Histoire (intellectuelle) de l’initiative populaire et de la législation directe en France

Six ans après le mouvement des « gilets jaunes », que reste-t-il des revendications pour plus de démocratie directe ? Laurence Morel, professeure de science politique à l’université de Lille1Également chercheuse au Centre d’études et de recherches administratives politiques et sociales (Ceraps) et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)., et Gil Delannoi, professeur de théorie politique à Sciences Po Paris2Également directeur de recherche au Cevipof., se sont penchés sur l’histoire de la législation directe en France et montrent combien le rapport que la classe politique a entretenu à son égard est ambivalent depuis la Révolution.

L’histoire française de la législation directe est surtout une histoire intellectuelle. Célèbre, parfois tristement, pour le référendum « d’en haut », révolutionnaire, bonapartiste puis gaulliste, la France s’est toujours montrée très réticente à l’introduction et à la pratique du référendum « d’en bas », initié par le peuple, bien qu’elle ait été la première à le théoriser. Le paradoxe français est d’ailleurs que le mouvement révolutionnaire, puis le courant socialiste, dont la réflexion sur la législation populaire a contribué au développement de la démocratie directe à l’étranger, en commençant par la Suisse, qui sera à la fin du XIXe siècle un modèle pour les populistes américains3Laurence Morel, La question du référendum, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p. 80., se sont avérés impuissants à faire la même chose dans leur propre pays.

On ne fera pas ici une histoire comparée de la genèse des institutions de démocratie directe. Mais il est fort probable qu’en Suisse et aux États-Unis, la tradition ancienne des Landsgemeinden et des town meetings4Les Landsgemeinden et les town meetings étaient des assemblées locales de citoyens qui se réunissaient périodiquement pour décider des principales questions., totalement absente dans la France monarchique et centralisée, ait constitué un terrain favorable. Il faut sans doute aussi chercher du côté d’une résistance plus forte et plus diffuse de la gauche révolutionnaire française à l’égard de la législation populaire. Alors que chez nos voisins suisses ou dans les États américains, les partis de gauche ou se revendiquant de défense du peuple ont réclamé et obtenu l’initiative populaire ou la révocation populaire5L’initiative populaire est un procédé permettant d’organiser un référendum populaire sur une question à la demande d’une minorité de citoyens. De même, la révocation populaire permet, à l’initiative d’un nombre requis de signatures de citoyens, d’organiser un vote pour envoyer un élu., en France, ces procédés ont toujours été très controversés, même chez les partisans les plus acharnés de la souveraineté populaire, dont beaucoup considéraient en définitive que le peuple était dangereux et manipulable, et furent renforcés dans cette conviction après la Révolution par les épisodes plébiscitaires bonapartistes. Il en résultera, dans le chemin tracé par Emmanuel-Joseph Sieyès, en dehors de l’exception de la Constitution inappliquée de 1793, le choix du régime représentatif pur, auquel finiront par se rallier après le Second Empire les républicains de gauche, jusque-là plus enclins à la défense de la législation directe. Relégués dans l’opposition au régime, les socialistes brandiront plus longtemps le flambeau de la démocratie directe, avant de se détourner de cet objectif à la fin du XIXe siècle avec les premiers succès électoraux et conformément à la nouvelle orientation du mouvement socialiste européen. Cette perte d’intérêt pour la législation directe des socialistes signera sa fin politique en France pour au moins un siècle. La question de l’initiative populaire ne réapparaîtra que dans les années 1990 dans des projets de réforme de la Constitution, puis pour répondre à une demande de plus en plus insistante de la société civile, qui culminera fin 2018 avec le mouvement des « gilets jaunes ». Entretemps, en 2008, une forme très édulcorée d’initiative partiellement populaire, le référendum d’initiative partagée, était effectivement introduite dans la Constitution de la Ve République. À bien des égards, ce procédé sui generis, qui n’a encore jamais conduit les Français aux urnes étant donné les nombreux obstacles qui entravent sa tenue, donne l’impression d’une classe politique qui n’a pas beaucoup changé depuis la Révolution. Déjà, la Constitution de 1793 avait introduit une forme de référendum à l’initiative du peuple dont la mise en œuvre promettait d’être difficile.

Le texte qui suit vise à reconstituer le rapport ambivalent de la classe politique française, et en particulier de la gauche, à la démocratie directe. Il  se déroulera en plusieurs parties qui aborderont successivement les différents moments de la démocratie directe en France, ayant consisté pour l’essentiel en des débats qui ont agité la vie politique : la période révolutionnaire jusqu’à la Constitution de 1793, durant la brève Seconde République et les années 1890 dans les milieux républicains de gauche et socialistes, et, enfin,  si l’on excepte le débat purement théorique de l’entre-deux guerres, sous la Ve République à partir des années 1990 jusqu’au mouvement des « gilets jaunes ».

Le moment révolutionnaire de la législation directe

La question de l’influence du peuple sur la législation est un enjeu majeur des débats constitutionnels révolutionnaires, comme elle l’a été aussi dans les États indépendants américains quelques années plus tôt. Deux conceptions concurrentes du régime représentatif, sur lesquelles planent les ombres de Montesquieu et de Rousseau, s’affrontent. La première reconnaît au peuple le droit d’élire ses représentants, mais non à interférer dans leur activité. C’est la position de Sieyès sous la Constituante. La seconde conçoit au contraire l’influence populaire sur la législation comme la raison d’être de la représentation et se montre plus ouverte à la législation directe, ainsi qu’au mandat impératif6Le mandat impératif désigne l’obligation pour l’élu de mettre en œuvre les préférences de ses électeurs. Il est contraire au principe d’indépendance des élus, retenu dans la plupart des constitutions modernes. ou à la révocation populaire7Ces deux conceptions étaient déjà bien illustrées dans le débat entre fédéralistes et anti-fédéralistes quelques années plus tôt aux États-Unis.. Pour autant, les positions étaient loin d’être toujours tranchées ou parfaitement cohérentes. Même Sieyès ne parvenait pas à aller jusqu’au bout de sa logique et à revendiquer une totale indépendance des représentants, tandis que Robespierre, qui se réclamait de Rousseau, refusait les projets de Constitution inspirés de son mentor et s’opposa à la tenue d’un référendum sur le sort de Louis XVI.

En pratique, c’est la peur du peuple qui l’emportera. La rédaction de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) marque la première défaite des Rousseauistes : les versions de cet article affirmant la nécessité d’un concours personnel de chaque citoyen à la formation de la loi furent repoussées au profit du texte de Talleyrand, qui met les représentants sur le même pied que les citoyens (« La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation »). La seconde défaite des Rousseauistes fut leur échec à introduire la législation populaire dans la Constitution de 1791. Et ils ne parviendront à imposer le référendum ni pour l’approbation de cette Constitution ni dans le processus de révision.

1792, année de la transformation de la France en république, semble marquer la revanche des démocrates. Lors de sa séance d’ouverture, le 21 septembre 1792, la Convention, première assemblée élue au suffrage universel (masculin) direct, vote un décret citant Condorcet selon lequel « il ne peut y avoir de Constitution que celle approuvée par le peuple8On se réfère ici au pamphlet de Condorcet, Sur la nécessité de faire ratifier la Constitution par les citoyens. ». L’année 1793, tragique, mais très créative sur le plan des institutions, est un moment de reformulation et d’élargissement des principes de 1789. Le travail de préparation de la Constitution pour la nouvelle république est collectif, réunissant factions et clubs, les Girondins autour de Condorcet et les Montagnards parmi lesquels Robespierre est de plus en plus influent. Ces deux camps rivaux seront tour à tour décapités, anéantis : d’abord les Girondins en juin 1793, qui emportent avec eux leur projet de Constitution, ensuite les Montagnards après l’arrestation et l’exécution de Robespierre le 27 juillet 1794. Le meilleur symbole peut-être de cette période violente et utopique est le calendrier républicain substitué en octobre 1793 au calendrier grégorien, qui entend produire un effet de table rase temporelle (Napoléon y mettra un arrêt officiel en 1805). Voilà pourquoi la Constitution montagnarde du 24 juin 1793 est née « Constitution du 6 messidor de l’An I ».

