Le 12 décembre prochain, deux ans après l’adoption de l’Accord de Paris dans le cadre de la COP21, un “sommet d’étape” portant sur la lutte contre le réchauffement climatique et ses modalités de financement sera organisé. Benoît Calatayud et Maxime Durande font huit propositions pour que ce sommet atteigne son objectif de remobilisation des financeurs publics et privés en faveur du climat.
Alors que l’Accord de Paris a été adopté à l’issue de la COP21 il y a bientôt deux ans, puis est entré en vigueur le 4 novembre 2016, beaucoup reste à faire. L’urgence climatique n’a jamais été aussi forte. Les engagements des pays qui ont ratifié l’accord, soit environ 170 pays, ne sont pas encore tous bien définis. En outre, les États-unis, deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre, ont fait part de leur volonté de quitter l’accord, alors qu’ils constituent un important financeur de la lutte contre le réchauffement climatique.
Le 12 décembre prochain, deux ans jour pour jour après l’adoption de l’Accord de Paris au Bourget, se tiendra un “sommet d’étape” portant sur la lutte contre le réchauffement climatique et ses modalités de financement, à l’initiative d’Emmanuel Macron. Ce sommet est organisé par la France, l’ONU et la Banque mondiale, auxquelles s’ajoutent une série de partenaires tels que l’OCDE, la Commission européenne, les villes du C40, le groupement d’entreprises “We Mean Business” et le réseau d’ONG Climate Action Network.
Ayant vocation à compléter les événements institutionnels internationaux comme les COP, ce sommet vise avant tout à relancer la mobilisation des acteurs (États, collectivités, ONG, entreprises) concernant les financements publics et privés en faveur du climat. Il est en effet crucial d’assurer le financement d’une économie décarbonée, notamment en assurant des transferts entre le Nord et le Sud à travers par exemple le Fonds vert pour le climat, ou en donnant un prix suffisamment incitatif au carbone.
L’objectif général de ce sommet est de « redonner un sens à la finance » en la reconnectant avec des projets « utiles aux citoyens ». Il s’agit en particulier de relancer la mobilisation qui risquerait de s’essouffler au lendemain de la COP23, dont le bilan peine à être lisible par le plus grand nombre des citoyens faute d’une impulsion politique plus forte.
Dans le contexte de la volonté de retrait des États-Unis de l’Accord de Paris et de tensions entre les pays du Nord et les pays du Sud s’agissant du climat, comment ce sommet peut-il atteindre son objectif ?
Une mobilisation qui pourrait s’essouffler
Alors que la COP23 vient de se terminer, le réchauffement climatique est plus préoccupant que jamais et nécessite une forte mobilisation des acteurs. En 2017, les émissions de CO2 liées aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), responsables de l’essentiel du réchauffement, sont reparties à la hausse, après trois ans de stabilité. À plus long terme, alors que l’Accord de Paris fixe un objectif d’augmentation de 1,5 degré en moyenne de la température mondiale, nous sommes aujourd’hui sur une trajectoire au-dessus de 3 degrés.
À l’automne 2018, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) remettra un rapport sur les modalités d’atteinte de cet objectif qui est fortement défendu par les pays les plus vulnérables. Par ailleurs, les pays du Sud invoquent leur propre « droit au développement », en regard des émissions passées imputables à la croissance économique des pays du Nord fondée sur les révolutions industrielles successives.
Toutefois, la COP23 a permis d’obtenir des avancées. Les États ont prévu d’engager une démarche collective, en faisant un bilan commun de leurs émissions de gaz à effet de serre avant fin 2018, en vue de renforcer les engagements pris lors de la COP21 qui sont à des stades insuffisants pour atteindre l’objectif de 2°C, et si possible 1,5°C.
Les modalités du financement de la lutte contre le réchauffement climatique, en particulier du Fonds vert pour le climat s’agissant du financement pour les pays moins développés, ont vu leur finalisation reportée à la COP24 prévue en décembre 2018 à Katowice (Pologne). Cette situation tend à exacerber les tensions entre pays du Nord et les pays du Sud, qui dénoncent le manque de visibilité sur les financements pour le climat, et notamment les modalités d’atteinte de l’engagement du transfert depuis les pays industrialisés de 100 milliards de dollars par an en 2020. L’année 2018 devrait être décisive compte tenu du travail à mener entre les États en amont de la COP.
