Faire évoluer notre cadre institutionnel et nos pratiques politiques

Les chantiers ouverts par le président de l’Assemblée nationale sont d’importance et méritent d’être pris au sérieux. Émeric Bréhier y voit une opportunité de faire évoluer notre cadre institutionnel et notre pratique politique, et fait un certain nombre de propositions.

Le travail parlementaire est largement méconnu de nos concitoyens. Pis, les pouvoirs du parlement sont eux-mêmes bien souvent méconnus des acteurs. Pire encore, on confond souvent la difficulté des parlementaires à trouver des marges politiques face à un exécutif réputé tout-puissant, avec les problématiques institutionnelles. Trop souvent, notamment lors de la dernière mandature avec une singulière capacité à la caricature, la tentation est forte de s’exonérer de ses propres incapacités politiques au nom d’une supposée impossibilité juridique. Cela signifie-t-il pour autant que nulle réforme de l’organisation des débats dans les chambres, du statut des élus, de leur nombre, ne saurait être envisagée ?

Bien au contraire, et les chantiers sont nombreux. À cet égard, ceux lancés par le président de l’Assemblée nationale répondent à une salutaire attente. Nul ne saurait douter que le Sénat participe également à cette volonté réformatrice. Qu’il nous soit permis néanmoins d’exprimer un regret. Alors que le président de la République a annoncé une réforme constitutionnelle à l’occasion de son discours du 3 juillet dernier devant le Congrès, le sentiment qui nous étreint est celui d’une impréparation justifiant en quelque sorte des mouvements en tous sens que l’on peut craindre désordonnés. Si les chantiers lancés par François de Rugy, pris isolément, répondent tous à de véritables problématiques, il y manque un élément structurant : les finalités d’un parlement et le cadre institutionnel plus large dans lequel il s’inscrit. Car ce ne sont pas les mêmes logiques qui doivent prévaloir selon que l’on est dans un régime parlementaire (même avec un président de la République élu au suffrage universel direct) ou bien dans un régime présidentiel qui s’assumerait alors totalement. 

Les pouvoirs, les capacités d’interpellation, les rapports entre les pouvoirs législatif et exécutif, la place accordée à l’opposition (les oppositions ?) ne sauraient être les mêmes, voire de même nature, selon que l’on est dans l’une ou l’autre des hypothèses. Faute d’indication contraire, gageons que le régime de la Ve République demeurera tel quel.

Le processus d’élaboration de la loi

Arrêtons-nous d’abord sur le processus d’élaboration de la loi. Chacun le sait, il est pour l’essentiel d’origine gouvernementale. Dès lors, il convient d’abord de s’attaquer au processus gouvernemental. Celui-ci est trop souvent empreint d’un mélange de lenteur, de batailles picrocholines entre services administratifs et d’improvisation. Ainsi n’est-il pas rare que les parlementaires soient conduits à débattre de textes sans disposer d’études d’impact sérieuses, parfois même sans bénéficier d’un projet de loi établi, que le gouvernement par le biais de l’introduction d’amendements au dernier moment modifie parfois sensiblement, pour ne pas dire plus. L’opposition a alors beau jeu de moquer les parlementaires de la majorité, et ce quelle que soit la couleur politique. Cette incapacité gouvernementale à respecter le rôle des parlementaires doit cesser si l’on souhaite véritablement moderniser le parlement : s’interdire le dépôt d’amendements tardifs réécrivant le texte initial, communiquer aux commissions compétentes bien en amont le projet de loi ainsi que de véritables études de cas et l’avis du conseil d’État, assurer la présence des ministres en commission pour débattre de leur projet de loi.

Mais, dans une logique du donnant-donnant, les parlementaires doivent accepter de simplifier la procédure. Tout d’abord en revoyant profondément celle de la Commission mixte paritaire qui ne peut que désespérer qui s’y intéresse. Ensuite en acceptant que le texte adopté en commission ne soit pas seulement le texte débattu en séance mais constitue l’épine dorsale des débats en séance, limitant par là-même la possibilité des parlementaires de déposer de nouveau des amendements déjà repoussés en commission. De même que la discussion générale gagnerait à être plus encore limitée, tant elle confine à un exercice lénifiant n’autorisant que rarement des expressions novatrices quant au sujet abordé, mais se limitant bien souvent à un exercice d’auto-congratulation ou bien de mise en pièces du texte présenté par le gouvernement. Le travail en commission serait ainsi profondément revalorisé, allant dans le sens de ces dernières années, incitant les parlementaires non pas seulement à y assister mais à y prendre part. Après tout, les parlementaires ne peuvent ni ne sauraient se pencher sur l’ensemble des textes de loi. Il n y a là rien de déshonorant pour le mandat parlementaire que de le reconnaître. C’est bien dans ce cadre d’un calendrier parlementaire distendu que pourraient – devraient ? – prendre place les initiatives nouvelles permettant de mieux associer nos concitoyens, notamment au travers des consultations numériques. Même s’il convient de ne pas en faire une improbable panacée tant ses procédures sont encore discriminantes et peuvent laisser place à des phénomènes de mobilisation sectorielle. Par ailleurs, dès lors que l’on considère toujours notre régime comme parlementaire, convient-il de conserver des outils de régulation des relations entre l’exécutif et le législatif ? Ainsi le fameux – et caricaturé afin de cacher sa propre impasse politique – 49-3 devrait-il être limité aux seuls textes sans lesquels nul gouvernement ne saurait… gouverner, c’est à dire les textes budgétaires : le PLF et le PLFSS. Demeure une singularité de la vie parlementaire : les fameuses questions d’actualité. Singulier en effet que d’entendre des ministres répondre à des questions aimables qu’ils ont parfois eux-mêmes sollicitées ! On perd ici de vue le rôle de la question : mettre en difficulté le gouvernement sur des sujets d’actualité et/ou de fond. Pourquoi ne pas limiter cette possibilité aux seuls parlementaires n’ayant pas voté la confiance au gouvernement ? Après tout, les députés ou les sénateurs de la majorité ne devraient pas être, en temps normal, les procureurs les plus virulents et efficaces de l’action gouvernementale !

