Incertitudes, ou comment définir l’élection présidentielle 2017

Depuis plusieurs semaines, les commentaires et instituts de sondage ne cessent de souligner la faiblesse des taux de participation à la prochaine élection présidentielle. A-t-on raison de pronostiquer une participation très faible en avril prochain ? Cette élection est-elle réellement une exception historique, de par son taux d’incertitude, de volatilité, et de désintérêt des électeurs ? L’analyse de Chloé Morin pour l’Observatoire de l’opinion de la Fondation.

En 2013, Peter Mair dépeignait dans son dernier ouvrage une démocratie « malade », se vidant peu à peu de sa dimension populaire. Ruling the void (« régner sur le vide ») décrivait avec précision, chiffres et comparaisons historiques à l’appui, tous les ingrédients que nous retrouvons dans la campagne présidentielle actuelle. Des ingrédients qui avaient déjà marqué la campagne pour le Brexit au Royaume-Uni, ainsi que celle qui a porté Donald Trump au pouvoir outre-Atlantique. 

Jamais les craintes de Peter Mair n’ont semblé si justifiées : l’avènement de « démocraties sans demos« , sous l’effet d’un double retrait du peuple et des élites supposées le représenter dans des sphères de plus en plus étanches et éloignées l’une de l’autre. Les faits sont là : depuis plusieurs semaines, les commentaires ne cessent de souligner la faiblesse des taux de participation enregistrés par les différents instituts, la volatilité extrême des intentions de vote (par exemple, Benoît Hamon a perdu au moins 5 à 6 points durant le mois qui a suivi sa victoire à la primaire de la Belle Alliance populaire), et des taux de certitude de choix – notamment pour Emmanuel Macron, mais aussi pour Benoît Hamon – laissant entrevoir la possibilité d’évolutions majeures d’ici au premier tour de la présidentielle. 

Sur fond de désaffiliation partisane croissante (tant en France qu’en Europe) et de défiance vis-à-vis de tout ce qui appartient de près ou de loin aux « élites politiques », la présidentielle française fait, depuis toujours, figure d’exception. 81,4% de participation en 2012, 85,3% en 2007… la participation y est toujours très forte, à l’exception de 2002, où seulement 72,8% des Français s’étaient mobilisés. Aurait-on, pour autant, raison de pronostiquer une participation très faible en avril prochain? Cette élection est-elle réellement une exception historique, de par son taux d’incertitude, de volatilité, et de désintérêt des électeurs ?

Le 24 février dernier, l’Ifop écrivait : « Le niveau de mobilisation en cette fin de semaine (60,5% le 23 février) se maintient largement en dessous du niveau des taux de participation observés lors des précédentes élections présidentielles ». L’institut enregistre même une baisse de 2,5 points de l’intention de participer à l’élection au cours du mois de février, tendance qu’Ipsos souligne également. Notons, par ailleurs, que plus de 80% des Français trouvent la campagne « de mauvaise qualité » (selon des chiffres d’OpinionWay, 24 février 2017). 

Soulignons, également, que l’offre électorale s’est stabilisée extrêmement tard. Avec le ralliement de François Bayrou à Emmanuel Macron, on peut désormais considérer que, sauf surprise et malgré les déboires judiciaires du candidat Les Républicains et de la candidate du Front national, l’offre électorale est désormais connue. Il est également vrai qu’à ce stade, selon les données recueillies par Ipsos pour le Cevipof, seulement 49,7% des gens qui se disent sûrs d’aller voter au premier tour sont par ailleurs certains de leur choix de candidat. Et pour le moment, le candidat favori pour accéder au second tour face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron, bénéficie d’une certitude de choix de ses électeurs étonnamment faible (entre un tiers et la moitié de ses électeurs se disent certains de leur choix).{{49,7|%|de ceux qui se disent sûrs d’aller voter au premier tour sont certains de leur choix de candidat}}

Toutefois, il convient de faire appel à quelques antécédents historiques pour relativiser ces tendances. Tout d’abord, à ce stade, rappelons que la faiblesse des taux de participation déclarés n’est pas aussi exceptionnelle que certains pourraient le croire. À la même période en 2012, OpinionWay enregistrait environ 67% d’intention d’aller voter, contre 63% aujourd’hui – un écart réel, mais relativement faible. L’intention d’aller voter n’avait alors augmenté fortement qu’au cours du mois d’avril, soit quelques jours à peine avant le premier tour. Et encore, elle était à la veille du premier tour encore un peu en dessous de la réalité des urnes (à 78% chez OpinionWay).

