Du « Petit Rapporteur » à « Touche pas à mon poste ! » : histoire des talk-shows

Comment les talk-shows ont-ils pu devenir à ce point incontournables dans le paysage audiovisuel, et même dans les campagnes électorales ? Lionel Abbo, membre de l’Observatoire des médias de la Fondation, livre son analyse de ce phénomène qui a changé la télévision.

Talk-show. Cet anglicisme renvoie, dans la plupart des mémoires cathodiques des enfants de la télé que nous sommes, à un homme : Thierry Ardisson. Pourtant, s’il a marqué le genre de ses costumes prêt-à-porter et de ses interviews sur mesure, l’homme en noir n’en est pas à l’origine. Les talk-shows sont vieux comme la mire. Et comme leur nom l’indique, ils sont nés de l’autre côté de l’Atlantique. Comment ? Quand ont-ils traversé les frontières ? Pourquoi une simple table, des chaises, du public et un sujet de conversation ont-ils rencontré un tel succès ? Retour sur ce phénomène qui a changé la télévision aussi sûrement que le passage du noir et blanc à la couleur. « Magnéto Serge ». 

« Video didn’t kill the radio stars »

« De la radio filmée ». C’est ainsi que le talk-show fut un jour défini par Orson Welles. La télévision n’a rien inventé. Dès sa création, ce média de masse a adapté en images des émissions de radio pour remplir ses tubes, avides de contenu. Bulletins d’information, jeux, radios crochets, débats, émissions d’accueil : les premières stars du petit écran ont pour la plupart fait leurs armes sur les ondes. Journalistes ou comédiens, ils sont à l’aise avec les mots bien plus qu’avec leur image.

C’est le cas de Johnny Carson. Dans les années 1950, l’humoriste teste ses sketchs sur une chaîne locale de Los Angeles. Dans un décor désuet où des vêtements pendent au-dessus d’une machine à laver, il s’adresse à la caméra sans vraiment savoir quoi faire de son corps, longue tige fine portant des costumes croisés trop larges pour ses frêles épaules. Son auditoire réagit peu ou à contre-temps, mais ses longs monologues tapent dans l’œil de Red Skelton, animateur star de NBC, qui l’embauche en tant qu’auteur. Le destin du jeune homme bascule un an plus tard, en 1954 : Red Skelton s’assomme dans le studio une heure seulement avant le début de son émission en direct. Inconscient, il est incapable de monter sur scène. Johnny Carson le remplace au pied levé et se révèle au grand public. Il deviendra l’animateur de talk-show le plus emblématique de l’histoire de la télévision américaine, présentant le « Tonight Show » sur NBC de 1962 à 1992. Il fut ensuite remplacé par Jay Leno. Un genre était né.

Censure et culture

En France, la première émission d’actualité satirique voit le jour le 16 octobre 1955. Baptisée « Grain de sel », elle est présentée par un trio d’amuseurs talentueux : Jacques Grello, Robert Rocca et un certain Pierre Tchernia. Pendant cinq ans, plusieurs acteurs comiques participeront à ses sketchs à la liberté d’expression totale. Jusqu’à ce qu’en 1960, en pleine guerre d’Algérie, il soit demandé que les textes soient visés par la direction avant d’être joués. Le trio refuse. L’émission est arrêtée.

Rapidement, une tendance française se dégage des talk-shows diffusés sur l’ORTF : on parle, oui, mais pas de n’importe quoi. La culture prend une place centrale autour de la table, et notamment la littérature. En 1971, Marc Gilbert se voit confier l’émission « Italiques », avant que l’iconique « Apostrophes » de Bernard Pivot ne fasse son apparition en 1975.

Les dossiers crèvent l’écran

L’une des premières et plus notables émissions de débat proprement dites à la télévision française est sans doute « Les Dossiers de l’écran » (1967-1991). Rappel pour les plus jeunes : à la suite de la diffusion d’un film, un débat s’engageait sur le sujet abordé dans l’œuvre. Les téléspectateurs pouvaient poser leurs questions par l’intermédiaire de SVP 11-11, ancêtre de l’audiotel. Le programme, présenté par Alain Jérôme, puis Joseph Pasteur, permit d’aborder certains des plus grands problèmes de société des décennies 1960 à 1980. Ainsi, le 21 janvier 1975 est organisé le premier débat de l’histoire de la télévision française consacré à l’homosexualité. Y sont invités des écrivains ne cachant pas leur orientation (Roger Peyrefitte, Yves Navarre et Jean-Louis Bory), deux médecins, un prêtre, et le député Paul Mirguet, à l’origine d’un amendement classant l’homosexualité comme « fléau ». 19 millions de téléspectateurs suivront l’émission.

