Du Liban à l’Arménie, le sort des chrétiens d’Orient comme enjeu électoral pour la droite française

Octobre 1989 : Philippe de Villiers et d’autres parlementaires français partent à Beyrouth soutenir le général Aoun, retranché dans son palais présidentiel, assiégé par les troupes syriennes et leurs alliés. Décembre 2021, le même Philippe de Villiers accompagne le candidat Éric Zemmour dans son voyage en Arménie. À plus de trente ans d’écart, ces deux initiatives illustrent à la fois la fidélité constante de la droite conservatrice au sort des chrétiens d’Orient, mais également comment les évolutions géopolitiques dans cette région entrent en résonance avec une inflexion assez marquée du discours tenu par la droite conservatrice. En quelques décennies, nous sommes ainsi passés d’une posture de solidarité (motivée par des considérations humanitaires et une fidélité à des relations historiques) avec les chrétiens du Liban engagés dans une guerre civile à tout autre chose. 

Sous l’effet de la visibilité accrue de l’islam en France (1989 : affaire de Creil, 2004 : loi sur le voile…) et des attaques terroristes islamistes (1995 : attentats du GIA et mort de Khaled Kelkal, 2001 : attentats du World Trade Center, 2012 : meurtres commis par Mohamed Merah, puis vague d’attentats à partir de 2015), le sort des chrétiens d’Irak et de Syrie (et non plus de ceux du Liban) frappés par Daech va susciter la compassion, mais aussi être considéré par une partie des courants de la droite conservatrice et catholique comme une préfiguration de ce qui pourrait advenir dans une France menacée par le spectre d’une guerre civile sur une base communautaire. La défaite des Arméniens chrétiens face aux Azéris musulmans soutenus par Erdogan a été perçue dans les milieux de la droite identitaire et conservatrice comme une nouvelle manifestation d’une guerre de civilisation. Ce faisant, l’Arménie est devenue, dans le cadre de la campagne présidentielle, un enjeu symbolique important et une étape incontournable pour les candidats se disputant cet électorat. 

La droite française, héritière de la vieille tradition de protection des chrétiens du Liban

Dans les années 1980, la cause des chrétiens du Liban, pays alors plongé dans la guerre civile, rencontra un large écho dans les milieux catholiques français. Collectes de fonds, accueils de familles, jumelages de paroisses : de très nombreuses initiatives fleurirent et à travers elles une sensibilisation des catholiques français à cette cause humanitaire, mais aussi à ce contexte géopolitique que subissait, déjà à l’époque, une minorité chrétienne, victime de milices et de forces musulmanes.    
Sur un plan historique, en s’affichant au côté du général Aoun, Philippe de Villiers, Jean-François Deniau et François Léotard s’inscrivaient dans la vieille tradition française de protection des chrétiens du Liban. La France avait ainsi reçu de la SDN (Société des Nations) un mandat au Levant au lendemain de la guerre de 1914-1918 et quelques décennies plus tôt, en 1860, Napoléon III avait envoyé des troupes au Liban pour mettre fin aux massacres de chrétiens par les Druzes. Comme le rappelle l’historien Jean-Louis Thiériot1Voir Jean-Louis Thiériot, « De Saint Louis à la guerre du Liban : la France, protectrice des chrétiens d’Orient », Le Figaro, 6 août 2014., cette relation privilégiée remontait même à Saint Louis qui, dans le cadre de la septième croisade, s’était déclaré le protecteur des communautés chrétiennes du Mont-Liban, François Ier obtenant, quant à lui, au travers d’un traité signé avec le sultan Soliman, la garde des lieux saints et la présence des représentants du royaume de France dans cette région. Si les différents régimes et les gouvernements successifs ont entretenu cet héritage, le courant de la droite catholique s’y est toujours montré particulièrement attaché.