En outre, la valeur donnée au CO2, qui serait susceptible d’être un instrument de transfert financier en complément de son rôle principal d’incitation à réduire les émissions, n’est aujourd’hui pas suffisamment élevée, ni même introduite dans tous les pays et sur un périmètre suffisamment large de secteurs d’activité.
Promouvoir un cadre pour diriger les financements vers des investissements « verts »
Les efforts en matière de financement sont aujourd’hui insuffisants pour parvenir aux engagements de l’Accord de Paris. Le sommet du 12 décembre 2017 devra en conséquence contribuer à fixer les modalités de financement d’une économie décarbonée.
À titre d’exemple, le financement climatique vers les pays émergents, énoncé en référence à l’objectif de 100 milliards de dollars par an en 2020, se répartit aujourd’hui de la façon suivante :
- environ deux tiers des financements sont publics, dans des cadres multilatéraux (par exemple les banques multilatérales de développement) ou bilatérales (par exemple pour la France, l’action de l’Agence française de développement) ;
- ces financements publics permettent de créer un effet de levier vis-à-vis d’investisseurs privés, qui participent à hauteur d’un tiers environ au financement climatique.
Ces 100 milliards par an constituent toutefois une petite part de l’ensemble des financements nécessaires pour réaliser une transition climatique au niveau mondial et nous placer collectivement sur une trajectoire d’émissions compatible avec l’Accord de Paris (selon les estimations, l’ordre de grandeur évoqué à ce titre est en milliers de milliards de dollars).
S’agissant des financements publics, le sommet devra être l’occasion de mettre en œuvre les actions des collectivités et des métropoles qui, en parallèle des États, prennent une part active à la mobilisation en faveur d’une économie décarbonée. Les initiatives locales de ces acteurs, telles que l’efficacité énergétique, le développement des réseaux intelligents, des transports propres et des véhicules électriques, les énergies renouvelables, ou la gestion améliorée des déchets, peuvent contribuer à l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. À ce titre, les réalisations du réseau de métropoles C40, dont Anne Hidalgo a pris la tête il y a un an, sont à souligner. Lors de la COP23, 25 villes pionnières, représentant 150 millions de citoyens, se sont engagées à développer et à mettre en œuvre des plans d’action climatiques plus ambitieux avant la fin de 2020 pour atteindre un objectif de neutralité climatique d’ici 2050.
S’agissant des financements privés, le sommet devra mettre en avant les actions des entreprises proactives dans la lutte contre le changement climatique, par exemple la fixation d’un prix du carbone interne dans leurs décisions d’investissement ou des engagements à mettre en œuvre une chaîne de valeur n’encourageant pas la déforestation (mesure évoquée dans le plan climat de la France). En établissant un prix interne au carbone, les entreprises intègrent dans leurs stratégies d’investissement la prise en compte des externalités négatives qui impactent l’environnement et le climat. Dans ces conditions, leurs investissements se dirigent vers des équipements permettant de réduire leur consommation d’énergie et leur empreinte environnementale.
De manière générale, il convient d’inciter les acteurs à financer à long terme des investissements bas carbone afin d’éviter d’éventuels coûts échoués. Une des conditions nécessaires est d’assurer un cadre réglementaire stable afin de garantir aux entreprises une vision de long terme. C’est le rôle, crucial, des États.
Par exemple au niveau européen, le prix du marché des quotas d’émission auquel sont exposés les secteurs de l’industrie et de l’énergie est à son plus haut depuis un an (de l’ordre de 8 €/t) mais reste encore très faible par rapport aux objectifs d’une économie décarbonée. La réforme de ce marché pour la phase 4 (2021-2030), sur laquelle les États membres et le Parlement européen sont tombés d’accord en novembre dernier, donne une perspective de hausse du prix à moyen terme, qui reste à consolider dans les faits.
Au niveau français, l’instauration d’une composante carbone dans la taxation des énergies fossiles est un progrès important. Le taux de la contribution carbone a été fixé à 7 €/t en 2014, 14,5 € en 2015, 22 € en 2016 et 30,5 € en 2017. L’article premier de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit l’objectif de 39 € en 2018, 47,50 € en 2019, 56 € en 2020 et 100 € en 2030.
Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit, en cohérence avec le plan climat présenté par Nicolas Hulot à l’été, une accélération de cette trajectoire avec une valeur du carbone fixée à 44,60 € en 2018, 55 € en 2019, 65,40 € en 2020, 75,80 € en 2021 et 86,20 € en 2022.
