Au lendemain d’une séquence électorale – européennes et législatives – qui témoigne d’un recul apparent de l’enjeu climatique, Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de BVA Xsight, et Anne-Laure Gallay, directrice du département Opinion de l’institut, font le point sur la connaissance qu’ont les citoyens européens du changement climatique grâce à l’indice de connaissance développé et mesuré dans la sixième édition de l’enquête Climat réalisée pour la Banque européenne d’investissement (BEI).
Les enjeux climatiques et écologiques s’imposent comme les grands absents, voire les grands perdants de la double séquence électorale qui vient de s’achever (élections européennes puis élections législatives en France). Alors que les signaux d’alerte récents (2023, année la plus chaude selon l’observatoire européen Copernicus1Copernicus, The 2023 annual Climate summary, Global climate highlights 2023.) auraient pu conduire à une forte mobilisation sur ce sujet, tant des candidats en campagne que des électeurs, c’est tout le contraire qui semble s’être produit. En France, la campagne éclair pour les élections législatives n’a pas permis de mettre ce sujet au cœur des débats. Et si EELV-Les Verts fait partie de la coalition arrivée en tête (le Nouveau Front populaire), c’est pour d’autres raisons qu’une volonté des électeurs de faire entendre leur voix sur la question environnementale. Quant aux résultats des élections européennes, ils semblent même démontrer un recul de ces enjeux. En France, la liste EELV-Les Verts conduite par Marie Toussaint a recueilli 5,5% des voix versus 13,5% pour la liste de Yannick Jadot en 2019. Le nombre de députés européens a été divisé par plus de deux (5 députés contre 12 en 2019, soit 8 points de moins et 7 sièges de moins). La déroute a été évitée de peu et Marine Tondelier, secrétaire nationale, a parlé de « contre-performance ». Les Verts français ne sont pas les seuls en perte de vitesse. Leurs alliés allemands sont passés de 20,5% à 11,9% des suffrages exprimés. Au niveau européen, les Verts ont désormais 52 élus sur 720 contre 72 en 2019, niveau record. Les Verts européens sont ainsi passés de la quatrième à la sixième position.
De leur côté, les autres partis politiques n’ont pas été en reste. Alors que l’écologie aurait pu, voire aurait dû, s’imposer comme un thème de campagne transversal majeur au regard de l’urgence climatique, au moins pendant la campagne des européennes, plus longue que celle des législatives, cela n’a pas été le cas. Le RN a dénoncé une « écologie punitive » tandis que LR s’est attaqué à la supposée volonté de « décroissance ». Au niveau européen, le Pacte vert a semblé devenir le bouc émissaire des extrêmes droites et d’une partie des droites conservatrices qui tentent d’agréger au sein d’un même front « anti-Pacte vert » des mouvements divers (agriculteurs, automobilistes, etc.). À gauche, même si Raphaël Glucksmann a promis au contraire de défendre le Pacte vert européen et proposé de construire « une puissance écologique européenne », dans les faits, sa campagne a beaucoup porté sur les thèmes géopolitiques et notamment la défense de la démocratie face à la Russie de Vladimir Poutine. Le programme de Manon Aubry, tête de liste de La France insoumise, comportait également un volet écologique mais il a semblé secondaire face à la défense de la cause palestinienne.
Comment expliquer cet apparent recul de la cause écologique dans un contexte qui devrait au contraire nous alarmer ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la relégation conjoncturelle de ce sujet au second rang dans la campagne des européennes2Nous n’évoquerons pas ici la campagne des élections législatives, trop atypique, même si l’absence de la question climatique est criante et doit nous interpeller.. Première clé d’explication : le biais du temps présent et la concurrence de préoccupations perçues comme plus urgente. Alors que l’Europe a traversé ces dernières années une interminable série de crises (pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, inflation, crise énergétique), si l’enjeu climatique demeure une priorité des Européens, il n’a pas été perçu comme un enjeu majeur pour leur vote le 9 juin dernier. Ainsi, selon une enquête réalisée par BVA Xsight pour Arte dans la perspective des élections européennes3Enquête réalisée auprès de 22 726 Européens du 27 mars au 4 avril 2024 par BVA Xsight pour Arte., la santé et la guerre arrivent en tête des enjeux actuels. Et selon l’enquête BVA Xsight pour RTL, réalisée juste avant le scrutin, interrogés sur les thématiques qui compteront le plus dans leur choix de vote le 9 juin, les Français n’ont placé l’environnement qu’au septième rang, derrière notamment le pouvoir d’achat, la sécurité, la santé ou encore le terrorisme. Autre clé d’explication, il est vrai qu’on observe une certaine défiance dans une partie de l’opinion publique à l’égard de la façon dont la transition est menée et la nécessité d’une « transition juste » comme le montre la dernière édition de l’enquête Climat réalisée pour la Banque européenne d’investissement (BEI).
