Comment les citoyens de 30 pays perçoivent-ils l’urgence climatique et ses enjeux ? Une enquête internationale conduite par BVA et la Fondation Jean-Jaurès livre des enseignements précieux. L’analyse est menée en deux parties : à côté d’un focus sur la France, c’est la situation en Europe, comparée à celle au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Chine, qui est ici décryptée.
La méthodologie de l’enquête
Les résultats qui suivent sont issus de l’étude sur le climat réalisée tous les ans par BVA pour la Banque européenne d’investissement. L’enquête 2022 a été réalisée en ligne (ordinateur, tablette ou mobile) du8 au 31 août 2022.
Échantillon total de 25 722 personnes, composé de 30 échantillons représentatifs des populations nationales âgées de quinze ans et plus (seize+ pour leLuxembourg) au sein des 27 pays de l’Union européenne, du Royaume-Uni, de la Chine et des États-Unis.
Les répondants ont été sélectionnés aléatoirement parmi les access panels de chaque pays. La représentativité des échantillons a été assurée par la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, profession de l’interviewé et région.
Les résultats détaillés pour certains pays européens
L’Allemagne
Par Lola-Lou Zeller
Les Allemands, chantres de l’écologie ?
Du Sturm und Drang1Le Sturm und Drang, traduisible par « Tempête et passion », est un mouvement littéraire allemand porté dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par une jeune génération – notamment composée de Goethe, Herder ou Klinger – mue par un rapport exalté à la nature, nature érigée comme une référence religieuse, esthétique et sensible permettant de se réaliser librement. au romantisme allemand2Si le romantisme s’est, en tant que mouvement culturel, répandu en Europe au cours du XIXe siècle, il est apparu en Allemagne et en Angleterre dès les années 1770. Vague à l’âme et nostalgie conduisent ses hérauts à rompre avec la raison pour privilégier le sentiment, puisant dans la nature les clefs du mystère et de l’évasion. Voir, par exemple, les tableaux de Caspar David Friedrich (1774-1840)., toute une réflexion philosophique germaniste tire sa source de paysages vallonnés, de forêts brumeuses et de ruines que le temps magnifie. Dès la fin du XIXe siècle, cet élan est repris par le mouvement völkisch3Apparu au tournant du XXe siècle, ce qui est alors désigné comme la nébuleuse völkisch (de l’allemand Volk, le peuple ou la nation) consacre une mythologie des origines qui exclue par la notion de « race » ceux qui ne seraient pas autochtones. Cette idéologie du sang et du sol repose en partie sur une conception de la nature, nature moins bucolique que vectrice de pureté. Nul besoin en cela de préciser que le mouvement constitue l’un des fondements théoriques du national-socialisme. qui glorifie la terre germanique en faisant de la nature le lieu de rattachement de la communauté nationale à son histoire. Une nature idéalisée que tout un chacun se doit alors de protéger.
Par-delà cette vision idéelle, il est d’usage de considérer les Allemands comme des chantres de l’écologie. On les dit pionniers, avec les pays scandinaves, dans les énergies renouvelables et pilotes dans la transition écologique, preuves à l’appui que les premières lois pour préserver l’environnement remontent aux années 1970 et que les Verts allemands sont entrés au Bundestag en 1983. Les Allemands eux-mêmes se disent umweltfreundlich, c’est-à-dire respectueux de l’environnement, par leur propension à trier leurs déchets – rien ne se perd, rien ne se crée, tout se trie – ou leur statut de premiers consommateurs de produits biologiques en Europe4Donnée en volume, voir « Europe : qui est le champion des produits bio ? », France info, 9 avril 2019.. Cette inquiétude se vérifie empiriquement, 66% des Allemands érigeant le sujet environnemental au rang des trois principaux défis auxquels leur pays fait face. Un taux de préoccupation qui s’avère quasi inégalé dans l’Union européenne, où la moyenne atteint 52%, mais qui concerne toutefois la population allemande en des proportions variables.
