Dans sa contribution d’une série réalisée en partenariat avec L’Hétairie, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille et auteur du blog La Constitution décodée, plaide pour un front républicain pour préserver la République et la Constitution le 24 avril prochain.
Pour la troisième fois dans l’histoire de la Ve République, l’extrême droite est présente au deuxième tour de l’élection présidentielle.
Face à elle, il n’y a aucun doute à avoir ni aucune ambiguïté à entretenir : il faut lui faire barrage et, pour cela, il faut souscrire au front républicain en glissant le bulletin « Emmanuel Macron » dans l’urne, le 24 avril prochain.
Oui, cette position est engagée. Elle est engagée pour la République, pour ses valeurs et pour la Constitution. Elle est engagée contre l’extrême droite, son idéologie nationaliste, xénophobe, raciste et antisémite, dont le Front national, même nouvellement appelé Rassemblement national, ne s’est jamais départi.
Dimanche 24 avril aura lieu un deuxième tour et il y en aura un troisième : les élections législatives, fondamentales pour trois raisons
N’oublions pas d’où vient ce parti politique, fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, déjà pour tenter de dédiaboliser une autre mouvance d’extrême droite, celle d’Ordre nouveau, parti néofasciste et violent, dissout en 1973 en application de la législation sur les ligues fascistes et les groupuscules paramilitaires. L’idéologie demeure la même : elle s’appuie sur la préférence nationale, la discrimination raciale, l’isolement de la République, la remise en cause de nos engagements internationaux, la violation de la Constitution. Ne l’oublions pas.
Déjà en 2017, La Constitution décodée soulignait que la sauvegarde des règles et principes constitutionnels commandaient de combattre le Front national. C’est encore le cas actuellement, pour des raisons similaires. D’autres, aujourd’hui, exposent clairement pourquoi tout démocrate, tout républicain doit empêcher par son vote Marine Le Pen d’accéder à la présidence de la République.
Seulement le contexte n’est pas identique à celui de 2017, lui-même différent de celui de 2002.
En 2002, l’électrochoc causé par la première qualification de l’extrême droite a conduit à son rejet immédiat et sans aucune hésitation de la totalité de la classe politique. Des centaines de milliers de personnes défilèrent dans la rue et le sursaut républicain et démocrate eut bien lieu.
En 2017, la qualification ne constituait pas une surprise, puisqu’elle était annoncée. La réaction fut moins unanime et moins franche de la part de certains. Mais l’appel d’air généré par un candidat se présentant comme central et voulant incarner le renouveau a permis que le résultat soit sans appel.
Aujourd’hui, les protagonistes sont les mêmes qu’il y a cinq ans, mais dans une configuration différente. D’une part, Emmanuel Macron porte le bilan de son quinquennat, que beaucoup contestent, notamment à gauche. D’autre part, Marine Le Pen a été concurrencée sur sa droite par un candidat aux thèses aussi radicales que les siennes, mais qui put s’occuper de les crier tout haut tandis qu’elle les pensait tout bas, la faisant dès lors apparaître comme moins extrême.
Pourtant, il ne faut ni perdre la mémoire, ni se boucher les oreilles, ni refuser de lire.
Gardons en mémoire l’histoire de l’extrême droite que l’on vient de rappeler. Écoutons ce candidat radical se rallier sans hésitation à Marine Le Pen sans que cette dernière ne conteste un tel ralliement. Lisons avec attention le programme tout aussi radical de cette candidate, qui prône, notamment, le patriotisme économique, la suppression du droit du sol, l’assimilation aux populations qui vivent en France ou la restriction drastique du droit au regroupement familial.
Les valeurs mêmes de notre République impliquent de combattre de telles thèses et, dans le cadre de cette élection et de ce deuxième tour qui se tiendra le 24 avril, il n’y a pas d’autre solution que de voter Emmanuel Macron.
Il est cependant compréhensible qu’un tel vote rebute, de la part d’électeurs qui se sentent oubliés par la politique conduite ces cinq dernières années.
C’est pourquoi il faut insister sur deux points essentiels.
D’une part, voter « Emmanuel Macron », ce n’est pas voter « pour » Emmanuel Macron, sa politique et son programme. C’est souscrire au front républicain, faire barrage à l’extrême droite et refuser que cette dernière n’accède au pouvoir. Et à ceux qui soutiendront que l’abstention ou le vote blanc sont suffisants, car il se trouvera bien assez d’électeurs pour le reconduire à la présidence, il faut répondre que si tous ceux qui n’ont pas voté pour lui au premier tour raisonnent de la même manière, la victoire est acquise pour Marine Le Pen.
Il faut donc se mobiliser pour le front républicain.
D’autre part, dimanche 24 avril aura lieu un deuxième tour et il y en aura un troisième : les élections législatives, organisées les 12 et 19 juin. Ces dernières sont fondamentales, pour trois raisons.
D’abord, ce sont elles qui attribuent réellement le pouvoir. Celui ou celle qui sera élu le 24 avril aura besoin d’une majorité pour gouverner et la politique conduite au cours des cinq prochaines années dépendra de cette dernière.
Ensuite, avec la perspective de ces élections législatives qui attribueront effectivement le pouvoir, on peut soutenir la République en votant pour le front républicain le 24 avril, pour ensuite soutenir ses convictions politiques en votant pour son parti au mois de juin. Dans la perspective d’une réélection d’Emmanuel Macron dans deux semaines, il y aura la possibilité – et la nécessité, même – de constituer une force démocratique et parlementaire qui lui fera face, à l’Assemblée nationale, en atténuant sa majorité, en créant une réelle opposition, voire en imposant une cohabitation (peu probable, mais possible).
Enfin, la campagne présidentielle a été tronquée, du fait de la crise sanitaire, puis de la crise internationale et surtout en raison du refus de tout débat de la part du président-candidat. Mais ce dernier, s’il est réélu, souhaitera obtenir une majorité. Or elle n’est nullement garantie, en raison de la contestation dont il fait l’objet et du contexte de sa réélection. Une véritable campagne va ainsi s’engager pour les législatives, plus ouverte que celle de la présidentielle.
Il faut donc rester confiant dans l’avenir : préserver la République et la Constitution le 24 avril, puis préserver le débat démocratique et ses convictions politiques au mois de juin.