Parmi les ingrédients qui font du genre un succès figure déjà la notion de direct. Le 2 avril 1974, un assistant prévient discrètement le présentateur Alain Jérôme que le président de la République, Georges Pompidou, vient de mourir. Les invités du soir improviseront les premiers hommages publics au défunt, bien avant les journaux du lendemain.

Autre composant indispensable à la réussite d’une émission d’accueil : l’impertinence. « Le Petit Rapporteur » n’en manque pas, au grand dam de la direction de TF1, qui voit l’actualité et ses acteurs (politiques, entre autres) égratignés sans vergogne. D’ailleurs, chaque semaine, le générique de fin se termine par « À dimanche prochain, peut-être… ». 

À travers cette pseudo-rédaction qui se sert de l’actualité comme d’un punching-ball, apparaît le principe de la bande, que Laurent Ruquier exhumera vingt ans plus tard. De nombreux humoristes et comédiens se révéleront au grand public à travers le petit écran. Autour de Jacques Martin, ceux que l’on n’appelle pas encore des chroniqueurs font les pitres et testent les limites de leurs talents. Sont entrés au panthéon des moments cultes de la télévision française le reportage de Daniel Prévost dans le village de Montcuq ou l’interview de Françoise Sagan par Pierre Desproges, qui prend un malin plaisir à ne jamais lui poser de question sur la littérature…

Un Bouvard pour s’imposer

Le début des années 1980 fixe les règles du genre. Trois principes s’imposent :

  • l’animateur incarne le programme : le plus souvent, il porte même son nom. Simple passeur de plats ou boute-en-train, son rôle est de conserver le contrôle sur son émission, son rythme, sa tonalité, la nature des sujets abordés. Il porte le fardeau de son succès ou de son échec ;
  • l’animateur se met au service du talent des autres : en 1982, « Le théâtre de Bouvard » débarque tous les soirs sur Antenne 2. L’animateur cornaque une tablée de chroniqueurs et d’invités dont il sert et révèle le talent : Les Inconnus, Mimie Mathy, Muriel Robin ou Bruno Gaccio ont tous fait leurs armes sur la scène du petit théâtre, sous l’aile protectrice de Philippe Bouvard ;
  • enfin, la dernière règle est qu’un talk-show se joue ici et maintenant. Il doit être expérimenté au présent, qu’il soit diffusé en direct ou enregistré devant un public plus tôt dans la journée. Ses invités s’appuient sur l’actualité politique, culturelle ou médiatique pour déclencher une réaction, le plus souvent le rire, mais pas toujours. De 1981 à 1987, « Droit de réponse », animée par Michel Polac sur TF1, est considérée comme pionnière en matière de politique-spectacle. On vient y voir du cash, du clash, du scandaleux, le tout sous un nuage de fumée impénétrable. L’émission emprunte aux codes du hard talk des programmes britanniques. Là encore, une tendance se forme, sous les yeux des téléspectateurs : le charme de l’imprévisible. Rien n’est écrit à l’avance ou presque. Tout peut arriver. Le lendemain matin, on se pressera à la machine à café pour parler de telle ou telle séquence qu’il ne fallait surtout pas manquer.

L’âge d’or des talk-shows

Les années 1990 et le début des années 2000 marquent l’âge d’or des talk-shows. Sur toutes les chaînes, ils se multiplient et font de leurs animateurs des stars, au même rang que les acteurs de cinéma ou les chanteurs populaires. Entre eux, une rivalité s’installe, feinte ou réelle : Ardisson versus Fogiel, Arthur versus Delarue, les égos s’entrechoquent et se disputent le trône des audiences.

Le succès ne se dément pas et les diffuseurs en redemandent. Il faut dire que parler ne coûte pas cher. Bien moins qu’un jeu TV au gain indéterminé – « Qui veut gagner des millions ? » – ou une série dont la production peut durer des mois, voire des années. Les talk-shows sont faciles à fabriquer. Les décors n’y sont pas sophistiqués et la liste des sujets inépuisables. L’agilité qu’ils proposent, enfin, demeure un facteur essentiel aux yeux des directions de programme : les talk-shows sont aussi faciles à programmer qu’à déprogrammer en cas d’échec.

Sur toutes les chaînes, à toute heure, les émissions d’accueil se déclinent en sous-genre : émissions de promotion – le fameux canapé rouge de Michel Drucker –, de polémiques – « Ce soir ou jamais », présenté par Frédéric Taddeï –, débats d’expertise – « Bouillon de culture » – ou programmes de témoignage – « Ça se discute » de Jean-Luc Delarue ou « C’est mon choix » d’Évelyne Thomas.

