Backlash écologique : quel discours pour rassembler autour de la transition ?

Comment dépasser les résistances des citoyens à l’égard des politiques climatiques ? À partir d’une analyse de l’acceptabilité de la transition écologique, des clivages territoriaux entre zones rurales et urbaines et des raisons du mécontentement des citoyens, Théodore Tallent, chercheur doctorant et enseignant en science politique à Sciences Po (Paris), et chercheur affilié à un centre de recherches de l’Université de Cambridge, livre douze propositions pour parvenir à construire une transition désirable.

Caractériser le problème

Nous assistons, depuis quelques années, à une montée du mécontentement à l’égard de la transition écologique. Cette évolution fut manifeste en France avec les manifestations des « gilets jaunes » ou l’opposition à certaines mesures spécifiques comme la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes. Il en fut de même en Allemagne ou dans l’Est de l’Europe il y a quelques années contre certaines politiques énergétiques. Plus récemment, les manifestations des agriculteurs à travers l’Europe en ont été un nouveau témoignage. Depuis, les commentateurs insistent sur le risque d’un « backlash écologique » en Europe, alimenté selon eux par le refus de la population de payer le coût d’une transition perçue comme injuste et trop contraignante. Que ce soit la taxe carbone, les zones à faibles émissions, le développement des énergies renouvelables, les régulations agricoles, les obligations de rénovation énergétique ou encore d’éventuelles taxes sur le transport aérien, le défi de l’acceptabilité est bien là. Son acuité semble être d’autant plus grande dans certains territoires situés hors des grandes métropoles, où le mouvement des « gilets jaunes » avait d’ailleurs débuté1Christoph Arndt et al., « The centre-periphery divide and attitudes towards climate change measures among Western Europeans », Environmental Politics, 2022, pp. 381-406.. Plus largement, les citoyens européens sont désormais dépeints comme désireux de mettre en pause la transition écologique, ce que les décideurs nationaux et européens semblent d’ailleurs souvent bien vite prompts à soutenir.

Du fait de ce mécontentement qui gronde à travers l’Europe, les partis politiques sont amenés à réagir. Alors que la gauche écologiste peine à trouver une réponse pertinente et désirable et que les partis centristes, voire de centre-gauche (comme le Labour au Royaume-Uni) optent pour la modération de leurs discours par peur de perdre le soutien de l’électorat, certains partis choisissent de répondre au mécontentement par un discours particulièrement critique à l’égard de la transition. C’est principalement le cas des droites conservatrices, qui s’attaquent à la transition écologique qu’ils construisent comme un processus « coûteux » et « injuste ». Elles sont rejointes par les droites populistes qui cherchent à instrumentaliser le mécontentement pour s’attaquer aussi bien à la transition qu’aux élites politiques nationales et européennes. Ces partis font le pari que l’opposition à la transition leur bénéficiera politiquement. Ils se rappellent peut-être des conséquences de la hausse de la taxe carbone en 2018 qui a précipité le mouvement des « gilets jaunes » et a fortement impacté les capacités politiques du gouvernement en place. Ils imaginent désormais des échos similaires à la colère des agriculteurs. Enfin, ils ont peut-être lu les récents travaux de chercheurs italiens démontrant que l’instauration d’une taxe sur les véhicules polluants à Milan a significativement augmenté le vote pour le parti d’extrême droite, la Lega, au sein de la population affectée par cette taxe2Italo Colantone et al., « The Political Consequences of Green Policies: Evidence from Italy », American Political Science Review, vol. 118, n°1, février 2023, pp. 108-126..

Pourtant, bien souvent, l’erreur fondamentale de nombreux décideurs politiques est de comprendre l’opposition à certaines politiques climatiques comme une opposition générale à la politique climatique. C’est d’ailleurs l’une des leçons d’un récent travail mené par des chercheurs européens qui démontrent, en étudiant les perceptions des citoyens, que le « backlash écologique » est en réalité largement surestimé. C’est surtout l’active instrumentalisation de la question par la droite populiste et les réticences des libéraux et conservateurs qui alimentent le mécontentement en politisant (et polarisant) la question écologique. Pourtant, si l’accroissement de la colère est parfois exagéré, ce mécontentement reste une réalité à laquelle il faut répondre.