C’est donc par un référendum sans précédent historique que cette Constitution, souvent tenue pour la plus démocratique rédigée en France, fut approuvée lors d’un vote populaire national, voulu démocratique, mais public, sous surveillance. Les chiffres sont significatifs : 73,3% d’abstention, 99,3% de « oui » et 0,7% de « non »9Maurice Duverger, Le système politique français, Paris, PUF, 1990, p. 245.. Et des trois principales formes de référendum évoquées dans les travaux préparatoires, qui jetaient les bases de la théorie moderne des référendums – à savoir le référendum constitutionnel (pour réformer la Constitution), abrogatif (pour rejeter des lois) et d’initiative populaire (pour permettre aux citoyens de proposer des lois) –, deux subsistent dans le texte final. L’initiative populaire, qui était présente dans plusieurs projets, dont le plus célèbre, celui de Condorcet (1743-1794), n’est pas retenue.

La réputation de philosophe et de scientifique de Condorcet faisait de lui l’ultime incarnation politique de la philosophie des Lumières. La Convention avait créé un « comité de Constitution » de neuf membres, dirigé par lui. Le député le plus radical était Danton. Tous les « amis de la liberté et de l’égalité » en France et dans le monde étaient invités à soumettre leurs projets à ce comité. Plus de 300 projets étaient arrivés, présentés par des représentants du peuple ou de simples citoyens. Cependant, le comité de Constitution ne retint, pour l’essentiel, que le projet de 402 articles présenté par Condorcet.

Les Montagnards s’opposèrent : ils jugeaient le projet girondin trop fédéraliste, trop peu ambitieux sur l’extension des droits naturels, trop favorable à un exécutif collégial composé de sept ministres élus pour deux ans au suffrage universel en dehors des membres de l’assemblée. Le comité « Condorcet » fut remplacé le 4 avril 1793 et les événements tournèrent rapidement en défaveur de ses amis. Les « sans-culottes » du peuple parisien précipitèrent les choses. Profitant des manifestations et pétitions contre l’inertie de l’assemblée, les Montagnards prirent définitivement l’ascendant le 2 juin 1793. Trente députés girondins furent arrêtés, d’autres durent fuir. 

Pour autant, ce ne fut pas l’échec de Condorcet sur le plan constitutionnel. La Constitution montagnarde de l’An I altère son projet, mais elle en conserve toutes les grandes lignes. Condorcet et Robespierre recherchaient tous deux des procédures limitant la médiation politique, inspirés sur ce point par Rousseau. Entre eux, le plus grand objet de discorde était la hiérarchie des principes : la révolution par la vertu des citoyens pour Robespierre, l’émancipation démocratique du peuple pour Condorcet. Robespierre l’a ici emporté : la nouvelle Constitution proclame le droit à l’insurrection ; elle rejette le droit à l’initiative populaire des lois. Elle n’en est pas moins un compromis. Plus centralisatrice que le projet girondin, elle demeure structurée par les idées de Condorcet. La citoyenneté est élargie, bien que n’allant pas jusqu’au suffrage universel masculin à 21 ans, domestiques inclus, comme le voulait Condorcet. Les étrangers résidents ont des droits importants. Le peu de moyens accordés à l’exécutif exprime néanmoins une méfiance à son égard plus forte que dans le projet de Condorcet. Composé de 24 membres nommés par le corps législatif, il est renouvelé par moitié à chaque législature.

Enfin et surtout, dans le projet de Condorcet comme dans le texte final de la Constitution, le lieu capital du dispositif institutionnel est l’« assemblée primaire » (ou cantonale). Les assemblées primaires sont les assemblées politiques des communes françaises regroupées en cantons. Un canton réunit plusieurs villages ou petites villes ; les grandes villes sont, par contre, divisées en plusieurs cantons – à ne pas confondre avec les circonscriptions législatives de 39 000 à 41 000 personnes qui élisent les députés. Ceux-ci toutefois ont d’abord été désignés comme candidats par les assemblées primaires, qui forment le point de départ du processus électoral de représentation nationale. Dans le projet de Condorcet, ces assemblées de 400 à 900 à citoyens proposent des lois, ayant droit d’initiative, ou se prononcent sur les lois, ayant droit de censure. Le droit d’initiative populaire des lois n’est en revanche pas retenu. Il prévoyait que tout projet de loi devait être soumis à l’assemblée primaire si 50 citoyens avaient signé une pétition. Seul le référendum-veto subsiste dans la Constitution de 1793.

Constitution de 179310Voir Constitution du 24 juin 1793 sur le site du Conseil constitutionnel.

Il s’agit bel et bien d’une utilisation routinière du référendum-veto qui est prévue, puisque le peuple, au travers des assemblées primaires, plus petites que dans le projet girondin (200 à 600 citoyens), est systématiquement sollicité pour examiner ce qui n’est pas encore une loi, mais un projet de loi approuvé par le corps législatif. Pour autant, on notera que seules les lois étaient envoyées aux assemblées primaires, et non les décrets, qui étaient loin de constituer un domaine résiduel. Par ailleurs, le nombre de signatures nécessaires pour initier un référendum de censure était très élevé. On peut se demander si le dispositif aurait pu fonctionner ou si ses auteurs souhaitaient vraiment qu’il le puisse.

Pour autant, l’initiative populaire n’était pas totalement absente. Elle était prévue en matière de révision constitutionnelle. Mais seulement pour proposer  de convoquer une Convention et non pour proposer des révisions :

Il reste, on le sait, que ce texte hardi ne fut jamais appliqué. Sous prétexte de situation de guerre et de menace contre-révolutionnaire, la Constitution fut immédiatement suspendue. Le Comité de salut public régna à la place de la loi. Renouvelé par la Convention chaque mois, il était composé de députés censés contrôler l’exécutif et qui, de fait, gouvernaient avec un pouvoir quasi absolu. Il multipliera les arrestations menant à la condamnation des membres du Conseil exécutif. Le décret du 10 octobre traduit l’esprit ambiant : « Le gouvernement est révolutionnaire jusqu’au rétablissement de la paix ». Mais la paix rétablie, les Montagnards seront emportés. Les Thermidoriens voteront une nouvelle Constitution, dite « de l’An III », clairement tournée simultanément contre la démocratie radicale du texte de 1793 et contre la dictature révolutionnaire qui s’était imposée en pratique. De la législation directe, elle ne gardera que le référendum constitutionnel obligatoire.

Cette première apparition d’un projet d’intiative populaire et d’une Constitution incluant la pratique régulière du référendum apparaît, avec le recul, à la fois grandiose et un peu dérisoire. Les projets, les principes, les procédures étaient explorés comme s’ils concernaient l’avenir du monde. La population n’était préparée ni par la pratique, ni par l’éducation, ni par un esprit de compromis, à de telles avancées démocratiques. Mais on soulignera l’incontestable créativité institutionnelle manifestée lors de ces événements qui dépassent l’histoire de France. La Suisse mettra plusieurs décennies à introduire les trois formes de référendum théorisées par les révolutionnaires français. Inappliquée, peut-être inapplicable, la Constitution de 1793 reviendra sur la scène politique à titre de référence lors des révolutions de 1830, de 1848 et pendant la Commune de Paris en 1870, et sera encore au XXe siècle un mythe pour une partie de la gauche française11Pour aller plus loin : Serge Aberdam, « Les sources révolutionnaires du référendum d’initiative citoyenne », Société des études robespierristes, décembre 2018 ; Jean-Numa Ducange, La Révolution française et l’histoire du monde : deux siècles de débats historiques et politiques, 1815-1991, Paris, Armand Colin, 2014 ; Anne-Cécile Mercier, « Le référendum d’initiative populaire : un trait méconnu du génie de Condorcet », Revue française de droit constitutionnel, vol. 3, n°55, 2003, pp. 483-512..

