Immersion dans la France confinée : épisode 4

La Fondation a lancé depuis le début du confinement avec Le Point et l’Ifop un dispositif inédit pour suivre un groupe de trente Français – hommes et femmes, âgés de 20 à 75 ans, répartis sur l’ensemble du territoire national – dans leur vie quotidienne, les faire réagir à l’actualité et à l’évolution de la pandémie, et voir comment ils s’organisent dans les multiples aspects de leur vie. Jérôme Fourquet et Marie Gariazzo livrent ici le quatrième épisode de ce journal de confinement.

« Ce soleil magnifique, c’est une vraie torture »

Ces derniers jours, les températures montent. Elles sont au-dessus des moyennes saisonnières, pour reprendre les termes consacrés, avec des valeurs dignes d’un mois de juillet. On pourrait voir là un nouveau signe inquiétant du dérèglement climatique mais cela ne fait pas débat. Ce n’est pas le sujet du moment. Dans la France confinée d’avril 2020, le soleil frappe en même temps qu’il accentue les inégalités. Il y a d’un côté tous les « chanceux », avec balcon, terrasse ou jardin, profitant pleinement de ces rayons printaniers qui mettent « du baume au cœur » et « apaisent les tensions ». Les shorts, tee-shirts voire maillots de bain sont de sortie. Les barbecues crépitent. Il y a « comme une odeur de vacances », commente Khaled, un Roubaisien de 42 ans. Paradoxe de ces temps inédits, ceux qui bénéficient d’un espace extérieur n’ont parfois « jamais passé autant de temps dehors ». Le soleil leur offre une parenthèse, un vague sentiment de légèreté, comme s’il mettait à distance la menace, comme s’il atténuait pour un instant leur peur. Le tableau n’est évidemment pas le même dans les appartements confinés où les fenêtres donnent directement sur la rue. « Il y avait un soleil magnifique aujourd’hui, c’est une vraie torture », confie Nicolas, un Parisien de 23 ans. La ballade quotidienne est alors souvent très attendue, programmée, réfléchie… quand elle n’est pas répétée plusieurs fois dans la journée. De leurs fenêtres d’ailleurs, ils sont nombreux à voir plus de monde dans les rues, plus de gens « qui ne respectent pas les bonnes distances », qui se « retrouvent entre amis ». Beaucoup crient à l’irresponsabilité, redoutent une spirale sans fin mais certains ne veulent pas juger. Ils savent que d’autres drames peuvent se jouer derrière les portes closes, quand l’espace manque et que l’enfermement dure. Car si l’expérience est collective, elle se révèle au fil des jours plus diverse que jamais.

« Nous sommes en pause dans une bulle plus ou moins douillette »

Une autre forme de relâchement, psychologique cette fois, s’observe à travers certains témoignages recueillis. La peur, omniprésente, envahissante au début du confinement, ne s’exprime plus avec la même vivacité selon les situations. Dans certains foyers, elle semble s’être atténuée… Le fait de résider dans une région peu touchée, de ne pas être obligé de sortir pour travailler ou d’avoir des nouvelles rassurantes de tous ses proches permet en quelque sorte de la mettre à distance. Dans le flot d’informations quotidiennes, les lueurs d’espoir retiennent d’ailleurs davantage l’attention que le décompte effrayant des morts du Covid-19. Le pic n’est pas encore là, tout le monde le sait, mais on veut croire aux effets du confinement. « Les nouvelles de la situation sanitaire sont parsemées de lueurs d’espoir, les chiffres commencent à légèrement diminuer », commente Maryvonne, âgée de 70 ans, qui vit à Théhillac en Bretagne. C’est aussi une manière de se convaincre de l’efficacité des efforts fournis, de donner un sens à nos vies confinées. Car, si la peur s’atténue, c’est bien parce que l’on vit cloîtré, avec la sensation de maîtriser les risques auxquels on s’expose (en appliquant pour « l’essentiel » les règles du confinement)… paroxysme du repli sur sa « bulle », son « abri » !

