Le gouvernement Barnier, composé à la fois de responsables politiques Les Républicains et d’Ensemble pour la République, doit pour s’inscrire dans la durée disposer d’une majorité au moins relative à l’Assemblée. Cela pose la question de ce qui a animé les électeurs du centre et de la droite lors des dernières législatives. Pour y répondre, Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d’Harris Interactive, analyse ce qui rapproche ces deux électorats et ce qui les divise.
La nomination de Michel Barnier à Matignon s’inscrit dans un contexte où les ressorts du maintien du Premier ministre reposent sur deux piliers : disposer d’une majorité au moins relative lors du vote des textes et ne pas s’exposer à une motion de censure qui – si elle devait être votée par le Rassemblement national (RN) et le Nouveau Front populaire (NFP) – atteindrait ses objectifs. Si le second point répond essentiellement à des considérations internes aux formations politiques, le premier renvoie à des dimensions relatives à ce qui a animé les électeurs du centre et de la droite lors des dernières législatives. Nous proposons ici d’analyser ce qui rapproche ces électorats et ce qui les distingue.
Michel Barnier plutôt bien accueilli par les Français et surtout ceux du centre et de la droite
Notons, en préalable, que la nomination de Michel Barnier a été accueillie plutôt favorablement par les Français et surtout par ceux se déclarant proches de la majorité présidentielle et de la droite.
Juste après la nomination d’un nouveau Premier ministre, 51% des Français indiquent accorder leur confiance à Michel Barnier. Ce niveau le situe à un niveau supérieur à celui mesuré juste après la nomination d’Élisabeth Borne (44%), mais inférieur à ceux concernant Édouard Philippe (53%), Jean Castex (56%) ou encore Gabriel Attal (56%)1Étude flash sur la nomination de Michel Barnier en tant que Premier ministre, enquête Toluna / Harris Interactive pour LCI, 6 septembre 2024.. Quoi qu’il en soit, au vu des conditions de son arrivée à Matignon, au vu également de sa faible notoriété initiale, nous pouvons considérer ce niveau comme inespéré pour le nouveau chef du gouvernement. Notons, derrière cette donnée globale, que le message semble avoir été reçu par les deux électorats stratégiques : 93% des sympathisants d’Ensemble pour la République (EPR) lui accordent leur confiance, comme 87% des proches de sa famille politique, Les Républicains (LR). En parallèle, la défiance exprimée par les proches des autres formations n’est que ténue (entre 60% et 70% de défiance).
Qui plus est, deux seuls électorats envisagent que Michel Barnier réussira à former un gouvernement qui recueillera la confiance d’une majorité des députés à l’Assemblée nationale : les deux stratégiques (75% des proches d’EPR et 71% de ceux de LR).
Des priorités assignées au nouveau gouvernement logiquement différentes
On a suffisamment indiqué que les Français avaient été clairs sur ce dont ils ne voulaient pas – Jordan Bardella à Matignon – mais peu sur ce qu’ils attendaient. Invités à se prononcer sur la composition du gouvernement, sympathisants EPR comme LR se retrouvent : les premiers privilégient des ministres des formations historiquement proches du président (98% de personnes issues de Renaissance, 87% d’Horizons, 80% du MoDem) et 77% des LR, voire de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) (68%) ; les seconds de ministres LR (98%), mais également Horizons (71%), Renaissance (63%), ou encore MoDem et UDI (55%). S’ils ne divergent pas sur la présence de personnalités issues de la société civile, ces deux électorats ne penchent pas du même côté s’il devait y avoir des ouvertures : à gauche parmi les proches de la formation d’Emmanuel Macron (64% verraient positivement l’arrivée de ministres Parti socialiste (« seuls » 47% des proches des LR le pensent), à droite pour les sympathisants Républicains (55% évoquent des personnalités proches d’Éric Ciotti alors que 21% des proches de la majorité présidentielle le pensent).