Tout le monde en parlait

Deux animateurs vont néanmoins marquer le genre : Thierry Ardisson et Christophe Dechavanne. Personnalité clivante autant qu’attachante, l’homme en noir fait du mélange des genres une catégorie à part : « l’infotainement ». Capable d’inviter à la même table un prêtre et une prostituée, un politique et un conspirationniste, une star américaine et un anonyme, Ardisson compose pour chacun des interviews ciselées, thématisées, dont les questions sont souvent plus intéressantes que les réponses (qui se souvient de ce qu’a répondu l’ancien Premier ministre Michel Rocard au fameux : « Est-ce que sucer c’est tromper ? »). Entre lui et son compère Laurent Baffie, les rôles sont établis : l’un vise et l’autre tire. Le rôle du sniper est inventé. Pertinence et impertinence se partagent le temps de parole. Une telle précision n’est possible qu’en remontant l’émission enregistrée, pour n’en conserver que le meilleur. Exception : « Tout le monde en parle » ne construit pas son succès sur l’imprévisibilité du direct.

À l’inverse, Christophe Dechavanne joue sur le plaisir de la surprise, le spectacle de l’incertitude, l’ambiance survoltée et contagieuse du public. De « Ciel, mon mardi ! » à « Coucou c’est nous ! », un joyeux bordel s’installe au milieu du foyer de millions de Français. On se souvient de plateaux colorés envahis par des animaux, des bourdes de Patrice Carmouze, des combats en costume de sumo et de débats qui ne parvenaient jamais jusqu’à leur terme, sans cesse interrompus par des intempestifs en tout genre.

Avec « Touche pas à mon poste ! » et ses multiples déclinaisons, Cyril Hanouna se réclame de cette télé-bordel, où tout est fait pour que l’inattendu se fasse une place. Pour que l’aspérité chasse le consensus. Pour que le rire l’emporte à tout prix.

L’esprit Canal

Mais avant lui, dans le même groupe, un autre talk-show a marqué son époque : « Nulle part ailleurs ». Présenté par Philippe Gildas et mis en abyme par Les Nuls, « Nulle part ailleurs » mêle chaque soir information, musique et humour dans une harmonie qui en fait la référence ultime. Jamais un talk-show n’a généré autant de moments culte, du « JTN » des Nuls aux « Guignols de l’info », en passant par « Groland », « Le cinéma de Jamel », « Le standard de Jackie Berroyer », « Les Deschiens », « Le message à caractère informatif », « Les Robins des bois », « L’effet Bonaldi », « Le Zapping » ou « Les Carnets de Monsieur Manatane » aka Benoît Poelvoorde. Sans oublier les personnages truculents campés par Antoine de Caunes et José Garcia, qui donnèrent lieu à des moments d’improvisation totale : la destruction du décor avec Jango Edwards, ou les fous rires de Gildas face à Cindy Troforte et Richard Jouir.

Discuter à l’heure du dîner

Le talk-show trouve sa place dans les grilles de programme : en access prime time1Entre 19 heures et 21 heures, NDLR., et (presque) nulle part ailleurs. En 2005, les chaînes de la TNT débarquent. Un nouveau marché s’ouvre. Afin de se faire une place sur la télécommande aux côtés des diffuseurs historiques, C8, TMC, France 5 s’offrent des talk-shows et des animateurs stars pour les présenter : Cyril Hanouna, Yann Barthès, Alessandra Sublet. Une féroce concurrence s’installe, en même temps qu’une nouvelle particularité : ces émissions d’accueil (« Touche pas à mon poste ! » (TPMP), « Quotidien », « C à vous ») deviennent les vitrines des chaînes qui les accueillent, se confondant souvent avec leur identité (ne dit-on pas que C8 est la chaîne de l’animateur-producteur ?).

Le talk-show, dans sa forme quotidienne, est devenu un moyen incroyablement efficace de fidéliser le téléspectateur. Chaque soir, rendez-vous est donné à Madame Michu avec ses chroniqueurs préférés, qu’ils s’appellent Matthieu Delormeau, Alison Wheeler ou Patrick Cohen.

Pour leurs propriétaires respectifs, elles constituent un outil de promotion et d’influence important, devenant le lieu où sont reçus artistes, experts, journalistes, décideurs, chefs d’entreprise, mais aussi politiques de tous bords. On l’a vu lors des dernières élections présidentielles : les talk-shows ont eu leur part dans la visibilité des candidats et de leurs programmes, qu’ils les invitent (« Face à Baba ») ou les critiquent (le fameux « Morning glory » de « Quotidien »).