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Le moment socialiste du gouvernement direct : la Seconde République

Il faut attendre la Seconde République pour voir resurgir avec force la question de la législation directe. Le régime bonapartiste ne conçoit la souveraineté populaire que comme approbation du chef et la monarchie, qui restreint fortement le suffrage, lui est franchement hostile. Les utopies communautaires des précurseurs du communisme ou du socialisme des années successives à la Révolution de 1830 se conjuguent mal avec une vision institutionnelle. Le socialisme phalanstérien d’un Fourier imagine des micro-sociétés harmonieuses en quelque sorte dénuées de gouvernement, tandis que les néo-babouvistes réélaborent dans le contexte de la monarchie de Juillet une doctrine de prise de contrôle du pouvoir d’État préalable à l’instauration de ce que leur mentor, le révolutionnaire Babeuf, appelait « la démocratie pure ». Cette doctrine présente des différences avec les aspirations babouviennes, restituées trente ans plus tard par Philippe Buonarroti12Philippe Buonarroti, Conspiration pour l’Égalité dite de Babeuf, édition critique établie par Jean-Marc Schiappa (dir.), Jean-Numa Ducange, Alain Maillard et Stéphanie Roza, Paris, Éditions La ville brûle, 2014., qui faisaient une large place à la démocratie directe. Celle-ci est prévue à l’échelle communale ou cantonale, au sein des ateliers comme dans l’espace politique local, mais les principes de délégation et de démocratie représentative sont maintenus pour former une assemblée nationale et sur le plan international, un « congrès humanitaire13Alain Maillard, La communauté des Égaux. Le communisme néo-babouviste dans la France des années 1840, Paris, Kimé, 1999, p. 107-113. ». Le rejet de la démocratie directe est quant à lui explicite chez Blanqui, pour qui le gouvernement direct est « aussi impossible qu’un voyage à la lune ». Manipulable et incompétent, le peuple n’a rien à gagner au suffrage universel et ne s’exprime vraiment que dans l’insurrection14Voir Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée, Paris, Gallimard, coll. Folio histoire, 2000, p. 139-167..

La révolution de 1848 ouvre une nouvelle phase constituante qui aurait pu remettre à l’ordre du jour la législation directe. Il n’en fut rien, ce qui peut étonner au lendemain d’un soulèvement ayant eu pour mot d’ordre le suffrage universel : la Constitution de la Seconde République ne prévoyait aucune forme de référendum et ne fut même pas soumise au vote des Français. Une proposition pour qu’elle le soit fut repoussée à une écrasante majorité (738 voix contre 42) par l’Assemblée constituante élue en avril 1848. Dominée par les républicains modérés et les monarchistes, celle-ci était animée par la double peur de la révolution sociale, dans un contexte de forte agitation populaire, et du césarisme, de mémoire napoléonienne. Contre la première, tout le monde ou presque s’accordait sur l’importance d’institutions représentatives fortes, capables de maintenir l’ordre. Et l’on craignait d’affaiblir le Parlement en autorisant le peuple à interférer dans la législation. Contre la dérive bonapartiste des institutions (dont le Parlement aurait été la première victime), il ne fallait pas non plus que le président de la République puisse en appeler au peuple et faire un usage plébiscitaire du référendum – une tentation à laquelle il risquait d’autant plus d’être exposé qu’il serait l’élu du peuple15Le principe de l’élection populaire du chef de l’exécutif, qui s’inscrivait dans le projet d’institutions fortes, avait d’ailleurs fait l’objet d’une vive controverse, ses opposants dénonçant le danger de pouvoir personnel ou le risque que ne s’empare de cette opportunité quelque descendant héréditaire d’un régime défunt (comme ce fut effectivement le cas)..

La Révolution de 1848 s’était donc faite contre le suffrage restreint, mais non contre la représentation ou le parlementarisme. Aussi marqua-t-elle le sacre de l’élection (au suffrage universel) et le choix fut fait en faveur d’un régime représentatif pur, allant jusqu’à exclure la conquête révolutionnaire du référendum constitutionnel et prohibant explicitement à l’article 35 de la Constitution du 4 novembre 1848 tout mandat impératif.   

Pour autant, la question de la législation directe va revenir en force durant la courte Seconde République et faire l’objet, dans une série de publications des années 1850 et 1851, d’un véritable engouement chez les socialistes et républicains de gauche, qui attribuent à la confiscation de la volonté populaire par les institutions représentatives la responsabilité des promesses non tenues de la révolution.

Les plus ardents partisans de la législation directe se recrutent chez les Fouriéristes, dont le journal, La Démocratie pacifique, publie dans cette période de nombreux articles sur ce que l’on commence à appeler le « gouvernement direct ». Parmi eux se détachent Moritz Rittinghausen, un socialiste allemand éxilé en France, et Victor Considérant, qui avait participé au comité chargé d’élaborer la Constitution de 1848. Dans une série de trois articles, recueillis par la suite dans un ouvrage intitulé La législation directe par le peuple, ou la vraie démocratie16Moritz Rittinghausen, La législation directe par le peuple, ou la vraie démocratie, Paris, Librairie phalanstérienne, 1850., Rittinghausen élabore un système dans lequel le peuple, réuni par sections de mille citoyens, détient seul l’initiative des lois (sauf en matière de politique étrangère). À la demande d’une nouvelle loi ou de la modification d’une loi existante par un certain nombre de citoyens, le gouvernement se doit de convoquer toutes les sections du pays pour délibérer, d’abord sur les principes, puis sur les questions secondaires : « La loi sortira d’une manière organique des discussions mêmes. Pour amener ce résultat, le président [de la section] ouvrira d’abord le débat sur le principe, il descendra ensuite d’une manière toute naturelle aux questions subordonnées17Ibid., p. 25. ». Tandis que la rédaction de la loi reviendra au gouvernement : « Après l’arrivée de toutes les données au ministère, une commission de rédaction composera un texte de loi clair et simple, qui aura l’avantage de ne pas admettre plusieurs interprétations comme la plupart des lois préparées par nos chambres18Ibid., p. 27. ».  

Dans La solution ou le gouvernement direct du peuple19Victor Considérant, La solution ou le gouvernement direct du peuple, Paris, Librairie phalanstérienne, décembre 1850., paru un peu plus tard chez le même éditeur, Victor Considérant propose un système assez similaire, bien que moins hostile au Parlement, qui semble, du moins dans un premier temps, devoir garder un rôle d’élaboration de projets ensuite soumis au peuple. Son texte est plus original par la critique à laquelle il se livre de ce que le socialiste français nomme déjà la « dictature des partis » et semble avoir été le premier à dénoncer, accusant tout autant le Parti socialiste que les autres partis20Ibid., p. 24.

Ces modèles de gouvernement direct censés éliminer ou réduire au minimum la représentation rappellent le projet proposé par l’Anglais John Oswald au comité Condorcet pendant la Convention, ou le système constitutionnel imaginé sous le Directoire par Babeuf. Aucun ne poussait néanmoins aussi loin la marginalisation des organes représentatifs. La nouveauté, par rapport à la Révolution, est donc la défense du gouvernement direct, autrement dit l’auto-gouvernement du peuple, comme alternative radicale au gouvernement représentatif. Pour les déçus de 1848, il ne s’agit plus d’introduire des mécanismes de législation directe, mais d’abattre la représentation, ce système de « délégation » que Considérant vouait aux gémonies. Alors que l’on avait cherché sous la Révolution à concilier Rousseau et la représentation, il fallait désormais aller plus loin que Rousseau, qui avait fini par admettre l’inévitabilité de la représentation et semblait avoir opté pour une sorte de démocratie référendaire dans laquelle le peuple approuverait ou rejetterait les lois proposées par le gouvernement21Voir Jean-Marie Denquin, Référendum et plébiscite. Essai de théorie générale, Paris, LGDJ, 1976, p. 21-25. C’est aussi l’interprétation de Bernard Manin (« Rousseau », dans François Furet et Mona Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la révolution française, Paris, Flammarion, 1988, p. 878).. L’ouvrage imposant de théorie administrative de Charles Renouvier, Le gouvernement direct. Organisation communale et centrale de la République22Charles Renouvier et al., Le gouvernement direct. Organisation communale et centrale de la République, Paris, Librairie républicaine de la liberté de penser, 1851., que sa publication deux mois avant le coup d’État a condamné à l’obscurité, est l’illustration la plus achevée de ce « dépassement » de Rousseau, au nom de ce que Rosanvallon qualifie de conception du « gouvernement simple », ou « immédiat », permettant de nier l’obstacle physique à la démocratie directe et de se passer d’un schéma constitutionnel élaboré23Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 184-194..