Du martyre des chrétiens d’Orient au meurtre d’un prêtre normand : l’émergence d’un péril islamiste pour toute une partie de la droite catholique

Dans un pays comme le Liban, où les tensions communautaires ont mené jusqu’à la guerre et où la question des rapports de force démographiques est cruciale, le leader maronite Bachir Gemayel inventa le terme de « dhimmitude » (du terme arabe « Dhimmi ») pour désigner le statut de sous-citoyen, s’appliquant à tout chrétien vivant dans un pays majoritairement musulman. Ce concept a été repris en France depuis une dizaine d’années par des représentants de la droite nationale. Il a notamment été popularisé par Philippe de Villiers qui l’emploie régulièrement. La reprise de ce concept s’accompagne de l’importation, en France, de la thématique de la guerre communautaire et de la nécessaire défense des chrétiens face à la volonté de domination des musulmans.        

Durant la période d’expansion territoriale de Daech, de nombreux reportages ont fait état des exactions que l’État islamique a fait subir aux minorités chrétiennes. Dans les territoires contrôlés par Daech, les chrétiens avaient le choix entre se convertir, payer un lourd impôt ou mourir. Pour échapper à ce sort, beaucoup ont fui, notamment lors de la prise de Mossoul et des villes chrétiennes avoisinantes (Qaraqosh, Amdaniya et Bartella) à l’été 2014. D’autres n’ont pas eu cette chance et ont été exécutés. Ces massacres, relatés dans la presse catholique et de la droite conservatrice2La Croix, La Vie, Famille chrétienne, Valeurs actuelles ou Le Figaro Magazine ont consacré de nombreux articles et dossiers sur la situation des chrétiens d’Orient., n’ont pas été cantonnés à la zone irako-syrienne. En février 2015, les hommes de Daech en Libye procédèrent à l’exécution de 21 Coptes égyptiens. Les populations chrétiennes étaient visées, mais également tous les lieux symboliques de la présence chrétienne. Ainsi, en mars 2015, le groupe djihadiste détruisit, dans le nord de l’Irak, un ancien monastère du IVe siècle, Mar Behnam, qui possédait l’une des plus anciennes bibliothèques d’ouvrages syriaques. Au mois d’août de la même année, le monastère ancestral de Saint-Eliane, près de la ville syrienne de Qaryatain, subissait le même sort. 

Dans ce contexte géopolitique très chargé, l’égorgement en France du prêtre Hamel le 26 juillet 2016 est venu raviver dans les milieux catholiques conservateurs la crainte d’être un jour dhimmi dans son propre pays, avec tous les risques que cela comporte. Une tribune publiée par le site Boulevard Voltaire et intitulée : « La dhimmitude ou le martyre », traduisait bien cet état d’esprit : 
« Le père Hamel est mort parce qu’il était prêtre et qu’il venait de célébrer le sacrifice de la messe, avec quatre fidèles, quasiment seul, dans l’indifférence absolue de ses concitoyens. C’est le même martyre que celui de tous les chrétiens d’Orient lâchement abandonnés par l’Occident qui ne sait répondre que par sa lâcheté, ses larmes de circonstance et sa considération diplomatique. […] Nous avons le choix entre la dhimmitude et le courage, et peut-être le martyre. » 

L’égorgement d’un vieux prêtre a notamment fait ressurgir, dans la mémoire des catholiques français, le martyr des moines de Tibhirine, affaire qui fut abondamment commentée à l’époque. Même si un flou existe sur les auteurs de cette exécution groupée, membres du GIA et services secrets algériens étant cités, il s’agissait, ici aussi, d’hommes d’Église, âgés, pacifiques, qui ont été massacrés. Le contexte était celui de la guerre civile algérienne, et le parallèle renvoyait, de ce fait, à l’image d’une barbarie islamiste menaçante, qui n’hésitait pas à s’en prendre de la manière la plus abjecte à des hommes de paix. 