Qu’il s’agisse de l’action climatique (la conception des politiques et, plus généralement, la structuration globale de la transition écologique) ou du discours (le cadrage de la transition et la structuration du message), il est impératif de reconnaître et de prendre en considération ces réticences des citoyens. Mais il est également essentiel de comprendre que l’inaction n’est pas l’unique voie de sortie. Pour preuve, les sondages démontrent désormais fréquemment qu’une majorité considère que l’État n’en fait pas assez sur ce sujet prioritaire. Simplement, les partis désireux de porter un discours écologique, du centre jusqu’à la gauche, ont du mal à structurer une troisième voie. Il s’agit de trouver l’équilibre entre d’un côté la tentation de l’inaction, et de l’autre le recours au macro-discours écologiste qui apparaît souvent comme « total » et moralisateur, voire déconnecté. Surtout, ils peinent à proposer un contre-discours pour répondre à la tentative des droites de politiser l’enjeu écologique en polarisant la société afin d’en tirer des bénéfices électoraux. Un autre chemin est pourtant possible.

Les raisons du mécontentement : retours du terrain

Dans le cadre de mes recherches, je réalise des entretiens, principalement hors des grandes villes, avec des citoyens aux profils sociodémographiques variés, au cours desquels ils abordent leurs perceptions de la transition écologique. Ces entretiens révèlent le caractère multidimensionnel du mécontentement généré par les politiques climatiques. Celui-ci est nourri par des préoccupations à la fois économiques, sociales et culturelles. Ils permettent, surtout, d’envisager d’éventuelles manières de le dépasser afin de construire une transition acceptable et désirable. C’est tout l’objet de cette note.

Bien que nous n’ambitionnons pas de résumer l’ensemble des retours collectés lors des entretiens, il est important de noter que ce travail de terrain révèle une préoccupation environnementale et un soutien général à l’action climatique, mais également un réel scepticisme à l’égard de la transition écologique telle qu’elle est conçue ou envisagée. Il est important de noter cependant que ce scepticisme ne se manifeste pas vraiment à l’égard de la réalité du changement climatique, ce qui constitue ici une opinion très minoritaire, mais plutôt à l’égard du bien-fondé de nombreuses politiques climatiques. Plus généralement, les personnes interrogées doutent de la nécessité d’imposer des contraintes sur les modes de vie individuels. Sans adresser ces défis, la transition écologique ne saurait passer le test démocratique. Sur la base de ce travail de terrain, nous formulons ici douze pistes pour y parvenir en investissant le pouvoir du discours politique.

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Douze pistes pour reconstruire un discours écologique

Pour commencer, il est impératif d’établir d’emblée que les citoyens, dans leur grande majorité, sont en demande d’action climatique. Comme expliqué précédemment, de nombreux décideurs commettent l’erreur de répondre au mécontentement actuel par une modération radicale de leurs discours sur la question. Pourtant, tout au long des entretiens, les personnes rencontrées ont également insisté sur leur mécontentement vis-à-vis de la trop faible action politique face au changement climatique. C’est également ce qui ressort des travaux cités précédemment, démontrant qu’une majorité de citoyens considèrent que l’État n’en fait pas assez. Ainsi, s’il faut agir, il faut surtout bien agir.

Articuler le discours autour de la transition juste

La transition doit être juste pour les gens et pour les territoires. Elle ne doit pas être un concept creux, mais structurer un discours sur le fond.

La transition doit être juste en termes d’emplois (destruction et création), de coûts (distribution des coûts entre individus et au sein des territoires) et de bénéfices (économiques et sanitaires). Les études confirment en effet que la transition porte le risque de non seulement imposer un coût sur tout un chacun mais également de renforcer les inégalités, aussi bien entre les individus (les plus pauvres payant un coût relativement plus élevé) et entre les territoires (avec les territoires ruraux / « périphériques » plus exposés). Cela signifie donc que le discours doit être structuré autour de la question des coûts et de la justice. La Commission européenne avait d’ailleurs construit, dès 2019, un narratif de justice selon lequel la transition ne devait « laisser personne de côté ». En parallèle, il est également impératif d’évoquer les bénéfices directs de la transition écologique, notamment économiques et sociaux, et de s’assurer qu’ils soient visibles pour toute la population. La transition écologique a en effet un réel potentiel de création d’emplois, de baisse de certains coûts (énergétiques par exemple) et d’amélioration de la santé : il faut que tout un chacun puisse en bénéficier.

La transition n’est par ailleurs « juste » que si tout un chacun contribue à la hauteur de sa responsabilité et de ses capacités. Cela signifie qu’il faudra mettre à contribution les acteurs au plus fort impact carbone (grandes entreprises, classes supérieures, etc.) tout en évoquant une mobilisation universelle de la société. Les études sont très claires3Antonin Pottier et al., « Qui émet du CO2 ? Panorama critique des inégalités écologiques en France », Revue de l’OFCE, 5 (169), 2020, pp. 73-132. : bien que les émissions soient inégalement réparties au sein de la population, notre mode de vie est collectivement insoutenable (et très hétérogène au sein même des différentes strates de la société).

