En Allemagne, les trois partis de la coalition gouvernementale actuellement au pouvoir n’ont obtenu que 31% des voix lors des élections européennes du 9 juin 2024. Un échec cuisant pour le chancelier Scholz et le SPD sur lequel Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, livre son analyse.
Au terme des élections européennes de juin 2024, les trois partis de la coalition gouvernementale en Allemagne n’ont obtenu ensemble que 31% des voix, un score égal à celui des conservateurs de la CDU/CSU, qui ont obtenu 30%. Par rapport aux élections fédérales de 2021, la coalition entre les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux a perdu environ 20% de ses électeurs. Le parti du chancelier, le SPD, n’a recueilli que 13,9%, son plus faible score aux élections européennes depuis 1979.
Le SPD a été surpassé par les populistes de droite de l’AfD, qui ont obtenu 15,9% des voix. L’extrême droite devient ainsi la deuxième force politique en Allemagne, malgré les accusations pesant sur ses deux têtes de liste, soupçonnées de sympathies pour la Russie et la Chine et poursuivies pour corruption et espionnage. De plus, l’AfD confirme sa domination en Allemagne de l’Est avec plus de 30% des voix.
Le nouveau parti BSW de Sahra Wagenknecht a réalisé un score remarquable de 6,2%, devançant les libéraux du FDP, qui n’ont obtenu que 5,2%. Die Linke reste marginalisé avec 2,7%, au même niveau que divers petits partis. Une surprise est venue du parti Volt, un rassemblement de jeunes Européens convaincus, qui, grâce à son résultat de 2,7%, comptera trois députés au Parlement européen. Les Verts, quant à eux, ont recueilli 11,9% des suffrages, soit plus de huit points de pourcentage de moins qu’aux dernières élections européennes de 2019, enregistrant une perte significative de plus de 23% parmi les jeunes électeurs de 16 à 24 ans, se retrouvant ainsi réduits à leur électorat de base.
Les raisons du vote en faveur de l’AfD
L’AfD est devenue la deuxième force politique allemande, grande gagnante des élections européennes en Allemagne. La campagne électorale chaotique n’a pas nui à l’extrême droite. Selon les instituts de sondage Forschungsgruppe Wahlen et Infratest Dimap, 82% des électeurs de l’AfD ne se soucient pas de son orientation d’extrême droite tant qu’elle aborde les « bons sujets » comme l’immigration, et seulement 5% des électeurs de l’AfD considèrent le parti comme d’extrême droite. L’AfD a recueilli des voix de presque tous les partis, y compris de nombreux jeunes électeurs, gagnant plus de 17% des voix dans la tranche d’âge de 16 à 24 ans. Ainsi, l’AfD a rajeuni son électorat, avec seulement 8% des électeurs de plus de 60 ans votant pour elle.
Le vote pour l’AfD n’était pas un vote sur la politique européenne, mais plutôt une manifestation de mécontentement à l’égard de la politique du gouvernement du chancelier Olaf Scholz. Pour 72% des électeurs de l’AfD, la politique fédérale a été déterminante dans leur choix.
L’échec du SPD
Le SPD est devenu le parti des retraités, ne récoltant plus de 20% des votes que parmi les électeurs de plus de 60 ans. Les sociaux-démocrates ne parviennent plus à séduire la jeunesse : seulement 8% des jeunes de 16 à 29 ans ont voté pour eux, contre plus de 17% pour l’AfD dans cette tranche d’âge. Le vote en faveur de l’alliance BSW de Sahra Wagenknecht, qui se présentait pour la première fois, a aussi siphonné des voix du SPD et de la gauche traditionnelle, particulièrement en Allemagne de l’Est.
Les raisons du mauvais score du SPD sont multiples. Tout d’abord, la tête de liste, Katarina Barley, était peu connue du grand public. Ancienne ministre de la Justice sous Angela Merkel, elle avait opté pour l’Europe en 2019 pour rajeunir l’équipe SPD au Parlement européen. Néanmoins, sa campagne électorale n’a pas démarré comme prévu, obligeant le parti à changer les affiches et à mener une campagne conjointe avec le chancelier Olaf Scholz. L’affiche « Assurer la paix, voter SPD » n’a pas convaincu, notamment auprès des jeunes.
Le score de 14% du SPD reflète l’échec de cette stratégie. Les électeurs allemands ont sévèrement sanctionné Olaf Scholz, préférant l’AfD et le BSW, en grande partie pour exprimer leur opposition à la politique de soutien à l’Ukraine. Katarina Barley avait mis en garde contre la menace de l’extrême droite, mais cela n’a pas suffi à convaincre les électeurs.
De plus, le SPD a ignoré dans sa campagne la question cruciale de la politique migratoire. Le récent compromis obtenu au sein du Conseil européen n’a pas été attribué au chancelier ou au SPD, mais vu comme un compromis européen inefficace. Les attaques contre des politiciens en Allemagne de l’Est n’ont pas non plus aidé le SPD, renforçant au contraire l’idée que la sécurité intérieure est menacée.
Quel scénario pour les élections fédérales de 2025 ?
Les élections européennes sont souvent considérées comme secondaires, une sorte d’élection test pour les campagnes nationales. La campagne du SPD a échoué, mais le pari pourrait encore fonctionner l’année prochaine. Si Poutine continue de provoquer l’escalade de la guerre en Ukraine, le chancelier pourrait profiter de son image de leader prudent.
Cependant, si les élections en Allemagne de l’Est en septembre prochain sont désastreuses pour le SPD, le parti pourrait envisager de changer de chancelier. Le ministre de la Défense, Boris Pistorius, actuellement très populaire, pourrait être un candidat potentiel. Cette perspective pourrait attirer des voix de la droite conservatrice et extrémiste, surtout face au candidat présumé de la CDU/CSU, Friedrich Merz, qui n’est pas perçu comme un candidat idéal pour la chancellerie.
Recevez chaque semaine toutes nos analyses dans votre boîte mail
Abonnez-vous