Si l’environnement est cité par plus de deux tiers (67%) des Allemands de l’ex-RFA comme l’un des sujets les plus préoccupants, ce n’est ainsi le cas que d’un peu moins de la moitié (48%) des habitants de l’ex-RDA. Avec, comme fondement à cet écart de 20 points de pourcentage, un niveau de vie plus élevé à l’Ouest qu’à l’Est qui induit une hiérarchisation différenciée des « sujets qui comptent » ; l’hypothèse étant que les plus aisés ont les moyens de faire du climat une priorité. Bien que le fossé économique séparant les deux anciennes Allemagne s’est sensiblement réduit en trente ans, les inégalités demeurent en effet : taux de chômage plus élevé, salaires plus faibles, absence des sièges de grandes entreprises et déclin démographique conduisaient ainsi 57% des habitants de l’Est à se considérer en 2019 comme des « habitants de seconde zone »5Ninon Renaud, « Allemagne : les inégalités entre Est et Ouest ont la vie dure », Les Échos, 2 octobre 2019.. Une différence de niveau de vie qui se ressent ainsi dans l’enquête, où l’environnement est cité comme une priorité par 69% des classes supérieures et 59% des classes populaires. L’écologie peut alors être lue comme un enjeu postmatérialiste dont l’apanage reviendrait en priorité à ceux qui échappent à des difficultés matérielles.
Une variation s’observe également – et de façon contre-intuitive – entre générations. Alors que des milliers de jeunes Allemands défilaient dans quelque 260 villes le mois dernier sous la bannière du Friday for Future, les 15-29 ans sont 59% à faire de l’environnement l’un des principaux défis rencontrés par l’Allemagne. Un sujet toutefois davantage cité par les seniors, qui sont 73% à le faire figurer dans leur classement. Si l’environnement arrive bien en tête de file chez les plus jeunes, il est talonné par la crainte de la crise financière et du chômage, des thématiques qui inquiètent en somme moins leurs aînés.
Dans ces différents cas, on assiste moins à un désintérêt total de la question environnementale qu’à des variations en matière de priorisation. Au contraire, 79% des Allemands estiment que le changement climatique a un impact sur leur niveau de vie et 81% pensent qu’un maintien tel quel de leur consommation d’énergie et de biens les conduirait à la catastrophe dans les années à venir.
Un pays responsable d’une intense production de CO2
Nul n’est sans savoir que le « miracle économique » allemand s’est accompagné d’une intense production industrielle. Sixième pollueur mondial (pour seulement 83 millions d’habitants !)6Rapport « Key World Energy Statistics 2021 », Agence internationale de l’énergie, septembre 2021., l’Allemagne est responsable d’un quart des émissions totales de CO2 de l’Union européenne7« Émissions totales de gaz à effet de serre (kt d’équivalent CO2) – Union européenne », La Banque mondiale, données 2019. et atteint le Jour du dépassement, date à laquelle un pays consomme plus de ressources qu’il n’en produit, le 4 mai8« May 3 is German Overshoot Day: In Germany no trend reversal in consumption of natural resources in sight », Global Footprint Network, 2 mai 2019.. L’alarme ressentie par les Allemands ne se répercute pour ainsi dire pas sur leurs émissions de gaz à effet de serre… Les efforts individuels se veulent ainsi nuancés lorsqu’ils touchent au confort. Les trois quarts des Allemands se montrent par exemple rétifs à chauffer leur domicile à 19°C, ce qui n’est le cas que d’un Français sur deux et de deux tiers des Européens. Pour autant, les Allemands sont 62% à se dire favorables à une taxation des agissements au fort impact sur l’environnement (à l’image du transport aérien ou des SUV) et 65% à être prêts à réduire la vitesse sur les autoroutes. Une résolution difficile à mettre en œuvre dans un pays dépourvu de limitations de vitesse sur les autoroutes où tout projet de réforme fait bondir le Parti libéral.