Quand on observe plus précisément les assignations de dossiers prioritaires, les proches de la majorité présidentielle évoquent dans l’ordre : le pouvoir d’achat (60%), les déficits (50%), l’immigration (38%2Voir l’immigration en troisième position des assignations prioritaires des électorats du centre peut apparaître surprenant. Une des clefs d’explication peut se retrouver ici : 28% des électeurs de Valérie Pécresse, 27% de ceux d’un candidat LR aux législatives 2022 ont voté pour un candidat EPR au premier tour des dernières législatives. Il s’agit d’électorats ayant basculé – pour différentes raisons que nous expliciterons plus loin – avec leurs préoccupations initiales.) puis l’éducation (35%). De leur côté, les sympathisants LR parlent également du pouvoir d’achat (55%), mais plus nettement de l’insécurité (47%, 15 points de plus que les proches d’EPR), l’immigration (46%, +8 points), la dette (43%, -7 points) et encore la croissance économique (35%). Lorsque l’on quitte le « tableau de tête », remarquons que 20% des proches de la droite évoquent le chômage (13 points de plus que ceux du centre) et 13% le dérèglement climatique (15 points de moins que ceux du centre). Enfin, on sait que l’examen du projet de loi « fin de vie » a été (momentanément ?) stoppé à la suite de la dissolution. On identifie une priorisation différente selon les électorats (19% des proches du président l’évoquent, 10 points de plus que ceux de droite).
Même si les aspirations ne sont pas les mêmes, même si la hiérarchie des priorités n’est pas identique, relevons que 88% des proches de la majorité présidentielle et 70% de ceux de droite estiment que le futur gouvernement de Michel Barnier tiendra compte des souhaits des Français exprimés dans le cadre des élections législatives.
Recevez chaque semaine toutes nos analyses dans votre boîte mail
Abonnez-vousDes postures convergentes « contre »
Comme on peut le voir ici, le vote contre les « extrêmes » est spontanément évoqué de la part de ces deux électorats et ce manière assez nette.
Ainsi, lorsqu’il est question de tactique électorale, les deux premières motivations de vote des électeurs EPR comme LR sont les suivantes : le souhait d’empêcher un autre candidat de se qualifier pour le second tour des élections législatives et la volonté qu’une formation politique qu’ils n’apprécient pas n’obtienne pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Deux dimensions qui renvoient donc plus au « contre » qu’au « pour ». Dans la même veine, si 43% des électeurs indiquent avoir voté par adhésion, les deux électorats les plus en retrait sont ceux du centre (38%) et de droite (39%).
Ces deux électorats se retrouvent dans un vote « contre » les formations politiques perçues comme extrêmes. Ainsi, si 54% des Français indiquent avoir voté en exprimant leur insatisfaction à l’égard d’Emmanuel Macron et du gouvernement, cette proportion baisse logiquement à 13% des électeurs EPR et à 37% de ceux LR. C’est d’ailleurs chez ces derniers que la part de votants indiquant que leur attitude électorale n’était pas liée à l’exécutif (43% contre 31% des électeurs) est la plus élevée.
Une porosité électorale ne s’appuyant pas sur un socle commun de motivations
Au soir du premier tour, sans connaître les configurations électorales auxquelles ils pouvaient être confrontés, électeurs EPR comme LR se rejoignaient. En effet, 89% des électeurs de la majorité présidentielle envisageaient de renouveler leur vote au second tour et 48% de pouvoir voter pour un candidat LR. De leur côté, les électeurs de droite indiquaient logiquement pouvoir voter à nouveau pour un candidat de cette partie de l’échiquier et 50% pour un plus au centre. Il s’agissait des deux seules hypothèses qu’ils considéraient avant de connaître l’offre électorale réelle à laquelle ils seraient soumis une semaine plus tard. Les penchants à gauche et à droite identifiés plus haut se manifestaient dès le 30 juin : un électeur EPR sur cinq aurait pu voter pour un candidat PS ou DVG (hors La France insoumise) et la même proportion des électeurs LR pour un candidat Reconquête !. Celle-ci montait même à 27% pour un candidat RN et à 32% pour un soutenu par Éric Ciotti.
