Un été d’événements climatiques extrêmes et un automne de tension sur l’énergie ont-ils un impact sur l’état de l’opinion et modifient-ils les préférences politiques ? Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, tire les enseignements en la matière de la dixième vague du baromètre « Fractures françaises » réalisé par Ipsos, Sopra-Steria, Le Monde, le Cevipof et la Fondation.
Premier enseignement : l’environnement est la priorité de tous et plus de quelques-uns.
Confirmation de toutes les enquêtes réalisées cette année, il s’agit de la deuxième priorité – citée par 34% des panélistes. L’environnement est loin derrière le pouvoir d’achat (54%), mais clairement devant l’avenir des retraites et du système de santé (26%), de l’immigration (18%) ou de la sécurité (18%). Confirmation là encore, cette priorité est largement partagée que l’on soit femme ou homme, riche ou pauvre, rural ou urbain et même jeune ou vieux – les 18-24 ans sont certes plus nombreux que les plus de 70 ans à citer l’environnement comme une priorité (avec un écart de près de 20 points) mais, quel que soit l’âge, l’environnement est la deuxième priorité.
Deuxième enseignement : il y a désormais consensus sur la réalité du changement climatique mais seulement une majorité sur les causes de ce changement.
L’actualité française et internationale a sans doute accéléré la prise de conscience : près de 90% des Français considèrent que « nous sommes en train de vivre un changement climatique ». En revanche, 61% des Français seulement partagent le consensus du GIEC sur les causes de ce changement, c’est-à-dire « principalement l’activité humaine » – les autres estimant notamment que c’est un « phénomène naturel » (16%) ou que l’on « ne peut pas savoir » (8%). Ce scepticisme-là est clivé : il est davantage le fait des plus âgés (27 points d’écarts entre les 18-24 ans et les +70 ans), des moins diplômés (22 points d’écart entre les sans diplôme et les bac+5), mais aussi des sympathisants d’extrême droite (57 points d’écart entre les sympathisants d’Europe Écologie-Les Verts et les sympathisants de Reconquête !).
Troisième enseignement : les Français sont dans l’attente de changements en profondeur.
Ils ne sont pas dans le fatalisme désespéré : 10% seulement estiment que l’on « ne peut rien faire » pour lutter contre le changement climatique. Ils ne sont pas dans le technicisme béat : 14% seulement pensent que la solution viendra des innovations scientifiques. Ils ne sont pas davantage dans l’activisme violent : 73% (mais seulement 50% des sympathisants EE-LV et LFI) considèrent « inacceptable » la violence lors d’actions ou de manifestations écologiques militantes. Ils sont, à l’inverse, 68% à plaider pour un changement en profondeur – qu’il s’agisse de nos modes de vie (30%), ou des modes de production des entreprises (38%).
Quatrième enseignement : les Français sont disposés à changer mais ne veulent pas être seuls à fournir des efforts.
Il y a, sur ce sujet, une inflexion que met en lumière l’enquête et qui est très importante. 66% des Français se disent prêts à « modifier en profondeur leur mode de vie ». C’est un chiffre élevé mais il faut souligner que ce chiffre est en recul de 13 points par rapport à 2021, qu’une minorité seulement (46%) accepte que ces changements impliquent des sacrifices financiers et que, surtout, 69% partagent l’idée qu’ils font déjà beaucoup d’efforts et que c’est à l’État et aux entreprises d’agir principalement.
Cinquième enseignement : la confiance dans le nucléaire progresse nettement.
Le débat public a été animé à la fois par l’annonce d’une relance du programme nucléaire – avec le projet des EPR2 – et par les difficultés d’EDF – avec la mise à l’arrêt d’une partie importante du parc nucléaire. Le premier événement a manifestement primé sur le second : le secteur du nucléaire est une « institution » – au sens large du mot – qui recueille un haut niveau de confiance (59%, loin devant « les grandes entreprises » ou « les banques ») mais, davantage encore, qui voit sa confiance progresser de 11 points par rapport à 2021.
Sixième enseignement : le parti écologiste non seulement ne tire pas politiquement profit de la progression de la préoccupation environnementale mais voit au contraire, paradoxe au moins apparent, son image se dégrader sensiblement.
D’une part, alors qu’il était déjà faible sur sa crédibilité, il est aujourd’hui marginalisé : 21% des Français estiment EE-LV « capable de gouverner », c’est un recul de 11 points par rapport à 2020 et c’est le parti qui recueille le soutien le plus faible sur cette question. D’autre part, là où il était fort, il est aujourd’hui banalisé. La désirabilité de son projet de société était sa grande force en 2020 : en recul de 12 points, il se situe désormais au même niveau que tous les autres partis – l’évolution par rapport à Renaissance est à cet égard spectaculaire : EE-LV était 14 points devant en 2020, il est désormais deux points derrière. La proximité était l’autre grande force d’EE-LV : 52% des Français jugeaient le parti « proche de leurs préoccupations » ; le chiffre est en recul de 13 points et, là encore, banalise le parti écologiste.