Deux travaux académiques renforcent ces convictions autour de l’impérative structuration d’un discours de transition juste. Tout d’abord, les chercheurs italiens ayant démontré à Milan une corrélation entre impact d’une politique coûteuse (taxe sur les véhicules polluants) et vote d’extrême droite ont également démontré que cette hausse du vote populiste ne se matérialisait pas lorsque des plans sérieux de compensation étaient mis en place au niveau local. De leur côté, une autre équipe de chercheurs s’est penché sur le cas espagnol pour démontrer qu’il est possible de réaliser la transition juste sur le terrain, via des programmes sociaux de transition qui créent des bénéfices politiques pour le parti social-démocrate au pouvoir. La transition juste, dans la pratique, a donc la capacité d’accélérer la transformation écologique tout en absorbant les coûts sociaux (et électoraux).

Dépasser les seuls aspects économiques

Il faut travailler sur l’approche globale de la politique pour s’attaquer aux diverses dimensions du mécontentement. Cela veut dire travailler avant tout sur les imaginaires et le discours. Compte tenu des puissantes représentations sociales et culturelles qui bloquent les changements de comportement et empêchent d’envisager positivement la transition écologique, investir le terrain du discours apparaît comme d’autant plus fondamental.

Il faut impérativement rendre la transition écologique désirable, construire un discours positif et un récit engageant du monde transformé : un discours qui fait, par exemple, de la transition écologique le moyen d’atteindre une société plus saine, plus heureuse et avec des emplois de qualité, mais aussi l’opportunité d’une indépendance énergétique retrouvée et d’une souveraineté industrielle et agricole regagnée.

Personne n’a fondamentalement envie de vivre entouré de béton, de pollution, de pesticides, de plastique, etc. Par force d’habitudes, par mécanismes de conservation, par peur du changement (et par l’action de certains acteurs favorisant le statu quo), nous privilégions l’état actuel des choses à tout projet de transformation. Il manque à l’écologie un discours qui fait de la transition écologique le chantier qui rassemble la population – comme l’ont été les questions sociales au siècle dernier – et qui dépasse la question purement technique pour engager un narratif de transformation sociétale.

Séquencer le discours et les mesures

Il faut se garder de structurer un discours qui porte le risque d’être caricaturé en « écologie punitive », aussi creux que soit ce terme. Pour cela, il faut séquencer ses mesures et commencer par articuler un discours positif et engageant, qui répond aux visions du monde et aspirations des citoyens. Il faut construire la confiance, engager les citoyens, et ensuite mettre en place les contraintes qui seront nécessaires. 

Cela peut impliquer, au début, de parler d’investissement plutôt que d’interdictions, d’incitations plutôt que de taxes, d’emplois créés plutôt que de ceux qui vont disparaître, de solutions plutôt que de problèmes, etc. Bien qu’il ne soit pas suffisant, bien entendu, de transformer la société par des politiques d’investissement ou le développement de solutions technologiques, les changements de comportement ne seront possibles que s’ils s’incarnent dans un discours politique porteur d’un message positif (comme par exemple : « nous allons investir et transformer l’économie pour le bien des citoyens, des emplois, de l’industrie, de l’économie, de l’État providence, etc. – pour vous et vos enfants »). Il sera ensuite possible, en soutien à ces mesures de transformation, d’engager des pistes plus contraignantes (si tant est qu’elles soient justes et équilibrées – cf. point 1). Cela ne signifie pas que nous manquons d’ambition, c’est tout l’inverse. Commencer par les mesures les plus acceptables n’est pas moins efficace, au contraire : cela permet d’embarquer la société sur le chemin de la transformation écologique.

Le cas du Labour britannique est éclairant pour comprendre l’erreur de calcul d’un parti qui avait pourtant toutes les cartes en main pour structurer un discours écologique convaincant et séquencé. Face au risque de backlash écologique, le Labour, pourtant largement en tête dans les sondages, a décidé début février 2024 de revenir sur sa promesse électorale d’investir 28 milliards de livres pour la transition écologique chaque année. Pourquoi ? Par peur de crisper les citoyens et d’en payer le coût électoral, dans un pays traversé par les protestations contre les zones à faibles émissions et une politisation accrue de l’enjeu climatique par les conservateurs. L’erreur fondamentale du Labour est ici de prendre les réticences/craintes des citoyens pour un rejet généralisé de l’action environnementale. Le Labour avait la possibilité, par sa popularité et son projet d’investissement vert, de construire un discours écologique positif et populaire, à l’image de l’action de Joe Biden aux États-Unis. Il a choisi le repli.

