Et si le podcast était le nouveau théâtre de la bataille médiatique et culturelle ? C’est la question que pose Théo Verdier, codirecteur de l’Observatoire Europe de la Fondation, dans cette note. Partant de la campagne électorale qui s’est tenue aux États-Unis, il montre que la politique commence à s’inviter sur cet autre support médiatique, celui des podcasts. Et cette tendance s’observe également en Europe.
Donald Trump et Kamala Harris, ainsi que leurs colistiers respectifs, ont participé à plus de dix des cinquante podcasts1Voir le classement Edison Research du 2e trimestre 2024. les plus écoutés aux États-Unis. Associé à une limitation au strict minimum des traditionnels interventions et débats télévisés, ce phénomène a amené la presse américaine à forger l’expression d’une « élection podcast ». La suplantation des médias audiovisuels établis par des formats podcasts est-elle également observable dans la vie politique européenne ? Il s’agit, dans cette note, de faire une première analyse de cette transition.
L’interview de Donald Trump au micro de « The Joe Rogan Experience », première émission du classement Spotify outre-Atlantique en 2024, a marqué l’acmé de cette campagne de podcasts. Longue de trois heures et diffusée dix jours avant le scrutin, l’émission tutoie les 50 millions de vues sur YouTube et a été suivie cinq jours plus tard d’un épisode consacré à J.D. Vance, alors candidat à la vice-présidence.
La politique, exception éditoriale dans des contenus à dominante culturelle
Ces émissions mettent en exergue quelques-unes des caractéristiques du recours au podcast en contexte électoral. En premier lieu, le cadre. Il n’est pas celui d’une interview politique ou d’actualité. Les canaux mobilisés sont des purs produits du secteur, animés par des influenceurs plus souvent que par des journalistes au sens traditionnel du terme, et réalisés sans recours aux médias généralistes (bien que J.D. Vance se soit prêté au jeu du podcast pour le New York Times).
Plus encore, les candidats ont privilégié des émissions qui ne sont pas consacrées à l’analyse politique. S’y entrecroise principalement le traitement de sujets de société, de tendances culturelles et de témoignages. C’est ce qu’illustre le passage de Kamala Harris à « Call Her Daddy », un podcast centré sur la vie intime et amoureuse. L’interview de la candidate démocrate est ainsi précédée et suivie par deux épisodes où figurent les actrices Heather McMahan et Bethany Joy Lenz.
Un média de masse, un média de segment, un média de confiance
Au-delà du cadre, pourquoi les candidats recourent-ils au podcast ? Il confère un double avantage sur le plan de l’audience. Celui d’une écoute massive tout d’abord : 44% des Américains consomment régulièrement des podcasts2Voir l’édition 2024 du Digital News Report, YouGov pour Reuters Institute et Oxford University. ; ils sont plus de 60% chez les moins de 35 ans. Et celui d’un ciblage précis : « Call Her Daddy » est suivie par 70% de femmes, dont plus des trois quarts ont moins de 35 ans quand « The Joe Rogan Experience » rassemble une audience composée à 81% d’hommes avec une répartition plus homogène en termes de classe d’âge3Voir Lea Redfern, « US election is showing the power of podcasting », université de Sydney, octobre 2024.. La spécificité de l’audience de ces podcasts correspond également à l’esprit des campagnes démocrates et républicaines, qui ont notamment tendu à mobiliser en fonction du genre.
