Dans sa contribution d’une série réalisée en partenariat avec L’Hétairie, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille et auteur du blog La Constitution décodée, donne les raisons juridiques et déontologiques, voire de prudence, qui devraient encourager Emmanuel Macron à déclarer sa candidature dans les meilleurs délais.
Les 10 et 24 avril prochains, pour la onzième fois sous la Ve République et depuis que cette élection a lieu au suffrage universel direct, nous voterons pour désigner le président de la République. De nombreux candidats se sont déclarés et, parmi eux, certains ont déjà obtenu le nombre de « parrainages » nécessaires pour concourir, tandis que d’autres les obtiendront prochainement.
Une personnalité – et non des moindres – n’a pas encore fait acte officiel de candidature, tout en ayant déjà recueilli un nombre suffisant de parrainages : Emmanuel Macron, président de la République sortant.
C’est là un faux suspense : il sera candidat, inutile d’en douter.
Les vraies questions concernent les exigences juridiques et déontologiques qui pèsent sur lui alors qu’il n’est pas candidat
Il l’a laissé entendre à plusieurs reprises et continue de le laisser à penser, en projetant des réformes au-delà du terme de son mandat, qui font ainsi office de programme. De plus, il n’y eut qu’un seul précédent retentissant, dans toute l’histoire de notre République, d’un président en exercice qui renonça à se représenter, alors qu’il en avait la capacité juridique et physique : c’est François Hollande, le 1er décembre 2016. Tous les autres se présentèrent, avec des chances de succès toutes relatives : si François Mitterrand et Jacques Chirac parvinrent à être réélus, ce ne fut qu’après une période de cohabitation tandis que Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy furent battus. Au-delà de l’attrait pour la fonction, une nouvelle candidature est logique, tant l’accomplissement de réformes s’impose dans une durée qui excède celle du mandat.
Enfin, s’il devait renoncer, on peut supposer que ce ne serait pas au détriment de sa famille et de ses amis politiques, qui devraient alors lui trouver un remplaçant. Or une candidature à l’élection présidentielle se prépare et se construit, ce qui requiert du temps : à moins de deux mois de l’échéance, il est trop tard. Bref, s’il devait renoncer, il l’aurait fait bien plus tôt.
C’est donc un faux suspense, mais cette non candidature pose de vraies questions, au-delà, bien sûr, de la curiosité de l’instant que choisira l’actuel président pour se déclarer. On peut aisément imaginer qu’il cherchera à profiter d’un moment qui lui est favorable, lorsque des chiffres économiques ou en lien avec la crise sanitaire conforteront l’action qu’il a menée ces dernières années, lorsqu’il sortira grandi de la situation internationale avec l’Ukraine et l’Union européenne, ou lorsqu’un nouvel allègement des contraintes liées à l’épidémie sera décrété.
D’abord, jusqu’à quand pourrait-il entretenir le suspense ?
Si les parrainages peuvent être adressés au Conseil constitutionnel jusqu’au 4 mars à 18 heures, ce dernier doit ensuite s’assurer du consentement des candidats « pressentis » (une personne ayant publiquement fait acte de candidature pouvant même, alors, renoncer) et obtenir, de leur part, une déclaration d’intérêts et d’activités et une déclaration de leur situation patrimoniale. La liste des candidats doit alors être publiée au Journal officiel le mardi suivant, soit le 8 mars.
Ensuite, Emmanuel Macron peut-il profiter des moyens de la République pour faire sa campagne personnelle ?
Nul doute qu’il y a des avantages à être président sortant, mais il y a également des inconvénients. Surtout, les règles en matière de financement des campagnes électorales sont très strictes et s’appliquent également à l’égard d’un président de la République candidat à sa propre succession.
Si un président sortant peut évidemment compter sur les moyens liés à l’exercice de sa fonction, qui ne saurait être interrompu par la campagne, il est aussi comptable de son action au cours du mandat écoulé, qu’il est a priori le seul à ne pas pouvoir critiquer. Or on constate, à l’aune de l’histoire de la Ve République, qu’il est plus aisé d’être élu président lorsque l’on ne doit pas répondre de la situation du pays. Non seulement les échecs de Valéry Giscard d’Estaing (1981) et de Nicolas Sarkozy (2012) le prouvent, mais ceux de Jacques Chirac (1988), Édouard Balladur (1995) et Lionel Jospin (2002) le confirment, alors qu’ils étaient Premier ministre lors de leur candidature, donc responsable de l’état de la France (fût-il bon).
De surcroît, si le président en exercice et futur candidat profite des moyens tant matériels que financiers que lui offre sa charge pour mener sa campagne personnelle, l’État doit les lui refacturer au risque, sinon, d’une invalidation des comptes de campagne. Nicolas Sarkozy, qui entretient avec lui une certaine correspondance, est sans doute son meilleur conseil, grâce à l’expérience malheureuse qui fut la sienne en 2012.
La décision que rendit le Conseil constitutionnel en 2013, confirmant le rejet du compte de campagne, est éloquente. D’une part, « la date à laquelle le candidat a déclaré sa candidature n’est pas de nature à priver de leur éventuel caractère électoral les dépenses intervenues antérieurement à cette déclaration ». Peu importe l’instant, donc, pourvu que la dépense soit engagée après le 1er juillet (date de début de l’obligation de tenir un compte de campagne) et qu’elles ont pour objet la promotion de sa candidature.
D’autre part, les dépenses relatives aux manifestations auxquelles le président participe doivent figurer au compte de campagne dès lors qu’elles revêtent un caractère manifestement électoral. Lors du contrôle du compte, la CNCCFP est en mesure de réintégrer ainsi des dépenses qui auraient dû y figurer mais qui auraient été omises. Surtout, s’il n’y a pas une refacturation de ces dépenses par l’État au candidat, le financement de la campagne est considéré comme irrégulier ce qui peut justifier, à soi seul, une invalidation du compte.
Ce sont donc à la fois des raisons juridiques et déontologiques, voire de prudence, qui devraient encourager, pour ne pas dire contraindre Emmanuel Macron à déclarer sa candidature dans les meilleurs délais.