Apparaît de fait un manque de confiance en la capacité des pouvoirs publics à endiguer le changement climatique. Seuls 27% des Allemands estiment ainsi possible une réduction considérable des émissions de carbone de leur pays d’ici 2030 ; ce en dépit des mesures programmatiques de la coalition gouvernementale, laquelle s’est engagée à sortir du charbon d’ici 2030 et à couvrir 80% des besoins en électricité du pays avec des énergies renouvelables dans le même horizon temporel. De même, 84% des Allemands estiment que les pouvoirs publics sont trop lents à agir contre la dégradation de l’environnement, alors même que les émissions totales de l’Allemagne réunifiée ont chuté de plus de 35% depuis 1990. À noter toutefois que 59% des Allemands (60% des Allemands de l’Ouest, 50% des Allemands de l’Est, passé différencié avec les libertés individuelles oblige) seraient prêts à subir des mesures gouvernementales strictes pour endiguer le changement climatique. C’est moins que la moyenne européenne, laquelle s’élève à 66% de réponses favorables.
Alors, comment éviter la catastrophe ?
Par l’investissement dans des énergies vertes d’une part. Les Allemands sont en effet 69% à considérer qu’il convient d’investir en priorité dans les énergies renouvelables. Cette dynamique durable se retrouve dans la politique volontariste du pays, premier au monde à s’être fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2045. Ursula von der Leyen proclame d’ailleurs, dans son discours sur l’état de l’Union européenne du 14 septembre 2022 : « [notre modèle] était une erreur, non seulement pour le climat, mais pour les finances publiques et pour notre indépendance, comme nous le savons aujourd’hui. » Le nucléaire, énergie pourtant classée durable par la taxonomie verte européenne, est a contrario fortement impopulaire en Allemagne où seuls 13% de la population souhaitent un investissement prioritaire en la matière. Il y a dix ans de cela, la catastrophe japonaise de Fukushima avait en effet amorcé la planification d’une sortie de l’atome. Celle-ci devait être concrétisée à la fin de l’année 2022 et a finalement été étendue à l’hiver 2023 en raison, selon le ministre de l’Économie et du Climat Robert Habeck, de l’indisponibilité de nombreux réacteurs français. Enfin, 9% des Allemands donneraient la priorité à un investissement dans les énergies fossiles – soit 3 points de pourcentage de plus que la moyenne de l’UE. Ces répondants sont peu sensibles à la dégradation de l’environnement, dont ils constatent l’innocuité sur leur mode de vie, et votent majoritairement à droite.
En Allemagne, l’abandon de l’énergie fossile est en cela un sujet plutôt consensuel. Seuls 8% des Allemands s’y trouvent ainsi défavorables. Parmi les avantages recensés, l’indépendance énergétique apparaît en tête (41% des répondants), devant la protection de l’environnement (31%). Ce notamment du fait de soixante ans de dépendance pléthorique au gaz russe – 55% des approvisionnements avant l’invasion de l’Ukraine9Ninon Renaud, « L’Allemagne dépendra du gaz russe pendant encore deux ans », Les Échos, 25 mars 2022. – dépendance grandement pointée du doigt depuis le mois de février dernier et à laquelle le chancelier Scholz compte répondre par une diversification des sources d’approvisionnement et des économies d’énergie. Alors que la guerre en Ukraine est en outre perçue par 71% des Français et 66% des Européens comme une occasion d’accélérer la transition environnementale, seulement 54% des Allemands sont d’accord avec cette assertion. Les 46% restants, qui représentent majoritairement des répondants s’identifiant à droite de l’échiquier politique, estiment qu’il conviendrait plutôt de ralentir cette dernière pour sécuriser la disponibilité en énergie sur le court terme.
Autre piste : 43% des Allemands – 62% des plus jeunes, 35% des plus de cinquante ans – considèrent que la lutte contre le réchauffement climatique serait plus efficace si les femmes jouaient un plus grand rôle politique. Un chiffre en deçà de la moyenne européenne (laquelle atteint les 52%) qui s’explique notamment par le fait que le pays a été gouverné durant seize ans par Angela Merkel. Pourtant surnommée « Klima Kanzlerin », la chancelière du climat, celle-ci s’est vu reprocher un bilan climatique en demi-teinte, entre sortie du nucléaire, maintien de la dépendance au gaz russe, hausse du prix de l’énergie et croissance des énergies vertes. Le gouvernement Scholz est par ailleurs paritaire et compte qui plus est des femmes à la tête de ministères régaliens – tels que l’Intérieur, la Défense et les Affaires étrangères –, bien que les députées représentent seulement 31% des effectifs du Reichstag (pour 37% dans l’Assemblée nationale française).
