Face à la crise démocratique, le local comme laboratoire de la réconciliation nationale

Au moment où le pays traverse une crise politique et institutionnelle majeure, la parole de terrain doit être écoutée et le chemin de la réconciliation nationale passera nécessairement par le local. Florian Bercault, maire de Laval, livre son analyse d’élu local en première ligne et montre que la crise démocratique n’est pas une fatalité : ce qui se fait à Laval est symptomatique de cette crise mais constitue aussi un laboratoire d’actions pour y répondre. 

La déflagration politique résultant de la dissolution de l’Assemblée nationale voulue par le président de la République le soir des résultats des élections européennes dit beaucoup à la fois de l’état de fragilité de notre pays mais aussi des attentes fortes de nos concitoyens. C’est comme si notre pays avait perdu sa boussole et ses repères au gré des intempéries vécues ces dernières années. 

Il est vrai que, depuis le début du mandat municipal, les événements traumatiques ne s’arrêtent pas. Or, ces crises vécues en local ne peuvent être décorrélées des défis nationaux et internationaux, et notamment du défi socio-économique de la résorption des inégalités, du défi climato-culturel de l’évolution de nos modes de vie ainsi que du défi de cohésion démocratique pour assurer l’unité nationale dans la diversité. 

Le dernier échelon de confiance politique aujourd’hui en France est le local, et en particulier l’échelon municipal. En proximité et acteur du lien, le maire s’impose comme le tiers de confiance de la République. 

Communes, partenaires sociaux, échelon national : un même avenir pour dépasser nos contradictions et changer le réel

En tant que maires, nous avons été les premiers témoins de la crise sanitaire. Celle-ci a révélé toutes les contradictions de la société française, sa vulnérabilité – notamment de son système de santé –, de ses institutions garantes de la cohésion sociale. Cette crise a aussi montré la force de la solidarité avec la mobilisation des premiers de cordée du quotidien, le maintien des élections, la poursuite de la vie démocratique qui a organisé le maintien des services notamment pour les plus âgés. À Laval, nous avons d’ailleurs été en première ligne pour faire face à la deuxième vague de pandémie de Covid-19 et avons expérimenté pour le pays le déconfinement avec la mise place d’un des premiers sites de dépistage massif. 

Les maires sont systématiquement le premier recours face aux catastrophes naturelles causées par le dérèglement climatique et le dépassement des limites planétaires, qui de plus en plus déterminent les conditions de vie des habitants. Pénurie d’eau, feux, sécheresse, inondations : en tant qu’élus locaux, nous sommes sommés de lutter mais aussi de préparer l’adaptation des territoires au dérèglement climatique. 

Tout comme nous sommes les premiers spectateurs de la fragmentation de la société nourrie par l’injuste accumulation du capital par certains au détriment d’autres. Nous vivons au plus près les conséquences de l’affaissement des services publics là où nous en avons le plus besoin, communes rurales et quartiers populaires. 

Ces dernières années, nous avons été incapables de mettre à l’unisson l’action des différentes échelles entre elles. Et, pourtant, à côté des institutions nationales, à la fois ferment et gage de la cohésion en France, les institutions locales proposent une expérience démocratique différente, ancrée, humaine, porteuse elle aussi d’ingrédients essentiels à la République française. Elles jouent un rôle fondateur et crée des espaces de citoyenneté de proximité, d’apprentissage et d’expérimentation nécessaires. La démocratie locale est, comme la démocratie sociale animée par les partenaires sociaux, un des trois piliers essentiels à la République. 

Pour contrer la montée inexorable des peurs, des émotions tristes et des passions identitaires, il devient impérieux de faire vivre les trois espaces démocratiques à l’unisson : nos institutions nationales, locales et sociales. Chaque niveau a sa force propre mais aucun ne dispose de la puissance suffisante pour contrer la vague d’extrême droite qui nous menace. L’objectif demeure celui de faire coopérer nos institutions au profit de l’amélioration concrète des conditions de vie et ainsi de changer le réel. 

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Partir de nos fragilités humaines et territoriales pour développer des solutions permettant l’émergence d’une société à haute valeur humaine et environnementale

Nos communes ont un cœur qui bat au même rythme que notre pays la France. Nos destins sont liés et interdépendants. Les maires, plus petit dénominateur commun de la République, ne peuvent donc pas être indifférents au cap national à venir. Ils ne peuvent pas non plus être de simples hussards appelés à la rescousse dans les temps de tempêtes et de crises.

Il convient d’identifier avec précision et clarté pour les semaines à venir les chantiers communs et les rôles attribués aux uns et aux autres pour construire les réponses concrètes qui changent de manière tangible le quotidien des Françaises et des Français. Revenons au contrat social qui nous lie : nous acceptons de vivre en société que si un cadre de vie collectif est garanti. Se loger, se nourrir, boire, respirer, se déplacer sont autant de fonctions qui doivent être au cœur du pacte républicain et former un pacte des « sécurités de vie ».

