des rendez-vous, les soignants ayant été affectés en renfort dans les unités dédiées à la lutte contre le Covid-19, ou étant eux-mêmes contaminés par le virus ou mis en quarantaine.

Les services de planification familiale n’ont pas été épargnés, la crise sanitaire ayant conduit à changer certains processus d’accueil et de soins, et cela parfois au détriment de la santé et du bien-être des femmes dans un contexte où, il faut tout de même le rappeler, la connaissance du virus était limitée au début de la pandémie. Certains hôpitaux ont refusé la présence d’accompagnants des femmes à l’accouchement19Ibid. alors même que ces dispositions vont à l’encontre des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui avait réaffirmé la nécessité pour chaque femme d’avoir le droit à un accouchement sûr, incluant la présence de la personne de son choix.

Au-delà de la prise en charge des femmes à l’accouchement, c’est l’accès à la contraception et au droit à l’avortement que la crise sanitaire a mis à l’épreuve. Dès le 15 mars 2020, sur décision du ministère de la Santé et du secrétariat d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, les femmes ont pu « avoir accès à la pilule contraceptive directement en pharmacie, sans passer par un médecin et grâce à une ancienne ordonnance » ; cela a été également été le cas pour la contraception d’urgence. Le communiqué rappelait, de plus, que les interruptions volontaires de grossesse (IVG) sont « considérées comme des interventions urgentes » dont « la continuité doit être assurée ». Les médecins de ville et les sage-femmes ont été habilités à prescrire une IVG médicamenteuse, et la téléconsultation développée pour accompagner les femmes y ayant recours. 

Très vite, les associations féministes, le Planning familial en tête, ont fait part de leur inquiétude sur l’impact que le Covid-19 pouvait avoir sur l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), la gestion des délais pour une bonne prise en charge étant cruciale. Sarah Durocher, co-présidente du Planning familial, déclarait d’ailleurs que l’association a fait face à « une augmentation du nombre d’appels sur le numéro vert du gouvernement [0 800 08 11 11] »20Entretien de Sarah Durocher, « IVG pendant le confinement : ‘une augmentation du nombre d’appels sur le numéro vert’ », Europe 1, 16 avril 2020..

La crise sanitaire et en particulier le premier confinement ont d’ailleurs relancé le débat autour du délai de recours pour l’IVG. La fermeture des frontières en raison des confinements et donc la limitation des déplacements ont empêché les femmes de se rendre dans un pays frontalier où la législation est moins restrictive pour recourir à une IVG tardive comme aux Pays-Bas ou en Espagne, le délai légal en France étant alors fixé à douze semaines. Chaque année, 3 000 et 4 000 Françaises seraient concernées21Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti, Rapport d’information sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), 16 septembre 2020.. Le 19 mars 2020, les sénatrices et sénateurs du groupe socialiste au Sénat, menés par Laurence Rossignol, ancienne ministre des Droits des femmes, ont porté un amendement pour l’allongement de deux semaines du délai légal de l’IVG et la suppression de l’exigence de la deuxième consultation pour les mineures. Cet amendement ayant été rejeté, la mobilisation de la société civile s’est néanmoins poursuivie à travers un travail de plaidoyer continu et entre autres une pétition « Covid-19 : les avortements ne peuvent attendre ! Pour une loi d’urgence ! », lancée par le « Collectif Avortement en Europe. Les femmes décident », qui regroupe plusieurs associations féministes, syndicats et partis politiques, ou encore la tribune de plus d’une centaine de professionnels de l’IVG, soutenus par des personnalités du monde politique et de la culture, qui ont appelé à des mesures d’urgence et se disaient prêts à défier la loi22Collectif, “Il faut ‘protéger les droits des femmes et maintenir l’accès à l’avortement'”Le Monde, 31 mars 2020.. En août 2020, une proposition de loi pour renforcer le droit à l’IVG en allongeant le délai à quatorze semaines et en supprimant la double clause de conscience était déposée à l’Assemblée nationale par la députée non inscrite Albane Gaillot. Rejetée au Sénat où la droite est majoritaire, elle a fait l’objet d’une obstruction à l’Assemblée nationale de la part des députés Les Républicains23Marlène Thomas, « Proposition de loi sur l’IVG : LR fait ‘de l’obstruction organisée’», Libération, 16 février 2021.. Elle a ensuite été remise à l’ordre du jour dans le cadre de la niche parlementaire et finalement adoptée le 2 mars 2022. Elle prévoit ainsi d’allonger de douze à quatorze semaines la possibilité de recourir à l’IVG, d’étendre la compétence de la pratique des IVG chirurgicales aux sages-femmes, de pérenniser l’allongement du délai de recours à une IVG médicamenteuse en ville à sept semaines, de supprimer le délai de réflexion de deux jours, d’inscrire dans le Code de la santé publique que le refus de la délivrance de contraceptifs de la part d’un pharmacien constitue un manquement à ses obligations professionnelles24Vie publique, Loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, 3 mars 2022..

