À l’issue de quatre jours de négociations, les dirigeants des vingt-sept États membres de l’Union européenne entérinent le principe d’un emprunt commun pour financer la relance de l’économie à partir de 2021. Un accord à saluer tant il change la nature du projet communautaire. Et ce, sans pour autant fermer les yeux sur les concessions nécessaires à ce compromis, sur le climat ou la politique jeunesse par exemple, selon Théo Verdier, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et vice-président du Mouvement européen-France.
Les conclusions du Conseil européen entérinent la création d’un fonds de relance de 750 milliards d’euros à dépenser d’ici à la fin de l’année 2023. Cette somme sera levée sur les marchés au niveau européen, et donc à des taux plus favorables que ceux dont bénéficient les seuls États membres. L’ensemble se divise en deux enveloppes : 360 milliards de prêts aux États qui en feront la demande et 390 milliards de subventions directes destinées aux pays européens les plus touchés par la crise. La France bénéficiera ainsi de 40 milliards d’euros pour alimenter son propre plan de relance.
Une solidarité de fait entre les Européens
La décision du Conseil européen matérialise une solidarité européenne concrète avec les États les plus atteints par l’impact économique du confinement, l’Italie et l’Espagne en tête. Ils seront aidés par leurs voisins, plus stables financièrement. Le paradigme politique continental change ainsi vis-à-vis de la crise des dettes souveraines de la décennie 2010, où l’Union avait tardé pour venir en aide aux plus fragiles de ses membres, exigeant la mise en œuvre d’importantes réformes structurelles.
À l’avenir, chaque État bénéficiaire devra détailler son utilisation des fonds du plan de relance européen. Un mécanisme conçu lors de la négociation permet également de soumettre à l’accord du Conseil européen le versement de certaines sommes si un doute subsiste sur leur utilisation. Un mode opératoire diamétralement différent de l’esprit des plans d’austérité des années 2010 et de la troïka mise en place lors de la crise grecque. Le modèle adopté s’approche d’une logique contractuelle, comparable à celle du financement sur projet utilisé depuis des décennies pour l’attribution des fonds européens aux collectivités locales.
Le montant annoncé des subventions a été réduit de près de 110 milliards d’euros par rapport à la proposition franco-allemande formulée en juin dernier. Un rabot nécessaire à l’accord des pays dits « frugaux » (Pays-Bas, Autriche, Danemark, Suède et Finlande). Ces derniers ont également veillé à étendre le rabais dont ils bénéficient pour leur contribution au budget européen, négocié en parallèle du fonds de relance.
La difficile convergence de 27 opinions publiques différentes
Les concessions faites à Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, et à ses alliés ont contraint les dirigeants européens à réduire l’ambition de certains programmes européens existants ou en cours de création. Et ce, pour sauvegarder l’ambition du fonds de relance. À titre d’exemple, on peut citer le « fonds de transition juste » destiné à financer la conversion énergétique des États les plus en retard tels que la Pologne. Son budget passe d’une prévision de 40 milliards à près de 10 milliards dans la proposition actuelle. Des baisses similaires ont également été consenties sur le budget du programme Erasmus ou le financement dédié à « l’Europe de la santé ».
Le fonds de relance acte un principe fondateur : l’Europe peut désormais, à l’image d’un État, emprunter pour financer ses priorités communes. Ce mode de fonctionnement ne permet pas encore d’éviter les blocages liés au mode de décision à l’unanimité, qui offre un pouvoir de blocage à une minorité d’États membres. Il faut toutefois rappeler que l’Union européenne doit construire le consensus au sein de 27 démocraties nationales différentes. Et que l’opinion publique dans les pays frugaux considère avec méfiance le sérieux budgétaire des États du sud. Leurs dirigeants, chefs de coalitions parlementaires parfois fragiles, ont dû se battre pour afficher une victoire dans l’adoption d’un plan potentiellement impopulaire sur leur scène politique respective. Et ce, alors même que les parlements nationaux devront bientôt approuver à l’unanimité le plan de relance européen.
À terme, cette première pierre vers une fédéralisation de l’Union européenne lance un débat sur la capacité de l’Union européenne à lever par elle-même des ressources propres pour rembourser ses emprunts et financer de futurs projets. Et ce, via la création d’une taxe sur le numérique ou la mise en place d’un protectionnisme vert aux frontières du marché unique. La levée de nouvelles recettes fiscales permettrait de limiter le blocage des négociations sur les contributions nationales des vingt-sept. Ainsi que de continuer à financer solidairement nos priorités communes, à l’image de la politique environnementale de l’Union.