Derrière une apparente stabilité des intentions de vote pour les élections européennes au niveau global, elles ne le sont pas forcément si l’on si penche plus en détail : entre un tiers et un quart des électeurs potentiels des Républicains, de La République en marche ou du Rassemblement national ont modifié leur choix depuis mars. C’est l’un des enseignements du troisième volet de notre vague 2019 de l' »Enquête électorale française », en partenariat avec le Cevipof, Le Monde et Ipsos Sopra Steria.
L’intérêt majeur de l’enquête réalisée par Ipsos-Sopra Steria, pour le Cevipof, Le Monde et la Fondation Jean-Jaurès, est qu’il s’agit d’un panel : les mêmes personnes sont interrogées durant toute la campagne ce qui permet d’identifier les « changeurs », c’est-à-dire ceux qui quittent un candidat pour aller vers un autre ou qui passent de la mobilisation à la démobilisation./sites/default/files/redac/commun/productions/2019/0425/rapport_enquete_electorale_avril_2019.pdf
Le premier enseignement de cette analyse est l’extraordinaire volatilité de la situation. Apparemment, rien ou presque ne bouge au niveau global ; en réalité, tout est instable ! En effet, le taux de fidèles des trois listes qui font la course en tête – La République En Marche (LRM), le Rassemblement national (RN) et Les Républicains (LR) –, c’est-à-dire les électeurs qui, en mars, étaient certains d’aller voter et voulaient voter pour elles, s’établit aujourd’hui à un faible niveau : 76 % pour la liste RN, 75 % pour celle de LRM et 68 % pour celle des LR. Autrement dit, entre un tiers et un quart des électeurs potentiels de ces trois listes ont modifié leur choix ou leur certitude d’aller voter en un mois.
Cette enquête montre également l’importance de la compétition entre Les Républicains et La République en marche, car celle qui oppose cette dernière au Rassemblement national en est largement la conséquence.
Les Républicains progressent en effet de 1,5 point, passant de 12% à 13,5%, et c’est l’évolution la plus notable de cette vague d’enquête. En solde, ils récupèrent 0,75 point sur LREM (0,5) et l’UDI (0,25) et la même chose chez les souverainistes, quoique de manière plus éparpillée (0,25 sur la liste Debout La France, 0,25 sur la liste Rassemblement national et 0,25 sur Résistons, qui a jeté le gant). Si l’on s’intéresse aux flux spécifiques entre Les Républicains et La République en marche et aux profils de ces changeurs, il y a là aussi des électeurs qui passent d’un vote LR à un vote LREM et d’un vote LREM à un vote LR, ces derniers étant un peu plus nombreux. Quel est leur profil ? Les faibles bases de répondants incitent à la prudence mais il apparaît quand même que ces électeurs qui passent de LREM à LR sont massivement d’anciens électeurs de François Fillon, plus jeunes et plus féminins que le profil global des Républicains, plus diplômés et intéressés par la politique et les élections européennes. Ils sont un peu plus sensibles à la dimension nationale du scrutin européen et ils apprécient l’action d’Emmanuel Macron mais moins sa personnalité. Tout se passe donc comme si ce segment d’électeurs était orphelin d’un leader politique de droite depuis le retrait de François Fillon, qu’ils avaient trouvé en Emmanuel Macron mais surtout dans sa politique une structure d’accueil plutôt provisoire que définitive et que François-Xavier Bellamy parvenait à en aimanter une partie. Une reconquête malgré tout difficile car à l’inverse, les électeurs qui quittent Les Républicains pour aller vers la liste La République en marche existent aussi. Ils sont plus âgés, un peu plus aisés, ont le plus souvent voté pour François Fillon mais aussi pour Emmanuel Macron en 2017, apprécient plus et l’action et la personnalité d’Emmanuel Macron que dans le premier profil et ont jugé le grand débat utile dans une proportion un peu supérieure. L’enjeu pour la liste LR est donc double : mobiliser son électorat et continuer à faire revenir un solde positif d’électeurs de droite partis sur LREM. La menace est importante pour cette dernière, moins en niveau – son avance sur Les Républicains reste considérable – qu’en lecture finale du scrutin : si les LR progressent de 3 ou 4 points pour finir par exemple à 16% ou 17% principalement au détriment de LREM, et plus marginalement en mordant sur le Rassemblement national et Debout La France, c’est ce qui pourrait coûter à LREM sa première place au profit du Rassemblement national. Ce qui, dans un scrutin proportionnel, est fondamental et serait interprété comme un échec pour le président. Mais comme l’indiquent les questions de second choix, LREM dispose aussi de ressources pour résister à l’offensive des Républicains : son électorat se déclare plus sûr de son choix et 24% de ceux qui disent pouvoir changer d’avis indiquent les LR en second choix tandis que ce chiffre est de 30% chez les Républicains qui doutent et qui pourrait aller finalement vers LREM. À condition pour LREM de ne pas perdre non plus des hésitants qui iraient sur les écologistes (17% des hésitants) ou le PS/Place publique (13%)…
Pour l’heure, ces phénomènes ne sont donc pas encore des dynamiques mais plutôt des tentations. Elles nous montrent en revanche que la compétition pour les segments labiles de LREM et de LR est décisive et que la campagne ne fait que commencer.
Retrouvez la tribune de Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, dans Le Monde (25 avril 2019)
Retrouvez la première et la deuxième vagues de l’Enquête électorale française (février et mars 2019)