Alors que l’on érige souvent l’Allemagne en pionnière de la transition écologique, sa population elle-même considère que le chemin pour atteindre la neutralité carbone est encore long et parsemé d’embûches. Embûches au premier rang desquelles figure un mix énergétique reposant grandement sur les énergies fossiles. Il ne reste plus qu’à croire, comme 42% des Berlinois, que le pays est capable de réduire considérablement ses émissions de carbone d’ici 2030. En matière d’optimisme, soyons donc, nous aussi, « ein Berliner ».
La Suède
Par Solène Benhaddou
Le mercure a atteint les 19,3°C en moyenne au mois de juin 2021 à Stockholm. Il s’agit du mois le plus chaud jamais enregistré dans la capitale suédoise, effaçant les records de 2018 puis de 2019. « Est-ce qu’on remarque une tendance ? Bah, probablement encore une coïncidence », ironise l’icône écologiste suédoise Greta Thunberg sur Twitter. Signe que les températures augmentent, le royaume est désormais un paradis de la viticulture, avec environ 120 hectares de vignoble en 2021. Dans ce contexte, un Suédois sur trois estime que la question environnementale est le plus gros défi actuel dans leur pays, juste après l’inflation (52%) et l’accès à la santé (34%). Cette sensibilité aux questions climatiques touche tous les Suédois de la même manière, quelle que soit leur profession : qu’ils soient employés (29%), professions intermédiaires (27%) ou cadres et professions intellectuelles supérieures (31%).
Il faut dire que la société civile suédoise est l’une des plus proactive en matière de lutte contre le changement climatique en Europe. Alors que le mouvement Flygskam (littéralement « la honte de prendre l’avion »), apparu dans les années 2015 à la suite des accords de Paris, se propage dans le monde entier, d’autres initiatives émergent, comme le « plogging », cette activité sportive consistant à faire son jogging en ramassant les détritus rencontrés sur son chemin. Plus encore, les programmateurs de la salle de concerts d’Helsingborg, dans le sud du pays, ont annoncé qu’ils ne feraient plus jouer que des artistes capables de venir sans passer par les airs. Pas étonnant que 58% des Suédois estiment que le changement climatique a un impact dans leur vie de tous les jours. Cette perception diffère néanmoins selon la tranche d’âge des sondés : 68% des 15-29 ans répondent par l’affirmatif contre seulement 45% des 65 ans et plus.
Forte d’un bilan parmi les meilleurs en Europe en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (5,2 tonnes par an et par habitant en 2019 selon Eurostat), la Suède ambitionne de devenir neutre en carbone d’ici 2045. Cette dernière a, par ailleurs, prouvé qu’une taxe carbone pouvait faire l’objet d’une acceptation sociale et contribuer à la performance économique10Åkerfeldt Susanne, Hammar Henrik, « La taxe carbone en Suède », Revue Projet, 2015/5 (N° 348), p. 84-87.. Introduite en 1991 pour un prix de 27 euros par tonne, elle a dépassé les 100 euros dès le début des années 2000, et atteint 120 euros en 2022. Le niveau le plus élevé au monde. Cette taxe a été mise en place en parallèle d’une baisse de l’impôt sur le revenu ou sur le capital. « L’esprit de ce système fiscal, c’est de taxer ce qui est négatif, c’est-à-dire les émissions de CO2, plutôt que ce qui est positif, comme les économies ou le travail », explique Bjorn Hugosson, directeur climat de la ville de Stockholm11Public Sénat, « En Suède, la taxe carbone est trois fois plus élevée qu’en France, et ça ne pose pas de problème », décembre 2018.. Pourtant, 57% des Suédois considèrent que leur pays ne parviendra pas à réduire suffisamment ses émissions de carbone d’ici 2030. Les écarts entre les différentes tranches d’âge sont également révélateurs des espoirs portés par les jeunes à l’égard de leur gouvernement : alors que 53% des 15-29 ans estiment que leur gouvernement peut réduire les émissions d’ici 2030, ils ne sont que 28% chez les 65 ans et plus. Nous retrouvons là encore un fossé générationnel sur l’appréciation de ce sujet.