Le même phénomène avait été constaté aux États-Unis il y a vingt ans. En 1992, Bill Clinton, candidat démocrate au plus mal dans les sondages, profite d’une apparition au « Arsenial Hall Show » pour jouer du saxophone et se révéler au grand public. Il deviendra président quelques semaines plus tard et gagnera le surnom de « Talk-show President ».

De « Face à l’opinion » à « Face à Baba »

Si le talk-show généraliste a pu contribuer à faire entrer la parole politique dans le foyer, le talk-show politique, lui, est rarement parvenu à imposer le débat sur le petit écran avec succès. De « Face à l’opinion » en 1954 à « Face à Baba » en 2022, des centaines de variations autour du même thème et chaque fois, la même ossature : un interviewer en plateau qui pose ses questions à un ou plusieurs politiques sur des thèmes d’actualité.

Toutes les formules ou presque ont été éprouvées et tous les journalistes de la place de Paris épuisés : en direct ou pas, en public ou pas, la formule ne prend plus. Pourquoi ?

D’abord, avec la place du journaliste. Préjugé de connivence, agressivité, respect de la fonction ou remise en question, les titulaires de la carte de presse ont parfois du mal à se positionner face à leurs invités : sont-ils des poseurs de questions qui dérangent, de simples passe-plats des interrogations des Français – « celles que tout le monde se pose » -, des contradicteurs, des débatteurs, des arbitres, des « maîtres des horloges » comme le répétait à l’envie Gilles Bouleau lors du dernier débat d’entre-deux-tours ? Contraints de s’adapter au format qu’ils animent, ils ont un rôle qui manque de clarté et leur légitimité s’en trouve entachée. Quand le débat semble truqué, les téléspectateurs désertent.

Malgré des titres pompeux remplis de promesses comme des programmes électoraux (« 100 minutes pour convaincre », « Des paroles et des actes »…), les émissions de débat invitent souvent des éléphants politiques pour n’accoucher que de souris. Devenus au fil du temps des bêtes de communication aidés par des conseillers experts en la matière, les membres du gouvernement ou de l’opposition acceptent de venir en plateau à condition de pouvoir y dérouler leurs éléments de langage. À la confrontation, ils privilégient souvent la stratégie de l’évitement : après tout, ce n’est pas parce qu’une question est bonne que l’on est tenu d’y répondre.

Le résultat est souvent confus, les phrases coup de poing se succèdent dans l’espoir d’être reprises sur les réseaux sociaux et le débat d’idées laisse place à une bataille de com’ qui ne dit pas son nom.

En prime time, les Français ont-ils envie de ça ? L’échec récent des grandes émissions politiques tient peut-être tout simplement à l’horaire auquel elles sont diffusées. Dans un monde audiovisuel à vingt-cinq chaînes gratuites et cinq plateformes (Netflix, Amazon, Disney+, Apple TV, Canal +), le rendez-vous politique ne revêt plus l’importance incontournable que l’on pouvait lui prêter dans les années 1980, période « L’heure de vérité ». Pour maintenir l’intérêt du téléspectateur, les diffuseurs sont forcés de grossir le trait, d’offrir du clash plutôt que des idées. Et les journalistes de laisser leur place à des animateurs télé.

« Touche pas à mon poste ! » : la première télé-réalité en plateau

De France 4 à C8, « Touche pas à mon poste ! » n’a gardé de son concept original que le titre. En douze ans, le programme a opéré maintes mues afin de s’adapter à la demande de ses téléspectateurs.

Au commencement, TPMP se présentait comme une émission de critique des médias mais avec la volonté, déjà, de dépoussiérer le genre et de traiter de l’actualité du microcosme médiatique sans se prendre au sérieux.

Pour Cyril Hanouna, son animateur et producteur, traiter du sujet permettait tout autant de parler d’un univers qui le passionne que d’aller chercher une légitimité qui l’a longtemps fui, lui qui a multiplié les expériences décevantes (« Fa si la chanter » sur France 3) avant de devenir le maître de cérémonie incontournable que l’on connaît aujourd’hui.

Rapidement, l’arrivée sur D8 (ex-C8) a opéré un changement dans la ligne éditoriale du programme. D’experts, les chroniqueurs deviennent des personnages : l’intello, le séducteur, la grande gueule. Chacun dans son couloir, ils jouent leur partition dans une atmosphère de café du commerce où toutes les opinions se valent et où Cyril Hanouna distribue les bons et les mauvais points en direct. Sans le vouloir véritablement, l’animateur crée un genre : la télé-réalité en plateau. Comme un signe, Nabilla intègre le vivier de chroniqueurs de l’émission.