De même, invités à qualifier leur tactique de vote, 77% des électeurs EPR indiquent avoir voté contre le RN et le NFP (57% des électeurs LR affirment avoir adopté la même attitude).
Sur le fond, des divergences apparaissent. Les électeurs EPR évoquent le pouvoir d’achat, puis la santé et enfin le maintien de la démocratie. De leur côté, les personnes ayant voté pour un candidat LR mentionnent également en premier lieu le pouvoir d’achat, devant l’immigration et la sécurité. Les électeurs LR mettent plus en avant l’immigration que ceux EPR (38% contre 22%), la sécurité (32% contre 22%) alors que les proches des formations soutenant le président de la République évoquent plus le maintien de la démocratie (30% contre 19%) et l’image de la France dans le monde (24% contre 16%).
En un mot, on le voit, les motivations de vote comme les priorités assignées au gouvernement apparaissent convergentes en matière de pouvoir d’achat, de santé, retraites et impôts ; elles divergent quelque peu lorsqu’ils pensent au terrorisme, à la dette, et nettement en ce qui concerne l’immigration, la sécurité, le rapport à la démocratie ou à l’image de la France dans le monde.
Il est à noter que l’électorat Ensemble de premier tour n’est pas uniforme. 44% se déclarent proches d’une formation soutenant le président de la République, 24% indiquent être sans préférence partisane et 13% être sympathisants LR. Et cela se ressent dans leurs priorités.
Ainsi les électeurs Ensemble de proximité politique proche du président de la République évoquent plus que ceux des sympathisants LR ayant voté pour un candidat de la majorité présidentielle le maintien de la démocratie, mais beaucoup moins l’immigration (21% contre 34%), la sécurité (22% contre 34%) ou encore les impôts (28% contre 38%).
De même, l’électorat des Républicains est composé de 52% de sympathisants de cette formation politique, 21% de personnes sans préférence partisane et de 12% de sympathisants de la majorité. Ici aussi, des différences se font jour et ce façon encore plus flagrante : les électeurs ayant voté pour un candidat LR et proches de cette formation politique évoquent beaucoup plus l’immigration (46% contre 19%) ou encore la sécurité (38% contre 28%) que les proches de la majorité présidentielle ayant voté pour un candidat LR3Rappelons que si 25% des Français ont indiqué avoir voté pour un candidat local (74% pour soutenir une formation politique), cette proportion croissait à 45% des électeurs pour une personnalité LR..
Ceci est logique au regard de la manière dont les électeurs se positionnent sur une échelle allant de la gauche à la droite. On le voit nettement sur le graphique ci-dessous, les électeurs ayant voté pour un candidat LR penchent nettement plus à droite que ceux ayant voté pour un candidat EPR – 25% des électeurs d’un candidat EPR se positionnent au centre et 60% à droite ou à l’extrême droite quand 15% des électeurs pour candidat LR se situaient au centre et 74% à droite ou à l’extrême droite.
Des anticipations d’actions gouvernementales positives
Si les Français n’anticipent pas de conséquences positives à l’arrivée d’un gouvernement LR ou EPR, notons que deux logiques politiques sont à l’œuvre. Une, quasi évidente. Une, un peu moins. Celle évidente est celle-ci : les électeurs EPR anticipaient des conséquences positives si jamais le Premier ministre était issu de « leurs » rangs sur toutes les dimensions ; ceux LR réagissant de même si le gouvernement était dirigé par un leader des Républicains. La logique moins évidente relève du fait que les électeurs d’un candidat de droite anticipaient positivement un gouvernement dirigé par une personnalité EPR et que l’inverse était tout aussi vraie. À tout le moins dans les grandes lignes.
