En ces temps d’incertitudes et de promotions identitaires, l’analyse historique du devoir de mémoire nous questionne à plusieurs titres. Si le terme relève d’une invention lexicale, son imposition dans la société française depuis les années 1990 traduit aussi et surtout une invention à la fois sociale et politique. Sébastien Ledoux y revient, avant de proposer quelques pistes de réflexion sur le devenir du récit national.
Devoir de mémoire : histoire d’une formule
Archéologie du devoir de mémoire (années 1960-1970)
La trajectoire du terme devoir de mémoire traverse différents temps de l’histoire très contemporaine de la France. Le premier temps correspond à une ouverture du langage effectuée par une nouvelle génération qui commence de façon très significative dans les années 1960. Figure de style éminemment littéraire, le néologisme devoir de mémoire prend forme dans ce contexte de créativité verbale qui voit la multiplication de jeux de langage autour du mot mémoire (« mémoire de l’imaginaire », « couleur de mémoire », « traits de mémoire »), où de nouvelles prises de parole s’énoncent dans une ouverture de possibles en termes politiques, sociaaux et culturels qui se cristallise dans le mouvement de « Mai 68 ». On retrouve ainsi le devoir de mémoire en 1972 dans un article de l’écrivain et professeur de littérature Jean Roudaut paru au Magazine littéraire, et chez le psychanalyste François Périer dans un séminaire dispensé à l’hôpital St Anne de Paris. Dans la continuité de ce mouvement mais conjugué cette fois au choc de la modernisation du pays, l’expression devoir de mémoire sert à analyser au début des années 1980 une société hantée par son passé, un passé devenu source de redéfinitions identitaires qui se formalisent depuis les années 1970 en dehors du cadre de l’État-nation, et qui actent à la fois la fin du projet communiste et celle du progrès humain qui structuraient jusque-là nombre de mouvements sociaux ou politiques adossés à des horizons d’attente prometteurs. Ce renversement de la temporalité se formalise dans le langage par un vocabulaire de la mémoire qui voit l’extension de son champ sémantique pour formuler un « ordre de la rupture», où l’on observe de nouvelles aspirations individuelles et collectives, soucieuses désormais de la sauvegarde de patrimoines et d’identités culturelles perçus comme menacés. Au-delà de la mode « rétro », cet investissement pour un passé libérateur assurant une continuité vient signaler, pour cette génération charnière née entre 1930 et 1950, une prise de conscience des mutations très rapides de la société française.
Ce mouvement social est saisi à la fin des années 1970 par des acteurs scientifiques dont certains, comme Pierre Nora qui appartient à cette génération charnière, s’emploient à forger avec leurs outils conceptuels une continuité entre le présent et le passé par le biais du vocabulaire de la mémoire (la notion de lieu de mémoire apparaît chez Pierre Nora en 1978). C’est une période riche dans la discipline historique qui voit l’institution d’un nouveau champ historiographique avec la création de l’Institut de l’histoire du temps présent (IHTP), l’utilisation de nouvelles sources avec l’histoire orale, la redéfinition de la notion de « mémoire collective », et la modélisation des rapports entre histoire et mémoire dans un retour réflexif des historiens sur leur discipline.
Les mutations du rapport au passé (années 1980)
Dans les années 1980, alors que l’État bute sur sa fonction de redistribution sociale avec l’enracinement de la crise économique qui a pour effet l’augmentation d’un chômage de masse convoyant une crise de l’avenir, le pouvoir exécutif investit la mémoire comme une catégorie d’action publique centrée essentiellement sur la remémoration collective des deux guerres mondiales, ce dans le contexte de la construction européenne. Cette nouvelle politique nationale du passé est à la fois innovante dans ses modalités et traditionnelle dans le message qu’elle adresse aux Français. Il s’agit de nouvelles mises en scène encadrées sémantiquement par le vocabulaire de la mémoire mais qui rendent toujours hommage aux « morts pour la France » (anciens combattants, résistants, déportés résistants) afin de favoriser le sentiment d’appartenance des citoyens à la communauté nationale et européenne à travers le partage d’une mémoire commune (voir par exemple la cérémonie Mitterrand/Kohl à Verdun en novembre 1984).
