Le chancelier allemand, Olaf Scholz, avait pris l’engagement de construire 400 000 nouveaux logements par an. Malgré une réelle volonté politique, les objectifs ne sont pas atteints. Alors que la double menace de la crise climatique et de la montée de l’extrême droite prend le gouvernement Scholz en étau, Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, analyse les enjeux politiques de ce dossier majeur pour la coalition au pouvoir à Berlin.
Le chancelier allemand, Olaf Scholz, avait pris l’engagement de construire 400 000 nouveaux logements par an. Cette promesse électorale a été suivie d’un premier effet d’annonce de la part du nouveau gouvernement, avec la création d’un ministère du Bâtiment. La nomination à sa tête de Klara Gleywitz, une membre éminente du SPD et une proche du chancelier, visait à souligner l’importance accordée à ce nouveau chantier politique.
La réalité derrière la promesse électorale
Cependant, la promesse électorale initiale est encore bien loin de se concrétiser. Selon l’institut IFO, seuls 245 000 nouveaux logements seront achevés en 2023. Les prévisions pour les années à venir ne sont guère plus encourageantes, avec seulement 210 000 logements prévus en 2024 et encore moins en 2025, avec seulement 175 000 nouveaux logements prévus. En somme, un déficit de plus de 700 000 logements se profile.
Plusieurs facteurs expliquent cette décélération. L’inflation et la hausse des taux d’intérêt pèsent d’abord lourdement sur le financement des projets. De plus, les coûts de construction de nouveaux logements explosent en raison de normes d’efficacité énergétique de plus en plus exigeantes. Les spécificités du fédéralisme allemand entraînent également des disparités, avec des taux de taxe foncière variant de 2,5% à 6% d’un Land à l’autre, ce qui impacte significativement le coût global de la construction. De même, chaque État fédéral possède son propre cadre législatif en matière de construction, avec des délais et des procédures d’approbation différents, ce qui complique la mise en place d’une dynamique nationale de construction sérieuse, standardisée et moins bureaucratique.
S’ajoute à cela le goût des consommateurs pour des logements de plus grande taille qu’auparavant. Il ne faut ainsi pas négliger la pénurie de terrains constructibles, ni même le manque de travailleurs qualifiés dans le secteur de la construction. La crise du logement ne se limite pas aux grandes villes comme Berlin, Cologne ou Munich : elle se manifeste également par la croissance du déficit en logements sociaux, l’incapacité des jeunes familles à accéder à la propriété et la difficulté pour les jeunes de trouver des appartements à des prix abordables.
Le défi politique du logement
Ce défi en matière de logement a des conséquences politiques significatives. L’accès à un logement abordable pour tous et la possibilité réaliste pour la classe moyenne de devenir propriétaire de sa résidence sont deux promesses qui constituent des piliers essentiels de tout gouvernement social-démocrate. Le chancelier se trouve donc actuellement sous une pression considérable et a convoqué un « sommet du logement » le 25 septembre 2023.
À l’issue de cette réunion avec les acteurs du secteur, le chancelier et sa ministre du Bâtiment ont annoncé un plan d’urgence visant à redresser le secteur immobilier. Ce plan comprend notamment des incitations à l’investissement, avec des avantages fiscaux pour la construction de logements, une accélération des procédures d’approbation et de nouvelles réglementations visant à faciliter la construction en série.
De plus, et en dépit de l’opposition des Verts au sein du gouvernement, les normes énergétiques strictes prévues pour les nouveaux bâtiments devront être suspendues. Au niveau européen, le gouvernement s’engage à renégocier la réglementation sur la rénovation obligatoire des bâtiments résidentiels individuels, en vue d’une prolongation de cette obligation sur une période plus longue. Pour soutenir davantage les familles, des prêts à la construction à faible taux d’intérêt seront proposés, avec un seuil d’accès réduit.
En outre, plus de 18 milliards d’euros de fonds fédéraux seront alloués aux logements sociaux d’ici 2027, et une enveloppe budgétaire de 500 millions d’euros sera consacrée à la transformation prioritaire des bureaux et des bâtiments commerciaux en logements.
Les conséquences politiques pour les sociaux-démocrates
Cependant, le redressement du secteur du logement s’annonce complexe, et une solution immédiate n’est pas en vue. Outre l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et la bureaucratie croissante, les prix élevés des matières premières, conséquence de la guerre d’agression russe en Ukraine, viennent également compliquer la donne.
Bien que le gouvernement actuel ne soit pas responsable de la crise actuelle du logement, il porte la responsabilité de mettre en œuvre des changements politiques nécessaires. Le logement est un secteur clé de la politique sociale, et l’échec de l’orientation actuelle risquerait d’entraîner une hausse rapide des loyers, pénalisant particulièrement les locataires aux revenus modestes.
Les réactions aux initiatives du gouvernement fédéral sont mitigées. L’industrie du bâtiment y voit une prise de conscience de l’ampleur de la crise et un virage vers une politique plus réaliste. Cependant, les syndicats et les associations sociales critiquent vivement l’ensemble des mesures, en particulier en ce qui concerne la protection accrue des locataires. Ainsi, les propositions gouvernementales ne semblent pas à même d’apporter d’impulsion significative à la construction de logements sociaux, et aucune disposition contraignante en faveur de l’organisation non lucrative du logement n’est prévue.
Les syndicats allemands réclament des investissements publics dans la construction de logements et avertissent que le gouvernement risque de contrecarrer ses propres efforts en faveur du logement abordable, comme l’a souligné Stefan Körzell de la Fédération allemande des syndicats DGB. Par conséquent, les associations environnementales sont déçues par les assouplissements des normes écologiques. Toutefois, le ministre de l’Économie, Robert Habeck (Les Verts), soutient publiquement ces assouplissements pour les nouvelles constructions.
Le chancelier et les membres du parti social-démocrate allemand n’ont d’autre choix que d’espérer que les propositions visant à réformer le secteur du logement apportent un changement significatif et contribuent à améliorer la situation alarmante dans ce domaine. Un échec de la politique du logement entraînerait rapidement une hausse démesurée des loyers, aggravant ainsi la situation des locataires à revenus modestes. Cela pourrait constituer une nouvelle opportunité pour l’extrême droite, notamment le parti AfD, de renforcer son influence au sein de cette population.