Malgré ces avancées, 73% de la population estime que leur gouvernement n’agit pas assez rapidement pour lutter contre le changement climatique. Plus encore, pour 74% des Suédois, si nous continuons de consommer et de produire de la même manière qu’aujourd’hui, nous nous dirigeons droit vers une catastrophe globale. Ce chiffre s’élève à 89% pour les 15-19 ans, soit 9 jeunes sur 10, soulignant une anxiété particulière de leur part, qui pourrait être liée notamment à la forte médiatisation de Greta Thunberg.
L’ancienne Première ministre suédoise Magdalena Andersson a annoncé qu’il ne fallait pas que la guerre en Ukraine éclipse l’urgence climatique : « Nous ne devons jamais laisser une crise en éclipser une autre. Nous devons juste travailler plus dur. Et la guerre en Ukraine a également montré très clairement que la dépendance aux combustibles fossiles n’est pas seulement un risque climatique, c’est aussi un risque sécuritaire. Et il faut que cela cesse »12Euronews, « Sommet de la Terre : de la prise de conscience à l’urgence », juin 2022.. Pourtant, les Suédois ont un avis partagé sur la question : 45% d’entre eux estiment, dans le contexte de la guerre en Ukraine et de l’augmentation des prix du pétrole et du gaz, qu’il faut ralentir la transition énergétique pour sécuriser les approvisionnements énergétiques. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays européens se sont lancés dans une course à l’approvisionnement énergétique pour permettre à leur population de se chauffer à bas coût et d’éviter les pénuries13Conseil européen, « Prix de l’énergie et sécurité de l’approvisionnement », octobre 2022.. Or, ces solutions de court terme vont généralement à l’encontre des politiques de lutte contre le changement climatique puisqu’il s’agit d’utiliser des moyens dont nous disposons déjà : les centrales à charbon, le GNL ou encore le gaz de schiste, au détriment de stratégies plus durables permettant d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Face au contexte actuel, 47% des Suédois pensent qu’il est nécessaire de développer des énergies renouvelables ; 35% qu’il faut diversifier les approvisionnements en matière d’énergie pour ne pas être dépendants et 18% qu’il faut réduire la consommation d’énergie des entreprises et ménages – preuve que la société suédoise est prête à poursuivre la transition écologique. La Suède est d’ailleurs le pays de l’OCDE ayant la plus faible part d’énergies fossiles dans sa consommation d’énergie primaire (près de 27% en 2017), selon l’Agence internationale de l’énergie.
Les pays du groupe de Visegrad
Par Pavel Rehor
Les pays du groupe de Visegrad14Organisation intergouvernementale fondée le 15 février 1991 à Visegrad (ville hongroise). La présidence de groupe tourne à un État par année. – Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie – ont eu, assez souvent dans l’histoire européenne récente, l’occasion de manifester leurs différences par rapport au reste des pays de l’Union européenne dont les quatre pays sont pourtant membres, à propos des questions migratoires par exemple. Qu’en est-il des considérations climatiques ?