Dans le même temps, le passé sur le génocide des Juifs est mobilisé au-delà du groupe concerné, les rescapés et descendants des victimes de l’extermination, et plus largement au-delà de la communauté juive qui accomplit depuis quelques années une recomposition identitaire autour de la mémoire d’Auschwitz. L’événement démesuré que représente le « trou noir d’Auschwitz » s’approprie dans un cadre d’intelligibilité inédit qui se construit par le biais de travaux d’historiens, d’œuvres artistiques (Shoah de Lanzmann), des médias, et d’une attention plus grande accordée aux victimes et aux traumatismes à l’échelle individuelle et collective. Rendue possible par la notion d’imprescriptibilité du crime génocidaire et portée par le combat de Serge Klarsfeld, les réparations dues aux victimes du génocide s’effectuent en premier lieu dans le domaine de la justice avec la condamnation de Klaus Barbie en 1987, en attendant celles de Français accusés de crimes contre l’humanité (Leguay, Touvier, Papon, Bousquet). Par ailleurs, alors que la mémoire est devenue un horizon social, politique et éthique, la mémoire de la Shoah vient à incarner un projet civique fédérateur, porteur des valeurs des droits de l’homme qu’il faut transmettre aux jeunes générations notamment par le biais de l’institution scolaire. La responsabilité de Vichy dans la persécution des Juifs de France étant alors reconfigurée dans cette économie morale, la parole politique est sollicitée pour mettre fin au silence de l’État Français de plus en plus présenté comme un problème public. Le statut du devoir de mémoire se modifie dans ce contexte précis au début des années 1990.
Une formule au centre de la reconfiguration des politiques nationales du passé (années 1990)
Employée jusque-là par quelques locuteurs de façon éparse sans que quiconque ne l’associe à un référent commun, l’expression est portée en 1992-1993 par des acteurs publics – ce qui permet sa médiatisation – pour répondre à l’urgence d’une reconnaissance officielle par le chef de l’État de la responsabilité du gouvernement de Vichy dans les persécutions et les crimes antisémites de la Seconde Guerre mondiale. Le terme se déploie comme formule dans le silence du président François Mitterrand qui refuse la parole réparatrice qui lui est demandée en juillet 1992 à l’occasion du cinquantième anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv’, car elle contredit sa vision de l’histoire de l’Occupation en particulier, et sa conception de la nation de façon plus générale. Le devoir de mémoire est alors investi comme un mode de régulation qui permet de répondre par le langage à une situation présentée comme anormale et vecteur de trouble public, dans le contexte d’un discours négationniste porté dans l’espace public depuis la fin des années 1970, de la montée du Front national depuis 1983 et d’actes antisémites (profanation du cimetière juif de Carpentras en mai 1990).
La rhétorique de la dénonciation d’un crime contre l’humanité occulté collectivement depuis cinquante ans, que le devoir de mémoire porte dans le discours des médias et de certains acteurs politiques (Jean Le Garrec, Louis Mexandeau et Michel Noir), conduit à une opération de référence à son endroit à partir de 1992-1993. La formule est directement associée au dévoilement indispensable de la vérité sur ce crime commis par Vichy qui doit s’accomplir pour le bien commun à la fois par l’exercice de la justice pour les criminels et par la reconnaissance officielle des plus hautes autorités françaises.
Le discours du Vel’ d’Hiv’ de Jacques Chirac le 16 juillet 1995, qui apporte cette reconnaissance institutionnelle de l’État, ouvre une nouvelle période dans laquelle le devoir de mémoire joue un rôle central. La formule encadre une nouvelle politique du passé pour intégrer dans la mémoire nationale les victimes juives exclues de celle-ci et réparer le préjudice subi. Ce faisant, le devoir de mémoire favorise l’acceptation d’un régime mémoriel inédit dans l’histoire qui voit les représentants de la nation célébrer, au nom des droits de l’homme, des « morts à cause de la France ». Ce mode d’action publique est repris par le pouvoir législatif qui vote à la fin des années 1990 et au début des années 2000 des lois pour d’autres faits historiques (période coloniale, traites et esclavage, génocide des Arméniens) au nom du devoir de mémoire. Ces déclarations législatives, dénommées « lois mémorielles » à partir de 2005, sont perçues par leurs auteurs comme des outils symboliques de réparations favorisant l’unité de la nation et celle d’un corps social fragmenté dans le contexte d’une France multiculturelle. Elles signalent un nouveau pacte entre l’État et ses administrés fondé sur la reconnaissance d’identités culturelles singulières, qui se substitue à celui de l’État providence bien en peine d’assumer sa fonction de redistribution sociale. Cette inflexion induit une reconfiguration du récit national scolaire qui a dorénavant la charge de construire une « citoyenneté plurielle ».