Dans le détail, concernant l’hypothèse d’un gouvernement dirigé par un dirigeant proche des LR, sensiblement 6 électeurs Ensemble sur 10 anticipaient une politique menée dans le bon sens en matière de compétitivité des entreprises, d’emploi ou encore de croissance économique. Ils étaient plus circonspects (sans être alarmistes) en ce qui concerne le pouvoir d’achat (le leur comme celui des Français4Vu la situation actuelle et le niveau de préoccupation, le fait que 48% anticipent des conséquences positives est on ne peut plus appréciable.). Enfin, seuls 4 sur 10 anticipaient des conséquences positives en matière de dialogue social ou encore de réduction des inégalités. C’est peut-être sur ce point que les attentes seront à observer avec attention.
De leur côté, les électeurs LR portaient sensiblement le même jugement au cas où le gouvernement aurait été dirigé par une personnalité proche du président de la République.
Si le mouvement Ensemble pour la République était à la direction du futur gouvernement après les élections législatives | La compétitivité des entreprises | L’emploi | La croissance économique | Le dialogue social | Votre pouvoir d’achat | Le pouvoir d’achat des catégories modestes et populaires | Le pouvoir d’achat des Français en général | La réduction des inégalités |
Ensemble des répondants | 40 | 37 | 34 | 30 | 29 | 29 | 28 | 28 |
Électeurs EPR | 81 | 81 | 78 | 67 | 72 | 70 | 72 | 67 |
Les Républicains | 63 | 63 | 57 | 51 | 49 | 49 | 48 | 47 |
Si Les Républicains étaient à la direction du futur gouvernement après les élections législatives | ||||||||
Ensemble des répondants | 41 | 38 | 37 | 31 | 32 | 32 | 30 | 30 |
Électeurs EPR | 64 | 58 | 59 | 44 | 48 | 50 | 46 | 42 |
Les Républicains | 77 | 79 | 76 | 62 | 72 | 71 | 67 | 64 |
Notons enfin que les électeurs d’un candidat EPR étaient en moyenne 2,5 points de plus confiants quant aux conséquences positives d’un gouvernement dirigé par une personne de « leur » formation politique que les électeurs LR lorsqu’ils envisageaient un Premier ministre de droite.
On le voit donc, la proximité entre les électeurs pour un candidat LR comme pour un candidat Ensemble est nette. Ils se retrouvent déjà pour avoir voté « contre » – notamment contre les formations qu’ils qualifient d’extrêmes. Se retrouvent dans les priorités assignées au gouvernement ce qui concerne le pouvoir d’achat, la santé, les retraites et les impôts. Qui plus est, tant la nomination de Michel Barnier à Matignon que les contours de ce que pourrait être le gouvernement (avec des ministres issus de la société civile, d’autres LR ou encore EPR) les rassemblent. Le nouveau Premier ministre est accueilli favorablement et bénéficie d’un regard attentif et bienveillant.
Reste que ces électorats sont loin d’être tout à fait semblables. L’un penche à gauche, l’autre à droite. Les préoccupations ne sont pas mentionnées ni avec la même intensité ni tout à fait de la même manière. Ce qui est le décalque logique du positionnement politique des répondants.
Reste enfin, et surtout, que ces deux seuls électorats ne constituent pas une majorité d’opinion. Et ce sera probablement le deuxième défi du « gouvernement Barnier », après avoir atteint celui de solidifier sa base électorale.
- 1Étude flash sur la nomination de Michel Barnier en tant que Premier ministre, enquête Toluna / Harris Interactive pour LCI, 6 septembre 2024.
- 2Voir l’immigration en troisième position des assignations prioritaires des électorats du centre peut apparaître surprenant. Une des clefs d’explication peut se retrouver ici : 28% des électeurs de Valérie Pécresse, 27% de ceux d’un candidat LR aux législatives 2022 ont voté pour un candidat EPR au premier tour des dernières législatives. Il s’agit d’électorats ayant basculé – pour différentes raisons que nous expliciterons plus loin – avec leurs préoccupations initiales.
- 3Rappelons que si 25% des Français ont indiqué avoir voté pour un candidat local (74% pour soutenir une formation politique), cette proportion croissait à 45% des électeurs pour une personnalité LR.
- 4Vu la situation actuelle et le niveau de préoccupation, le fait que 48% anticipent des conséquences positives est on ne peut plus appréciable.