Si la Seconde République est sans conteste le moment de la démocratie directe, certains déçus de la représentation ne vont pas aussi loin et se contentent, bien qu’ayant rallié le mot d’ordre du « gouvernement direct », de prôner un retour pur et simple à la Constitution de 1793. Telle est la ligne défendue par Ledru-Rollin, dans La Voix du proscrit, autre journal engagé alors dans la promotion de la législation directe. Republiés en 1851 sous forme de brochure, les textes de cet ancien Montagnard républicain de gauche, intitulés Du gouvernement direct du peuple et Plus de Président, plus de représentants, auront un impact à la mesure de ceux de Rittinghausen et de Considérant. Ledru-Rollin s’y attache à défendre, à l’identique de ce que prévoyait la première Constitution républicaine, la soumission automatique des projets de loi aux assemblées primaires de citoyens, habilitées à déclencher un référendum. Il manifeste par ailleurs une hostilité viscérale à l’initiative populaire, qu’il perçoit comme dangereuse, au point que, d’après Jean-Marie Denquin, il faudrait voir en Ledru-Rollin l’un des premiers représentants « d’une opposition théorique de gauche à la démocratie directe24Jean-Marie Denquin, op. cit., p. 52. ».

Cette opposition finira par l’emporter sous la IIIe République, et s’exprimera encore plus nettement chez Louis Blanc. Dans Plus de Girondins (1851), le socialiste se livre à une attaque en règle du modèle de gouvernement direct de Rittinghausen, accusé d’être totalement irréaliste et inapte à faire émerger une volonté unifiée, et fait l’éloge des procédures représentatives. Dans un registre différent, qui n’a rien d’une défense du système représentatif, il faut aussi mentionner le rejet sans appel du gouvernement direct, comme de toute forme de gouvernement, des socialistes anarchistes. Dans un texte paru en juillet 1851, Proudhon écrit : « Le gouvernement direct et la législation directe me paraissent les deux plus énormes bévues dont il ait été parlé dans les fastes de la politique et de la philosophie25Pierre-Joseph Proudhon, Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, dans Œuvres complètes de P.-J. Proudhon, nouv. éd. par C. Bouglé et H. Moysset, Paris, 1923, p. 180. Dans la section « Du principe d’autorité », Proudhon discute les thèses sur le gouvernement direct de Rittinghausen, Considérant et Ledru-Rollin. ». Bien que moins définitif, Marx, qui connaissait bien Rittinghausen, avec qui il avait fondé en 1848 La Nouvelle Gazette rhénane, exprime aussi son scepticisme vis-à-vis du gouvernement direct, qu’il assimile, dans sa lettre à Engels du 8 août 1851, à une sorte de « fétichisme démocratique26Karl Marx, Friedrich Engels, Correspondance, tome II (1949-1851), Paris, Éditions sociales, 1971, p. 274. ». Les réserves de Marx vis-à-vis de la législation directe ne feront que se renforcer au fur et à mesure que se précise également sa critique de la démocratie politique. Ainsi dans son texte de 1875 sur le programme du Parti ouvrier allemand, qui demandait la « législation directe par le peuple avec droit de proposition et de rejet », ironise-t-il sur ce qu’il qualifie de « litanies démocratiques27Critique du programme de Gotha, Paris, Éditions sociales, 2008, p. 73. ».

Le détachement de la gauche au début de la IIIe République

Comme les travaux constituants de 1848, ceux qui accouchent des lois constitutionnelles de 1875 ignorent à peu près la législation directe. Et comme la Seconde République, la IIIe fait totalement l’impasse sur le référendum, en droit (aucune forme n’est prévue) et en pratique (le peuple ne sera même pas consulté sur les lois constitutionnelles). Le fait majeur de cette période est le détachement consommé de la gauche, d’abord républicaine puis socialiste, vis-à-vis de la législation directe. Côté républicain, le retour de pratiques plébiscitaires sous le Second Empire, qui ont permis notamment de légitimer le coup d’État initial, a fini de discréditer cette forme de gouvernement. Mais le spectre du césarisme n’explique pas tout. La peur du peuple et des errements de la volonté populaire, déjà manifeste en 1848, et que l’on retrouve exprimée dans leurs arguments contre le plébiscite de 1870, pousse les républicains à achever leur « mue » en faveur d’un système représentatif intégral. Cette position se manifestera au moment de l’élaboration des lois constitutionnelles et sera renforcée par l’exercice du pouvoir, puis par l’entrée en scène du général Boulanger, premier épisode de populisme français, dont le mot d’ordre sera le référendum. La crise boulangiste agira comme une sorte de piqûre de rappel du danger plébiscitaire et de renversement de la République par le truchement du peuple.

Côté socialiste, on observe en revanche un retour à la législation directe dans les années 1880. La Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871) avait certes représenté un moment fort de l’autogouvernement, qui, selon le projet communard, devait être réalisé grâce à la forte décentralisation, la révocation populaire des élus et le mandat impératif. Marx a bien décrit ce modèle politique dans La Guerre civile en France. Mais l’expérience fut brève et la répression terrible qui écrasa le mouvement fit taire l’extrême gauche pendant de nombreuses années.

La redécouverte de la législation directe par les socialistes doit être restituée dans son contexte. D’abord, celui du socialisme européen, dont l’intérêt au sujet, sur fond de critique du parlementarisme, est renforcé par les liens étroits tissés entre les socialistes helvétiques et leurs homologues allemands, que les lois bismarckiennes antisocialistes contraignent à se réfugier en Suisse à partir de 1878. Le référendum et l’initiative populaire figuraient au programme des socialistes allemands depuis le congrès d’Eisenach de 1869, et le programme du Parti ouvrier allemand, élaboré en octobre 1890 par Bebel et Liebknecht (programme d’Erfurt), préconise encore « la législation par le peuple au moyen du droit d’initiative et de veto ». Ensuite, la IIIe République traverse un « moment suisse de la démocratie française28 Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 312. », avec les premiers retours d’expérience du référendum veto à l’initiative des citoyens, inscrit dans la Constitution fédérale de 1875 (sur le modèle de ce qui existait déjà dans les « cantons régénérés »)29Dans le champ universitaire, le texte qui témoigne le mieux de ce moment suisse de la démocratie française est sans doute l’article du juriste Maurice Deslandres, « De la Participation du peuple au pouvoir législatif. Du référendum et de l’initiative populaire en Suisse », Dijon, 1894, 36 p. (voir la présentation de ce texte par Stéphane Schott dans Jus Politicum).. Notons au passage que l’engagement des socialistes suisses en faveur de la législation directe, qui culminera dans leur combat pour l’initiative populaire constitutionnelle (introduite en 1891), s’était opéré sous l’influence de Karl Bürkli, dont les sources d’inspiration étaient Rittinghausen et Considérant. La tenue à Zürich en 1893 d’un congrès de la IIe Internationale accroîtra ultérieurement l’intérêt des socialistes français vis-à-vis de la démocratie directe.

Ainsi l’une des priorités du programme du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire aux élections de 1885 est-elle « la législation directe du peuple, c’est-à-dire la sanction et initiative populaires en matière législative ». Trois ans plus tard, certains membres du parti appellent explicitement à l’introduction dans la Constitution de la IIIe République des dispositifs de législation directe prévus par la Constitution de l’An I. Notons qu’un soin particulier est mis à se démarquer des boulangistes, qui se livrent aussi à une dénonciation sans appel du régime parlementaire et de la confiscation de la souveraineté populaire, mais privilégient l’appel au peuple, rebaptisé « référendum » pour le distinguer du plébiscite napoléonien30Jean-Marie Denquin, op. cit., p. 96., que les socialistes assimilent à un procédé de soutien à la dictature. La republication par La Revue socialiste au printemps 1889 des textes de Rittinghausen amplifie cette redécouverte de la démocratie directe, qui gagne de plus en plus de partisans. Même Alexandre Millerand, qui a délaissé le socialisme révolutionnaire, se prononce en faveur du référendum à la suisse lors d’un meeting socialiste tenu à Paris le 14 janvier 1893. En septembre, des socialistes rassemblés aux côtés d’Édouard Vaillant opèrent aussi un « retour à 1793 » et fondent une Ligue pour le gouvernement direct prônant l’initiative populaire législative. Jean Jaurès et Jules Guesde font également campagne pour le référendum.