Entre temps, le devoir de mémoire a étendu son champ sémantique. Il est référé à partir de 1995 à la parole des témoins rescapés des camps de la mort, le discours historique lui construisant une généalogie ayant comme point d’origine l’acte d’écriture de Primo Levi »>http://www.auschwitz.be/images/_expertises/2015-a-ledoux.pdf.]]. La formule est également étroitement associée aux voyages pédagogiques dans les camps de la mort. Destinés à éduquer civiquement les jeunes générations, ces pratiques scolaires spécifiques bénéficient du soutien des médias, du ministère de l’Éducation nationale, et des enseignants.
Le devoir de mémoire dans les controverses politiques sur le passé (années 2000)
La formule connaît une nouvelle évolution au milieu des années 2000. Critiqué de plus en plus fortement par les historiens qui voient dans ce terme la manifestation d’une captation et d’une instrumentalisation du passé, le devoir de mémoire est au cœur de controverses publiques successives touchant les politiques nationales du passé, en particulier l’enseignement de l’histoire (loi de février 2005 sur le rôle positif de la présence coloniale de la France, proposition de confier la mémoire des enfants juifs aux élèves de CM2 en février 2008). Une mise à distance des acteurs politiques et des médias nationaux s’opère à l’égard du terme. Celui-ci est perçu comme une instrumentalisation du passé à des fins catégorielles, ou comme le vecteur d’une repentance nuisible à l’identité de la France et facteur de division pour la communauté nationale. La mise à distance du devoir de mémoire se manifeste par exemple au sein du ministère de l’Éducation nationale. Les circulaires relatives à la transmission des traites et de l’esclavage, qui avaient comme cadre sémantique le devoir de mémoire depuis 2005, changent de vocabulaire après 2009 en abandonnant toute référence à la formule. La notion de « travail de mémoire », chère à Paul Ricœur, est introduite parallèlement au milieu des années 2000 dans des textes officiels du ministère relatifs à la prévention des génocides et au concours national de la résistance et de la déportation. Le rapport Waysbord-Loing, qui fait suite à la proposition de Nicolas Sarkozy de confier la mémoire des 11 000 enfants juifs morts à Auschwitz aux élèves de CM2 en février 2008, intègre également cette notion de « travail de mémoire », la proposition présidentielle étant, elle, associée au devoir de mémoire, soit une manière injonctive de transmettre le passé à l’école sans penser aux cadres pédagogiques de sa retraduction scolaire.
La défiance constatée à l’égard du devoir de mémoire dans ces différents domaines n’est cependant pas repérable dans d’autres champs discursifs (presse régionale, associations, internet) qui voient au contraire ses usages se poursuivre au même rythme et avec la même intensité jusqu’à nos jours. Apparu comme figure de style au sein de l’élite culturelle au début des années 1970, cristallisé en formule du discours au début des années 1990 à la faveur d’une crise de mémoire dont la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État français de Vichy dans le crime génocidaire à l’égard des Juifs était l’objet, le devoir de mémoire s’est disséminé et s’est prosaïsé ainsi dans un vocabulaire courant largement partagé. Preuve encore de sa force évocatrice, la formule est mobilisée en janvier 2016 dans le cadre des commémorations des attentats de janvier 2015 à Paris.