La peur demeure, en revanche, très présente pour ceux qui s’exposent quotidiennement de par leur travail. Elle est tonitruante chez ceux dont les proches sont touchés, redoutant avec angoisse une aggravation de la maladie, la dureté d’un éventuel deuil impossible à faire, ou quand des symptômes apparaissent un matin… avant le plus souvent de disparaître au cours de la journée.

Cependant, quelles que soient les situations, le temps semble à l’arrêt, comme l’illustrent les propos de Coralie, 35 ans, habitante de Saint-Clément-de-Rivière : « Nous sommes hors du temps, en attente de la suite, en pause dans une bulle plus ou moins douillette. » Car s’il est quelque chose que tous partagent, c’est cette incapacité à se projeter à moyen ou long terme. Et, si le Premier ministre a lui-même parlé de déconfinement, beaucoup jugent ces propos prématurés, venant brouiller la lecture des efforts demandés aujourd’hui, donnant de « faux espoirs », suscitant de nouvelles craintes. « On attend cela avec impatience mais avec beaucoup d’appréhension aussi », commente Arnaud, 38 ans, qui vit en Seine-Saint-Denis. « Je pense qu’on aura la joie du déconfinement mais aussi la peur, la crainte de retrouver, de s’embrasser, se toucher… Ainsi que tout ce qui découle de la reprise du travail, la remise en route de l’économie… Je pense qu’on appréhende tous un peu le déconfinement », ajoute Gaëlle, secrétaire médicale à Chamonix. Tout le monde anticipe un retour très lent à la normale. « Au début j’imaginais qu’un jour on nous dirait, ça y est, c’est fini et que ce serait la folie, il y aurait de grandes fêtes, de la musique, tout le monde sur les Champs-Élysées comme après une Coupe du monde mais je pense que ça va être bien différent, un retour à la normale progressif. Et, un jour on se dira, tiens ça y est on en parle plus de ce virus », indique Anne, 49 ans, qui vit dans le Val-de-Marne. Cette anticipation d’un retour lent à la normale relève presque du souhait, tant la France ne semble pas prête à affronter cette nouvelle étape, sans masque pour toute sa population, proposant un tracking dont les modalités en inquiètent plus d’un, peu confiants qu’ils sont dans l’utilisation qui peut en être faite par l’État ou par d’éventuels hackers. Tous redoutent une deuxième vague de l’épidémie, surtout que beaucoup de confinés ne seront pas immunisés. « Notre isolement empêche notre système immunitaire de développer les anticorps au coronavirus, autrement dit, s’il y a une deuxième vague du virus ou s’il devient saisonnier, nous les confinés serons les premiers à trinquer ! Ça pose beaucoup de questions », nous dit Catherine, retraitée à Saint-Jean-de-Luz.

« La récession économique sera terrible »

