Élections européennes : l’échec du retour aux listes nationales

Le retour à un scrutin opposant des listes nationales aux élections européennes devait, selon la majorité, amplifier la participation des Français et favoriser la tenue d’un débat de fond sur l’avenir de l’Europe pendant la campagne. Deux perspectives qui s’éloignent à mesure que se rapproche le scrutin, ainsi que le déplore Théo Verdier, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et responsable de la communication externe au bureau du Mouvement européen-France, dans une tribune en partenariat avec Le Huffington Post.

Le gouvernement a porté en 2018 une réforme du mode d’élection des députés européens français. Organisé dans 8 circonscriptions interrégionales depuis 2004, le scrutin des européennes voit en 2019 le retour à une opposition de listes nationales, composées par les états-majors des partis. 

Alors ministre auprès du ministre de l’Intérieur, Jacqueline Gourault avait présenté la réforme comme un moyen « d’intéresser » les Français et de relancer la participation. Le texte porté par le gouvernement devait permettre « de proposer un débat clair, sur des options nettes ». À la veille du vote, la réforme du mode de scrutin a-t-elle rempli ses objectifs ?

Une campagne devenue bien trop nationale ?

On peut noter que le passage à l’échelle nationale a permis de mettre en scène plusieurs débats télévisés diffusés à heure de grande écoute. Des échanges bienvenus au vu du manque de notoriété des principales têtes de liste et de la difficile visibilité des enjeux européens à la télévision, comme nous le mettions en lumière avec Rémy Broc dans une note de la Fondation Jean-Jaurès. Cette dynamique nationale a toutefois considérablement effacé le niveau européen de la campagne. La coalition majoritaire au prochain Parlement européen sera formée par les groupes politiques européens, dont les têtes de liste – les Spitzenkandidaten selon le terme consacré – sont totalement absentes du débat public dans l’Hexagone.

Le conservateur Manfred Weber et le socialiste Frans Timmermans, principaux aspirants déclarés à la présidence de la Commission européenne, demeurent inconnus du public en France. Seule France 24 a pris l’initiative de proposer un débat entre les deux hommes, avant un échange plus large entre tous les Spitzenkandidaten, organisé le 15 mai 2019 sur la chaîne en continu FranceInfo. Ces deux protagonistes, dont le premier verra Angela Merkel le soutenir lors d’un meeting final organisé en Allemagne, ont pourtant bien plus de poids sur le programme de travail du futur Parlement européen que les candidats français, relativement déconnectés des logiques partisanes européennes.

La campagne organisée par eurocirconscriptions en 2014 avait au contraire permis de valoriser le rôle de Jean-Claude Juncker et de Martin Schulz, alors respectivement têtes de liste européennes du Parti populaire européen (PPE, la droite traditionnelle) et du Parti socialiste européen (PSE). À la veille du scrutin, ils étaient identifiés comme candidats à la présidence de la Commission par près de 50% du corps électoral hexagonal, ainsi que le montrait une étude Harris Interractive de mai 2014.

Faire campagne sans programme

La renationalisation du scrutin a logiquement amplifié la perception franco-française des européennes, poussant plusieurs formations à faire de cette échéance « un référendum anti-Macron ». Une tendance que La République en Marche exacerbe en relançant la mise en scène d’une opposition entre « la seule liste pro-européenne », selon les mots de Nathalie Loiseau, et le Rassemblement national (RN). 

Au-delà des défauts inhérents à la forme de la campagne, il est surprenant de constater que plusieurs partis ont reculé devant l’opportunité de tenir un débat de fond sur l’avenir de l’Union. Le programme de la liste Renaissance n’a été publié que le 9 mai 2019, deux semaines avant l’échéance, tout comme celui de la liste Place publique-Parti socialiste. Celui du RN avait été dévoilé à peine une semaine plus tôt.

Si l’échéance européenne peine déjà à intéresser les Français, quelle représentation ces derniers peuvent-ils se faire des idées en présence lorsque les plateformes politiques sont éditées si près de l’échéance ? 77% des 18-25 ans entendent s’abstenir le 26 mai prochain selon une enquête Ifop pour l’Anacej et les Jeunes Européens. 59% des sondés considèrent cependant qu’avoir accès aux différents programmes plus tôt pourraient les inciter à participer.

Le mythe de la participation aux élections européennes

En 2014, le taux de participation en France était de 42%. Un résultat plus ou moins similaire à celui attendu le 26 mai 2019. Si les européennes constituent l’échéance qui mobilise le moins les Français, on peut rappeler que l’abstention est en hausse sur l’ensemble des scrutins hexagonaux depuis 1979, hormis la présidentielle – nous l’évoquions avec Rémy Broc et Moïra Tourneur dans Les défis d’un scrutin véritablement européen, publié à la Fondation Jean-Jaurès en janvier 2019.

La lutte contre l’abstention est un enjeu public majeur, qui interroge le rapport des Français à la vie démocratique nationale. Cette question dépasse toutefois bien largement le cadre des seules élections européennes et de leur mode d’organisation. À titre de comparaison, la mobilisation des Européens pour élire leurs députés est sensiblement similaire à celle observée dans des démocraties fédérales fonctionnelles, bien plus anciennes que l’Union européenne, telle que la désignation de la Chambre basse en Suisse (48% de participation en moyenne) et aux États-Unis (36% en moyenne) lorsque le scrutin est déconnecté de l’élection du chef de l’État.

Le retour aux listes nationales n’a pas permis aux Français d’assister à une campagne plus lisible qu’en 2014 dans l’opposition des projets pour le futur de l’Europe, et n’aura pas non plus réussi à les ramener vers les urnes. La réforme de 2018 semble donc bien ne pas avoir atteint ses objectifs.

Elle compliquera de plus sensiblement l’exercice du prochain mandat : la suppression de l’ancrage territorial des députés européens rend difficile l’identification d’élus européens attachés à telle ou telle zone géographique. La représentation des territoires au Parlement européen se fera désormais de manière informelle, au hasard des nominations effectuées par les partis aux places éligibles de leurs listes respectives.

 

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