L’élection présidentielle au Mexique – dont le premier tour se tiendra le 2 juin prochain, couplé aux élections législatives fédérales – verra très certainement pour la première fois de son histoire une femme accéder à la présidence, les deux principales candidates, Claudia Sheinbaum et Xóchitl Gálvez, étant très nettement en tête dans tous les sondages. À cette occasion, Maya Laurens, chargée de mission à la Fondation, analyse les positionnements politiques des deux postulantes, notamment sur l’enjeu des droits des femmes.
Le 2 juin 2024, la population citoyenne mexicaine élira, pour la première fois de l’histoire du pays, une femme à la présidence. Deux candidates et un candidat se sont affrontés sur le plateau de la chaîne nationale Milenio le 8 avril dernier, à l’occasion du premier débat présidentiel de la campagne. Un scénario suffisamment rare pour le souligner, d’autant plus que les sondages opposent bel et bien deux favorites. Alors que la montée des droites nationalistes vient menacer les droits des femmes et des autres minorités sur une partie importante du continent américain, des États-Unis à l’Argentine, la perspective d’une présidence mexicaine féminine interroge. La quatrième vague féministe violette et verte a été particulièrement conséquente dans ce pays où plus de 3000 féminicides sont recensés chaque année. En 2020, le gouvernement d’Andrés Manuel Lopez Obrador avait promis d’en finir avec « le machisme qui tue ». Cette déclaration coïncidait avec l’émergence de l’hymne féministe Canción sin miedo [Chant sans peur], écrit par l’autrice-compositrice Vivir Quintana et qui exigeait du président de ne pas oublier les noms des victimes.
Du côté de la coalition de gouvernement « Sigamos haciendo historia » [Continuons à marquer l’histoire]1Le nom de la coalition d’AMLO, qui l’a conduit à la victoire en 2018 s’appelait « Juntos haremos historia » [Ensemble nous marquerons l’histoire]., la candidate Claudia Sheinbaum s’illustre dans la continuité politique du président Andrés Manuel López Obrador (2018-2024), qui bénéficie jusqu’alors d’une certaine popularité de fin de mandat2Taux d’approbation présidentiel avoisinant les 54% en avril 2024, selon Mitofsky et El Economista.. Issue du parti Mouvement de rénovation nationale (MORENA), de centre-gauche, rallié au Parti du travail (PT) et au Parti vert écologiste du Mexique (PVEM), Claudia Sheinbaum prend principalement appui sur son expérience de cheffe de gouvernement de la ville de Mexico, poste qu’elle a occupé de décembre 2018 à juin 2023, avant de se consacrer aux primaires de MORENA. Sa campagne repose sur les succès, à nuancer, de la « quatrième transformation » du mandat en cours : continuité des réformes économiques, garantie d’un État social, droit des femmes.
Xóchitl Gálvez est à la tête de la coalition de centre-droit « Fuerza y Corazón por México » [Force et cœur pour le Mexique], composée du Parti action nationale (PAN) dont elle est issue, du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) et du Parti de la révolution démocratique (PRD). Issue de la communauté indigène Otomí, d’abord cheffe d’entreprise puis femme politique, Xóchitl Gálvez a travaillé aux relations autochtones sous l’ancien président Vicente Fox (2000-2006) et fonde sa légitimité politique sur sa proximité avec la population mexicaine en annonçant une élection « opposant l’État et les citoyens ». Sa candidature déjoue l’angle d’attaque du camp MORENA, qui déclarait se battre contre un adversaire « néolibéral », « conservateur » et « raciste ». Elle joue ses cartes de campagne sur la déception vis-à-vis du mandat AMLO et sur la nécessité de renforcer la paix et la sécurité.
Le troisième candidat, Jorge Álvarez Máynez, 38 ans, représentant le parti Mouvement citoyen, est loin derrière dans les sondages, qui affichent Claudia Sheinbaum à la tête des préférences (50,5% des intentions de vote), soit 21,7 points devant Xóchitl Gálvez (28,8%), alors que Jorge Álvarez Máynez recueille 4,8% des intentions de vote.
Deux profils féminins bien opposés donc, et que Xóchitl Gálvez souligne dès qu’elle le peut en dénonçant les torts politiques de « Claudia la fría » [Claudia la froide]. Le débat est souvent féroce. Toutefois, un point sur lequel les deux, et même les trois candidats s’accordent de manière étonnamment progressiste est l’approfondissement et la garantie des droits des femmes.