Inscrire le problème écologique dans le quotidien des individus

Il faut éviter de se concentrer trop fréquemment sur le changement climatique comme problème abstrait et absolu.

Il faut rapprocher le problème des gens : c’est votre maison qui est sous l’eau, dans le Nord, ou qui brûle, dans le Sud ; c’est votre famille qui n’a plus d’eau dans le Sud, ou perd les forêts où vous aimiez vous promener ; c’est la côte où vit votre famille qui s’érode à l’Ouest, dans les territoires menacés par la montée des eaux ; c’est la pollution qui affecte vos enfants et tue plus de gens en une année que ce que nous devrions tolérer ; ce sont les pesticides qui vous intoxiquent ; c’est un désert de béton dans lequel vous vivez ou des zones commerciales sans âme ; c’est l’asphyxie en ville et les canicules qui s’enchaînent ; etc.

Mentionner les solutions concrètes et mettre en valeur les réussites 

Les recherches en psychologie cognitive montrent que, à défaut d’évoquer des solutions ou a minima des exemples positifs, le cerveau humain bloque l’information nouvelle potentiellement dérangeante et peut créer un sentiment d’apathie et de désespoir. Évoquer ces dangers tangibles, faire l’état des lieux, s’accorder sur un bilan réaliste de la situation constituent ainsi autant de prérequis mais ne peuvent se suffire à eux-mêmes. Aux constats doivent être associées des propositions.

Comme l’expliquent des chercheurs américains, les solutions impliquent des actions et des opportunités, qui dessinent un futur désirable. Pour lutter contre ce risque, il faut évoquer les dizaines de milliers d’emplois créés dans la vallée de la batterie dans le Nord de la France, les produits plus sains grâce à l’agroécologie, les petits villages qui augmentent de 50% leur budget grâce aux éoliennes installées sur leur territoire, les communes ayant opté pour, et réussi, une transition radicale de leur environnement (par exemple Ungersheim, en Alsace), les citoyens qui deviennent actionnaires de projets d’énergie renouvelable, les logements rénovés qui font diviser les factures d’énergie par cinq, etc.

Il faut des récits prospectifs, des exemples concrets et locaux – sans pour autant tomber dans un déni optimiste voire, pire, une sorte de fascination pour d’éventuelles solutions technologiques. C’est aussi une manière de répondre aux craintes associées à la transition, qu’elles soient économiques ou culturelles, en montrant ce qu’elle est déjà en train d’accomplir.

Territorialiser les politiques publiques et les discours écologiques

Force est de constater que la transition est souvent perçue comme « imposée d’en haut ». C’est en permettant à tout un chacun de s’approprier la transition écologique sur son territoire, avec son collectif, et pour construire son projet adapté, qu’elle réussira. Bien que le cadre national et européen soit la pierre angulaire de toute action climatique ambitieuse, il faut trouver une manière de conjuguer un engagement européen absolu, car c’est bien à cette échelle que la transformation systémique peut et doit s’opérer, et une traduction très concrète au niveau de chaque territoire, et adaptée à chaque contexte économique, social et culturel. Cela veut aussi dire engager une démarche collective et non individuelle : un groupe, proprement engagé et inclus dans un processus, est bien plus capable d’activer le changement qu’un individu isolé.

Prendre en compte le rôle des identités

Les recherches suggèrent que l’identité – territoriale (par exemple rurale), politique (par exemple libérale), associative (par exemple écologiste), professionnelle (par exemple agricole), etc. – joue un rôle important dans la manière dont une personne réagit aux messages sur la transition écologique. Par exemple, aux États-Unis, le changement climatique est désormais étroitement associé à l’identité politique ou à une situation géographique. Il est donc impératif d’aligner l’action climatique avec les identités de l’audience à laquelle on s’adresse.

Il ne sera guère possible de réussir une transition écologique qui nous engagerait dans une sorte de « guerre culturelle », notamment en stigmatisant certains individus, comme on a parfois pu l’observer avec ceux dénonçant injustement « les ruraux réfractaires au changement ». Nous avons tous des façons de voir le monde, des identités propres, des cultures spécifiques et des valeurs particulières4Harriett Bulkeley et al., Towards a Cultural Politics of Climate Change: Devices, Desires and Dissent, Cambridge, Cambridge University Press, 2016.. Il est possible de les faire évoluer par la politique, certes, mais elles restent souvent profondément ancrées. Il faut donc plutôt construire un discours qui résonne avec les valeurs et identités de l’audience à qui l’on s’adresse, et ne jamais donner l’impression de juger la supposée moralité ou conscience écologique des individus. C’est précisément lorsque la question écologique est politisée autour de problématiques identitaires et culturelles qu’elle peine à convaincre le plus grand nombre. Elle donne l’impression d’être urbaine, élitiste et déconnectée : ce sont les qualificatifs qui remontent du terrain. Montrons que l’écologie est plurielle et inclusive et qu’elle nous concerne toutes et tous.