Pour autant, un point mérite d’être précisé : on ne peut pour autant parler de réel « backlash écologique » car les résultats des différentes vagues de l’enquête Climat réalisée par BVA Xsight pour la BEI ont démontré la conscientisation progressive de l’urgence écologique et la demande d’action des citoyens européens. Ainsi, pour ne citer qu’un seul résultat, selon la dernière édition4BVA Xsight a réalisé pour la Banque européenne d’investissement la sixième édition de l’étude sur le climat menée auprès de plus de 30 245 personnes dans les 27 pays de l’Union européenne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Chine, en Inde, au Japon, en Corée du Sud, au Canada et aux Émirats arabes unis, en août 2023., pour les Européens, le changement climatique et la dégradation de l’environnement s’imposent comme le deuxième des principaux défis auxquels leur pays est confronté, cité par 50% d’entre eux, derrière l’augmentation du coût de la vie (68%). Il n’en demeure pas moins que derrière cette prise de conscience de l’urgence climatique, les citoyens ne semblent pas en faire une priorité au quotidien ni réellement agir pour changer radicalement les choses. Mais sont-ils réellement armés pour agir ? Connaissent-ils les leviers d’action ? Les solutions à mettre en œuvre ? Rien n’est moins sûr.
Au lendemain d’une séquence électorale qui témoigne d’un recul apparent de cet enjeu, Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de BVA Xsight, et Anne-Laure Gallay, directrice du département Opinion, font le point sur la connaissance qu’ont les citoyens européens du changement climatique grâce à l’indice de connaissance développé et mesuré dans la sixième édition de l’enquête Climat réalisée pour la Banque européenne d’investissement (BEI).
Qu’est-ce que l’indice de connaissance du changement climatique ? L’enquête Climat est réalisée chaque année par BVA Xsight pour la Banque européenne d’investissement. Cette dernière édition a été réalisée en ligne du 7 août au 4 septembre 2023 auprès de 30 245 citoyens de 35 pays dont 22 729 au sein des 27 pays de l’Union européenne (UE). La représentativité des échantillons nationaux a été assurée par la méthode des quotas appliquée aux variables de sexe, âge, catégorie socio-professionnelle et région. Basé sur douze questions, l’indice mesure la connaissance des citoyens sur trois aspects du changement climatique : sa définition et ses causes, ses conséquences, et les actions possibles pour le combattre. Chacune des trois sous-dimensions a le même poids dans le calcul de l’indice, qui s’exprime sous la forme d’une note sur 10. L’indice de connaissance du changement climatique fournit une image détaillée du degré d’information des individus sur le changement climatique, et permet d’identifier les lacunes potentielles en matière de connaissances et les domaines pouvant nécessiter davantage de sensibilisation. |
Sans être les plus avertis, les Européens s’avèrent assez familiers de la question du changement climatique
Interrogés sur leurs connaissances du changement climatique tous aspects confondus – causes, conséquences, et solutions –, les citoyens européens obtiennent la note de 6,37/10. Si ce niveau peut paraître peu élevé, notons qu’aucun pays n’obtient une note supérieure à 7/10 parmi les 35 pays interrogés, à l’exception de la Finlande, dont les habitants se hissent en tête du classement (7,22) et du Luxembourg (7,19). Trois autres pays font également légèrement mieux que l’Union européenne en moyenne : le Canada et la Corée du Sud, ex-aequo avec un indice de 6,62/10 et le Royaume-Uni (6,44).