Si les pouvoirs publics ont ainsi mis en œuvre des mesures pour faciliter l’accès à la contraception et le droit à l’avortement, appuyés par une forte mobilisation de la société civile, le Covid-19 a toutefois fragilisé la santé des femmes et parfois renforcé les inégalités territoriales déjà existantes en matière de santé, produisant une rupture du continuum de soins, notamment chez les plus pauvres, précaires et marginalisées (femmes et filles rurales, LBTQI, en situation de handicap, migrantes et réfugiées)25« No lockdown for sexual and reproductive health and rights, How can the EU protect sexual and reproductive health rights in times of Covid-19 ? », DSW, EPF, IPPF, 2020..

Les conséquences économiques de la crise sanitaire : les femmes en première ligne

L’arrêt quasi complet de l’économie durant les confinements a eu un effet immédiat et aura des conséquences sur le long terme sur l’emploi des femmes. Ces dernières ont été en première ligne dans la gestion de la crise du Covid-19, notamment parce qu’elles sont majoritaires au sein des professions du care : professionnelles de santé, personnel éducatif, aides à domicile, personnel de ménage, etc. Nous l’avons vu plus haut, elles sont 78% dans la fonction publique hospitalière, représentant près de 90% des infirmières et aides-soignantes, 89% dans le personnel des Ehpad26Voir les données issues de la Drees sur les professions de santé, et plus particulièrement les infirmières, ou le personnel des Ehpad ou encore 82% en école primaire, entre 80 et 90% aux postes de caissières dans les supermarchés. Jusqu’ici invisibilisées, ces professions sont enfin apparues aux yeux de la société française comme essentielles. Comme Sandra Laugier, philosophe, le soulignait, « Il y a quelque chose d’extrêmement nouveau dans le fait de prêter attention aux personnes dont on tenait pour acquis qu’elles étaient là pour servir, et dont la fonction apparaît aujourd’hui comme centrale dans le fonctionnement de nos sociétés »27Claire Legros, « Le souci de l’autre, un retour de l’éthique du ‘care’ », Le Monde, 1er mai 2020..

Pourtant, bien que la crise sanitaire ait révélé le caractère indispensable de ces métiers au bon fonctionnement de la société, ils restent encore dévalorisés socialement et d’un point de vue salarial. En 2018, l’European Datalab précisait que le salaire des infirmières et infirmiers en France était inférieur au salaire moyen en comparaison avec d’autres pays européens28David Marguerit, « Quel niveau de salaire pour les infirmi·ères hosptali·ères en Europe ? », European Datalab, 3 décembre 2020. et si l’augmentation du personnel soignant a certes été actée à l’issue du Ségur de la Santé, il n’en reste pas moins que la profession subit des pertes d’emploi conséquentes face au peu d’attrait qu’elle revêt et à l’usure que la crise sanitaire a provoquée.

L’avis du Conseil économique, social et environnemental « Crise sanitaire et inégalité de genre », porté par Dominique Joseph et Olga Trostiansky, alertait sur le sort réservé à ces métiers qui « constituent des trappes à précarité »29Dominique Joseph et Olga Trostiansky, « Crise sanitaire et inégalités de genre », avis du Cese, 24 mars 2021, p. 32. : moins bien rémunérés que d’autres professions, ils font souvent l’objet de contrat à durée déterminée, ou à temps partiel alors même qu’ils sont occupés par une proportion importante de femmes seules à la tête de leur famille.

Et la pandémie n’a fait qu’aggraver la précarité des femmes d’un point de vue économique et social. Au niveau international, le taux d’emploi des femmes a baissé de 2,5% contre 1,9% pour les hommes en Europe et en Asie centrale d’après les données de l’Organisation internationale du travail (OIT)30Organisation internationale du travail, « Bâtir un avenir plus équitable :
les droits des femmes au travail et en milieu de travail au cœur de la reprise post-Covid »
, 19 juillet 2021.
. En France, pour les femmes « qui étaient en emploi au 1er mars 2020, deux sur trois seulement continuent de travailler deux mois plus tard, contre trois hommes sur quatre », comme une étude de l’Ined le mettait en exergue31Anne Lambert, Joanie Cayouette-Remblière, Élie Guéraut, Guillaume Le Roux, Catherine Bonvalet, Violaine Girard, Laetitia Langlois, « Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de Covid-19 a changé pour les Français », Ined, juillet 2020.. Le dispositif de chômage partiel mis en place par le gouvernement permettant à l’un des parents de s’occuper des enfants lors du premier confinement révèle de plus que « c’est la mère qui s’est arrêtée de travailler à 21% contre 12,1% des pères »32La Fondation des femmes, « L’impact du Covid-19 sur l’emploi des femmes », 17 mars 2021..