Cette idée d’une exposition à une violence sans limite émanant d’islamistes fanatisés a été alimentée par un second parallèle effectué avec la situation tragique des chrétiens d’Orient. Le père Pierre-Hervé Grosjean écrivait ainsi sur le Padreblog, article repris par Famille chrétienne le 27 juillet 2016 : 
« Un prêtre irakien m’avait dit : si vous ne les arrêtez pas, vous aurez chez vous ce que nous vivons. Nous y sommes. L’horreur que vivent nos frères chrétiens d’Irak ou de Syrie est survenue ici, chez nous dans une petite ville de Normandie, à une heure trente de Paris. » 

Le mode opératoire, l’idéologie des auteurs et le fait qu’ils aient été « téléguidés » depuis la zone irako-syrienne installaient brutalement un continuum entre ces pays en guerre, où les minorités chrétiennes étaient massacrées par Daech, et le cœur même de la France, où les catholiques pouvaient désormais être égorgés. Cette attaque perpétrée au beau milieu de l’été dans une paisible petite ville de province signa le surgissement de la guerre et de la barbarie djihadiste. Un sentiment d’horreur et d’effroi s’empara de la communauté catholique, mais la colère était également manifeste, comme l’expriment les mots du père Grosjean : « Pas d’angélisme, pas de naïveté, pas de déni, une guerre ne se mène pas à moitié. » L’attaque contre la basilique de Nice le 29 octobre 2020 provoqua un nouveau choc dans la population, et tout particulièrement parmi les catholiques. 

Ce qui se trame alors dans l’imaginaire collectif, ce sont les images des massacres et persécutions que subissent les chrétiens d’Orient depuis plusieurs années en Irak, en Syrie, mais aussi en Égypte de la part des islamistes. Pour certains catholiques, le sort des chrétiens d’Orient serait la préfiguration de ce qui pourrait, dans un avenir proche, guetter les catholiques français du fait de la radicalisation d’une part de la communauté musulmane et de la modification des équilibres démographiques. Nous touchons là un point essentiel. 

Parallèlement, une génération après la mobilisation en faveur des chrétiens du Liban, le martyre des chrétiens d’Orient est venu réactiver les réflexes et les réseaux de solidarité dans la France catholique et conservatrice. Différents organismes s’activent pour venir en aide à ces coreligionnaires chrétiens persécutés et entretiennent la mobilisation humanitaire et, par la même occasion, l’idée d’une chrétienté menacée auprès des catholiques français. Ces derniers se montrent particulièrement touchés puisque, selon Marc Fromager, directeur de l’œuvre missionnaire Aide à l’Église en détresse (AED), la France représente pas moins de 25% de la collecte mondiale de l’AED. 

Primaire de la droite en 2016 et présidentielle de 2017 : Fillon se pose en défenseur des chrétiens d’Orient

Mais cette mobilisation humanitaire revêtait également une dimension idéologique évidente pour toute une partie de la droite et de la droite radicale française. Ainsi, en 2014, Robert Ménard annonçait le jumelage de sa ville de Béziers avec le village syrien de Maaloula, frappé par Daech. Proche des milieux catholiques conservateurs de l’ouest de la France (représentés notamment par une figure comme Bruno Retailleau, qui fut l’un de ses plus fidèles soutiens), François Fillon aborda, quant à lui, dans le cadre de sa campagne à l’investiture de la droite et à de nombreuses reprises, le sort des chrétiens d’Orient, auquel il avait été sensibilisé par Jérôme Chartier, bras droit lors de sa campagne, et député de la 7e circonscription du Val-d’Oise, abritant une importante communauté assyro-chaldéenne (à Sarcelles et Saint-Brice notamment). François Fillon se rendit ainsi plusieurs fois au Kurdistan irakien et visita des camps de réfugiés. Il participa également à un meeting en soutien aux chrétiens d’Orient, au Cirque d’hiver en juin 2015, en présence notamment de Valérie Pécresse, à l’époque députée de la 2e circonscription des Yvelines (dite circonscription de Versailles-Chevreuse, territoire marqué par la présence significative du milieu catholique conservateur) et de Bruno Retailleau. 