Il paraît aujourd’hui évident que ces défis criants ne pourront être relevés qu’en coopération entre le pays et ses institutions locales. Prenons en acte et définissons dès à présent le modus operandi et nos obligations réciproques pour offrir un accès au soin pour tous et partout, faire école ensemble, donner droit à la mobilité pour tous, se loger à prix maîtrisé, permettre à tous les citoyens d’exprimer leur voix ou encore donner à chacun les conditions d’un emploi digne. 

Sur chacun de ces défis, quelques principes d’action communs sont à construire pour créer le cadre de coopération sécurisant, facteur d’un pouvoir d’agir décuplé. 

Laval, à l’image des communes démonstratrices de solutions qui ouvrent un chemin possible vers le progrès humain

Des solutions existent à partir d’expériences locales qui peuvent nourrir une action nationale. Deux aspirations fortes de nos concitoyens ressortent avec force : une aspiration à la sécurité et une aspiration à l’émancipation. Construire des parcours sécurisés de vie doit devenir notre boussole commune.

À Laval, nous avons expérimenté des actions concrètes pour répondre à notre échelle à certains de ces défis. Il n’y a pas de fatalité à vivre dans un désert médical, à voir partir à la dérive des quartiers de nos villes, à accepter que des hommes et des femmes soient privés d’emploi, à voir des familles se détourner de notre plus belle institution commune, l’école, faute d’y trouver leur place.

Se soigner

En 2017, un Service médical de proximité (SMP) a ouvert pour faire face à la pénurie de médecins liée à la démographie médicale. Ce SMP est un centre de santé mutualiste qui dispense des consultations de médecine générale et qui prend en charge les petites urgences (sutures simples, douleurs aiguës, fièvres élevées…) pour les patients qui n’ont pas ou qui n’ont plus de médecin traitant. Les consultations sont assurées tous les jours de la semaine. À l’issue de la première consultation, le patient a la possibilité de déclarer le SMP comme « médecin traitant » auprès de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). L’équipe médicale se compose d’une dizaine de praticiens à la retraite épaulés par des internes en formation. Après quelques années de fonctionnement, nous constatons que le service accueille en majorité des bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU), premiers touchés par la difficulté d’accès aux soins.

Travailler

En juin 2024, l’entreprise Val’orisons 53 emploie 25 salariés dans le quartier Saint-Nicolas à Laval. Cette entreprise à but d’emploi, issue de l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée, repose sur une vision éco-responsable et inclusive. Elle propose des services cruciaux tels que le nettoyage éco-responsable de véhicules et l’accompagnement au tri des déchets, mais aussi un service de restauration de proximité dans le quartier qui en était dépourvu. Fort de ces débuts prometteurs, Val’orisons 53 prévoit de développer de nouveaux services dans un avenir proche, accompagnés d’embauches additionnelles. Son objectif est d’éradiquer le chômage de longue durée dans le quartier. Cette entreprise innovante continuera à redéfinir les normes de l’engagement local et de la responsabilité environnementale. Elle préfigure le mouvement qui traverse l’économie tout entière avec la nécessaire bifurcation de nos économies modernes, et notamment dans les quartiers populaires. 

Se déplacer

Difficulté d’obtention du permis de conduire, augmentation de la part relative du coût des déplacements dans le panier des ménages modestes, éloignement des mobilités cyclables pour une partie de la population : la mobilité ne se présente pas équitablement pour toutes et tous, des disparités demeurent. Les transports publics restent un socle déterminant d’une politique de mobilité pour tous. À Laval, nous avons expérimenté la gratuité des transports publics les week-ends pour pousser à l’utilisation des réseaux de transports publics. Les objectifs de décarbonation de nos déplacements doit passer par la mise en place de réseaux de transport public performants, de pôle multimodaux à toutes les échelles. Là encore, le modèle économique de développement du transport public doit être revu avec la mise en place d’une fiscalité écologique afin de donner les moyens nécessaires, notamment en investissements.

Se loger et se chauffer

Le logement tout comme les charges adossées au logement sont des dépenses contraintes qui ne cessent de grignoter le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Jamais la part de l’immobilier n’a été aussi importante dans notre pays, faisant de la résidence principale un actif financier spéculatif. Or la promesse républicaine est d’abord d’avoir un toit pour chacun. À Laval, nous avons un des derniers bailleurs municipaux de France qui produit du logement social et réhabilite ses logements en gestion. Ce bailleur loge près d’un Lavallois sur cinq et les chauffe par le réseau de chaleur de la ville. Même si nos villes moyennes ne subissent pas la même pression démographique que les métropoles, nous expérimentons le « bail réel et solidaire » qui vise à casser la spéculation sur le foncier et l’immobilier. 