Claudia Sheinbaum honore le bilan d’AMLO, mettant en avant une baisse des indices nationaux de féminicide de plus de 40%, et table sur la nationalisation des mesures prises pour la ville de Mexico sous son gouvernement, telles que la loi « El agresor sale de casa » [l’agresseur quitte le foyer], la création d’un bureau du procureur chargé d’enquêter sur le crime de féminicide ou l’*765, nouvelle ligne téléphonique d’assistance aux femmes. En 2020, l’actuel président avait cependant provoqué la colère d’une partie de la société civile en déclarant qu’en temps de pandémie, 90% des appels pour violence domestique étaient fallacieux.
Xóchitl Gálvez table sur l’amélioration du système de réception des plaintes afin de « répondre à 100% des appels », la formation de psychologues et travailleurs sociaux et le transfert des délits mineurs à la justice civique, justice alternative, afin de garantir le traitement juridique des féminicides. Elle propose également la mise en place d’un fonds de solidarité pour les victimes de violences conjugales, afin que celles-ci puissent, avant tout, s’émanciper financièrement.
Les deux candidates s’accordent sur la nécessité de travailler à la spécialisation de procureurs en matière de féminicides, à la formation des inspecteurs du travail en entreprise et à l’obligation des pères à aider financièrement les mères en cas de séparation, via le système de pension.
Les droits des femmes coïncidant en partie avec ceux de la communauté transgenre et des communautés indigènes, le débat présidentiel a permis aux candidates d’afficher leur soutien aux politiques sociales antidiscriminatoires visant les deux minorités. Parmi les points de programme en commun : la nécessité de pénaliser les discriminations par leur insertion au Code pénal mexicain et la meilleure mise en œuvre de la « ley viviendas » [législation sur le logement] qui permet notamment un meilleur accès à l’eau potable et à l’électricité pour les femmes issues des communautés indigènes. Claudia Sheinbaum propose un amendement constitutionnel en faveur des communautés indigènes, Xóchitl Gálvez la création de postes destinés aux personnes en difficulté d’insertion professionnelle et victimes de discriminations.
Reste la question de l’avortement, alors que la Cour suprême du Mexique a statué en septembre 2023 sur l’inconstitutionnalité du système juridique de pénalisation. Pour rappel, le Mexique étant une république fédérale composée de 32 entités fédératives, la législation en termes d’interruption volontaire de grossesse est une compétence propre aux 31 États et à la ville de Mexico3Voir Maya Laurens, Amérique latine : la vague verte peut-elle virer au rouge ?, Fondation Jean-Jaurès, 10 avril 2024.. Les candidates restent timides sur la question, peu abordée lors du débat présidentiel. Seule candidate interrogée à ce sujet, Claudia Sheinbaum répond prudemment que la décision à l’égard de l’avortement a été prise par la Cour suprême quelques mois auparavant, et encourage à penser l’ensemble des droits des femmes. Xóchitl Gálvez, qui s’était prononcée en faveur de l’avortement quelques années auparavant, a reconnu que sa position à la tête d’une large coalition la forçait à assumer une position moins tranchée sur la question mais qu’elle restait « femme de libertés ». En 2022, elle avait voté pour l’interdiction des thérapies de conversion, en dépit d’une divergence au sein du PAN.
L’élection d’une femme à la présidence nationale n’est pas une première pour un certain nombre de pays latino-américains4Dans l’ordre chronologique d’accession d’une femme à la présidence : Nicaragua (1990), Panama (1999), Guyana (1997), Chili (2006), Argentine (2007), Costa Rica (2010), Brésil (2010).. Ce sera toutefois le cas pour le Mexique, un pays fortement marqué par le machisme et la violence de genre. À l’heure de la démocratisation des discours conservateurs et rétrogrades sur une partie importante du territoire américain, le discours ouvertement féministe des trois candidats et des deux coalitions concurrentes ravit autant qu’il étonne. Claudia Sheinbaum est annoncée en tête des sondages et gagnante du premier débat présidentiel. Il reste encore à voir si la future présidente de la République fédérale du Mexique se montrera bel et bien garante de l’approfondissement des droits des femmes.
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Abonnez-vous- 1Le nom de la coalition d’AMLO, qui l’a conduit à la victoire en 2018 s’appelait « Juntos haremos historia » [Ensemble nous marquerons l’histoire].
- 2Taux d’approbation présidentiel avoisinant les 54% en avril 2024, selon Mitofsky et El Economista.
- 3Voir Maya Laurens, Amérique latine : la vague verte peut-elle virer au rouge ?, Fondation Jean-Jaurès, 10 avril 2024.
- 4Dans l’ordre chronologique d’accession d’une femme à la présidence : Nicaragua (1990), Panama (1999), Guyana (1997), Chili (2006), Argentine (2007), Costa Rica (2010), Brésil (2010).