Si cette cause des chrétiens d’Orient était moins fédératrice que la défense de la famille traditionnelle après la mobilisation de La Manif pour tous, elle est néanmoins chère à une partie de la France catholique. 67% des catholiques pratiquants se disaient ainsi favorables à l’accueil de chrétiens d’Orient en mai 2016. Et si la ligne conservatrice et de droite décomplexée retenue par François Fillon a rencontré un écho dans les milieux catholiques de droite, c’est également parce qu’il a abordé sans fard la question de l’islam et de l’islamisme. Ses prises de position sur ce sujet sont ainsi apparues parfaitement en phase avec l’état d’esprit de nombreux catholiques. Dans son livre Vaincre le totalitarisme islamique (Albin Michel, 2016), le Sarthois écrivait : « Il n’y a pas de problème religieux en France. Il y a un problème lié à l’islam. » Dans la même veine, il rappela à de multiples reprises qu’il était opposé à l’adoption de nouvelles mesures plus strictes en matière de laïcité, car elles auraient, selon lui, comme effet de brider l’expression des convictions religieuses, notamment celles des chrétiens qui deviendraient en quelque sorte des victimes collatérales des tensions existant entre la République et une partie de la population musulmane. Cet argument fut reçu « cinq sur cinq » dans les milieux de la droite catholique, qu’il s’agissait de mobiliser dans le cadre de la primaire de la droite.

De la même façon, François Fillon afficha une ligne très dure et sans ambiguïté pour ce qui est de l’attitude à adopter face aux djihadistes français combattant en Irak et en Syrie, en déclarant qu’il ferait en sorte que le plus grand nombre d’entre eux soit neutralisé sur place de manière à restreindre le nombre de djihadistes rentrant en France. Fillon a donc tout fait pour être soutenu massivement par les catholiques de droite et il semble qu’il ait été effectivement entendu au regard des résultats de la primaire. En effet, 59% des sympathisants Les Républicains se déclarant catholiques pratiquants votèrent pour lui lors du premier tour de la primaire (contre 51% de l’ensemble des sympathisants Les Républicains). Et au premier tour de l’élection présidentielle, les catholiques pratiquants furent le segment électoral qui se mobilisa le plus massivement pour François Fillon, avec un score de 46%.

Le tableau ci-dessous fait par ailleurs ressortir un survote massif en faveur de François Fillon au Liban. Ce vote traduit le poids de la communauté chrétienne franco-libanaise, population traditionnellement favorable à la droite et qui fut elle aussi sans doute sensible au plaidoyer appuyé du candidat des Républicains en faveur des chrétiens d’Orient et à sa dénonciation du péril islamiste. 

Le vote des Français de l’étranger au premier tour de l’élection présidentielle au Liban
 Ensemble des Français de l’étrangerFrançais de l’étranger vivant au Liban
Macron40,4%16%
Fillon26,3%61%
Mélenchon15,8%6,6%
Le Pen6,5%12,3%

L’analyse détaillée par bureaux de vote vient valider cette hypothèse et démontrer la persistance des clivages ethno-religieux et idéologiques au pays du Cèdre, ces clivages se retrouvant au sein des ressortissants français (dont beaucoup sont binationaux et non pas des expatriés). Le vote Fillon est ainsi extrêmement massif dans les bureaux de vote situés à Beyrouth-Est (partie chrétienne) alors que l’écart avec Macron est moins important à Beyrouth-Ouest (partie musulmane de la ville). On observe également que ces quartiers ont davantage voté Mélenchon et nettement moins voté pour Le Pen que les bureaux situés en zone chrétienne.

Le vote des Français de l’étranger à Beyrouth : une ville toujours coupée en deux

Le clivage se retrouve également dans le reste du Liban avec un survote pour Fillon et Le Pen à Jounieh, fief maronite, tandis qu’à Saïda et Tripoli, en zone musulmane, Macron et Mélenchon résistaient davantage.

Le vote au premier tour dans le reste du Liban
 JouniehSaïda+Tripoli
Fillon64,5%40%
Macron10,4%30,5%
Le Pen19,9%12,5%
Mélenchon3,6%10,7%

En France, on constata également un survote en faveur de François Fillon dans deux bureaux de vote situés au nord de Sarcelles, avec un score de 29% (contre 22% en moyenne dans la ville) dans ces bureaux où les Assyro-Chaldéens représentent une part non négligeable du corps électoral. 