Dialoguer 

La démocratie, c’est un art de la délibération et du dialogue en vue d’agir. Or, nos institutions, même locales, deviennent de plus en plus techniques, pour ne pas dire « jargonnantes ». Or, il convient de prendre le chemin inverse permettant à ceux qui ne s’expriment pas de le faire, et non pas simplement dans les urnes. La parole citoyenne tout comme celle des enfants doit être valorisée. À Laval, interloqués par les émeutes urbaines de juin 2023, nous avons décidé de mettre en place une Convention citoyenne pour les quartiers populaires en tirant au sort 50 Lavallois dont une majorité issue des quartiers populaires pour tenter de « craquer le système », écouter et redonner aux quartiers populaires leur voix. Cette expérience politique inédite à l’échelle locale crée les conditions de la participation, du dialogue et de la fabrique du consensus. Le fruit de ce travail permet ensuite d’organiser la mobilisation de toutes les parties prenantes de la fabrique d’une ville : l’État déconcentré dans toutes ses dimensions, les collectivités locales, la Caisse d’allocations familiales (CAF)…

S’éduquer

Le plus bel objet commun entre l’État et les communes de France est l’école. Cette institution est en crise. La question des rythmes scolaires repose sur la coordination multi-acteurs entre l’Éducation nationale, les collectivités territoriales et les associations concernées. Elle est symptomatique des dynamiques empêchées et des énergies gâchées. Des synergies sont pourtant possibles associant enseignants, parents et animateurs : on parle alors de « coéducation ». Cependant, cette réforme a un coût qui peut renforcer la fracture territoriale. Nous devons aujourd’hui nous mettre autour de la table pour garantir à chaque élève d’accéder aux savoirs fondamentaux le matin, de développer les nouveaux apprentissages (activités sur le mieux-être et la santé, développement des projets citoyens, éco-citoyenneté, pratiques artistiques) l’après-midi avec une clarification des rôles, des temps et des financements avec les communes, tout en intégrant les parents en les accompagnant dans leur rôle propre.

Sécuriser

Particulièrement touchée par les émeutes urbaines de juin 2023, la ville de Laval a voulu travailler dans le cadre de la Stratégie locale de sécurité un déploiement accéléré de plusieurs dispositifs : mise en place d’un camion de la tranquillité publique qui sillonne la ville et les quartiers, installation d’un conseil des droits et des familles avec les services de la procureure de la République, mise en place d’actions conjointes police nationale et police municipale sur les quartiers. D’autres initiatives sont attendues de l’ensemble des acteurs et des habitants, comme la prévention des parcours des jeunes délinquants impliqués dans les trafics de stupéfiants. S’invente ainsi dans nos villes une police de proximité et du quotidien qui devrait œuvrer au vivre ensemble.

Du dialogue et de l’engagement multi-acteurs

Pour construire chacune de ces actions démonstratrices d’une capacité d’agir à l’échelle locale, les communes doivent mettre en mouvement à leur échelle les partenaires institutionnels, les associations, les fondations, les mouvements mutualistes, les fédérations d’éducation populaire, les entreprises, les partenaires sociaux. Les maires sont des tiers de confiance à l’échelle locale, catalyseurs des initiatives et chefs d’orchestre pour proposer et inventer des solutions.

Comment mettre à profit le capital-confiance des maires au profit d’actions concrètes à l’échelle nationale, porteuses d’une nouvelle sécurisation des parcours de vie ? Nous n’avons pas manqué de réformes ces dernières années mais elles peinent à convaincre et à embarquer. Faut-il redonner la possibilité aux élus locaux de cumuler les mandats pour s’assurer de l’opérationnalité des mesures votées à l’Assemblée nationale ?

D’autres voies sont possibles. L’épuisement institutionnel est patent à l’échelle nationale. La refondation de nos institutions doit donner sa place aux élus locaux – leur bonne place pour jouer le bon rôle. Il nous faut penser des espaces de coopération et de co-construction des politiques publiques. Il faut élaborer des cadres d’action qui permettent l’expérimentation mais surtout les initiatives. Enfin, il semble plus que jamais nécessaire de sécuriser économiquement  les échelons locaux pour qu’ils continuent à déployer des solutions concrètes qui répondent aux besoins des habitants.

En portant une telle vision, il s’agit de défendre une transformation sociale qui dépasse uniquement le rôle des élus. Responsables des partis politiques, organisations syndicales, entreprises, mouvements d’éducation populaire, associations, notre engagement conjoint pour une société à haute valeur humaine et environnementale est le facteur clé de l’amélioration des conditions de vie. Partir des expériences vécues à l’échelle locale tracerait la voie et créerait l’espérance !

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