Ces exemples doivent inspirer des initiatives à l’échelle européenne et internationale. Dans leurs contributions déterminées au niveau national, environ 80 parties à l’Accord de Paris indiquent avoir l’intention d’introduire des mesures de tarification du carbone pour atteindre leurs objectifs, mais la part des émissions mondiales couvertes par un instrument de tarification à ce jour n’est que de 15%.
Un deuxième enjeu du sommet est la mise en place d’un écosystème permettant un partage des expériences des acteurs, publics et privés, des mesures à prendre en faveur du financement de la lutte contre le réchauffement climatique. Les échanges de bonnes pratiques, trop peu développés aujourd’hui, sont en effet un élément clé de la réussite des objectifs climatiques.
Enfin, un troisième enjeu est de préparer les prochaines échéances, en particulier le « sommet de l’action climatique mondiale » qui réunira à San Francisco en septembre 2018 collectivités – dont les villes –, chercheurs, sociétés civiles et entreprises.
Difficultés et opportunités
Les États-Unis, deuxième plus gros pays émetteur derrière la Chine, ont annoncé vouloir se retirer de l’Accord de Paris (retrait en pratique impossible avant 2020). Cela porte un coup au financement en faveur du climat. En effet, les États-Unis sont des contributeurs importants au GIEC et au Fonds vert pour le climat (pour lequel les États-Unis sont les premiers contributeurs). En outre, cette volonté de retrait fait apparaître un manque de leadership au niveau mondial. Le couple franco-allemand peut ainsi se saisir de l’opportunité d’occuper la place laissée par les États-Unis. Toutefois, l’Allemagne devra traiter le sujet du recours au charbon. Enfin, l’émergence d’une économie décarbonée pourrait pénaliser les pays producteurs d’énergies fossiles.
Toutefois, des initiatives, qui peuvent être vues comme des opportunités, apparaissent dans ce contexte :
- le collectif de villes, d’États fédérés et d’entreprises américains du groupement « We are sill in » indique être la « troisième puissance économique mondiale » et a été très mobilité à la COP23; il a proposé les premiers jalons d’une démarche ambitieuse (« America’s pledge ») pour combler le vide laissé par l’État fédéral en termes de lutte contre les changements climatiques ;
- malgré les postures de négociation habituelles, les parties de l’Accord de Paris ont trouvé un consensus sur les modalités du dialogue facilitateur (« Talanoa », en référence à la coutume de discussion très participative et interactive du Pacifique Sud et en particulier aux Fidji, présidence de la COP23) qui doit permettre d’accélérer les objectifs climatiques des parties à l’Accord pour combler l’écart entre la trajectoire actuelle des émissions et les trajectoires compatibles avec l’objectif des 2°C.
Huit propositions pour que le sommet atteigne son objectif
Plusieurs initiatives pourraient être décidées lors de ce sommet pour atteindre son objectif de remobilisation des financeurs publics et privés en faveur du climat :
- La création d’une coopération renforcée entre les pays développés, par exemple au sein de l’Union européenne. Il s’agit de créer un groupe « de tête » qui créerait un effet d’entraînement pour les autres États ;
- Un financement plus efficace de l’adaptation des pays les plus pauvres aux changements climatiques en actant des engagements chiffrés en faveur de ces pays ;
- La mise en place d’instruments financiers publics capables d’avoir un effet de levier plus important sur les fonds privés, par exemple en levant les contraintes pesant sur la dette des banques en différenciant les investissements en fonction de leur impact sur le climat ;
- La mise en place d’un prix du carbone réellement incitatif tout en prévoyant des mesures visant à compenser les populations les plus vulnérables ;
- La certification par la puissance publique du prix du carbone défini par les entreprises ;
- La promotion des initiatives locales (collectivités et villes), comme le financement participatif dans les énergies renouvelables ;
- La précision des modalités du plan climat en France qui sont aujourd’hui peu définies ;
- Permettre aux acteurs privés de financer la lutte contre le réchauffement climatique (exemple du Fonds vert pour le climat, auquel le président Obama – il s’agissait d’une de ses dernières grandes interventions politiques – avait promis de contribuer à hauteur de 3 milliards de dollars, mais que les États-Unis n’abonderont qu’à hauteur de 1 milliard de dollars).