Et si la séquence électorale de 2022 trouvait son origine dès 2017 ?

Un mois après les résultats des dernières élections législatives ayant privé l’exécutif d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d’Harris Interactive France, s’interroge sur ce qui a rendu possible cette situation inédite et pose l’hypothèse de la suite logique de la séquence ouverte en 2017.

On méconnaît souvent les raisons de sa défaite électorale. On peut également ne pas toujours bien identifier celles de sa victoire. L’exemple de la présidentielle et des législatives passées est, à ce titre, éclairant.

En 2017, au premier tour, des électeurs d’Emmanuel Macron évoquant moins l’adhésion que l’ensemble des votants

En 2017, 17% des Français avaient voté « utile ». C’est l’électorat d’Emmanuel Macron qui générait le plus de vote qualifié de la sorte (27%) et bien plus que celui de François Fillon (21%), Marine Le Pen (18%) ou encore Jean-Luc Mélenchon (16%) quand bien même ce dernier avait phagocyté une nette partie de l’électorat socialiste. « L’utilité » était certes devancée par l’adhésion : 54% des Français avaient voté au premier tour en qualifiant leur vote de la sorte. L’électorat d’Emmanuel Macron se singularisait par un vote d’adhésion que l’on peut qualifier de mesuré dans l’absolu et en relatif. 52% mobilisaient cet argument soit moins que ses principaux compétiteurs : Marine Le Pen (56% d’adhésion), François Fillon (65%) ou encore Jean-Luc Mélenchon (66%).

On pourrait, à raison, arguer que tous les électeurs ne mettent pas exactement le même contenu dans les termes. Même si nous avons cherché à être les plus explicites possible (Un vote d’ADHÉSION : « vous avez voté pour le candidat dont la personnalité, les idées ou propositions vous ont le plus convaincu » / un vote UTILE : « vous avez voté pour que ce candidat soit présent au second tour sans pour autant être convaincu par sa personnalité, ses idées ou ses propositions »), on ne peut évacuer l’hypothèse de compréhensions différentes. Pour être certains de ne pas se méprendre, en appui de cette analyse (un vote utile plus manifeste chez les électeurs d’Emmanuel Macron que du reste de la population), regardons ce que disaient à l’époque spontanément les citoyens :

On le voit à travers le nuage de mots, les motivations de vote exprimées par l’électorat de premier tour d’Emmanuel Macron en 2017, s’articulaient autour de trois ressorts principaux :

  1. son programme (sans que pour autant celui-ci ne soit qualifié),
  2. ce qu’incarnait le candidat : la jeunesse et le renouveau en politique,
  3. le vote contre notamment François Fillon et Marine Le Pen.

Alors même que le contrat avec ses prédécesseurs s’appuyait sur des assignations claires (« changer la vie » en 1981, « réduire la fracture sociale » en 1995, « reconnaître la valeur travail » en 2007, « l’égalité et la justice incarnée par le changement » en 2012), celles-ci l’étaient nettement moins (ou même absentes) en 2017.

Certes, il était question également de dynamisme, de rassemblement de la gauche et de la droite, de dépassement des clivages partisans, de renouvellement des pratiques, de libération des énergies… Mais cet ensemble a plutôt été assimilé à des moyens qu’à des finalités. Et ceci à la différence des précédents mandats électifs. Ce déficit de substrat d’opinion n’a jamais tout à fait été comblé.

Un second tour marqué par l’abstention et la non-expression

Pour illustrer ce propos, rappelons que, pour la première fois depuis 1969, l’abstention a cru lors de l’élection présidentielle de 2017. Dans un contexte où Marine Le Pen était présente au second tour et n’est pas parvenue à se montrer convaincante dans le débat (seuls 28% ont été convaincus dans l’absolu par la candidate Front national et 42% par le candidat En Marche !), le simple fait que cette candidate voit son score croître nettement constitue une dimension à considérer : si une dynamique s’était opérée lors de la précédente élection présidentielle, elle fut plus en faveur de Marine Le Pen que d’Emmanuel Macron. Ajoutons à cela le record de votes blancs et nuls (plus de quatre millions) et nous disposons d’éléments congruents. Il est difficile de considérer que cette non-expression affirmée (de la part de 12 électeurs sur 100 prenant le temps de se rendre dans un bureau de vote sans choisir de se prononcer en faveur de l’un des deux protagonistes) s’inscrivait dans un soutien net à l’égard du futur président.

On remarquera que, dans le cadre de ce second tour, une majorité d’électeurs ayant pris un bulletin de vote Emmanuel Macron (59%) l’ont fait pour éviter l’élection de Marine Le Pen et non parce qu’ils souhaitaient avant tout qu’il ne devienne président de la République. Si nous nous gardons de plaquer les attitudes sans tenir compte du contexte, rappelons-nous que 55% des électeurs ayant – cinq ans auparavant – voté François Hollande indiquaient que leur motivation s’inscrivait plus dans le souhait de le voir élu que de simplement s’opposer à l’élection de Nicolas Sarkozy.

Si l’on devait disposer d’une « preuve » supplémentaire, les électeurs d’Emmanuel Macron au second tour de l’élection de 2017 évoquaient spontanément nettement le barrage à Marine Le Pen.