La limitation du nombre de parlementaires

Venons-en maintenant à cet autre chantier annoncé par le président de la République et repris à juste raison par celui de l’Assemblée nationale : la limitation du nombre de parlementaires. 925 parlementaires, dit-on, représentent nos concitoyens. Et, comme par hasard, nous ne comptons jamais les députés européens qui jouent pourtant un rôle essentiel dans notre législation. Mais passons… L’heure est à la réduction, sous prétexte d’une meilleure efficacité du travail parlementaire et d’une meilleure utilisation des deniers publics évidemment gaspillés par la représentation nationale mais ô grand jamais par les administrations centrales privées ou publiques ! Toutefois, il convient de soupeser les conséquences de cette réduction. Bien sûr, il sera impératif de découper de nouvelles circonscriptions. Il ne serait à cet égard pas malvenu que le découpage ne soit plus confié au gouvernement mais à une commission parlementaire. Après tout, c’est ce qui se passe outre-Manche. Bien évidemment, il conviendra de respecter l’engagement présidentiel d’introduire une dose de proportionnelle dont le niveau (10%, 25%, ou plus de l’ensemble des député.e.s) et les modalités ne sont connues de personne à ce stade. Assurément, apparaîtront les inénarrables tartes à la crème dès lors que ce type de sujet est abordé : les élu.e.s à la proportionnelle seront de facto déconnecté.e.s de leurs concitoyens, sans attaches territoriales, à la différence de leurs confrères élus au suffrage majoritaire ! Assurément, les premiers seront des apparatchiks lorsque les seconds seront eux de « véritables » élus.

On ne peut néanmoins qu’être abasourdi par cette capacité à réfléchir aux modes de scrutin pour élire nos parlementaires sans que jamais ne soit pris en compte l’équilibre institutionnel plus global. Les attendus et les conséquences d’un mode de scrutin ne sont pas les mêmes selon que vous êtes dans un régime parlementaire ou un régime présidentiel. Plus sérieusement, deux difficultés de nature bien différentes émergeront si cette double volonté présidentielle est concrétisée : la prise en compte des territoires ruraux dans le découpage des circonscriptions où l’élection se tiendrait au suffrage majoritaire en prenant en compte la jurisprudence du Conseil constitutionnel ; le respect des proportions actuelles entre le Sénat et l’Assemblée nationale pour la composition du Congrès. Cette dernière en représente 62%. Dès lors, si le nombre de député.e.s est réduit à 400, alors le nombre de membres de la Haute Assemblée doit être diminué en proportion, soit à peu près de 90 sénatrices ou sénateurs. Et il serait sans doute opportun, voire indispensable, de décider, enfin, que nos député.e.s européen.ne.s sont également à part entière membres du Congrès. Enfin, peut-être surtout, si cette diminution du nombre de parlementaires doit avoir du sens, c’est pour conférer aux représentants de la Nation plus de moyens pour effectuer leur travail de législateur et de contrôle de l’action gouvernementale. Alors, il conviendra d’accroître les moyens humains et matériels qui leur sont conférés. Ceci est d’autant plus indispensable avec la fin, heureuse, de la possibilité pour les parlementaires de cumuler leur mandat avec des fonctions exécutives locales. Cumul qui jusqu’ici donnait à celles et ceux en situation de cumul une capacité de s’entourer de collaborateurs plus nombreux que celles et ceux ne connaissant pas cette situation de cumul. Ainsi, l’enveloppe de 9 500 euros mensuels accordée aux député.e.s (la même logique doit s’appliquer aux sénateurs) pour rémunérer leurs collaborateurs pourrait être accrue de près de 40%, leur permettant d’accroître leur force de travail et d’être ainsi mieux accompagnés. Et ce d’autant plus que les territoires à couvrir, et le nombre d’habitants, auront singulièrement crû. Ce ne serait que justice et démontrerait ainsi la volonté de renforcer les pouvoirs des parlementaires.

Dans le même état d’esprit, il serait sans doute opportun de remettre sur l’établi l’organisation du travail parlementaire aujourd’hui concentré sur deux jours ou deux jours et demi. Pourquoi ne pas l’organiser de manière hebdomadaire : une semaine au parlement, une semaine en circonscription ou territoire ? Cela permettrait aux parlementaires d’éviter des allers-retours préjudiciables à la permanence du travail parlementaire et notamment du contrôle de l’action du gouvernement.

Les chantiers ouverts par le président de l’Assemblée nationale sont d’importance et méritent d’être pris au sérieux. Après tout, voici une opportunité de faire évoluer notre cadre institutionnel et notre pratique politique. Il n’est pas interdit de ne pas bouder son plaisir. Et d’y prendre sa part. 

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