De plus, à l’ère du discrédit généralisé4Christian Salmon, « Quand le discrédit ronge notre démocratie », France Inter, 9 novembre 2024., le podcast est devenu le média de la confiance entre auditeur et animateur5Voir « 2024 podcast trends tour », Spotify, mai 2024.. 75% des consommateurs de podcasts états-uniens disent croire ce qu’avancent les hôtes des programmes qu’ils écoutent6Enquête Deloitte Media Trends 2023, voir WSJ.com.. Un résultat porté par l’intimité parasociale7Voir Hannah McGregor, « Podcast Studies », Oxford Research Encyclopedias, juin 2022. – la projection par l’auditeur d’une relation de proximité unilatérale avec son ou ses présentateurs – inhérente au format. Une relation de confiance qui passe notamment par un rendu authentique. Le son peu traité en post-production et le décor a minima cassent l’impression d’intermédiaire en comparaison avec les médias traditionnels. Tous ces éléments contribuent à produire un fort sentiment de communauté entre les auditeurs d’un même podcast8Enquête Deloitte, op. cit. : 55% des sondés disent ressentir un sentiment de communauté entre auditeurs d’un même podcast, plus de 61% dans la génération Gen Z et parmi les Millenials..
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Abonnez-vousEn Europe, une consommation plus inégale du média podcast
Les Européens ont largement adopté le podcast comme un moyen de divertissement et d’information. 37% des personnes sondées dans 15 pays de l’Union européenne (UE) déclaraient écouter des podcasts en 2024, ce qui représenterait un bassin d’écoute de plus de 134 millions d’auditeurs. La pénétration du média diffère toutefois largement selon les pays de l’Union9Étude YouGov pour Reuters Institute et Oxford Research, op. cit.. Dans sept États membres, elle concerne plus de quatre personnes sur dix. Il s’agit du trio Slovaquie (48% d’auditeurs), Tchéquie (44%) et Pologne (42%), qui se distingue au même titre que la péninsule ibérique (44% d’auditeurs en Espagne, 42% au Portugal), l’Irlande et la Suède. À l’inverse, moins d’un tiers des Belges (27%), des Français (28%) et des Allemands (30%) consomment des podcasts.
Bien que moins répandu qu’aux États-Unis, et avec une diffusion plus ou moins forte selon les États européens, le podcast conserve dans l’Union européenne le même profil médiatique qu’outre-Atlantique : celui d’un média de masse avec un public segmenté à dominante jeune et masculine. En Espagne par exemple, 51% des hommes en consomment contre 38% des femmes. Et la pratique est plus répandue chez les moins de 35 ans que dans le reste de la population (+18 et 14 points par rapport à la moyenne nationale chez les 18-24 et 25-34 ans)10Étude YouGov pour Reuters Institute et Oxford Research, op. cit..
Sur le plan thématique, le podcast est un média de divertissement d’abord, d’information ensuite11Voir étude Kantar, Connecting with the media and entertainment community, août 2024.. Le jeu politique ainsi que ses acteurs en sont la plupart du temps absents. Pour reprendre le cas espagnol, en étudiant le top 30 Spotify à l’automne 2024, on observe la prégnance des émissions d’humour, de société et de thématiques culturelles. Les faits divers et les podcasts centrés sur les affaires et l’entreprenariat constituent également des thèmes phares du genre.
Répartition des podcasts du top 30 Spotify en Espagne par catégories, octobre 2024
Réalisé sur la base du classement Podchaser, Fondation Jean-Jaurès.
Quelles incursions du jeu politique et électoral dans le secteur podcast en Europe ?
Parmi le top 10 du classement espagnol12Consulté le 13 novembre 2024, classement Spotify via Podchaser., on retrouve ainsi quatre émissions de divertissement animées par des humoristes ou des comédiens – le format Comedian Hosted Interview Podcasts (CHIP) –, deux programmes d’actualités et le reste se divise entre sujets de santé, entreprenariat et faits divers. De même qu’en Pologne et en France, deux podcasts d’actualités se positionnent au sein des dix premières émissions sur Spotify.
Si l’actualité politique n’occupe pas une place majeure dans l’environnement podcast en Europe, elle peut cependant comme aux États-Unis y faire des incursions. Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a participé à l’émission « La Pija Y La Quinqui » quelques semaines avant les élections législatives de juillet 2023. Au Royaume-Uni, Keir Starmer avait eu recours au podcast en tant que chef de l’opposition travailliste à travers un passage dans l’émission « The rest is politics » et a commenté ses cent jours en fonction au micro de « Newscast », un programme de BBC Sounds, la division podcast de l’audiovisuel public outre-Manche.