Au-delà d’un éventuel rebond de la pandémie et des modalités techniques du déconfinement, l’économie inquiète fortement. Les chiffres annoncés donnent le vertige, même si beaucoup ont du mal à se les approprier. Le montant des aides accordées par l’État frappe par son ampleur. On se réjouit que des fonds soient enfin trouvés pour la santé et la recherche, « c’est un génial pied de nez à toutes les politiques qui sabrent les services publics depuis de trop nombreuses années », commente Laurent, un trentenaire lyonnais. Mais le montant de l’addition pour l’ensemble de l’économie laisse entrevoir un inévitable accroissement des impôts, quand viendra la délicate question du remboursement. « Il semble pleuvoir de l’argent sur tout le monde en ce moment sauf sur mon compte en banque. J’espère que mon banquier sera indulgent », ironise Arnaud. Tous ne se projettent cependant pas avec la même inquiétude dans le temps d’après. Si certains sont relativement sereins, parmi les salariés du public ou chez les actifs du privé qui continuent de percevoir l’intégralité de leurs salaires, les étudiants s’inquiètent pour leur avenir, « nouvelle génération sacrifiée sur le marché de l’emploi ». Les retraités, quant à eux, craignent pour le montant de leurs pensions ; les personnes au chômage partiel, plus nombreuses chaque semaine, redoutent de perdre leur emploi, quand ceux pour lesquels l’activité s’est totalement arrêtée revoient déjà à la baisse toutes leurs dépenses. « Ça y est, je n’ai plus d’argent… Donc je baisse les courses, je cherche des trucs à vendre pour le post confinement », annonce Arnaud, intermittent du spectacle qui redoute l’annulation du festival d’Avignon. « La cascade négative que va engendrer la récession économique sera beaucoup moins visible et rapide que la pandémie mais sera tout aussi mortelle », poursuit-il. Même si tout cela semble encore assez irréel, plusieurs entrevoient une crise sociale sans précédent, accompagnée d’une montée de la violence : « la période Mad Max arrive », prévient Régis, 59 ans, qui vit à Berre l’Etang. Les propos recueillis sur la France d’après n’ont plus tout à fait la même tonalité teintée d’espérance des débuts du confinement, quand certains se prenaient à rêver d’un monde nouveau, davantage connecté à la nature, ayant pleinement pris conscience de ses erreurs. « Tout n’est pas perdu, rien n’est écrit, nous pouvons changer », se rassure Sabrina, 36 ans, archéologue à Troyes. Certains continuent de penser que les choses seront différentes, que nous ferons plus attention à notre santé, à nos « anciens » et peut-être aussi à notre planète. Mais, dans l’ensemble, beaucoup doutent, « un avant et un après, j’aimerais tellement y croire mais est-ce possible ? ». Anaïs, étudiante de 22 ans, qui vit à Grigny, a peur que certaines personnes oublient vite ce qui se passe : « je pense qu’aussitôt le déconfinement déclaré, beaucoup d’habitudes reprendront. Le collectif laissera place à l’individualisme », ajoute-t-elle. Car si la crise est inédite, extraordinaire à tout point de vue, certains se remémorent un autre choc, celui des attentats, qui paraît à l’aune aujourd’hui étrangement lointain. « Je ne crois pas que la société française va changer tant que ça. Il suffit de regarder à chaque fois qu’on a eu de gros attentats, il y a eu une réaction immédiate des Français et six mois après plus rien, on a tout oublié », souligne Marc, qui vit à Châteauneuf-les-Martigues. Mais qui sait, « on racontera peut-être ça dans vingt ans avec des silences en fin de phrase pour impressionner les nouveaux adultes », s’interroge Arnaud.

« Et, la France dans tout ça ? »

Où en est-on de la « guerre » menée par le président contre le virus ? Difficile à dire. Est-il approprié de parler de guerre quand les armes continuent de faire défaut ? « Notre président semble s’en faire une idée assez étrange, car il a envoyé ses troupes au front sans armes, sans protections », commente Laurence, Strasbourgeoise de 51 ans. Si l’on reconnaît qu’il a fallu marquer les esprits, le terme en dérange certains. Se pose-t-on d’ailleurs la question de la bonne terminologie ou de l’erreur de communication, quand la guerre frappe pour de vrai ? Et, pourtant, cette crise bouleverse les équilibres mondiaux. Le décompte journalier des morts partout dans le monde, les « records » enregistrés dans certains pays revêtent parfois des allures de batailles sinistres, comme si les nouveaux rapports de force se jouaient là, dans la capacité des États à faire mieux que leurs voisins face à l’épidémie. Beaucoup se demandent si l’Europe survivra à cela, les États se regardant « en chiens de faïence », attendant de voir quelle stratégie sera la plus gagnante. « Je ne sais pas si la France a fait mieux ou moins bien. Je suis déçue par l’implication tardive de l’Europe malgré les sollicitations de la France, de l’Italie… Je pense réellement que l’Europe a souffert de cette crise et perdue de sa crédibilité aux yeux du monde et des Français », déclare Sylvie, Nantaise de 56 ans.

Des mêmes auteurs

Sur le même thème