Les opinions publiques des pays de Visegrad partagées face à la préoccupation climatique
D’un premier abord, la question climatique ne semble pas être une préoccupation majeure des pays du groupe de Visegrad : 33% seulement des Polonais considèrent la crise climatique comme un défi majeur, ce chiffre tombe à 23% pour les Hongrois, à 21% pour les Tchèques et même à 18% pour les Slovaques. Ces pourcentages sont en deçà de la moyenne européenne (41%). Néanmoins, l’impact sérieux du changement climatique n’est parallèlement pas négligé par les opinions, bien au contraire. Par exemple, 91% des Hongrois considèrent que le changement climatique a un impact considérable sur leurs vies quotidiennes, tout comme 81% des Polonais, 80% des Slovaques et 74% des Tchèques. Les ordres de grandeur sont assez similaires lorsqu’il s’agit d’affirmer que l’on se dirige vers une catastrophe mondiale en cas d’absence de changement radical dans nos habitudes et notre consommation d’énergie – 86% des Hongrois le pensent, tout comme 83% des Polonais, 82% des Slovaques et 71% des Tchèques – ou que les gouvernements nationaux respectifs n’agissent pas assez en la matière – 91% des Hongrois, 88% des Slovaques, 87% des Polonais et 76% des Tchèques.
Cette ambivalence se retrouve aussi dans les considérations et possibilités de réponses à apporter pour tenter d’inverser le cours du changement climatique. Il y a d’abord un pessimisme assez partagé puisque, à la question de savoir si leurs gouvernements peuvent réussir à réduire les émissions de CO2 d’ici à 2030, seulement 30% des Slovaques, 35% des Tchèques et des Hongrois et 41% des Polonais jugent que c’est possible. Une très grande majorité des sondés considère également que les citoyens et les entreprises ne sont pas prêts à modifier sérieusement leurs comportements habituels : 89% des Polonais, 89% des Hongrois, 88% des Slovaques et 85% des Tchèques. Seulement, le degré de préoccupation et d’urgence sous-entendu par ces données ne se reflète pas dans les efforts collectifs que les populations pourraient consentir à faire. Ainsi, seuls 49% des Tchèques, 58% des Slovaques et 59% des Polonais sont par exemple favorables à une baisse de la vitesse sur les autoroutes, en dessous de la moyenne de 61% à l’échelle européenne (la seule exception se situe parmi les Hongrois qui sont favorables à cette mesure à 62%). Il y a aussi très peu d’enthousiasme à limiter la température du chauffage chez soi à 19°C – mesure soutenue par seulement 11% des Hongrois, 16% des Slovaques, 20% des Tchèques, 26% des Polonais, ces derniers se rapprochant de la moyenne européenne déjà faible à 28% – ou à réduire de façon prioritaire la consommation énergétique des entreprises ou des citoyens (souhaitée par 14% des Hongrois, 18% des Slovaques, 19% des Tchèques et 19% des Polonais). Si la transition ne peut s’opérer forcément par les comportements individuels, les opinions publiques du groupe de Visegrad sont parmi les plus réticentes à la mise en place de mesures strictes par les gouvernements (52% des Hongrois souhaitent des mesures strictes imposées par le gouvernement, contre 55% des Slovaques et 59% des Tchèques). Il est néanmoins intéressant de relever que 66% des Polonais seraient favorables à des mesures plus strictes, soit 2 points au-dessus de la moyenne européenne qui se situe à 64%, faisant ainsi de la Pologne le seul pays à se positionner au-dessus de cette moyenne, les autres pays du groupe de Visegrad se situant bien en dessous.
Cette homogénéité dans la considération du problème n’empêche pas quelques particularités à certains pays.
Des spécificités concernant les mesures à mettre en place
La première de ces particularités peut être relevée concernant la Pologne. En effet, 61% des Polonais sondés souhaitent un meilleur investissement dans les énergies renouvelables et 49% d’entre eux souhaitent également qu’une priorité soit donnée au développement des énergies vertes (au-dessus de la moyenne européenne située à 47%). La Pologne se distingue justement par le fait d’être le pays européen consommant le plus de charbon en Europe15Magdalena Chodownik, « La Pologne est en mal de charbon, énergie dont elle est très dépendante », Euronews, 7 septembre 2022.. À contre-courant de la volonté citoyenne, l’exécutif polonais ne semble, de plus, pas enclin à changer la donne rapidement puisque l’objectif actuel est fixé en 2049, soit bien après celui annoncé à l’occasion de la COP26 de renoncer au charbon en 2030 pour les pays développés16Kira Taylor, « La Pologne clarifie sa position sur l’abandon progressif du charbon : objectif 2049 », Euractiv, 5 novembre 2021..