Législatives 2017 : entre abstention et déficit de contenu

Nous pouvons poursuivre ce raisonnement en regardant, toujours en 2017, les élections législatives. Qu’observions-nous ? Sensiblement les mêmes attitudes et comportements que quelques semaines auparavant : les électeurs ayant pris un bulletin de vote pour un candidat soutenu par la majorité présidentielle étaient nettement plus nombreux que la moyenne à avoir voté « utile » (43% contre 28% en moyenne), et moins nombreux à avoir voté par adhésion (49% contre 52% en moyenne).

Au cours de cette séquence, encore une fois, la participation au second tour fut faible (moins de 43%) – historiquement basse – et surtout s’inscrivait après un premier tour n’ayant vu que moins d’un électeur sur deux se déplacer (là aussi avec un record d’abstention). Le vote « macroniste » aux législatives était, encore une fois, peu porté par une question politique mais bien d’utilité : « donner une majorité au président ». Tel était le message spontanément exprimé de la part de ces électeurs.

Électoralement, la « dynamique Macron » de 2017 (indéniable quant au processus de conquête du pouvoir) ne reflétait pas tout à fait les dynamiques d’opinion, pas plus qu’elle ne témoignait d’une évolution macroniste de la société. À ce titre, le simple fait qu’en 2022 l’interrogation « qu’est-ce le macronisme ? » subsiste constitue une illustration du faible attachement des électeurs au projet politique sous-jacent. Et c’est probablement pour cette raison que les élections de 2022 ont pris cette tournure.

2022 : un bis repetita accru de 2017

Comme en 2017, nous avons pu voir lors de l’élection présidentielle de 2022 une participation faible au premier tour, encore plus au second, un nombre conséquent de votes blancs et nuls et une forte croissance du vote en faveur de la candidate du RN…  

Une nouvelle fois, un vote « utile » qualifiant plus que pour les autres candidats (hormis Jean-Luc Mélenchon) caractérise le recours au bulletin « Emmanuel Macron » : 26% contre 23% en moyenne.

Et à nouveau, ce qui est plus logique, on retrouve une difficulté à qualifier sur le fond politique la motivation de vote pour le président sortant.

Les « avantages » d’Emmanuel Macron étaient plus personnels que politiques. Plus dans la gestion que dans le projet. Personnalité n’ayant pas trahi (au moins aux yeux de ses électeurs de 2017) ses engagements de campagne et étant parvenu à incarner la fonction présidentielle (deux critiques portées à l’égard de ses prédécesseurs et notoirement à l’égard de François Hollande), Emmanuel Macron était « la » motivation de vote pour une nette partie de son électorat. Par ailleurs, presque comme cinq ans auparavant, la présence de Marine Le Pen au second tour a structuré le vote pour le candidat soutenu par La République en marche. La moitié des électeurs Emmanuel Macron de second tour affirment l’avoir fait pour éviter l’élection de la candidate soutenue par le RN.

Le nuage de mot reflétant les motivations de vote ressemble nettement à celui établi en 2017 : faire barrage à Marine Le Pen.

Tout ceci s’inscrivait dans des perspectives peu enthousiasmantes : 17% des Français pensaient que si Emmanuel Macron était réélu leur situation s’améliorerait, 21% que la situation de la France serait meilleure (43% qu’elle se dégraderait). En 2017, les anticipations d’amélioration étaient un peu plus marquées (34%), celles de dégradation moins nettement (35%). Là encore, la répartition en trois tiers de l’électorat montre bien l’enthousiasme mesuré à l’époque et avec un regard porté par les électeurs du président pas singulièrement plus optimiste que celui des citoyens d’une manière générale.

La logique fut la même dans le cadre des législatives suivantes, de manière accrue. Les deux tiers d’électeurs ayant voté en 2017 pour la majorité présidentielle se sont retrouvés être un quart cinq ans plus tard. Et les dynamiques se sont accélérées : 8 candidats FN ont battu un candidat En Marche ! en 2017 au second tour des législatives, 53 lors de la consultation électorale suivante. Les digues ont été plus perméables qu’avant : 36% des électeurs Nupes de premier tour ont voté pour un candidat RN dans les circonscriptions où Ensemble était présent au second tour ; 24% des électeurs RN ont voté Nupes lorsqu’un tel candidat était confronté à un de la majorité présidentielle au second tour. Et ce sans que la mobilisation électorale ne croisse en une semaine.

En 2022, subsiste une question toujours sans réponse : « qu’est-ce que le macronisme ? »

Alors même que la croissance a été plus que nette dans les circonstances que nous connaissons, alors même que la thématique de l’emploi n’a plus été au centre des préoccupations des Français, alors même que l’attractivité de la France a augmenté, alors même que la libération d’énergies (telle que porté par Emmanuel Macron en 2017), en un mot alors que de nombre d’objectifs fixés par l’alors candidat ont été atteints, la dynamique électorale n’a pas suivi. Il s’agit probablement de la conséquence d’un déficit de mandat clair fixé par les Français – dès 2017 – à Emmanuel Macron, de la conséquence d’un vote pour une personne et moins pour le projet qu’il portait, et s’inscrivant également en vote « contre » et pas uniquement « pour ». Ces données présentes dès le scrutin initial n’ont pas été sans effets sur la séquence électorale venant de se dérouler. Gageons que si la réponse à la question « qu’est-ce que le macronisme ? » devait trouver une réponse chez nos compatriotes, cela permettrait d’envisager la poursuite du mandat sous de nouveaux auspices.

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