Mais 1893 marque aussi le début du reflux. Les premiers succès électoraux, à partir des législatives d’août-septembre, conduisent les socialistes à atténuer leur critique du parlementarisme et à donner la priorité au parti comme instrument de conquête du pouvoir au service du peuple, dont la volonté est jugée trop facilement manipulable par les intérêts bourgeois. Surtout, la démocratie perd sa centralité dans le projet socialiste : elle n’est plus qu’un moyen au service d’une fin plus élevée : la révolution sociale31Voir sur ce point Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 328-329..

Cette nouvelle approche est à l’unisson avec le mouvement socialiste européen. Au congrès de la IIe Internationale tenu à Zürich en août 1893, les socialistes favorables à la législation directe, menés par Bürkli, parmi lesquels se trouvent une partie des socialistes français, perdent la partie contre Kautsky. Dans un ouvrage sur le programme d’Erfurt32Das Erfurter Programm in seinem grundsätzlichen Teil erlaütert, Stuttgart, Dietz, 1892., puis dans Der Parlamentarismus, die Volksgesetzgebung und die Sozialdemokratie33Der Parlamentarismus, die Volksgesetzgebung und die Sozialdemokratie, Stuttgart, Dietz, 1893., paru quelques semaines avant le congrès, le père de la social-démocratie allemande, fervent défenseur du parlementarisme, s’était livré à une attaque frontale du modèle de gouvernement direct de Rittinghausen (mort en 1890). Il n’écartait pas totalement la législation directe, mais, mieux adaptée à un pays de petite dimension et jouissant d’une sorte d’équilibre entre les classes comme la Suisse, elle était difficilement exportable. Tout au plus pouvait-on accepter des procédés tels que le référendum et l’initiative populaire, qui obligent le Parlement à mieux représenter le peuple. Ainsi écrit-il dans Der Parlamentarismus… : « Référendum et initiative n’ont pas pour but de supprimer la puissance législative centrale, c’est-à-dire le Parlement, mais de fortifier l’influence du peuple sur lui et de le rendre plus dépendant des électeurs34Ibid., p. 73. ». La résolution adoptée au congrès de Zürich reflètera bien cette position en réclamant l’initiative populaire et le référendum (ainsi que la proportionnelle) comme moyens pour faire valoir la volonté populaire contre des Parlements qui le plus souvent ne la respectent pas35Voir Marc Vuilleumier, « Le courant socialiste au XIXe siècle et ses idées sur la démocratie directe », dans Andreas Auer (dir.), Les origines de la démocratie directe en Suisse, Bâle et Francfort-sur-le-Main, Helbing & Lichtenhahn, 1996, p. 188..

Cette vision désenchantée de la législation directe, qui était somme toute restée une question assez marginale dans les débats zurichois, sera à partir de là celle du mouvement socialiste36Les travaillistes anglais accompliront une évolution similaire (voir sur ce point Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 328).. L’introduction de mécanismes référendaires continuera à figurer dans certains programmes, mais surtout pour la forme, et les socialistes appuieront rarement au XXe siècle des réformes visant à introduire des mécanismes directs37Antoine Chollet, « Histoire contemporaine de la démocratie directe », dans Laurence Morel et Raul Magni-Berton (dir.), Démocraties directes, Bruxelles, Bruylant, 2022, p. 101..

En France, la préface de Jaurès à la traduction française de Der Parlamentarismus…, parue en 190038Sous le titre Parlementarisme et socialisme. Étude critique sur la législation directe par le peuple, Paris, Librairie G. Jacques, 1900., montre que le chef socialiste a lui aussi changé d’avis concernant la législation directe. Socialistes et républicains de gauche partagent désormais une même défiance envers la volonté populaire, aussi dangereuse pour la république que pour le socialisme scientifique. La spécificité française est sans doute une forme d’« élitisme de gauche » hostile à la démocratie directe39Raul Magni-Berton et Clara Egger, RIC. Le référendum d’initiative citoyenne expliqué à tous. Au coeur de la démocratie directe, Limoges, FYP éditions, 2019, p. 58. plus accentuée qu’ailleurs, tandis que la droite, si elle s’y s’intéresse, ne la conçoit que comme référendum « d’en haut ».

Le débat théorique de l’entre-deux guerres

Oubliée par la gauche, la question de l’initiative populaire disparaîtra donc des radars de la politique française pendant longtemps, jusqu’à sa redécouverte relativement récente. Elle sera à peine effleurée en France dans le cadre du débat constitutionnel qui s’intensifie entre les deux guerres sur les moyens de lutter contre le « parlementarisme absolu ». En Europe de l’Est, ce débat a pour toile de fond la jeune République allemande et conduira un certain nombre de pays à introduire par imitation l’initiative populaire dans leurs nouvelles constitutions démocratiques40Voir, sur ce point, Boris Mirkine-Guetzévitch, « Le référendum et le parlementarisme dans les nouvelles constitutions européennes », Annuaire de l’Institut international de droit public, vol. II, Paris, PUF, 1931, ou, du même auteur, Les Constitutions de l’Europe nouvelle, Paris, Delagrave, 1930.. Deux positions résument bien la controverse : celle du juriste allemand Carl Schmitt, pour qui le parlementarisme doit être remplacé par une démocratie de type plébiscitaire, semblant à la fois reprendre et dévoyer le modèle wébérien41Philippe Raynaud, « Max Weber, critique de la Ve République », Droits, n°44, 2007, pp. 51-58. ; et celle de l’autrichien Hans Kelsen, qui ne croit pas en la possibilité d’une alternative au parlementarisme et prône sa réforme par le renforcement de sa composante démocratique (qu’il considère comme relevant de son essence) par une extension du référendum et de l’initiative populaire42Carl Schmitt, The Crisis of Parliamentary Democracy, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 1985 [1926] ; Hans Kelsen, Vom Wesen und Wert der Demokratie, Tubingue, Mohr, 1929 [2e éd.], en particulier les chapitres 3 et 4.. S’agissant de la France, deux critiques du régime parlementaire de la IIIe République faisant intervenir le référendum se détachent particulièrement au début des années 1930. Celle du professeur de droit Raymond Carré de Malberg, d’abord, pour qui le référendum n’est incompatible ni avec la souveraineté nationale ni avec le régime représentatif. La théorie de la souveraineté nationale « appelle l’existence d’un organe compétent pour vouloir au nom de la nation », écrit-il, mais « n’implique nullement que l’exclusivité de l’exercice de cette fonction appartienne au Parlement ». Il ajoute : « seul le référendum apparaît comme un complément suffisant de l’idée de représentation parce que seul il donne satisfaction au concept sur lequel repose le régime représentatif, à savoir que, par les élus, c’est le sentiment du corps populaire qui se manifeste : ce concept appelle en effet comme conséquence la reconnaissance du droit pour les citoyens de manifester un sentiment contraire à celui qui, sur un point déterminé, a été manifesté en leur nom par les représentants43Raymond Carré de Malberg, « Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, vol. 48, 1931, pp. 225-244. ». Le juriste français se pose ainsi en partisan de l’introduction du référendum d’initiative populaire. Trois ans plus tard, dans La réforme de l’État, l’homme politique de droite André Tardieu entend plutôt lutter contre les excès du parlementarisme avec le référendum à l’initiative du chef de l’exécutif. Il affirme que « le référendum constitue l’un des freins que l’exécutif devrait pouvoir utiliser afin de limiter l’omnipotence parlementaire, au même titre que la dissolution et le recours constitutionnel contre les lois abusives44André Tardieu, La Réforme de l’État, Paris, Flammarion, 1934. ». Pour l’ancien président du Conseil, il n’est pas question d’initiative populaire, les questions devant être posées aux électeurs par le chef de l’État, sur demande du gouvernement. On sait aujourd’hui que ses idées eurent une grande influence sur le général de Gaulle, et préfigurent certains grands thèmes du discours de Bayeux45Prononcé en 1946, ce discours renferme l’essentiel de la doctrine institutionnelle du général. Sur ce point, voir Olivier Passelecq, « De Tardieu à de Gaulle. Contribution à l’étude des origines de la Constitution de 1958 », Revue française de droit constitutionnel, 3, 1990, pp. 387-408..