La crise sanitaire a alors constitué un accélérateur des inégalités persistantes entre les femmes et les hommes dans la sphère professionnelle, réduisant encore davantage les revenus des femmes, pourtant déjà inférieurs à ceux des hommes de 28,5%, tous temps de travail confondus. 41% des femmes de moins de 65 ans ont d’ailleurs déclaré que leurs revenus avaient diminué depuis le premier confinement33Anne Lambert, Joanie Cayouette-Remblière, Elie Guéraut, Catherine Bonvalet, Violaine Girard, Guillaume Le Roux, Laetitia Langlois, Coronavirus et CONfinement : Enquête longitudinale, note de synthèse n°9, vague 11, « Logement, travail, voisinage et conditions de vie : ce que le confinement a changé pour les Français », Ined, 11 mai 2020.. L’Association pour l’emploi des cadres (Apec) confirmait aussi cette tendance, y compris auprès des catégories socio-professionnelles favorisées, dans son baromètre annuel des salaires des cadres : les hommes ont été plus augmentés que les femmes34Apec, Baromètre de la rémunération des cadres, 22 septembre 2021.. Cette perte de revenus se répercutera mécaniquement sur le long terme à travers une baisse des pensions de retraite.

À cette insécurité financière, il faut ajouter les effets négatifs du télétravail : là encore, ce sont les femmes qui en ont pâti, les conditions dans lesquelles elles l’ont exercé différant de celles des hommes. « 48% des femmes en télétravail étaient confinées avec un ou plusieurs enfants contre 37% des hommes » et « seules 25% des femmes contre 40% des hommes ont pu télétravailler dans une pièce dédiée soulignant les conditions de logement moins favorables », comme le soulignait fort justement le rapport de la Fondation des femmes sur l’impact du Covid sur l’emploi des femmes35La Fondation des femmes, « L’impact du Covid-19 sur l’emploi des femmes », 17 mars 2021, p. 25..

Dans ce contexte déjà inégalitaire, un autre élément s’est ajouté dans la besace des femmes : la gestion des tâches domestiques voire l’école à la maison, inégalement réparties au sein des couples. Cette « charge mentale »36Terme popularisé en France notamment par la dessinatrice Emma dans la bande dessinée Autre regard (Éditions Massot, 2017). s’est accrue avec le Covid-19. Un sondage réalisé par Harris Interactive en avril 2020 – durant le premier confinement donc – a confirmé cette répartition inégale au sein des couples. « La majorité des femmes considèrent y consacrer plus de temps que leur conjoint (58%) »37Harris Interactive, L’impact du confinement sur les inégalités femmes-hommes, 15 avril 2020..

Tous ces éléments – insécurité financière, poids de la charge mentale, situation sanitaire anxiogène – ont participé à la multiplication des risques psychosociaux. Dans La société fatiguée, étude réalisée par la Fondation Jean-Jaurès et la CFDT, les Français étaient interrogés pour qualifier leur état d’esprit : 26,5% des femmes de moins de 35 ans se déclaraient alors « fatiguées », soit 10 points de plus que la moyenne nationale et 12 points de plus que les hommes38Jérémie Peltier, « Fatigue de l’opinion » in La société fatiguée, Fondation Jean-Jaurès et CFDT, 26 novembre 2021, p. 21.. Cet état de fatigue traduisant un mal-être croissant chez les femmes s’est particulièrement observé à l’issue du deuxième confinement à la fin de l’année 2020 : « 58% des femmes salariées révélaient être en détresse psychologique »39Dominique Joseph et Olga Trostiansky, « Crise sanitaire et inégalités de genre », avis du Cese, 24 mars 2021, p. 14.. Cette situation de fragilité psychologique, allant jusqu’aux troubles anxieux et du sommeil ou encore à l’épuisement professionnel et la dépression, s’est retrouvée en particulier chez les femmes exerçant les métiers du care et chez les étudiantes.

Le gouvernement a commencé à se saisir de la question de la santé mentale en permettant de bénéficier de séances gratuites chez les psychologues, bien que la proposition soit décriée par la profession concernée. Il est encore trop tôt pour en mesurer l’impact puisque cela a été mis en place au début de l’année 2022. Ce qui est en revanche certain, ce sont les effets délétères d’un point de vue économique et social de la crise sanitaire sur les femmes mentionnées précédemment, et cela sur le long terme.

