En Lot-et-Garonne, avec Yuzu, le financement citoyen au service des projets à impact

La multiplicité des crises – politique, économique, sociale et environnementale – invite les acteurs publics à innover. Alors que de nouvelles formes entrepreneuriales émergent à travers l’économie sociale et solidaire, le Lot-et-Garonne a mis en place le dispositif Yuzu qui permet un financement citoyen dans le cadre de projets à impact. Pour l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales de la Fondation, Sophie Borderie, présidente du Conseil départemental de Lot-et-Garonne, présente les enjeux de ce dispositif adapté aux besoins du territoire et aux nouvelles aspirations citoyennes.

Notre avenir semble s’écrire en dates. 2030 est aujourd’hui un horizon commun, présent dans tous les esprits.

La loi Énergie Climat adoptée en 2019 fixe un objectif de réduction de 40% de la consommation d’énergies fossiles d’ici 2030. En septembre 2015, les 193 États membres de l’ONU ont adopté le programme de développement durable à l’horizon 2030, intitulé « Agenda 2030 ». C’est un plan d’action pour l’humanité, la planète et la prospérité. Il porte une vision de transformation de notre monde en renforçant la paix, en éradiquant la pauvreté et en assurant sa transition vers un développement durable. Il est associé à des cibles chiffrées à atteindre collectivement d’ici 2030 articulés autour de 17 objectifs interdépendants visant 169 cibles communes. Ce plan d’action impose une coopération inédite entre tous les êtres humains sur tous les continents. Les nouveaux modes de gouvernance que cette coopération induit nous amènent à développer des outils adaptés et des espaces inclusifs de débat et de fabrication de solutions pertinentes, justes et à la hauteur de tous les enjeux interconnectés.

Plus récemment, l’été 2022 – et son cortège de vagues de chaleur, de sécheresse et de méga-feux – a rappelé une évidence : l’urgence climatique nous rattrape ! Il nous faut faire vite pour adapter nos modes de vie au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Nous n’y parviendrons qu’en unissant nos efforts vers un objectif commun : inventer un monde plus respirable, plus résilient, plus solidaire, plus vivable. Les acteurs institutionnels doivent y prendre toute leur part en réorientant leurs politiques publiques pour mieux les cibler et les rendre plus efficaces dans ce processus d’adaptation, en stimulant l’innovation dans tous les domaines, en fédérant les énergies.

Des opportunités existent : la crise sanitaire et les effets de plus en plus visibles du changement climatique ont préparé les esprits à la nécessaire transition. Les outrances de la société de consommation sont de plus en plus contestées. Partout les acteurs se mobilisent pour apporter leurs solutions pour un changement profond de notre société et ne demandent qu’à être fédérés. Les nouvelles technologies sont un levier puissant de conversion de notre monde vers un modèle plus durable.

Dans ce contexte, l’invention d’un nouveau modèle productif et social plus respectueux de l’environnement constitue une nécessité, mais également une opportunité en termes d’emploi et de compétences.

Vers de nouvelles formes entrepreneuriales

Il nous faut changer nos modes d’entreprendre comme nos modes de consommation. Il faut que l’humain soit au cœur des projets entrepreneuriaux, il faut penser local et revisiter notre rapport à l’environnement. Pour cela, il nous faut des entreprises vertueuses qui s’engagent dans des démarches de développement intégré par et pour le territoire, par et pour ceux qui vivent et agissent dessus.

Partout, on assiste à l’émergence de l’économie sociale et solidaire, véritable entrepreneuriat social, collectif et de territoire. Ces dynamiques s’inscrivent dans la vague des entreprises d’utilité sociale ou à impact, c’est-à-dire des entreprises qui souhaitent agir pour l’intérêt général, le bien commun, et répondre à des enjeux socio-économiques, environnementaux ou territoriaux.
L’augmentation des coopératives et entreprises d’utilité sociale rend bien compte de cette émergence. Selon le panorama des entreprises coopératives, la France comptait 22 600 entreprises coopératives en 2020, pour 1,3 million de salariés et 30% de parts sociales détenues par les sociétaires. Plus largement, l’économie sociale et solidaire (ESS) représentait 255 000 établissements en France, 2,3 millions de salariés et 10% du PIB français.

Toutes ces entreprises témoignent à leur mesure d’une volonté de développer des projets socialement utiles, même si le modèle économique n’est pas toujours aisé à trouver.

Ces dynamiques rendent compte d’une révolution dans la façon d’aborder et de mesurer la création de valeur.

Allier nouvelles formes entrepreneuriales et participation citoyenne

Ces nouvelles formes d’entreprenariat sont susceptibles par ailleurs d’offrir un débouché au désir croissant de participation citoyenne, et interpellent les partenaires publics du monde économique.

Les projets émergeant autour de ces nouvelles pratiques économiques renvoient pour beaucoup à des besoins collectifs, d’utilité sociale, qui cherchent à donner des réponses à des problématiques auxquelles les pouvoirs publics ne sauraient trouver seuls les solutions. Ils constituent des alternatives à la concentration des services dans les grands pôles urbains comme à l’absence de réponse du marché, à des endroits où la rentabilité attendue est faible. Néanmoins, trop souvent, ces projets souffrent d’outils financiers inadaptés pour favoriser leur émergence, leur succès et leur développement.

En Lot-et-Garonne, un dispositif visant à mobiliser l’épargne citoyenne au bénéfice des projets à impact

La réforme territoriale, dont la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République, supprime la clause générale de compétence pour les départements et les régions et réaffirme le département comme le garant des solidarités territoriales. Elle accentue le rôle central du département sur les compétences de solidarité, lui permettant de continuer à agir dans des domaines qui ne sont pas de sa compétence, pour des raisons de « solidarité territoriale et lorsque l’initiative privée est défaillante ou absente ». Cette reconnaissance renforce le rôle clé de cette institution dans les actions de proximité.