Ces plaidoyers en faveur du référendum restaient cependant isolés et furent impuissants à remettre en cause le bannissement de toute forme de législation directe sous la IIIe République.

Deux siècles après 1793 : le retour de l’initiative populaire (le « RIP ») ?

Exactement deux siècles après la Constitution de l’An I (1793), et un siècle après le congrès de Zürich (1893), à partir duquel les socialistes se sont détournés de la législation directe, l’initiative populaire refait son apparition en France dans un projet de réforme de la Constitution élaboré, à la demande du président François Mitterrand, par un comité dirigé par le juriste Georges Vedel (1993). Ce projet prévoyait un référendum législatif déclenché par une minorité parlementaire soutenue dans un deuxième temps par une minorité populaire. La France montrait encore une fois, si besoin est, son inventivité institutionnelle, avec cette forme d’initiative seulement partiellement populaire. Mais le projet sera sans suite, les élections législatives de mars 1993 ayant été perdues par la gauche. Le référendum dit « d’initiative partagée », ou RIP, sera repris quinze ans plus tard par le comité présidé par Édouard Balladur, chargé par Nicolas Sarkozy de proposer une réforme de la Constitution à l’occasion des cinquante ans de la Ve République, et sera cette fois adopté lors de la révision de 2008.

Peut-on pour autant dire que l’initiative populaire ait été introduite en France ? C’est aller vite en besogne. Ce dispositif, qui ne sera applicable qu’en 201546Après le vote en 2013 d’une loi organique fixant ses modalités et son entrée en vigueur au 1er janvier 2015., reste très en deçà d’une véritable initiative populaire. En premier comme en dernier ressort, la convocation du RIP dépend en effet du bon vouloir du Parlement: l’« initiative de l’initiative » revient à la minorité parlementaire (20% des députés ou sénateurs), la récolte de signatures populaires n’ayant lieu qu’après que la demande déposée par cette minorité ait été validée par le Conseil constitutionnel. Tandis qu’en bout de course, il suffit que les deux Assemblées examinent la proposition de loi dans les six mois suivant la validation des signatures par le Conseil constitutionnel pour que le président de la République n’ait pas à la soumettre au référendum47Telle était la principale différence entre le RIP du rapport Balladur et celui du rapport Vedel, qui prévoyait, comme c’est la norme dans les autres pays, que le référendum devait se tenir si le Parlement n’adoptait pas la proposition dans un certain délai.. Le RIP n’est donc, en réalité, qu’un procédé de mise en agenda d’une proposition de loi. Autre obstacle majeur à l’aboutissement du processus, le nombre excessivement élevé de signatures populaires requises : 10% de l’électorat, soit environ 4,7 millions d’électeurs. À titre de comparaison, l’Italie, qui a une population comparable à celle de la France, exige 500 000 signatures pour lancer une initiative populaire. Enfin, la portée du RIP est diminuée par l’interdiction du référendum suspensif, l’alinéa 3 de l’article 11 prévoyant que l’initiative « ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an48Cette limitation n’était prévue ni dans le rapport Vedel et ni dans le rapport Balladur. ».

Encore une fois, la classe politique française a donc montré sa méfiance à l’égard du référendum. Elle a inventé une institution sui generis, ambiguë et pratiquement impossible à mettre en œuvre. Sur les cinq tentatives qui ont réussi depuis 2015 à franchir l’étape des signatures parlementaires, toutes ont échoué – la première, sur les Aéroports de Paris (2019), par incapacité à recueillir le nombre de signatures citoyennes, et les quatre suivantes, sur l’hôpital public (2021), les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises (2022) et les retraites (avril et mai 2023) devant le Conseil constitutionnel. Notons que l’on retrouve les mêmes atermoiements en matière de référendum local (sur les compétences législatives des collectivités territoriales). L’injustement nommée « initiative populaire », instituée pour les communes en 1995, puis étendue aux départements et régions en 2004, ne consent en réalité qu’à un dixième des électeurs des communes, ou à un vingtième de ceux des départements et régions, de demander « à ce que soit inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de la collectivité l’organisation d’une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée ». La décision souveraine de tenir ou non le référendum, dont la portée est en outre strictement consultative, revient donc à l’assemblée locale. Comme pour le RIP, il s’agit donc moins d’une véritable initiative populaire que d’un procédé de mise en agenda, exigeant un nombre très élevé de signatures pour aboutir49Ce nombre était le double du nombre actuel jusqu’à la loi n°2022-217 du 21 février 2022, qui a aussi accru le nombre de fois qu’un électeur peut signer une demande de référendum, passé d’une fois par an à une fois par trimestre. et dont la pratique est à ce jour inexistante (même si la loi du 21 février 2022 a aussi introduit l’initiative d’agenda à proprement parler dans le nouveau titre II de l’article L1112-16 du Code des collectivités territoriales).

Épilogue : les « gilets jaunes », le référendum d’initiative citoyenne (RIC) et les projets de réforme du référendum d’initiative partagée (RIP)

L’introduction, bien que peureuse (plus apparente que réelle), d’une forme d’initiative populaire en France a constitué une réponse à une demande citoyenne accrue de démocratie directe à partir du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, objet d’un débat public et d’une mobilisation populaire intenses. Cette demande commence à se répercuter dans les programmes des candidats à la présidentielle à partir de 200750Voir Laurence Morel, La question du référendum, op. cit., p. 139-148.. Lors de la campagne pour cette élection, il est frappant de constater que l’initiative populaire figure non seulement chez la plupart des « petits » candidats, ce qui est déjà en soi un fait nouveau, mais aussi, pour la première fois, chez plusieurs « gros » candidats de droite et d’extrême droite, à commencer par Nicolas Sarkozy, qui remportera l’élection et introduira le référendum d’initiative partagée (RIP) sous son quinquennat51On notera cependant que Nicolas Sarkozy n’avait pas retenu la proposition de RIP du comité Balladur et que celui-ci fut réintroduit par le Parlement.. La candidate socialiste, Ségolène Royal, mènera plutôt quant à elle une campagne en faveur de la démocratie participative, ce qui apparaît comme symptomatique d’une réserve vis-à-vis de la démocratie directe qui sera encore plus forte chez François Hollande et Emmanuel Macron, et caractérisera aussi la candidate écologiste, Eva Joly, en 201252La seule exception ayant été le candidat du Parti socialiste Benoît Hamon en 2017, qui proposait d’introduire l’initiative législative citoyenne et le référendum veto à l’initiative de 1% des électeurs.. On est tenté d’y voir la persistance de cet « élitisme de gauche » anti-référendaire forgé au XIXe siècle, mentionné plus haut. C’est un fait que la défense de l’initiative populaire émane plutôt d’abord de la droite (en 2007), pour devenir à partir de 2012 un thème de prédilection des partis et candidats populistes, de droite comme de gauche.

