Frank-Walter Steinmeier a été réélu à la présidence de l’Allemagne le 13 février 2022. Saura-t-il se montrer à la hauteur de ses prédécesseurs ? Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, analyse l’importance historique et politique du rôle des présidents allemands.
Le dimanche 13 février 2022, le collège fédéral de l’Allemagne a réélu avec une large majorité le président Frank-Walter Steinmeier pour un deuxième mandat. Dans la mesure où il était soutenu par les trois partis de la coalition gouvernementale ainsi que par les conservateurs de la CDU/CSU, sa réélection n’a surpris personne.
Le président de l’Allemagne est élu pour un mandat de cinq ans par un collège spécialement constitué qui réunit les députés nationaux, les élus des Länder, des représentants locaux ainsi que des personnalités de la société civile proposées par les partis politiques allemands.
Les illustres prédécesseurs de Frank-Walter Steinmeier
L’Allemagne a eu jusqu’à présent de la chance avec ses présidents fédéraux. Le premier président, le libéral Theodor Heuss, a marqué le mandat par son autorité morale. Par ses discours et ses actes symboliques, il a su donner une orientation démocratique à la société allemande d’après-guerre. Ce faisant, il a réussi à ancrer la jeune démocratie allemande dans la conscience des citoyens.
Le troisième président, le social-démocrate Gustav Heinemann, élu en mars 1969, est arrivé à la présidence six mois avant que Willy Brandt ne soit élu à la chancellerie. Se considérant comme un “président citoyen”, il s’est engagé en faveur des exclus de la société.
Le chrétien-démocrate Richard von Weizsäcker a quant à lui profité de son mandat pour marquer une rupture dans l’histoire politique allemande de l’après-guerre. Au cours d’un discours prononcé le 8 mai 1985 et resté célèbre depuis, il a été le premier chef d’État allemand à faire du 8 mai 1945, date de la capitulation du régime nazi, une journée devant être considérée et célébrée comme celle de la libération de l’Allemagne et des Allemands du système hitlérien. Ce discours, qui a marqué une rupture profonde avec la perception qui prédominait dans l’Allemagne de l’après-guerre, lui a valu une grande reconnaissance en Allemagne et en Europe. Tel un symbole, c’est sous son deuxième mandat que s’est opérée la chute du mur de Berlin et la disparition de la RDA, faisant de Richard von Weizsäcker le premier président fédéral de l’Allemagne réunifiée. Dans un autre de ses discours resté dans les mémoires allemandes et prononcé à l’occasion de la réunification le 3 octobre 1990, il a enjoint ses compatriotes à se souvenir que s’unir, c’était apprendre à partager.
Chaque président allemand s’est distingué par des discours qui ont marqué des moments symboliques de l’évolution du pays et du peuple allemand. Il en va ainsi de Christian Wulff qui, dans un discours prononcé le 3 octobre 2010 à l’occasion du vingtième anniversaire de la réunification, a été le premier responsable politique allemand à reconnaître solennellement que l’islam et les citoyens musulmans appartenaient autant à l’Allemagne que les chrétiens et les juifs.
Quant à son successeur Joachim Gauck, sa présidence restera plutôt associée à son travail pour panser les plaies de l’ex-Allemagne de l’Est. Premier président issu de l’ex-RDA, ce pasteur et militant des droits civiques a pesé de tout son poids pour défendre la cause de la liberté et de la réconciliation. Son nom reste inextricablement lié aux efforts qu’il a déployés pour reconnaître, commémorer et réparer les injustices commises par le régime communiste en Allemagne de l’Est. Son action dans ce domaine fut si importante que c’est son nom que porte désormais l’autorité chargée de l’administration et de l’évaluation des documents de la Stasi, l’ancienne police politique de la RDA.
Un discours remarquable lors de sa réélection
On l’a vu avec ces exemples : en Allemagne, le pouvoir d’un président fédéral réside avant tout dans ses propos. Après sa réélection à la présidence fédérale, Frank-Walter Steinmeier a profité de la tribune qui lui était offerte pour lancer un appel à la confiance dans la démocratie, en Allemagne comme à l’étranger. Alors que la crise provoquée par la Russie à la frontière de l’Ukraine menace de s’aggraver, il a ainsi déclaré que “quiconque se bat pour la démocratie m’a à ses côtés, et celui qui l’attaque m’aura comme adversaire“.
Dans un clin d’œil appuyé à l’actualité, Frank-Walter Steinmeier a ainsi rappelé devant l’Assemblée fédérale à Berlin que la démocratie en Allemagne est forte parce qu’elle n’achète pas sa force avec l’oppression, avec les menaces extérieures et la peur intérieure. Évoquant frontalement le conflit entre la Russie et l’Ukraine, il a lancé au président russe Vladimir Poutine : « Ne sous-estimez pas le pouvoir de la démocratie ! ».
Avec ce discours tranchant, le président fédéral réélu a surpris les observateurs. Sa condamnation de l’agression de la Russie contre l’Ukraine et ses paroles, adressées directement à Poutine, n’auraient pas pu être plus claires. Frank-Walter Steinmeier, qui, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, avait clairement montré sa compréhension des arguments de Moscou, ne s’était jamais exprimé de façon aussi forte auparavant.
Vers un deuxième mandat plus difficile
Frank-Walter Steinmeier n’est que le cinquième des douze présidents fédéraux allemands à accomplir un second mandat – une responsabilité plus difficile. Il ne peut et ne veut pas se réinventer complètement.
Les conditions générales de son second mandat s’annoncent extrêmement difficiles : le risque de guerre en Europe est à nouveau réel. La communication et le monde du travail se numérisent. Le changement climatique exige de nouveaux modes de vie. La tâche la plus importante de Steinmeier sera de préparer les Allemands à cet avenir incertain et d’accompagner et soutenir la classe politique dans sa volonté de changement.
En ces temps de crise sanitaire, économique, démocratique, climatique et diplomatique, son rôle peut s’avérer précieux, et les services qu’il peut rendre à l’Allemagne et à la cause européenne ne doivent pas être sous-estimés : être à l’écoute des besoins et des craintes des citoyens, encourager, jeter des ponts, être la voix des inaudibles et des silencieux, y compris ceux qui ne se sentent plus représentés par les partis politiques. Il ne devra pas simplement admonester, mais surtout comprendre les craintes du peuple allemand.
Un président qui nomme les faiblesses de la démocratie et n’évite pas la controverse n’est pas une menace pour la société, mais bien une chance. S’il s’implique davantage, Frank-Walter Steinmeier pourra acquérir un vrai poids politique et pourra, dans la tradition de ses prédécesseurs, diriger sans gouverner.