L’Arménie, nouvel enjeu d’une compétition pour capter l’électorat catholique conservateur

En septembre 2020, une guerre éclate au Haut-Karabagh, enclave arménienne en territoire azéri. Les forces azéries, bien armées, équipées de drones et soutenues par la Turquie (qui enverra sur place plusieurs milliers de mercenaires syriens), vont prendre le dessus et remporter la guerre au terme de quarante-quatre jours de conflit. Suite à leur lourde défaite, les Arméniens de la République d’Artsakh (nom de la république autoproclamée du Haut-Karabagh) vont perdre de nombreux territoires et se réfugieront par milliers en Arménie, abandonnant, la mort dans l’âme, leurs villages, leurs églises et leurs monastères, dont celui de Dadivank, un des plus importants lieux spirituels de l’Église arménienne. 

En France, l’importante communauté d’origine arménienne se mobilisa et manifesta sa solidarité. Elle fut rejointe et soutenue par différentes personnalités de droite dont Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du-Rhône, mais qui fut auparavant députée d’une circonscription abritant le quartier historique d’implantation des Arméniens de Marseille. Elle déposa au Sénat une demande de reconnaissance de la République d’Artsakh et déclara à ce propos sur sa page Facebook : « S’opposer à l’avancée de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh, c’est aussi s’opposer à l’expansion de l’islam turc à travers l’Europe. » La sénatrice, qui fut une proche de François Fillon, fut rejointe par un autre filloniste, Bruno Retailleau, qui tiendra des propos assez similaires : « Les populations arméniennes sont à nouveau martyrisées dans le Haut-Karabagh. Il est temps de s’opposer à l’expansionnisme néo-ottoman de M. Erdogan ! » 

Ces propos montrent bien qu’au-delà de la préoccupation humanitaire, ce soutien était également motivé par une vision géopolitique claire s’inscrivant dans une lutte contre l’islamisme, incarnée en l’espèce par Erdogan. La prise à partie de membres de la communauté arménienne et la manifestation pro-turque, organisée par des personnes se revendiquant des loups gris (organisation ultranationaliste turque, soutenant Erdogan et ayant des ramifications en Europe) le 28 octobre 2020 à Décines-Charpieu, commune de la région lyonnaise abritant une importante communauté arménienne3Elle est surnommée la « petite Arménie », comme Issy-les-Moulineaux, autre foyer arménien important., vinrent renforcer l’idée d’une menace islamiste et néo-ottomane, s’exerçant jusque dans l’Hexagone. Quelques jours plus tard, le Centre national de la mémoire arménienne, situé dans cette ville, était tagué par des slogans à la gloire des loups gris.

C’est dans ce contexte politiquement et symboliquement très chargé qu’il faut replacer la visite à quelques jours d’intervalle d’Éric Zemmour et de Valérie Pécresse en Arménie. Pour les candidats, il s’agit certes d’essayer de parler à l’électorat d’origine arménienne vivant en France et estimé à 300 000 ou 400 000 individus, dont une partie est acquise à la droite (dans les deux bureaux du quartier de Beaumont et de Saint-Julien dans le 12e arrondissement de Marseille, où le poids de la communauté arménienne est le plus important, François Fillon obtint 29% des voix contre 22% en moyenne dans l’arrondissement)4La communauté franco-arménienne vivant en Arménie est, quant à elle, très réduite. Seuls 370 électeurs étaient ainsi inscrits lors de l’élection présidentielle de 2017 et ils votèrent à 46% pour François Fillon., mais aussi et surtout de capter le vote de l’électorat catholique conservateur, sensibilisé au sort des Arméniens5Valeurs actuellesLe Figaro Magazine et Famille chrétienne notamment consacrèrent plusieurs articles et reportages au conflit et à ses suites.. Après les chrétiens d’Irak et de Syrie, les Arméniens constitueraient en effet les avant-postes d’un camp chrétien menacé par la poussée islamiste. Cette représentation géopolitique transparaissait très clairement dans les déclarations faites sur place par Éric Zemmour pour qui « l’Arménie est un pays au cœur de la guerre de civilisations » et « une nation chrétienne, qui entend le rester, au milieu d’un océan islamique ». Le choix des lieux visités par Éric Zemmour et Philippe de Villiers, et des images produites lors de ce déplacement, s’inscrivait dans la même grille de lecture. Ils se rendirent ainsi notamment au mémorial des victimes du génocide arménien de 1915 à Erevan et au monastère millénaire de Khor Virap, premier lieu saint d’Arménie, à quelques kilomètres seulement de la frontière turque.    