Une singularité intéressante est aussi à observer du côté de la République tchèque où 46% des sondés souhaitent un investissement plus effectif dans les énergies renouvelables, un pourcentage bien plus faible que dans les autres pays du groupe de Visegrad (59% pour les Slovaques, 61% pour les Polonais et 74% pour les Hongrois) et très en deçà de la moyenne européenne située à 65%. Ce chiffre peut sembler curieux : bien que dans son histoire, la République tchèque ait été assez peu en faveur de politiques vertes au niveau européen17Aneta Zachova, « La présidence tchèque de l’UE entend mener à bien le paquet climat « Fit for 55 », Euractiv, 21 juin 2022. (tendance reflétée ici par le pourcentage), le gouvernement de ce pays défend aujourd’hui très ardemment la filière nucléaire, profitant notamment de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne qu’il assure jusqu’au 31 décembre 2022 pour porter l’idée d’une transition énergétique efficace par le développement du nucléaire. Or, le nucléaire a été reconnu récemment comme une énergie verte par la Commission européenne18Timur Tillyaev, « Le nucléaire qualifié d’énergie « verte » », clé potentielle pour l’autonomie et la transition énergétique européenne », Euractiv, 29 juillet 2022. et, bien que ce label d’« énergie verte » ne fasse toujours pas l’unanimité, le nucléaire est de plus en plus utilisé par les différents gouvernants européens comme symbole d’une transition énergétique saine. Si ce nouvel atout attribué au nucléaire tend vers l’unanimité, la République tchèque se retrouverait à revers de ses positions habituelles puisqu’elle pourrait désormais être assimilée à l’un des principaux États favorables aux énergies vertes en Europe. La particularité de la République tchèque est aussi notable lorsqu’il s’agit de considérer l’impact du conflit en Ukraine dans la crise énergétique (seuls 50% des Tchèques souhaitent accélérer l’abandon des énergies fossiles depuis le conflit en Ukraine, contre 63% des Slovaques, 65% des Polonais et 77% des Hongrois, le tout face à une moyenne européenne de 66%).
Sur cette même interrogation, le fait que le pourcentage soit plus élevé en Hongrie manifeste aussi une différence entre, d’une part, le ressenti de la population qui s’inquiète de la dépendance du pays au gaz russe (80% des besoins en gaz de la Hongrie sont importés de Russie) et souhaite un changement et, d’autre part, l’attitude gouvernement de Viktor Orbán qui cherche justement à pérenniser la situation en se montrant plus complaisant avec la Russie en souhaitant un arrêt des sanctions, à contre-courant des autres États membres de l’Union européenne19« Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, ne veut plus des sanctions contre la Russie », RFI, 22 septembre 2022.. Grâce à cette posture, il a d’ailleurs obtenu gain de cause puisque la Hongrie se fait même livrer plus de gaz qu’auparavant20 Tribune avec AFP, « Guerre en Ukraine : la Hongrie fait cavalier seul et reçoit plus de gaz russe », La Tribune, 14 août 2022..
Enfin, arrêtons-nous sur la question des principaux bénéfices d’un renoncement rapide aux énergies fossiles. Trois pays sur les quatre (la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie) répondent majoritairement que cet abandon serait bénéfique pour le futur de la planète (à 31% pour la Slovaquie, 33% pour la Pologne et 43% pour la Hongrie). Le bénéfice pour le futur de la planète est indiqué avant le bénéfice du renforcement d’une certaine indépendance vis-à-vis du ravitaillement en énergies venant d’autres pays (bénéfice cité par 27% des Polonais, 25% des Hongrois et 23% des Slovaques). La question de l’indépendance énergétique sur le continent européen étant régulièrement envisagée comme devant être une politique communautaire, ces réponses peuvent confirmer une certaine défiance des populations pour l’approfondissement du projet européen – une défiance assez régulièrement observée, de la part des pays d’Europe de l’Est, depuis leur intégration à l’Union européenne en 2004 et plus récemment encore avec les différentes atteintes à l’État de droit en Pologne et en Hongrie notamment.