Les formations populistes traduisent ainsi la frustration de nombreux Français vis-à-vis des politiques gouvernementales, l’une des facettes de ce qu’il est convenu d’appeler la  « crise de la représentation ». Les enquêtes annuelles du Cevipof montrent qu’une proportion écrasante d’individus souscrit à l’opinion selon laquelle « les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme nous », tandis qu’ils étaient 72% à penser fin 2018 que « les citoyens devraient pouvoir imposer un référendum sur une question à partir d’une pétition ayant rassemblé un nombre requis de signatures », autrement dit à approuver l’initiative populaire53Voir la vague 10 du Baromètre annuel de la confiance politique établi par le Cevipof, en particulier les questions Q18 et NOU14.. La France est ici à l’unisson des autres démocraties, qui connaissent une montée similaire de la demande de démocratie directe sur fond de mécontentement (thèse dite « de la désaffection »), même si cette demande, surtout en ce qui concerne l’initiative populaire, provient aussi de citoyens a priori plus satisfaits, cumulant bien-être matériel et haut niveau d’études, sensibles aux valeurs post-matérialistes d’horizontalité et de participation dans le processus politique (thèse « de la cognition »)54Sur ces deux thèses, voir : R. J. Dalton, W. Burklin et A. Drummond, « Public Opinion and Direct Democracy », Journal of Democracy, 12 (4), 2001, pp. 141-153 ; R. J. Dalton, Citizen Politics: Public Opinion and Political Parties in Advanced Industrial Democracies, Newbury Park, Sage Publications, 7e édition, 2019.. Ainsi en France, l’initiative populaire ne suscite pas les mêmes réticences que le référendum « d’en haut » dans les catégories aisées des cadres et des professions libérales, qui l’approuvent autant que la moyenne des Français (69%). Surtout, les plus diplômés y sont légèrement plus favorables que la population dans son ensemble (72%)55Baromètre du Cevipof, vague 9..

Il reste que le mouvement des « gilets jaunes » illustre nettement la thèse de la désaffection. Né d’une révolte d’automobilistes contestant la taxe carbone sur le prix de l’essence et la réduction de la vitesse autorisée sur les routes, loin donc d’exprimer des valeurs post-matérialistes, ce mouvement a pris une tournure institutionnelle inattendue en affichant comme revendication prioritaire la demande d’introduction du référendum d’initiative citoyenne (RIC). Le dispositif réclamé devait être à la fois « législatif, abrogatoire, constituant et révocatoire », c’est-à-dire conjuguer législation populaire (avec l’initiative populaire législative et constitutionnelle, propositive et abrogative) et révocation populaire des élus. Manifestation d’auto-réforme populaire, le RIC reçut néanmoins le soutien d’universitaires et était conçu, contrairement au RIP, pour être applicable. Le nombre de signatures devait être beaucoup plus bas, autour de 700 000 (soit environ 1,5% du corps électoral) et un  contrôle de constitutionnalité était prévu pour le RIC législatif.

À l’issue du « Grand débat national », qui a clairement montré que la demande d’initiative populaire n’était pas circonscrite aux « gilets jaunes », Emmanuel Macron a fermement écarté le RIC mais exprimé son intention de rendre plus facile l’utilisation du RIP. Ainsi le projet de réforme des institutions déposé fin août 2019 prévoit-il d’étendre le champ du référendum aux questions de société, de baisser le nombre de signatures requises (10% des parlementaires et 1 million d’électeurs) et de rendre possible le lancement du processus par les citoyens. Mais, « en même temps » a-t-on envie de dire, le projet entend restreindre fortement la capacité du RIP à contester des politiques parlementaires, afin d’éviter, comme le théorisera Emmanuel Macron dans son discours pour les soixante-cinq ans de la Ve République, une « concurrence des légitimités »56Voir le discours d’Emmanuel Macron. Pour une critique de cette conception, voir notre article.. À cet effet, trois modifications sont prévues : interdire que la proposition de loi ait « pour effet » et non seulement, comme dans le droit actuel, « pour objet » l’abrogation d’une loi ; faire passer de un an à trois ans après sa promulgation le délai durant lequel une loi ne peut être remise en cause par un RIP57Dans ses propositions aux partis de novembre 2023, à la veille des rencontres de Saint-Denis, Emmanuel Macron portait ce délai à cinq ans, ce qui a été interprété comme un moyen d’empêcher un RIP pour abroger la réforme des retraites. ; étendre l’interdiction aux textes introduits en cours de législature et en cours d’examen au Parlement ou définitivement adoptés mais non encore promulgués. Avec toutefois une contrepartie : le Parlement ne pourra défaire ce qu’a fait le RIP, en vertu de l’ajout d’une disposition selon laquelle, en cas de succès du RIP, aucune mesure ayant un objet contraire à la loi référendaire ne peut être adoptée par le Parlement au cours de la même législature.

La facilitation du RIP est donc loin d’être évidente, les avancées sur certains points étant largement compensées par les reculs sur d’autres. On ajoutera que le projet de réforme se garde de revenir sur la possibilité laissée au Parlement  d’éviter, dans le cas, improbable, où le seuil de 10% de signatures serait atteint, la tenue du référendum par le seul fait d’examiner le texte, confirmant ainsi la vocation du dispositif à constituer un simple outil de mise en agenda d’une nouvelle politique58L’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle est très clair sur la volonté que le RIP ne puisse en aucun cas interférer avec l’activité parlementaire : « il est prévu d’introduire une disposition plus claire permettant d’éviter que cette procédure ne soit utilisée pour organiser une forme de voie d’appel populaire des délibérations parlementaires. La participation citoyenne doit en effet constituer un outil démocratique pour mettre à l’agenda politique des questions qui touchent les Français. Elle ne doit pas apparaître comme un mode de déstabilisation des institutions représentatives ou un moyen d’en contester constamment les décisions. ». Une vocation que ne dément pas la proposition de réforme du RIP contenue dans le rapport de la commission interpartisane du Sénat sur les réformes institutionnelles déposé en mai 2024, qui reprend les trois modifications visant à éviter la « concurrence des légitimités » et ne revient pas non plus sur la faculté in fine du Parlement d’empêcher le vote populaire. Au-delà de la faible empathie et de l’ambivalence présidentielle à l’égard de la démocratie directe, on peut donc voir dans ce projet de réforme du RIP, resté jusqu’ici lettre morte faute de majorité au Parlement, une nouvelle illustration des tergiversations françaises sur la démocratie directe depuis la Révolution.

 