Réflexions sur le devenir du récit national
Ainsi esquissée, l’histoire du devoir de mémoire constitue un bon indicateur des mutations de notre rapport au passé opérées dans le dernier quart du XXe siècle. Elle témoigne également d’un changement de paradigme quant au récit national. Le récit national traditionnel au fondement de la IIIe République célébrait la glorieuse nation française et ses héros censés l’incarner. Il avait comme fonction de nourrir un imaginaire historique devant être partagé par l’ensemble des citoyens pour former ainsi la communauté nationale. La matrice qui parcourt en profondeur la société à partir des années 1970-1980, portant une attention croissante aux victimes, et que la formule devoir de mémoire formalise dans le langage politique officiel au cours des années 1990, brise le miroir d’une France au passé héroïque pour entrer dans le récit de traumatismes historiques dont les stigmates sont toujours présents à l’échelle individuelle et collective, et auxquels la nation a pu prendre part. Une telle mise en intrigue de l’histoire nationale a eu des effets conduisant à la disqualification ou à l’évitement du discours sur la nation dont le Front national a en grande partie bénéficié. Entre un récit de réparations ou de compassions envers des communautés mémorielles qui dépolitise les enjeux sociaux actuels et un récit de consolation autour de la grandeur perdue de la nation ou de ses « racines chrétiennes » qui invite à une guerre d’identités culturelles, il s’agit de construire un récit national d’émancipation et d’inclusion mettant en intrigue des expériences historiques ouvrant des futurs possibles.
Mettre fin à la captation de l’héritage national par l’extrême droite
Depuis les années 1980, le discours sur la nation française a été capté et instrumentalisé par l’extrême droite autour de la question de l’immigration, puis de l’islam avec aujourd’hui la promotion des thématiques de « l’insécurité culturelle » et du « grand remplacement ». Le référent national s’est trouvé détourné par des considérations idéologiques lui assignant des propriétés ethnoculturelles : la couleur de peau (le Français serait par définition un blanc) et la religion chrétienne. Dans le même temps et largement déterminé par ce détournement, la définition du citoyen français a connu un profond malentendu, certains habitants de quartiers populaires issus de l’immigration postcoloniale comprenant le mot « Français » dans une acception ethnique (Français=Blanc) les excluant et s’excluant eux-mêmes de cette identité nationale. Ce discours nationaliste qui désigne des ennemis menaçants et les fixe dans une altérité identitaire irréductible dangereuse pour la nation a prospéré dans un vide de la parole politique sur la nation, favorisé aussi par le projet de construction européenne. Pour diverses raisons idéologiques et historiques, la majeure partie de la gauche s’est défiée du référent national depuis les années 1970. Or, en esquivant la nation, nous avons perdu le fil de l’histoire de la construction républicaine depuis la Révolution française. Dans l’actuelle globalisation des échanges humains, commerciaux, techniques, etc., le national reste une échelle pertinente pour repenser le projet de notre République autour d’un récit qu’il s’agit de construire et de promouvoir. Il ne saurait donc être question de braconner sur les terres du FN, mais de repenser la nation dans une perspective beaucoup plus large et fédératrice que le projet chevènementiste, seul courant de gauche à avoir promu le référent national depuis les années 1980.
Mettre fin à la polarisation des politiques compassionnelles relatives aux mémoires traumatiques
Les politiques de reconnaissance et de réparation mises en œuvre dans les années 1990-2000 en France ont été un moment nécessaire dans l’histoire de la République française. Pour autant, elles ont institutionnalisé le traumatisme qui suggère une visée réparatrice et non émancipatrice du devenir commun, ce qui a eu des effets délétères. Il s’agit aujourd’hui de questionner cette configuration « passé/présent/avenir » en relevant ses impasses ici brièvement résumées :
– Les politiques de reconnaissance des crimes de Vichy, de la traite transatlantique et de l’esclavage qui ont mis en avant la responsabilité de la France dans ces crimes contre l’humanité ont mis en place des commémorations négatives et placer le récit national dans une situation très paradoxale. Il apparaît en effet complexe d’attendre une adhésion des concitoyens au pacte républicain par l’exercice institutionnalisé d’hommages aux « morts à cause de la France ».
– Ces politiques de reconnaissance et de réparation envers certaines communautés ont exacerbé les concurrences victimaires entre différentes groupes sur le sol national. C’est le problème déjà soulevé par le philosophe Paul Ricœur qui mettait en avant un travail de mémoire pour ne pas fixer les communautés dans une position victimaire permanente et ne pas subir la logique sans fin d’un désir d’équivalence. La logique de réparations a tendance à situer le passé dans le cadre de rétributions rétroactives et non de ressources pour penser le présent et se projeter dans l’avenir.