Cette enquête, bien que confirmant la préoccupation majeure de l’opinion mondiale face au danger climatique, peut également faire apparaître certaines spécificités propres à certains pays. C’est le cas pour les pays du groupe de Visegrad où se confirme notamment une certaine désaffiliation entre les gouvernements et les populations mais aussi vis-à-vis du projet européen.
- 1Le Sturm und Drang, traduisible par « Tempête et passion », est un mouvement littéraire allemand porté dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par une jeune génération – notamment composée de Goethe, Herder ou Klinger – mue par un rapport exalté à la nature, nature érigée comme une référence religieuse, esthétique et sensible permettant de se réaliser librement.
- 2Si le romantisme s’est, en tant que mouvement culturel, répandu en Europe au cours du XIXe siècle, il est apparu en Allemagne et en Angleterre dès les années 1770. Vague à l’âme et nostalgie conduisent ses hérauts à rompre avec la raison pour privilégier le sentiment, puisant dans la nature les clefs du mystère et de l’évasion. Voir, par exemple, les tableaux de Caspar David Friedrich (1774-1840).
- 3Apparu au tournant du XXe siècle, ce qui est alors désigné comme la nébuleuse völkisch (de l’allemand Volk, le peuple ou la nation) consacre une mythologie des origines qui exclue par la notion de « race » ceux qui ne seraient pas autochtones. Cette idéologie du sang et du sol repose en partie sur une conception de la nature, nature moins bucolique que vectrice de pureté. Nul besoin en cela de préciser que le mouvement constitue l’un des fondements théoriques du national-socialisme.
- 4Donnée en volume, voir « Europe : qui est le champion des produits bio ? », France info, 9 avril 2019.
- 5Ninon Renaud, « Allemagne : les inégalités entre Est et Ouest ont la vie dure », Les Échos, 2 octobre 2019.
- 6Rapport « Key World Energy Statistics 2021 », Agence internationale de l’énergie, septembre 2021.
- 7« Émissions totales de gaz à effet de serre (kt d’équivalent CO2) – Union européenne », La Banque mondiale, données 2019.
- 8« May 3 is German Overshoot Day: In Germany no trend reversal in consumption of natural resources in sight », Global Footprint Network, 2 mai 2019.
- 9Ninon Renaud, « L’Allemagne dépendra du gaz russe pendant encore deux ans », Les Échos, 25 mars 2022.
- 10Åkerfeldt Susanne, Hammar Henrik, « La taxe carbone en Suède », Revue Projet, 2015/5 (N° 348), p. 84-87.
- 11Public Sénat, « En Suède, la taxe carbone est trois fois plus élevée qu’en France, et ça ne pose pas de problème », décembre 2018.
- 12Euronews, « Sommet de la Terre : de la prise de conscience à l’urgence », juin 2022.
- 13Conseil européen, « Prix de l’énergie et sécurité de l’approvisionnement », octobre 2022.
- 14Organisation intergouvernementale fondée le 15 février 1991 à Visegrad (ville hongroise). La présidence de groupe tourne à un État par année.
- 15Magdalena Chodownik, « La Pologne est en mal de charbon, énergie dont elle est très dépendante », Euronews, 7 septembre 2022.
- 16Kira Taylor, « La Pologne clarifie sa position sur l’abandon progressif du charbon : objectif 2049 », Euractiv, 5 novembre 2021.
- 17Aneta Zachova, « La présidence tchèque de l’UE entend mener à bien le paquet climat « Fit for 55 », Euractiv, 21 juin 2022.
- 18Timur Tillyaev, « Le nucléaire qualifié d’énergie « verte » », clé potentielle pour l’autonomie et la transition énergétique européenne », Euractiv, 29 juillet 2022.
- 19« Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, ne veut plus des sanctions contre la Russie », RFI, 22 septembre 2022.
- 20Tribune avec AFP, « Guerre en Ukraine : la Hongrie fait cavalier seul et reçoit plus de gaz russe », La Tribune, 14 août 2022.