Par ailleurs, historiquement, on constate que le faible taux de sureté du choix mesuré dans cette campagne pour certains candidats n’est pas tout à fait inédit. On souligne ainsi souvent que le candidat d’En Marche! bénéficie d’un taux assez faible d’électeurs se déclarant sûrs de voter pour lui (entre 45% et 49% chez l’Ifop ces derniers jours, et à peine plus d’un électeur sur trois chez OpinionWay). Mais ce chiffre peut être relativisé pour trois raisons :{{63|%|des Français ont l’intention d’aller voter aux présidentielles}} 

– D’abord, le candidat socialiste, lui aussi, a des taux de sûreté de choix relativement faibles (49% chez Ifop, 39% chez OpinionWay) ;

– Ensuite, on note qu’historiquement, les candidats centraux (parce que favoris donc attrape-tout, comme François Hollande en 2012, ou parce que centristes, donc attirant tant des électeurs venus de la droite que de la gauche, comme François Bayrou en 2007) ont toujours affiché plus d’indécis que des candidats arrimés à un créneau plus identifié (Marine Le Pen, par exemple, et ses 79% qui se disent certains de leur choix chez l’Ifop, ou 71% chez OpinionWay). On peut à ce titre comparer les 34% d’Emmanuel Macron aujourd’hui (OpinionWay) aux 40% que recueillait François Bayrou en 2007 à la même période. Cela n’a pas forcément d’impact sur le score final du candidat en question, et ne présage pas forcément une désertion massive de ses électeurs à l’approche du scrutin : ainsi, en 2007, François Bayrou a réalisé un score inédit, alors même qu’il a maintenu un score de « certains de voter pour lui » relativement faible (moins de 60%, contre plus de 75% pour les autres grands candidats dans les tout derniers jours avant le premier tour), et qu’il subissait la concurrence de deux candidats « forts » à gauche et à droite.

Notons que les 39% d’électeurs de Benoît Hamon sûrs de leur choix sont à comparer aux 74% qui, en 2007, se déclaraient certains de voter Ségolène Royal en 2007. Si l’on cherchait un phénomène exceptionnel, c’est sans doute de ce côté-ci de l’électorat qu’il faudrait se pencher.{{39|%|des électeurs de Benoît Hamon sont sûrs de leur choix}}

– Enfin, ce n’est pas parce qu’un électeur se déclare aujourd’hui sûr de son choix qu’il ne va pas pour autant changer d’avis dans les semaines, voire les jours qui viennent. De tels revirements ne sont pas marginaux : en 2012, l’enquête Présidoscopie réalisée par Ipsos avait mis en lumière ces mouvements souterrains, nombreux mais insoupçonnés, de « changeurs ». 45% des électeurs se déclarant sûrs de voter pour tel ou tel candidat avaient en réalité changé de choix entre janvier et avril 2012. C’est certes moins que ceux qui se déclaraient incertains de leur choix (75% ont changé de candidat sur la même période), mais cela reste une proportion suffisamment importante pour relativiser l’importance accordée à la « certitude de choix » déclarée au temps T. 

Pour conclure, les indicateurs ne rendent pas compte à ce stade d’une réelle appétence pour le débat politique, et tout – le fond des débats, les incertitudes sur les candidatures comme sur les programmes – paraît conforter les pires craintes quant à la participation réelle au scrutin d’avril et mai prochains. Les Français peinent à se saisir de cette offre électorale, et manifestent à ce stade indifférence, frustration, voire colère. 

Pourtant, les indicateurs utilisés (intention de voter, certitude de choix, jugements sur la campagne) sont à relativiser – non seulement pour leur valeur intrinsèque, mais aussi par comparaison avec les précédents scrutins présidentiels. 

Gardons à l’esprit que même s’ils en déplorent la piètre qualité, les deux tiers des électeurs disent s’intéresser à la campagne. C’est surtout le sentiment que les hommes politiques actuels ne sont pas à la hauteur des choix à faire qui ressort des conversations des Français, et non pas la défiance envers le vote. Il y a donc fort à parier que dans la dernière ligne droite, et malgré tout ce qu’ils peuvent penser des candidats, les Français iront voter en masse, pour ne pas laisser à d’autres le soin de déterminer le destin du pays pour les cinq ans qui viennent.

 

À l’occasion de cette élection présidentielle « hors norme », la Fondation Jean-Jaurès s’associe au Huffington Post pour apporter son éclairage sur la campagne électorale : rapport de forces, thèmes et enjeux structurants, opinion des Français. La Fondation mobilise un certain nombre de chercheurs et de personnalités pour fournir des analyses jusqu’au scrutin, et après.

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