Prendre en considération le rôle des émotions

Le rôle des émotions, bien que contribuant significativement aux perceptions individuelles des questions écologiques, est souvent sous-estimé par une grande partie des décideurs politiques.

Pourtant, les travaux de nombreux chercheurs démontrent que les émotions telles que la peur, le sentiment d’impuissance ou la culpabilité nourrissent l’inaction climatique par une sorte de mécanisme de protection. Dans le discours politique porté autour de la transition, il faut reconnaître ces émotions et tâcher de lutter contre les mécanismes de défense qu’ils déclenchent – c’est-à-dire, lutter contre la culpabilité en proposant des voies de sortie, lutter contre le sentiment d’impuissance par des solutions efficaces et tangibles.

Situer l’action climatique dans les référentiels individuels 

Par ailleurs, les messages climatiques gagnent en efficacité lorsqu’ils s’alignent sur les valeurs et les priorités personnelles, telles que les économies financières, le bien-être ou l’attention portée à sa communauté et à sa famille.

À titre d’exemple, la crise du pouvoir d’achat a créé une certaine prise de conscience autour de l’efficacité énergétique. Ainsi, les stratégies de sobriété sont largement soutenues car elles offrent une réponse à l’insécurité énergétique et aux défis climatiques, tout en améliorant le quotidien des personnes, en l’occurrence en diminuant les dépenses énergétiques.

Considérer l’importance du messager

Comme l’expliquent des chercheurs britanniques, certains partis politiques populistes vont essayer de traduire la défiance significative à l’égard de la classe politique en scepticisme à l’égard de la transition écologique.

Des communications mal ciblées ou de la part de « messagers » peu appropriés pourraient bien aggraver la situation. Les personnalités politiques et autres communicants doivent comprendre leur public, reconnaître si ce dernier leur fait confiance, et accepter de « passer le micro » à des personnes qui sont perçues, par différents publics, comme plus légitimes.

Reconnaître ce que les individus font déjà

S’inspirant des travaux sur l’écologie populaire, il est important de signaler aux citoyens qu’ils agissent déjà, au quotidien, pour la protection de l’environnement et qu’il leur faut non pas aller à l’encontre de ce qu’ils sont et font, mais simplement s’engager davantage.

Les travaux de recherche démontrent en effet qu’une partie des blocages à l’action vient de la sensation que « l’écologie ce n’est pas pour moi », que l’action environnementale serait contre « qui je suis ». En reconnaissant les pratiques de tout un chacun, on active le changement et on reconnaît le « bien » que les gens peuvent réaliser en s’engageant dans la transition.

Il faut ainsi reconnaître que les gens font partie de la solution : la solution n’est pas contre eux mais pour eux, elle leur apportera des bénéfices nombreux et tangibles.

Considérer que l’ensemble du discours politique compte

La perception qu’un citoyen a de la transition écologique dépend de son évaluation du discours économique, social ou culturel des dirigeants politiques. 

Comme le démontrent les travaux sur le mécontentement politique, les attitudes des citoyens à l’égard d’une politique publique ou d’un problème concret se construisent à partir de leurs attitudes à l’égard du système politique de manière plus générale. La tâche la plus complexe est ainsi de rendre l’écologie désirable en évitant le piège d’un discours qui, sur d’autres thématiques, aurait tendance à braquer les citoyens et à créer de la défiance. C’est un piège dans lequel trop de mouvements sont tombés par le passé. Pour convaincre sur la question écologique, il faut ainsi être crédible au-delà de celle-ci.

  • 1
    Christoph Arndt et al., « The centre-periphery divide and attitudes towards climate change measures among Western Europeans », Environmental Politics, 2022, pp. 381-406.
  • 2
    Italo Colantone et al., « The Political Consequences of Green Policies: Evidence from Italy », American Political Science Review, vol. 118, n°1, février 2023, pp. 108-126.
  • 3
    Antonin Pottier et al., « Qui émet du CO2 ? Panorama critique des inégalités écologiques en France », Revue de l’OFCE, 5 (169), 2020, pp. 73-132.
  • 4
    Harriett Bulkeley et al., Towards a Cultural Politics of Climate Change: Devices, Desires and Dissent, Cambridge, Cambridge University Press, 2016.

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