À partir de 2016, avec l’arrivée de Yann Barthès sur TMC, la concurrence s’accrut et le scandale devient un élément à part entière du programme. À ce titre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), régulièrement saisi par les téléspectateurs, joue un rôle de caisse de résonance inespéré, apportant un coup de projecteur au programme auprès du grand public. Les incidents se répètent, les scandales sont montés en épingle, l’animateur se positionne comme une victime de la bien-pensance des médias puissants traditionnels. Face aux émissions posées et épurées de Bangumi, « Touche pas à mon poste ! » joue à fond la carte du direct et de l’imprévu. Sur C8, tout peut arriver.

2019 marque un nouveau tournant. Dehors, les « gilets jaunes » grondent. Cyril Hanouna a la bonne idée de leur donner la parole et de positionner son émission comme un espace de liberté de parole pour ceux qui ne l’ont jamais. D’émission média, TPMP devient un talk-show de société.

Avec l’élection présidentielle, l’animateur se donne pour mission de « démocratiser » la politique et de s’adresser aux abstentionnistes et aux minoritaires. En prime time, « Face à Baba » fait plus d’audience que l’émission politique traditionnelle de France Télévisions.

Depuis son lancement, jamais un programme ne s’est à ce point renouvelé, tout en conservant les fondamentaux du talk-show : un animateur, une table, des chroniqueurs, et de la discussion.

Le talk-show, un produit local…

Malgré de nombreux points communs, et ce nom qui sonne comme un genre globalisé, le talk-show se révèle diamétralement différent d’un pays à l’autre. Dans sa version américaine, le présentateur est souvent un humoriste de stand-up, qui introduit l’émission par un long monologue. Les late shows y font figure d’institution et leurs animateurs d’icônes : Jimmy Kimmel, Jimmy Fallon, Stephen Colbert, Conan O’Brien, Seth Meyers, Trevor Noah ou encore James Corden excellent dans l’exercice. Les interactions avec les invités sont de véritables performances écrites et préparées par des armées d’auteurs, qu’il s’agisse de rapper avec Justin Timberlake ou d’improviser un concours de danse avec Will Smith. Les artistes « jouent le jeu » pour participer à l’objectif du show : faire rire n’importe qui sur n’importe quoi, avec talent et intelligence. En France, les modestes tentatives d’exportation d’Arthur, de Sophia Aram ou de Yassine Belatar n’ont pas rencontré le succès espéré. De la même façon, David Letterman s’est cassé les dents avec sa série d’entretiens diffusée sur Netflix. Le talk-show, un produit local.

… qui résiste à toutes les modes

Depuis 2007, l’iPhone, YouTube et Facebook ont révolutionné notre rapport aux images, au direct, à la viralité. À la machine à café, on ne discute plus du programme de la veille, mais du mème du moment. Sans parler de Netflix, Amazon et Disney+. Face à cette orgie de contenus et d’écrans, quelle place pour la bonne vieille émission d’accueil ?

Elle s’adapte et résiste, aussi sûrement que le village gaulois résiste à l’envahisseur. Tandis qu’on leur promettait de se faire dévorer, les talk-shows ont apprivoisé les réseaux sociaux. Cyril Hanouna s’est constitué une armée numérique (les « fanzouzes »), Jimmy Kimmel a fait de la lecture de tweets haineux l’une des séquences les plus drôles de son émission (« Celebrities Read Mean tweets »), Yann Barthès a enrôlé un chroniqueur (Nicolas Fresco) dédié au commentaire de la vie des influenceurs et sur YouTube, le « Carpool Karaoke » de James Corden a dépassé les dix milliards de vues.

Pendant ce temps-là, Facebook s’essaie au talk-show interactif, demandant à la communauté de prendre position en direct sur des sujets de société plus ou moins sérieux. Ainsi, dans « Make up or break up », un couple vient exposer ses problèmes conjugaux. Les internautes votent pour décider s’ils doivent rester ensemble ou se séparer. Le programme est tourné en direct et en plateau, présenté par une jeune animatrice dont le prompteur est gavé de punchlines dévastatrices, le tout dans un décor empruntant aux codes du « Jerry Springer Show ».

Comme la télévision a aspiré les contenus de la radio pour s’inventer, le digital s’inspire du petit écran pour retenir l’attention du public.

En espérant que « Tout le monde en parle » ?

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    Entre 19 heures et 21 heures, NDLR.

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