Afin de mettre en œuvre concrètement leurs compétences spécifiques et néanmoins complémentaires, la région Nouvelle-Aquitaine et le département de Lot-et-Garonne ont souhaité saisir la possibilité, offerte par la loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS), de contractualiser pour la mise en œuvre des stratégies concertées et le déploiement de l’ESS sur le territoire.

Le Conseil départemental a d’abord souhaité disposer d’un état des lieux de l’ESS en Lot-et-Garonne, prérequis indispensable pour entamer une réflexion sur une politique à venir. Il s’est appuyé sur la Chambre régionale de l’ESS de la Nouvelle-Aquitaine (CRESS NA) pour l’élaboration de cette étude. Cette association, tête de réseau pour l’ESS en Nouvelle-Aquitaine, s’est appuyée sur son observatoire et a mobilisé ses adhérents pour recueillir leur vision.

Sur la base de cet état des lieux, le Conseil départemental a déployé un plan d’actions départemental 2021-2027. La stratégie départementale s’articulait autour de la création de quatre dispositifs de soutien financier au développement de projets locaux :

  • soutenir la création d’espaces d’intermédiation et d’innovation territoriale ;
  • accompagner l’émergence de nouvelles entreprises solidaires ;
  • soutenir la création de sociétés coopératives de production (SCOP) / sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) par l’emploi solidaire ;
  • développer le tourisme durable et social.

Ces dispositifs d’accompagnement permettent aujourd’hui de soutenir les structures de l’ESS dans leur fonctionnement et a permis de soutenir un réseau lot-et-garonnais riche de sa diversité.

Toutefois, la création de structures de l’ESS qui souhaitent investir dans des projets porteurs de valeur ajoutée économique solidaire et sociale et de soutien à l’emploi se trouve encore confrontée à la difficulté de l’accès au financement traditionnel bancaire, et les dispositifs proposés par le département n’y apportaient pas de réponse concrète.

C’est fort de ces constats que le Conseil départemental de Lot-et-Garonne s’est engagé dans la création d’un dispositif nouveau permettant de soutenir les initiatives ou entreprises de l’ESS du territoire, prenant en compte le désir croissant d’implication citoyenne dans les projets de développement.

Ainsi, est né le dispositif « Yuzu », fonds d’épargne citoyen pour le Lot-et-Garonne.

Ce dispositif doit permettre d’accompagner les structures de l’ESS dans le cadre d’une levée de fonds (dons, endettement et haut de bilan) permettant de mobiliser l’épargne citoyenne, en s’appuyant sur des acteurs de la finance solidaire.

Le financement solidaire pour répondre aux enjeux sociaux et économiques actuels

Les Lot-et-Garonnais·e·s expriment régulièrement leur volonté d’accompagner des projets « porteurs de sens » et répondant à des problématiques sociétales et territoriales actuelles. Il était donc important que le département puisse apporter une réponse adaptée sur le plan socio-économique dans le respect du cadre juridique.

Yuzu permettra à chacun de participer au financement des projets portés par des structures de l’ESS dans le cadre d’une levée de fonds permettant de mobiliser l’épargne citoyenne, en s’appuyant sur des acteurs de la finance solidaire, dont les principes fondateurs visent à faciliter le financement de projets destinés à lutter contre l’exclusion et à améliorer la cohésion sociale. Concrètement, la finance solidaire permet de financer des projets ou des investissements qui trouveraient difficilement un financement dans les circuits classiques car insuffisamment rentables.

Le calendrier prévisionnel de cette initiative est le suivant :

  • fin mars-avril 2023 : lancement de l’appel à projets départemental ;
  • mai 2023 : analyse des projets ;
  • juin-septembre 2023 : campagnes de levée de fonds des projets sélectionnés.

Après un appel à projet lancé par le département, un jury de partenaires reconnus de l’ingénierie financière et de la finance solidaire sur le territoire (association France Active Nouvelle-Aquitaine, association Action pour le développement économique pour la finance participative et Société coopérative d’intérêt collectif) sera chargé de retenir les projets finalisés ou d’accompagner ceux nécessitant quelques ajustements pour pouvoir prétendre à cette levée de fond ; cette étape est tout à la fois sécurisante pour les investisseurs citoyens mais également pour les porteurs de projets qui bénéficieront de conseils avisés, professionnels et bienveillants.

Les projets retenus feront l’objet d’une publicité locale ainsi que de leur mise en ligne sur une plateforme mixte de crowdfunding dédiée au dispositif qui permettra de récolter des fonds pour du don ou de l’investissement (acquisition de parts sociales), au libre choix du citoyen.

Le Conseil départemental abondera le financement à hauteur de 1 euro pour chaque euro apporté par les Lot-et-Garonnais·e·s, en respectant néanmoins un double plafonnement de 50% maximum du coût total des projets et de 3 000 euros en cas de dons ou 20 000 euros en cas d’achat de parts de sociales ; de son côté, la région Nouvelle-Aquitaine pourra également venir renforcer ce soutien public.

Pour la mise en œuvre de ce dispositif, le département de Lot-et-Garonne a mobilisé, pour la période 2023-2025, une autorisation de programme totale de près de 175 000 euros, illustration d’une volonté politique forte et locale de contribuer à inventer de nouveaux modèles de développement adaptés aux besoins du territoire et aux nouvelles aspirations légitimes citoyennes.

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