Aucune corrélation nette n’est observée entre le niveau d’émissions de CO2 du pays et le degré d’acculturation des citoyens au sujet climatique. En effet, si les gros émetteurs de CO2 par habitant que sont le Canada et la Corée voient leur population plutôt mieux informée sur le sujet climatique, la situation est différente pour les autres gros émetteurs de l’étude. La Chine (5,54) mais surtout les États-Unis (5,38) et les Émirats arabes unis (5,29) présentent les indices de connaissance les plus bas des 35 pays interrogés, avec l’Inde (4,92) mais qui a contrario présente un faible niveau d’émissions rapporté à sa population.
Graphique 1. Notes globales des 35 pays en fonction de leurs émissions de CO2 par habitant sur un an
* Les données concernant les tonnes de CO2 par habitant sont les suivantes :
– pour la France : Monaco,
– pour l’Espagne : Andorre,
– pour l’Italie : Saint-Marin et Saint-Siège.
** Source : EDGAR (Emissions Database for Atmospheric Research) Community GHG Database (a collaboration between the European Commission, Joint Research Centre (JRC), the International Energy Agency (IEA), and comprising IEA-EDGAR CO2, EDGAR CH4, EDGAR N2O, EDGAR F-GASES version 8.0, (2023) European Commission.
Au sein de l’Union européenne, des lignes de fracture s’observent d’un point de vue géographique :
- les pays scandinaves, souvent vus comme plutôt pionniers sur les questions environnementales, se distinguent effectivement par un niveau d’information élevé : la Finlande, déjà évoquée, mais également son voisin la Suède (6,96/10) et le Danemark (6,76) s’illustrent favorablement. Au-delà de cette zone, les habitants de plusieurs autres pays, plus isolés cette fois, ont particulièrement bien réussi le test : les Luxembourgeois (7,19), les Portugais (6,90), les Croates (6,78) et les Irlandais (6,62) ;
- à l’inverse, le niveau d’acculturation au sujet du climat s’avère plus faible dans certains pays d’Europe de l’Est et du Sud : la Lettonie (5,92), la Pologne (5,87), Malte (5,84), la Roumanie (5,77) et Chypre (5,57).
Et la France dans ce tableau ? La France se classe au quinzième rang des pays européens, avec un score de 6,42/10, légèrement au-dessus de la moyenne de l’UE. Une note qui situe le pays dans une fourchette assez homogène avec ses proches voisins (Italie, Espagne, Belgique, Allemagne).
Graphique 2. Indice global de connaissance dans l’Union européenne (27)
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Abonnez-vousLa jeune génération, fer de lance de la lutte pour le climat, démontre des connaissances moins solides sur le sujet
C’est l’un des enseignements clés de l’étude, et probablement le plus surprenant : les jeunes Européens réussissent moins bien le test que leurs aînés. Alors que cette « génération climat », comme elle a pu être nommée, s’illustre depuis plusieurs années dans divers combats en faveur du climat, elle s’avère en réalité peu outillée en connaissances de base à l’égard du changement planétaire qui s’opère. Les précédentes éditions de l’enquête Climat avaient par ailleurs montré qu’elle n’était pas toujours exemplaire en matière d’adoption de comportements pro-climat, au-delà de la force de leurs convictions et de leurs intentions.
Ainsi, les jeunes de moins de 30 ans vivant dans l’Europe des 27 obtiennent un indice de connaissance de 5,99, contre 6,17 pour les 30-49 ans et 6,70 pour les 50 ans et plus. De manière contre-intuitive, les plus experts du climat ne sont donc pas les jeunes… mais les seniors !
Cette sous-information de la jeunesse est d’autant plus marquante :
- qu’elle s’observe de manière significative dans tous les pays européens, à l’exception de l’Italie (6,77 contre 6,41 pour la moyenne tous âges confondus). En dehors de l’UE, les seniors confirment leur plus grande culture du sujet dans tous les pays, même si les moins de 30 ans affichent parfois des scores plus élevés que les 30-49 ans ;
- qu’elle vaut pour toutes les dimensions testées : les jeunes maîtrisent moins que leurs aînés les différentes dimensions testées, à savoir les causes du changement climatique, ses conséquences et les solutions pour le limiter.
