Édouard Vaillant, le socialisme républicain

Qui connaît le « troisième homme » du socialisme français après Jean Jaurès et Jules Guesde ? Edouard Vaillant (1840-1915), qui n’avait ni leur plume ni leur verbe, semble oublié. Pourtant, il consacra sa vie à la défense de la République et à la construction du socialisme en privilégiant la science et l’action.

Personnage majeur de la Commune de Paris dont il incarne l’esprit rebelle jusqu’à la Première Guerre mondiale, membre actif des deux premières Internationales, élu de la République à partir de 1884, député de Paris en 1893, premier candidat socialiste à la présidence de la République en 1913, Edouard Vaillant fut tout aussi bien la voix du socialisme révolutionnaire que celle du réformisme social. L’essai de Gilles Candar retrace son itinéraire politique et reconduit le lecteur aux premiers temps de la IIIe République, à l’époque où grondent fréquemment la révolte populaire et la crise politique.

Edouard Vaillant commence ses études à l’Ecole centrale. Il poursuit sa formation en Sorbonne, à l’Ecole de médecine, puis en Allemagne. D’abord destiné aux sciences, le jeune étudiant se nourrit d’histoire et de philosophie, inspiré sans doute par l’ambiance qui règne au Quartier latin, théâtre d’un mouvement bouillonnant d’idées et de débats. Il y fait la rencontre de Charles Longuet, Jules Vallès, Paul Lafargue, puis en Allemagne celle de Ludwig Feuerbach. Si les influences sont nombreuses, deux l’ont davantage marqué et ont orienté sa pensée politique : Blanqui et Marx. Cette double filiation idéologique n’a cependant rien d’une allégeance. Vaillant reste indépendant sans pourtant s’isoler.

Après l’expérience révolutionnaire brève et intense de la Commune de Paris en 1871, Vaillant vit neuf ans dans un exil consacré à l’étude, l’organisation et la propagande. En juillet 1880, enfin, l’amnistie est votée et Vaillant rentre à Paris. Il créé un journal avec Blanqui, milite dans le Cher en diffusant la parole révolutionnaire et socialiste auprès des ouvriers. Une fois élu conseiller de Paris en 1884, il obtient de la majorité républicaine qu’elle réglemente le prix du pain et qu’elle mette en place un fonds de secours pour les ouvriers chômeurs. Et, en tant que membre de la Société de médecine publique et d’hygiène professionnelle, il s’engage pour l’amélioration des conditions sanitaires du prolétariat.

Pour donner un souffle nouveau à l’extrême gauche socialiste, Vaillant fonde la Ligne de défense de la République qui doit faire entendre la protestation populaire contre Jules Ferry. A partir de là et pendant toute la période boulangiste qui suit, Vaillant se fait le fervent défenseur de la République sans jamais se rallier aux républicains modérés de gouvernement et reste révolutionnaire sans adopter la ligne nationaliste et populiste que suivent alors certains blanquistes.
L’équilibre semble difficile à tenir mais Vaillant entend organiser l’union des socialistes. Quand l’affaire Dreyfus éclate, les socialistes se divisent et Vaillant choisit un difficile entre-deux. L’entrée de Millerand, chef parlementaire des socialistes, au gouvernement de Waldeck-Rousseau, républicain modéré, provoque une grave dissension parmi les socialistes en opposant les guesdistes, qui dénoncent une compromission, à Jaurès qui approuve cette ouverture.

Vaillant, le révolutionnaire, est indigné par la nomination au ministère de la Guerre du général marquis de Galliffet, « fusilleur de communards » et « massacreur de Paris ». Vaillantistes et guesdistes se rassemblent et les camps s’organisent : le Parti socialiste français de Jaurès, Briand et Viviani d’un côté, le Parti Socialiste De France de Guesde et Vaillant de l’autre. A partir de 1905, en revanche, et de la création de la SFIO, Vaillant et Jaurès collaborent activement pour développer le nouveau parti. Ils ont en commun une affirmation laïque, très vigoureuse chez Vaillant, un idéal révolutionnaire et une volonté d’action politique et sociale sur tous les terrains. Vaillant, hostile au militarisme et à l’impérialisme, se lève contre le lobby colonial, dénonce la colonisation rampante du Maroc et appelle à la grève générale de tous les peuples pour conjurer le spectre d’une guerre d’agression. Le « grand-père de la CGT », comme l’on dit parfois, prend aussi part à l’élaboration du Code du travail en 1910 et travaille avec force à la mise en place de « l’action totale », favorable à la libre collaboration entre les partis, les syndicats et les coopératives.

Vaillant vit la Grande Guerre comme une guerre d’agression de l’impérialisme allemand. Il appelle à la défense nationale « jusqu’au bout » tout en espérant l’arrivée de temps nouveaux. Il meurt en décembre 1915, salué par les socialistes alliés, mais aussi par Trotski et reste longtemps une référence de la gauche socialiste et communiste.

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