Faut-il raser le Palais Bourbon ?

« Partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale » : pour le député Adrien Taquet, c’est une invitation à se projeter dans une nouvelle ère démocratique. Dans le cadre de la consultation sur l’Assemblée de demain, il livre ses propositions.

8h30, station Assemblée nationale. Les murs du quai accueillent le jeune député qui descend du wagon d’une phrase qui lui rappelle qu’il existait un monde avant lui : « Partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale ». Et si le futur de l’Assemblée nationale résidait dans cette phrase vieille de 200 ans, clamée dans la fièvre du Jeu de Paume à Versailles ? Et si le futur de l’Assemblée nationale ne résidait plus à la station Assemblée nationale ?

Dans un pays centralisé comme le nôtre, où le fossé semble irrémédiablement se creuser entre les citoyens et leurs représentants, à une époque comme la nôtre où le virtuel redéfinit un peu plus chaque jour la notion même « d’être ensemble », la question du lieu de résidence de l’Assemblée nationale mérite d’être posée.

Alors quoi ?! Faut-il raser le Palais Bourbon ? Commençons par poser deux préalables à la réflexion qui viendra ensuite.

Tout d’abord, tout projet impliquant l’Assemblée nationale, quelle qu’en soit la teneur, doit désormais s’envisager à 350 députés : c’est une réforme inéluctable à l’échelle de notre pays et des attentes de nos concitoyens, et alors que nous avons mis fin au cumul des mandats. Réjouissons-nous : elle nous donnera plus de liberté créative dans l’exercice auquel nous nous prêtons.

S’avouer ensuite que le Palais Bourbon est une hérésie architecturale au regard des standards contemporains du bien-être et de l’efficacité au travail. Le confort remonte au XIXe siècle, la connectivité au XXe : sous les toits, des cages à lapin pour bureaux, dont le seul charme est de nous rappeler la chambre d’étudiant de nos 20 ans ; des espaces dédiés au travail collectif peu nombreux, qui favorisent davantage la déprime que le partage ; un hémicycle fortement déconseillé à toute personne mesurant plus d’un mètre soixante-quinze (ne parlons pas des personnes en situation de handicap) ; un amour, inassouvi semble-t-il, du papier ; un réseau sur courant alternatif, qui nous rappelle lui aussi nos 20 ans et notre modem 56K. Réjouissons-nous d’être une vieille démocratie, mais admettons avoir perdu au change en termes d’efficacité si l’on se compare à Berlin ou à Riga.

Profitons donc de cette opportunité et libérons-nous de cette contrainte pour imaginer l’Assemblée de demain.

D’abord en répondant à l’invitation des pères fondateurs, en allant tenir séance hors les murs, au-delà du périphérique. À l’image de ce qui se fit de façon très éphémère pour le Conseil des ministres, pourquoi ne pas imaginer siéger une fois par mois loin de Paris ? Symbolique diront certains, mais cela mettra une région à l’honneur tout en rapprochant les citoyens de leurs représentants.

On peut effectivement aller plus loin, et en profiter pour rompre plus franchement encore avec notre centralisme institutionnel, en délocalisant définitivement l’Assemblée nationale dans une de nos grandes villes françaises. Pourquoi ne pas faire de Marseille la nouvelle capitale législative de notre pays ? D’autres pays l’ont fait avant nous : le Congrès national chilien siège à Valparaiso, sans même évoquer Brasilia dont la vision était certes architecturale mais répondait aussi à une logique institutionnelle. On peut d’ailleurs se demander comment nos sénateurs, dignes représentants des collectivités locales, n’y ont jamais pensé pour eux…

Que faire du Palais Bourbon dès lors ? Une maison de la démocratie, vivante et ouverte à tous, qui ne se contente pas de sacraliser notre histoire mais offre des espaces d’échanges et de débats pour les autres acteurs de la démocratie que sont les associations. Le siège du nouveau Parlement des enfants aussi, que l’on créerait à cette occasion pour qu’ils nous saisissent sur les sujets d’avenir qui les préoccupent.

Alors oui, c’est pratique – et agréable, avouons-le – d’arpenter à pied le 7e arrondissement de Paris pour rendre visite aux différents ministres et à leur cabinet, mais à l’heure du numérique et de la visio-conférence, cet argument a peu de poids. Oui, c’est rassurant de voir le monde politique concentré dans quelques kilomètres carrés, mais peut-être est-ce aussi un peu obsolète à l’heure de la mondialisation.

Et cela doit nous pousser à aller plus loin : on peut le regretter, mais être ensemble aujourd’hui n’implique plus d’être ensemble en même temps au même endroit, et l’Assemblée de demain n’aura peut-être plus aucune réalité physique. Chaque député accédera, via une interface, à un Parlement virtuel où chacun de ses collègues apparaîtra à l’écran, débattant mais à distance. On pourra s’échanger en direct des documents qui se réfèrent à la loi en discussion, communiquer via des chats – fini le charme suranné du bal des huissiers qui portent des enveloppes entre les travées, alors même que nous communiquons toute la journée via les quatre messageries instantanées installées sur nos mobiles. Un débat nécessite un éclaircissement ? Un expert sera auditionné instantanément en ligne, un ministre sera interpellé directement de son bureau. Un député en mission à l’étranger fera état en live de la situation qu’il constate, images à l’appui. Et pourquoi pas aller jusqu’à converser en direct avec des citoyens, qui viendraient éclairer de leur vécu bien réel cet hémicycle virtuel ?

Partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale. Ce qui constituait à la veille de la Révolution française un moyen de se défendre contre tout retour en arrière est aujourd’hui une invitation formidable à nous projeter dans une nouvelle ère d’exercice démocratique : une assemblée déracinée diront certains, mais qui n’aura jamais été aussi ancrée dans la réalité de son époque, de ses habitants et de ses territoires.

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