Graphique 3. Score global de connaissances en fonction de l’âge
L’acculturation au sujet climatique dépend aussi du genre, de l’appartenance politique et du milieu social
Au-delà du clivage générationnel, le niveau de connaissance à l’égard de la question climatique est également genré : les Européens obtiennent une meilleure note (6,54) que les Européennes (6,21), un constat que l’on retrouve sur nos enquêtes tous sujets confondus, l’intérêt pour l’information étant plus marqué chez les hommes. Un phénomène observé ici dans bon nombre de pays sur le territoire européen et au-delà, avec de rares exceptions : les femmes sont significativement plus averties du changement climatique que les hommes aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Finlande.
De manière plus intuitive, les niveaux de revenu et de diplôme jouent également sur la maîtrise du sujet au sein de l’UE, la connaissance progressant en fonction de ces deux critères.
Enfin, au lendemain des élections européennes, notons que l’indice évolue assez nettement selon la proximité politique des citoyens, à l’image de ce que nous observons dans d’autres enquêtes qui mesurent une sensibilité plus grande des sympathisants de gauche aux questions environnementales qu’ils prennent davantage en considération dans leur choix de vote. Ainsi, les sympathisants de gauche des 27 pays obtiennent une bien meilleure note (7,15/10) que ceux de droite (6,12) et d’extrême droite (5,64). Néanmoins, le score le moins élevé est enregistré auprès d’une autre population : les répondants ne se positionnant pas sur l’échelle politique (5,44).
La France est en ligne avec ces tendances : les moins de 30 ans obtiennent un indice de 6,1 contre 6,7 chez les 50 ans et plus, les femmes affichent un score de 6,20 contre 6,66 chez les hommes, les personnes ne s’exprimant pas politiquement une note de 5,54 contre 7,06 pour les sympathisants de gauche.
Causes, et surtout, conséquences du changement climatique sont les deux dimensions que les Européens maîtrisent le mieux
L’indice global de connaissance du changement climatique ne doit pas masquer des subtilités sur chacune des trois sous-dimensions testées, le niveau d’information des citoyens étant en réalité hétérogène lorsqu’on affine le constat.
Graphique 4. Indice de connaissance décomposé selon les trois sous-dimensions pour tous les pays
Premier point, les Européens sont relativement bien au fait de la définition et des causes du changement climatique avec une note de 7,21/10. Une note qui les place à un niveau équivalent à celui des Britanniques, Canadiens ou Coréens, mais largement au-dessus des Américains, Chinois ou Émiratis.
- 71% le définissent bien comme une « évolution à long terme des régimes climatiques mondiaux ». Signalons néanmoins que 23% se trompent en citant « une évolution rapide de la météo sur un court laps de temps, en particulier l’été », témoignant d’une certaine confusion avec les canicules, et 6% évoquent « un canular ». Cette part de climato-sceptiques reste limitée à moins de 8% dans tous les pays européens, à l’exception de la Lettonie (13%). Hors UE, c’est aux États-Unis (10%) et en Inde (12%) que cette proportion est la plus élevée.
- Une proportion équivalente (74%) identifie bien aussi ses causes : « les activités humaines comme la déforestation, l’agriculture, l’industrie et les transports ». 16% citent néanmoins « des phénomènes naturels extrêmes, comme les éruptions volcaniques et les vagues de chaleur » (25% aux États-Unis) et 10% « le trou dans la couche d’ozone » (17% en Corée).
- Les pays contribuant le plus au changement climatique sont également assez bien identifiés parmi les propositions : 72% citent le trio Chine/États-Unis/Inde quand 16% se trompent en citant les États-Unis/le Japon/l’Allemagne et 12% la Russie/l’Arabie Saoudite/le Qatar. À noter que le bon trio est toujours cité par plus de la moitié de la population, y compris dans les pays eux-mêmes cités dans ce trio.
Avec une note de 7,65/10, les conséquences du changement climatique sont encore mieux maîtrisées par les Européens que ses causes, montrant une assez bonne anticipation des effets qui pourront se concrétiser à plus ou moins long terme. Cette meilleure appropriation des conséquences que des causes est visible dans la quasi-totalité des pays. Le Portugal (8,67) et la Croatie (8,63) sont les deux pays appréhendant mieux cette facette du changement climatique dans les 35 pays testés, à l’opposé des États-Unis (6,13) et de l’Inde (5,61). Dans le détail, parmi les éléments testés :
- 85% des Européens savent que le changement climatique va aggraver la faim dans le monde en pesant sur les récoltes du fait de conditions météorologiques extrêmes (vs une réduction grâce aux récoltes favorisées en raison des températures plus douces ou pas d’impact) ;
- 82% y voient un impact négatif sur la santé humaine (vs positif grâce à des conditions météorologiques moins froides et l’augmentation de production de vitamine D ou pas d’impact) ;
- 71% savent qu’il entraîne une montée des eaux (vs une hausse ou pas d’impact) ;
- 69% savent qu’il va provoquer une augmentation des migrations dans le monde (vs une croissance démographique à l’échelle mondiale ou pas d’impact).