À l’heure où la qualification pour le second tour est très disputée, le soutien de l’électorat catholique conservateur constitue un enjeu stratégique à la fois pour Valérie Pécresse et pour Éric Zemmour. Capter ces voix, qui avaient constitué le noyau dur de l’électorat filloniste en 2017, passe désormais non plus par l’Irak ou la Syrie, mais par l’Arménie.     

Annexe  : l’association SOS Chrétiens d’Orient

L’association SOS Chrétiens d’Orient a été fondée à l’automne 2013, à la suite de la prise de la ville chrétienne de Maaloula par les djihadistes syriens. Cette ONG a pour objectif de permettre aux chrétiens d’Orient de demeurer chez eux grâce à une aide matérielle venue de l’extérieur. Depuis sa création, près de 400 volontaires se sont rendus sur place et l’association est très active sur les réseaux sociaux et pour la collecte de fonds. Cette association constitue un cas symptomatique des phénomènes décrits précédemment. Il montre, d’une part, que la cause des chrétiens d’Orient ne laisse pas indifférente une bonne partie de la France catholique et, d’autre part, que ce sujet est un terrain d’expression et d’action pour les tendances les plus droitières. SOS Chrétiens d’Orient a ainsi été fondé par de jeunes gens issus de la droite catholique identitaire. Son président est Charles de Meyer, qui se trouve être assistant parlementaire du député d’extrême droite Jacques Bompard. Benjamin Blanchard, directeur général de l’association, est, quant à lui, attaché parlementaire de l’eurodéputée frontiste Marie-Christine Arnautu. Damien Rieu, autre membre de la direction, a, par ailleurs, été le porte-parole de Génération identitaire, petite formation activiste d’extrême droite. Pour cette organisation, Bachar el-Assad est considéré comme le protecteur des chrétiens de Syrie. Dans ce cadre, SOS Chrétiens d’Orient a d’ailleurs participé au voyage en Syrie et à la rencontre avec le dictateur des députés Poisson, Mariani et Besse. C’est également par l’entremise de cette ONG que le diocèse de Fréjus-Toulon a pu se jumeler avec celui de Homs en Syrie, après le voyage sur place de Mgr Rey. SOS Chrétiens d’Orient est actuellement engagé en Arménie et ses volontaires sont présents dans la République d’Artsakh. 

     

  • 1
    Voir Jean-Louis Thiériot, « De Saint Louis à la guerre du Liban : la France, protectrice des chrétiens d’Orient », Le Figaro, 6 août 2014.
  • 2
    La Croix, La Vie, Famille chrétienne, Valeurs actuelles ou Le Figaro Magazine ont consacré de nombreux articles et dossiers sur la situation des chrétiens d’Orient.
  • 3
    Elle est surnommée la « petite Arménie », comme Issy-les-Moulineaux, autre foyer arménien important.
  • 4
    La communauté franco-arménienne vivant en Arménie est, quant à elle, très réduite. Seuls 370 électeurs étaient ainsi inscrits lors de l’élection présidentielle de 2017 et ils votèrent à 46% pour François Fillon.
  • 5
    Valeurs actuellesLe Figaro Magazine et Famille chrétienne notamment consacrèrent plusieurs articles et reportages au conflit et à ses suites.

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