Plusieurs propositions du gouvernement pour réformer nos institutions ont récemment fait réagir un certain nombre de responsables politiques et d’observateurs. Le directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation Émeric Bréhier livre son analyse de ces premières « annonces ».
Les derniers développements du débat institutionnel à venir peuvent à bon endroit faire craindre le pire. Tout y apparaît mélangé ; les articles fusent tels des missiles sur les possibilités pour l’exécutif de contourner l’opposition sénatoriale sur un certain nombre de mesures applaudies par les Français (selon les sondages) et figurant parmi les engagements de campagne du président de la République ; les propositions de l’exécutif semblent en certains domaines n’exister que pour créer une opposition résolue, quasi pavlovienne, afin de faire émerger un rapport de force. Bien évidemment, le plus grave dans cette affaire est qu’à aucun moment la question de l’équilibre indispensable entre « la force de gouverner » et la « force de juger », caractère définissant une démocratie, n’est prise en compte.
Passons sur la question du nombre de parlementaires et du non-cumul dans le temps et gageons que, en la matière, les accords seront trouvés avec la majorité sénatoriale, de même que la mort programmée de la Cour de justice de la République. On voit bien que la chose sera éminemment plus complexe quant aux futures règles électorales, les arguments « tarte à la crème » sur les avantages du suffrage uninominal versus les désagréments d’un scrutin proportionnel faisant de nouveau surface.
La dernière polémique concernant le devenir du droit d’amendement est bien plus délicate et inquiétante. Délicate car elle touche de fait à l’un des rôles du parlementaire qui n’est pas le moins signifiant : légiférer. Et s’il est vrai que la situation actuelle est peu satisfaisante (et la réalité peu reluisante pour les parlementaires compte tenu de l’utilisation de ce droit comme une arme d’obstruction parlementaire), la proposition gouvernementale – lier le nombre d’amendements pouvant être déposés à l’importance numérique du groupe parlementaire – est proprement ubuesque. En effet, si le Parlement, dans le cadre d’une démocratie majoritaire, a un rôle, c’est bien celui de donner aux différentes forces d’opposition (à tout le moins celles représentées dans l’une des deux assemblées) la possibilité de profiter des débats parlementaires pour éclairer l’opinion publique sur les raisons de leur rejet de tel ou tel dispositif législatif. Inversement, d’ailleurs, ce temps doit permettre au gouvernement de mener cette bataille politique. Est-ce-à dire que rien ne devrait évoluer dans la procédure parlementaire ? Que nenni.
La Fondation Jean-Jaurès avait d’ailleurs remis au président de l’Assemblée nationale François de Rugy un certain nombre de propositions visant à procéder à des réformes devant permettre tout à la fois de fluidifier le temps parlementaire et de conférer aux députés et sénateurs des pouvoirs plus conséquents :
- Organiser un débat d’orientation devant le Parlement à l’issue de la présentation d’un projet de loi en Conseil des ministres, au cours duquel seraient débattus les attendus du texte et l’étude d’impact ;
- Faire de la procédure accélérée la norme législative ;
- Interdire le dépôt d’amendements par le gouvernement en séance, au-delà de ceux à portée technique ;
- Interdire de déposer des amendements en séance déjà discutés et rejetés en commission ;
- Rendre obligatoire la présence du ministre porteur du texte en commission parlementaire ;
- Permettre aux parlementaires de s’opposer par une majorité qualifiée à la rédaction de décrets manifestement en opposition avec l’esprit ayant prévalu lors des débats parlementaires ;
- Autoriser l’adoption de textes par les commissions.
C’est pourquoi, si elle se confirme, la proposition gouvernementale apparaît au mieux comme un ballon d’essai dont la seule utilité serait de donner, en la retirant par la suite, une victoire assez commode aux – justes – défenseurs des droits du Parlement. Faisons fi des explications psychologisantes d’un président de la République ayant conservé un mauvais souvenir de son implication dans le travail parlementaire lors de son passage ministériel. Et recouvrons un peu de raison dans ce débat sur le devenir de nos institutions. Profitons au contraire de celui-ci pour réhabiliter la force indispensable permettant à l’exécutif de gouverner et la force essentielle autorisant l’opposition à effectuer son travail d’alerte et de bataille politique. Là aussi, des mesures concrètes et aisées à mettre en œuvre existent, comme le fait de réserver aux groupes d’opposition les séances des questions d’actualité.
Ce débat ouvert avec solennité par le président de la République lors du Congrès de Versailles le 3 juillet dernier mérite d’être conduit avec le sérieux qu’il exige. De tous les côtés.