– Ces politiques de reconnaissance ont accompagné une racialisation du passé, la race et les politiques racistes et antisémites devenant au présent un trait structurant de la société et de l’histoire nationale. Elles ont contribué par ce prisme à brouiller le projet républicain du vivre ensemble fondé sur des droits politiques et sociaux et à une mauvaise interprétation de la définition de l’identité nationale qui ne se définit pas ethniquement.
– Ces politiques de reconnaissance compassionnelle ont acté et renforcé une rupture de la linéarité de notre cadre temporel. Elles se sont inscrites dans une crise de notre historicité et de notre avenir en se polarisant sur l’hommage aux victimes et la prévention des drames historiques qui induisent une conscience temporelle particulière. Or, le passé est constitué aussi d’actes et de promesses inaccomplis (luttes pour la liberté, l’égalité, la fraternité) qu’il revient aux contemporains de poursuivre pour l’avenir. Jaurès ne tenait pas un autre discours en appelant il y a un siècle à établir les promesses de la Révolution française en termes d’égalité politique, économique et sociale.
Redonner le sens de l’histoire et de la communauté nationale par un récit national républicain
La réaction aux attentats de janvier 2015, et plus encore à ceux du 13 novembre 2015, montrent que le référent national est en train de se reconfigurer. Il s’agit non de restaurer un récit national replié dans une vision nostalgique passéiste d’une France autochtone ainsi muséifiée et/ou fantasmée, mais bien de construire un nouveau récit qui mette en scène une mise en intrigue de l’histoire républicaine et ouvre des promesses d’avenir. Le récit national ne doit pas en effet être le lieu de consolation ni celui du refuge face à un présent perçu par certains comme en déclin ou menaçant.
Ce nouveau récit national doit porter un sens de l’histoire, en proposant un horizon d’attente à l’échelle nationale et internationale par le biais d’expériences fécondes du passé qui ont ouvert des possibles en termes de liberté, d’égalité et de fraternité. Un récit national émancipateur et inclusif qui ne commande pas l’amour de la France, qui ne prescrit pas d’hostilité envers des ennemis extérieurs ou intérieurs (le juif, l’immigré, le musulman), ferment du nationalisme, mais suscite le sentiment d’appartenance à la communauté nationale par des références historiques heuristiques. Plutôt que de se centrer sur le patriote, ce récit favoriserait la construction du compatriote : une narration mettant l’accent sur le lien entre les vivants d’aujourd’hui et les vivants d’hier, entre les individus et la nation, et entre les individus eux-mêmes qui forment une communauté politique ainsi composée de citoyens ayant des appartenances culturelles plurielles.
La trame de ce récit républicain explore la lutte des individus et/ou des groupes pour la liberté et/ou l’égalité et/ou la fraternité qui ont façonné la République française depuis la fin du XVIIIe siècle. Il s’agit de mettre en intrigue les actes de résistances, de mobilisations individuelles et collectives, qui, au cours de l’histoire, ont inventé des droits politiques et sociaux dans le cadre de conflictualités. Ces faits historiques ne doivent pas se muer en valeurs patrimoniales à conserver et protéger. Ils constituent pour le présent et l’avenir des expériences dans lesquels des femmes et des hommes se sont saisis d’une invention de possibles pour changer le cours de l’histoire.
La Révolution française de 1789, celle de 1848, le Front Populaire en 1936, le combat des Résistants pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi les luttes des esclaves et des abolitionnistes (XVIIIe-1848), des ouvriers, des républicains pour la laïcité (début XXe siècle), des femmes pour l’égalité, des peuples colonisés et des opposants au colonialisme, des Français d’origine immigrée sont des laboratoires d’expériences sociales et politiques qui fondent une récit national émancipateur et inclusif.
Dans ce récit inclusif, une place doit être consacrée aux immigrations depuis le XIXe siècle pour affirmer avec force le rapport dialectique de la construction nationale par ses apports extérieurs depuis deux siècles.
En somme, face aux discours identitaires actuels qui font écran au passé comme au présent et à l’avenir, l’enjeu de ce récit est de référer l’histoire de la nation à des constructions sociales et politiques susceptibles de définir les contours d’une coexistence possible des Français dans un devenir commun au sein de la République du XXIe siècle.