La France obtient un score de 7,12 sur la connaissance de la définition et de l’origine du changement climatique (7,21 pour la moyenne au sein de l’UE) et 7,70 sur la connaissance de ses effets (7,65 pour la moyenne au sein de l’UE).
La pédagogie reste à faire pour outiller davantage les citoyens sur les solutions et actions à même de combattre le changement climatique
Troisième sous-dimension abordée, les solutions et concepts liés apparaissent bien moins maîtrisés par les Européens (4,25/10). Alors que l’engagement des citoyens est clé dans l’évolution vers une société moins carbonée, notre étude montre qu’ils sont en déficit d’information quant aux moyens permettant cette transition, y compris en ce qui concerne les actions qui sont en leur pouvoir, réalisables à l’échelle individuelle. Cet enseignement n’est pas spécifiquement européen, mais au contraire vérifié dans l’ensemble des pays interrogés, européens et extra-européens, avec une note très décrochée par rapport à celles obtenues sur la connaissance des causes et des effets, preuve des marges d’amélioration encore très importantes en matière d’acculturation et d’empowerment des individus dans la lutte pour le climat.
- Premier fait notable, le concept de base d’empreinte carbone individuelle, de plus en plus utilisée dans les médias notamment, est en réalité mal maîtrisé par les citoyens. Moins de la moitié des Européens (44%) connaît sa définition exacte, à savoir le volume total de gaz à effet de serre émis par une personne par an. La majorité appréhende la notion de manière erronée, soit en évoquant « le volume total de carbone qu’une personne peut émettre par an en vertu des accords internationaux sur le climat » (37%) ou « le volume total de déchets non recyclables produits par une personne » (19%).
- Les actions ou mesures pouvant être mises en place pour lutter contre le changement climatique sont également mal connues, alors même que leur appropriation par les citoyens est cruciale. Pour l’ensemble des mesures proposées, aucune n’est citée à plus de 72% par les Européens comme pouvant atténuer le changement climatique.
Graphique 5. Perceptions de l’impact des actions pour atténuer les effets du changement climatique
Parmi les actions suivantes, laquelle pourrait aider à atténuer les effets du changement climatique ? (Plusieurs réponses possibles). Les items indiqués en rouge sont ceux qui n’ont pas d’impacts réels pour atténuer les effets du changement climatique.
Deux solutions sont relativement bien appréhendées : le fait d’utiliser des produits recyclables (72%) et l’utilisation des transports en commun (65%).
Toutes les autres mesures sont connues par moins d’un Européen sur deux : l’isolation des bâtiments (44%), l’achat moins fréquent de vêtements neufs (42%), la réduction des limitations de vitesse sur la route (26%), la réduction de la consommation de produits laitiers (19%) et de vidéos en ligne (9%). Les actions réalisables à titre personnel sont donc limitées par une méconnaissance de leur lien avec la question climatique, et de manière écrasante en ce qui concerne le streaming vidéo, alors qu’il est de plus en plus répandu dans les foyers.
À noter qu’à l’image de ce qui est observé sur la notion d’empreinte carbone, les confusions sont nombreuses. Certaines actions qui étaient en réalité des leurres sont assimilées à la lutte contre le changement climatique alors qu’elles servent d’autres objectifs comme la protection de l’environnement, le soutien des producteurs ou la limitation de la pollution. Ainsi, environ un Européen sur trois pense que le fait de nettoyer les environs (35%) ou le soutien des entreprises éthiques et du commerce équitable (31%) peuvent limiter le changement climatique et donc l’émission de gaz à effet de serre. Un peu moins d’un Européen sur cinq (18%) cite également la réduction de la pollution sonore comme mesure en faveur du climat, preuve du flou qui règne dans l’esprit d’un certain nombre de citoyens.