L’invisibilisation des femmes dans les processus de décision et dans les mesures de relance : intégrer la dimension du genre dans les politiques publiques

Alors que les femmes ont été au-devant de la scène pour faire face à la pandémie, elles ont pourtant été minoritaires dans les processus de décision pour la résolution de la crise. Sur les onze membres du Conseil scientifique mis en place par le gouvernement, seules deux femmes sont présentes – Lila Bouadma, réanimatrice, et Laëtitia Atlani-Duault, anthropologue.

À cette absence de parité, la crise sanitaire a été le théâtre de l’invisibilisation des femmes dans les médias. Le CSA précisait dans une étude que la proportion des femmes à l’antenne n’avait pas changé lors du premier confinement, étant déjà moindre que celle des hommes ; en revanche, la proportion de femmes expertes avait diminué40CSA, La représentation des femmes dans les médias audiovisuels pendant l’épidémie de Covid-19, 23 juin 2020.. L’INA complétait les conclusions : « pendant le confinement, le temps de parole des femmes a baissé à la télévision et à la radio »41Rémi Uro et David Doukhan, Pendant le confinement, le temps de parole des femmes a baissé à la télévision et à la radio, INA, 9 septembre 2020.. Cette prise de parole exclusive des hommes s’est traduite également dans leur propension à produire des articles scientifiques, à l’inverse des femmes42La Fondation des femmes, L’impact du Covid-19 sur l’emploi des femmes, 29 mars 2021, p. 17..

Et malheureusement, le plan de relance du gouvernement a été orienté principalement vers la transition écologique et numérique. Il ne mentionne pas de mesures spécifiques pour les femmes, ni même n’utilise le terme « femmes », comme le dénonçaient les associations féministes. Même si nous l’avons vu plus haut, les pouvoirs publics ont mis en place des mesures durant les confinements pour assurer la continuité des services publics et permettre aux associations de poursuivre la prise en charge des femmes dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ou en termes de santé sexuelle et reproductive, il n’en reste pas moins qu’aucune mesure en direction des femmes n’a été prise pour la résolution de la crise.

Alors que 2022 marquait la première campagne présidentielle post-#MeToo, les partis politiques ont dû se positionner sur les questions égalité femmes-hommes bien que celles-ci n’aient pas été mises à l’agenda durant les débats, comme elles auraient dû l’être. Néanmoins, notons tout de même l’unanimité des candidat·e·s des partis de gauche sur le financement de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et en particulier les féminicides, à hauteur d’un milliard d’euros, proposition portée par les associations féministes. À l’inverse, les candidat·e·s de la droite et de l’extrême droite ont abordé l’égalité femmes-hommes sous l’angle répressif, instrumentalisant les droits des femmes en faisant un lien avec la question de la sécurité et de la lutte contre l’immigration.

Pour répondre aux défis liés à la défense des droits des femmes et que la crise sanitaire a d’autant plus mis en lumière, plusieurs leviers pourraient pourtant être mobilisés :

  1. Agréger des données genrées pour comprendre les conséquences différenciées entre les femmes et les hommes de la pandémie ;
  2. Augmenter les financements dédiés aux droits des femmes à travers un ministère de plein exercice et pour les associations féministes ;
  3. Recourir à l’éga-conditionnalité43Promu par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans Pour une éga-conditionnalité systématique des financements publics (2016), ce concept renvoie au « conditionnement de l’accès aux marchés publics au respect de l’égalité femmes-hommes et à la mise en place d’action la favorisant » (p. 2)., comme le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes le recommande dans un de ses rapports, pour déployer la dimension du genre dans l’ensemble des politiques publiques ;
  4. Financer à hauteur d’un milliard d’euros la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, comme les associations féministes l’ont budgété afin d’accroître le nombre de places d’hébergement et la formation des parties prenantes ;
  5. Constitutionnaliser le droit à l’IVG et réduire la fracture territoriale existante pour l’accès à la contraception et à l’IVG en finançant davantage les services de planification familiale ;
  6. Promouvoir l’éducation complète à la sexualité à l’école et auprès du grand public ;
  7. Traduire dans les faits l’égalité salariale ;
  8. Allonger le congé paternité et réformer le congé parental ;
  9. Renforcer la parité dans les exécutifs des instances de décision et dans les mandats électifs ;
  10. Défendre une diplomatie féministe pour porter les droits des femmes au niveau international.

Ainsi, le nouveau gouvernement d’Emmanuel Macron devra s’emparer de l’ensemble de ces sujets – de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, du renforcement des droits et la santé sexuelle et reproductive, de l’égalité professionnelle, de la parité en passant par la santé mentale – pour pallier les manquements que la crise sanitaire a révélés. La « grande cause du quinquennat » ne pourra pas attendre cinq ans de plus.

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