En France, Emmanuel Macron a marqué la campagne des législatives en juin 2024 en France par son passage dans l’émission « Génération Do It Yourself ». Aux élections européennes, le média « Legend » de Guillaume Pley a réalisé un reportage suivant les candidats dans les coulisses des débats. Le premier podcast de France sur Apple Podcasts et Spotify avait également reçu Jordan Bardella pour évoquer les émeutes urbaines de juillet 2023. La vidéo totalise plus de deux millions de vues sur YouTube. Enfin, l’ancien président de la République François Hollande vient de lancer son propre podcast, « Un président devrait écouter ça ».
L’usage du podcast en politique peut ainsi s’observer en Europe tout en demeurant épisodique, en tout cas de manière nettement moins massive que dans les récentes campagnes de Kamala Harris et de Donald Trump. Non seulement les candidats européens sont moins présents, mais les contenus ouvertement partisans sont également plus restreints dans le haut des classements podcasts des principaux pays européens.
Quelle supervision des contenus podcasts en contexte électoral ?
À mesure que le média continue de gagner en popularité et à la lumière de l’exemple états-unien, on peut émettre l’hypothèse que la tendance à la mobilisation électorale de podcasts culturels ou de divertissements devrait se poursuivre. En ce sens, quelles sont les obligations pesant sur ces émissions dans le cadre électoral ? Le code de bonnes pratiques en matière électorale de la Commission européenne pour la démocratie par le droit, organe consultatif du Conseil de l’Europe, pose les principes d’un accès minimal aux médias audiovisuels par les candidats. Dans plusieurs pays européens, le respect du pluralisme et du principe de neutralité par les médias publics et privés est inscrit dans la loi13On connaît l’exemple français. On peut également citer le même type d’obligation en Espagne..
Mais ces obligations sont-elles aujourd’hui étendues au secteur du podcast ? La question se pose notamment lorsqu’ils sont diffusés par des organismes n’étant pas des médias traditionnellement soumis à ce type d’organisation et incluent un contenu politique de manière ponctuelle dans une programmation d’ordre culturel ou de divertissement.
Au-delà du sujet réglementaire, la campagne présidentielle aux États-Unis amène à interroger la place du podcast dans le mouvement d’extrême polarisation politique en cours dans les démocraties occidentales. Média de masse permettant de cibler précisément des communautés d’électeurs, le podcast est à la fois abordable sur le plan financier et diffusable dans une pluralité de formats et de plateformes. Un outil idéal pour les candidats en campagne, notamment dans la sphère politique européenne où les budgets électoraux sont plus restreints qu’outre-Atlantique.
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- 2Voir l’édition 2024 du Digital News Report, YouGov pour Reuters Institute et Oxford University.
- 3Voir Lea Redfern, « US election is showing the power of podcasting », université de Sydney, octobre 2024.
- 4Christian Salmon, « Quand le discrédit ronge notre démocratie », France Inter, 9 novembre 2024.
- 5Voir « 2024 podcast trends tour », Spotify, mai 2024.
- 6Enquête Deloitte Media Trends 2023, voir WSJ.com.
- 7Voir Hannah McGregor, « Podcast Studies », Oxford Research Encyclopedias, juin 2022.
- 8Enquête Deloitte, op. cit. : 55% des sondés disent ressentir un sentiment de communauté entre auditeurs d’un même podcast, plus de 61% dans la génération Gen Z et parmi les Millenials.
- 9Étude YouGov pour Reuters Institute et Oxford Research, op. cit.
- 10Étude YouGov pour Reuters Institute et Oxford Research, op. cit.
- 11Voir étude Kantar, Connecting with the media and entertainment community, août 2024.
- 12Consulté le 13 novembre 2024, classement Spotify via Podchaser.
- 13On connaît l’exemple français. On peut également citer le même type d’obligation en Espagne.