- Parmi les autres aspects testés, les Européens méconnaissent également le lien avec la biodiversité. Seuls 38% savent qu’il est aussi urgent et important de remédier à la perte de biodiversité que de lutter contre le changement climatique.
- Enfin, la notion d’adaptation au changement climatique est comprise par 71% des Européens comme « la modification de notre façon de vivre et d’organiser les sociétés de façon à faire face aux impacts actuels et à venir du changement climatique ». 29% se trompent en citant « l’abandon de tout ce qui est à son origine, en particulier les émissions de gaz à effet de serre ».
La France se distingue par un score, certes bas, mais supérieur à la moyenne européenne en ce qui concerne la connaissance des mesures et solutions pour combattre le changement climatique (4,44 contre 4,25). Plus spécifiquement, les Français maîtrisent mieux l’impact positif de l’isolation – thème fortement porté par le gouvernement –, de la limitation de l’achat de vêtements neufs et surtout du streaming vidéo dans l’atténuation du changement climatique. L’adaptation est également une notion plus claire pour eux (79% de bonnes définitions vs 71%).
Les résultats de cette étude de la BEI (de la dernière vague mais aussi des précédentes) nous renseignent de façon claire sur plusieurs points :
- la conscience de l’urgence écologique est réelle ; on a d’ailleurs vu au cours des dernières années sa montée en puissance progressive à mesure que se faisaient ressentir les effets du changement climatique, avec une corrélation étroite entre cette prise de conscience et le ressenti des conséquences dans son quotidien ;
- en revanche, derrière cette « conscience globale », les enjeux restent insuffisamment appréhendés et notre étude témoigne notamment d’un déficit de connaissance des moyens permettant la transition, y compris en ce qui concerne les actions réalisables à l’échelle individuelle.
Ces enseignements nous fournissent des pistes pour l’avenir. Même si l’attention ne doit pas fléchir, il est peut-être temps de cesser (ou a minima de moins) communiquer de façon alarmiste. Les citoyens ont pris conscience de l’urgence climatique. Et par ailleurs, les publications, rapport après rapport, de données anxiogènes peuvent avoir un effet démobilisateur. D’une part, en « banalisant » le discours sur la gravité de la situation, engendrant une sorte de lassitude qui pourrait en diminuer les effets. D’autre part, pour ceux qui sont encore attentifs à ces informations, en entraînant un risque de découragement voire de paralysie : « on n’y arrivera jamais, la montagne est trop dure à gravir ». Ce risque de capitulation peut se doubler d’un sentiment d’inutilité de l’action au niveau individuel voire de déresponsabilisation (« à quoi bon agir alors qu’à mon niveau, je ne contribue pas tant que ça au changement climatique ? »). On voit bien qu’il y a un énorme travail de pédagogie à effectuer, sur l’ensemble de ces dimensions à la fois pour aider les citoyens à mieux cerner les causes et les conséquences du changement climatique mais aussi et surtout pour les aider à mieux identifier les leviers d’action, notamment au niveau individuel. Bien sûr, cela ne sera pas suffisant et ces efforts devraient s’accompagner d’une refonte plus globale du discours sur la lutte contre le changement climatique5En écho aux pistes proposées par Théodore Tallent dans cette note de la Fondation Jean-Jaurès., en axant notamment les actions sur une transition qui n’aboutirait pas à un accroissement des inégalités mais qui permettrait au contraire de les réduire6Voir le volet 1 de la sixième édition de l’étude Climat réalisée par BVA Xsight pour la BEI., pour que chacun se sente concerné et agisse à son niveau.
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- 2Nous n’évoquerons pas ici la campagne des élections législatives, trop atypique, même si l’absence de la question climatique est criante et doit nous interpeller.
- 3Enquête réalisée auprès de 22 726 Européens du 27 mars au 4 avril 2024 par BVA Xsight pour Arte.
- 4BVA Xsight a réalisé pour la Banque européenne d’investissement la sixième édition de l’étude sur le climat menée auprès de plus de 30 245 personnes dans les 27 pays de l’Union européenne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Chine, en Inde, au Japon, en Corée du Sud, au Canada et aux Émirats arabes unis, en août 2023.
- 5En écho aux pistes proposées par Théodore Tallent dans cette note de la Fondation Jean-Jaurès.
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