  • 1
    Également chercheuse au Centre d’études et de recherches administratives politiques et sociales (Ceraps) et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).
  • 2
    Également directeur de recherche au Cevipof.
  • 3
    Laurence Morel, La question du référendum, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p. 80.
  • 4
    Les Landsgemeinden et les town meetings étaient des assemblées locales de citoyens qui se réunissaient périodiquement pour décider des principales questions.
  • 5
    L’initiative populaire est un procédé permettant d’organiser un référendum populaire sur une question à la demande d’une minorité de citoyens. De même, la révocation populaire permet, à l’initiative d’un nombre requis de signatures de citoyens, d’organiser un vote pour envoyer un élu.
  • 6
    Le mandat impératif désigne l’obligation pour l’élu de mettre en œuvre les préférences de ses électeurs. Il est contraire au principe d’indépendance des élus, retenu dans la plupart des constitutions modernes.
  • 7
    Ces deux conceptions étaient déjà bien illustrées dans le débat entre fédéralistes et anti-fédéralistes quelques années plus tôt aux États-Unis.
  • 8
    On se réfère ici au pamphlet de Condorcet, Sur la nécessité de faire ratifier la Constitution par les citoyens.
  • 9
    Maurice Duverger, Le système politique français, Paris, PUF, 1990, p. 245.
  • 10
    Voir Constitution du 24 juin 1793 sur le site du Conseil constitutionnel.
  • 11
    Pour aller plus loin : Serge Aberdam, « Les sources révolutionnaires du référendum d’initiative citoyenne », Société des études robespierristes, décembre 2018 ; Jean-Numa Ducange, La Révolution française et l’histoire du monde : deux siècles de débats historiques et politiques, 1815-1991, Paris, Armand Colin, 2014 ; Anne-Cécile Mercier, « Le référendum d’initiative populaire : un trait méconnu du génie de Condorcet », Revue française de droit constitutionnel, vol. 3, n°55, 2003, pp. 483-512.
  • 12
    Philippe Buonarroti, Conspiration pour l’Égalité dite de Babeuf, édition critique établie par Jean-Marc Schiappa (dir.), Jean-Numa Ducange, Alain Maillard et Stéphanie Roza, Paris, Éditions La ville brûle, 2014.
  • 13
    Alain Maillard, La communauté des Égaux. Le communisme néo-babouviste dans la France des années 1840, Paris, Kimé, 1999, p. 107-113.
  • 14
    Voir Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée, Paris, Gallimard, coll. Folio histoire, 2000, p. 139-167.
  • 15
    Le principe de l’élection populaire du chef de l’exécutif, qui s’inscrivait dans le projet d’institutions fortes, avait d’ailleurs fait l’objet d’une vive controverse, ses opposants dénonçant le danger de pouvoir personnel ou le risque que ne s’empare de cette opportunité quelque descendant héréditaire d’un régime défunt (comme ce fut effectivement le cas).
  • 16
    Moritz Rittinghausen, La législation directe par le peuple, ou la vraie démocratie, Paris, Librairie phalanstérienne, 1850.
  • 17
    Ibid., p. 25.
  • 18
    Ibid., p. 27.
  • 19
    Victor Considérant, La solution ou le gouvernement direct du peuple, Paris, Librairie phalanstérienne, décembre 1850.
  • 20
    Ibid., p. 24.
  • 21
    Voir Jean-Marie Denquin, Référendum et plébiscite. Essai de théorie générale, Paris, LGDJ, 1976, p. 21-25. C’est aussi l’interprétation de Bernard Manin (« Rousseau », dans François Furet et Mona Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la révolution française, Paris, Flammarion, 1988, p. 878).
  • 22
    Charles Renouvier et al., Le gouvernement direct. Organisation communale et centrale de la République, Paris, Librairie républicaine de la liberté de penser, 1851.
  • 23
    Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 184-194.
  • 24
    Jean-Marie Denquin, op. cit., p. 52.
  • 25
    Pierre-Joseph Proudhon, Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, dans Œuvres complètes de P.-J. Proudhon, nouv. éd. par C. Bouglé et H. Moysset, Paris, 1923, p. 180. Dans la section « Du principe d’autorité », Proudhon discute les thèses sur le gouvernement direct de Rittinghausen, Considérant et Ledru-Rollin.
  • 26
    Karl Marx, Friedrich Engels, Correspondance, tome II (1949-1851), Paris, Éditions sociales, 1971, p. 274.
  • 27
    Critique du programme de Gotha, Paris, Éditions sociales, 2008, p. 73.
  • 28
    Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 312.
  • 29
    Dans le champ universitaire, le texte qui témoigne le mieux de ce moment suisse de la démocratie française est sans doute l’article du juriste Maurice Deslandres, « De la Participation du peuple au pouvoir législatif. Du référendum et de l’initiative populaire en Suisse », Dijon, 1894, 36 p. (voir la présentation de ce texte par Stéphane Schott dans Jus Politicum).
  • 30
    Jean-Marie Denquin, op. cit., p. 96.
  • 31
    Voir sur ce point Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 328-329.
  • 32
    Das Erfurter Programm in seinem grundsätzlichen Teil erlaütert, Stuttgart, Dietz, 1892.
  • 33
    Der Parlamentarismus, die Volksgesetzgebung und die Sozialdemokratie, Stuttgart, Dietz, 1893.
  • 34
    Ibid., p. 73.
  • 35
    Voir Marc Vuilleumier, « Le courant socialiste au XIXe siècle et ses idées sur la démocratie directe », dans Andreas Auer (dir.), Les origines de la démocratie directe en Suisse, Bâle et Francfort-sur-le-Main, Helbing & Lichtenhahn, 1996, p. 188.
  • 36
    Les travaillistes anglais accompliront une évolution similaire (voir sur ce point Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 328).
  • 37
    Antoine Chollet, « Histoire contemporaine de la démocratie directe », dans Laurence Morel et Raul Magni-Berton (dir.), Démocraties directes, Bruxelles, Bruylant, 2022, p. 101.
  • 38
    Sous le titre Parlementarisme et socialisme. Étude critique sur la législation directe par le peuple, Paris, Librairie G. Jacques, 1900.
  • 39
    Raul Magni-Berton et Clara Egger, RIC. Le référendum d’initiative citoyenne expliqué à tous. Au coeur de la démocratie directe, Limoges, FYP éditions, 2019, p. 58.
  • 40
    Voir, sur ce point, Boris Mirkine-Guetzévitch, « Le référendum et le parlementarisme dans les nouvelles constitutions européennes », Annuaire de l’Institut international de droit public, vol. II, Paris, PUF, 1931, ou, du même auteur, Les Constitutions de l’Europe nouvelle, Paris, Delagrave, 1930.
  • 41
    Philippe Raynaud, « Max Weber, critique de la Ve République », Droits, n°44, 2007, pp. 51-58.
  • 42
    Carl Schmitt, The Crisis of Parliamentary Democracy, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 1985 [1926] ; Hans Kelsen, Vom Wesen und Wert der Demokratie, Tubingue, Mohr, 1929 [2e éd.], en particulier les chapitres 3 et 4.
  • 43
    Raymond Carré de Malberg, « Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, vol. 48, 1931, pp. 225-244.
  • 44
    André Tardieu, La Réforme de l’État, Paris, Flammarion, 1934.
  • 45
    Prononcé en 1946, ce discours renferme l’essentiel de la doctrine institutionnelle du général. Sur ce point, voir Olivier Passelecq, « De Tardieu à de Gaulle. Contribution à l’étude des origines de la Constitution de 1958 », Revue française de droit constitutionnel, 3, 1990, pp. 387-408.
  • 46
    Après le vote en 2013 d’une loi organique fixant ses modalités et son entrée en vigueur au 1er janvier 2015.
  • 47
    Telle était la principale différence entre le RIP du rapport Balladur et celui du rapport Vedel, qui prévoyait, comme c’est la norme dans les autres pays, que le référendum devait se tenir si le Parlement n’adoptait pas la proposition dans un certain délai.
  • 48
    Cette limitation n’était prévue ni dans le rapport Vedel et ni dans le rapport Balladur.
  • 49
    Ce nombre était le double du nombre actuel jusqu’à la loi n°2022-217 du 21 février 2022, qui a aussi accru le nombre de fois qu’un électeur peut signer une demande de référendum, passé d’une fois par an à une fois par trimestre.
  • 50
    Voir Laurence Morel, La question du référendum, op. cit., p. 139-148.
  • 51
    On notera cependant que Nicolas Sarkozy n’avait pas retenu la proposition de RIP du comité Balladur et que celui-ci fut réintroduit par le Parlement.
  • 52
    La seule exception ayant été le candidat du Parti socialiste Benoît Hamon en 2017, qui proposait d’introduire l’initiative législative citoyenne et le référendum veto à l’initiative de 1% des électeurs.
  • 53
    Voir la vague 10 du Baromètre annuel de la confiance politique établi par le Cevipof, en particulier les questions Q18 et NOU14.
  • 54
    Sur ces deux thèses, voir : R. J. Dalton, W. Burklin et A. Drummond, « Public Opinion and Direct Democracy », Journal of Democracy, 12 (4), 2001, pp. 141-153 ; R. J. Dalton, Citizen Politics: Public Opinion and Political Parties in Advanced Industrial Democracies, Newbury Park, Sage Publications, 7e édition, 2019.
  • 55
    Baromètre du Cevipof, vague 9.
  • 56
    Voir le discours d’Emmanuel Macron. Pour une critique de cette conception, voir notre article.
  • 57
    Dans ses propositions aux partis de novembre 2023, à la veille des rencontres de Saint-Denis, Emmanuel Macron portait ce délai à cinq ans, ce qui a été interprété comme un moyen d’empêcher un RIP pour abroger la réforme des retraites.
  • 58
    L’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle est très clair sur la volonté que le RIP ne puisse en aucun cas interférer avec l’activité parlementaire : « il est prévu d’introduire une disposition plus claire permettant d’éviter que cette procédure ne soit utilisée pour organiser une forme de voie d’appel populaire des délibérations parlementaires. La participation citoyenne doit en effet constituer un outil démocratique pour mettre à l’agenda politique des questions qui touchent les Français. Elle ne doit pas apparaître comme un mode de déstabilisation des institutions représentatives ou un moyen d’en contester constamment les décisions. »

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