La campagne pour les élections européennes est lancée, les candidats ayant participé au premier débat en vue du scrutin le 9 juin prochain. Alors que le Rassemblement national est en tête des intentions de vote, réduire son positionnement à un projet de sortie de l’Union européenne serait pourtant inopérant. Pour Théo Verdier, co-directeur de l’Observatoire Europe de la Fondation, il est nécessaire de cibler les contradictions du parti d’extrême droite, comme celles que la guerre menée par la Russie en Ukraine révèle.
« Ils piétinent nos valeurs, ils veulent détruire notre Europe », jugeait Ursula von der Leyen1 Discours au congrès du PPE à Bucarest, Parti populaire européen (PPE), 7 mars 2024. au sujet du Rassemblement national (RN) et de ses alliés à l’heure d’être désignée candidate du Parti populaire européen pour un second mandat de présidente de la Commission européenne. Un discours similaire à celui tenu par la majorité en France. Valérie Hayer a mis les électeurs en garde : « leur projet, c’est le Frexit »2« Européennes : le RN va ‘affaiblir l’Union européenne’ », France Inter, 4 mars 2024., affirmait la tête de liste Renaissance en évoquant le projet du RN de sortir du marché européen de l’électricité. Enfin, le Premier ministre Gabriel Attal a quant à lui visé les « extrêmes » pour cadrer l’enjeu du scrutin : « le peuple français veut-il dire stop ou encore à l’Europe? »
La réduction à un programme de sortie du projet européen est caduque
Faisant la course en tête avec 31% des voix3« Enquête électorale française. Élections européennes », réalisée par Ipsos pour le Cevipof, Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, mars 2024., la liste emmenée par Jordan Bardella est naturellement une cible dans la campagne. Et ce, d’autant plus que le groupe Identité & démocratie auquel il appartient est susceptible de devenir la troisième force politique du Parlement européen. Toutefois, la rhétorique employée contre le RN apparaît datée, déconnectée de son programme actuel.
Depuis 2017, le parti de Marine Le Pen a abandonné ses positions les plus radicales – sortie de l’euro, suspension de la Politique agricole commune (PAC) – pour des marqueurs d’opposition plus diffus. Le RN propose cette année un positionnement triphasé avec un code couleur4« Feux vert, orange, rouge… La stratégie de Bardella sur les compétences de l’UE », Challenges, 2 mars 2024.. Les dossiers « verts » représentent des politiques européennes qu’il soutient : Erasmus, la protection civile, les coopérations industrielles. Les enjeux « orange », ceux pour lesquels la France émettrait ses conditions. On peut citer par exemple le financement de Frontex à condition que l’agence « soit missionnée pour protéger les portes d’entrée de l’Europe et non une porte d’entrée pour les migrants »5Ibid.. Enfin, les « lignes rouges », pour les dossiers pour lesquels il revendique une stricte compétence nationale : la gestion nationale de l’immigration, la défense.
En conséquence, le RN se défend facilement face au panel de critiques qui lui sont faites jusqu’ici. Certes, il continue de faire son marché dans les attributs de la politique communautaire. Mais son acceptation des règles du jeu politique de l’Union rend caduque l’approche essentialiste, la réduction à un programme de sortie du projet communautaire.
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Abonnez-vousCibler les contradictions inhérentes au projet du RN
D’ici au 9 juin prochain, le débat devra porter sur le fond des sujets. Et pour ce faire, il n’y aucun mal pour les listes de gauche, du centre et de la droite traditionnelle à s’opposer au RN. En attaquant tout d’abord sa vision d’une Europe à la carte. Cette dernière est à la fois simpliste et inopérante face à l’enchevêtrement des problématiques. Comment peut-on souhaiter le développement d’Erasmus tout en défendant la préférence nationale ? On s’inscrit ainsi en divergence totale avec la lettre et l’esprit de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en matière de non-discrimination.
Comment peut-on s’opposer au pacte migratoire européen qui met en place une contribution solidaire versée aux pays d’arrivée par ceux qui refuseraient les relocalisations de demandeurs d’asile sans répondre à l’exigence de ces États membres de voir le reste de l’Union contribuer à l’effort d’accueil ? En commençant par le gouvernement de Giorgia Meloni en Italie.
Le RN promeut également le retour aux frontières nationales avec une logique de « double frontière », ouvertes pour les citoyens de l’UE, fermée pour les étrangers non communautaires. Une proposition difficilement compatible avec le maintien du principe de libre-circulation.
À long terme enfin, le RN promeut une réforme des traités pour créer une « alliance européenne des nations » que Marine Le Pen appelle de ses vœux dans ses discours. Là encore, comment peut-on souhaiter le retour à « l’Europe des nations » alors même que c’est exactement ce mode de fonctionnement, donnant la primeur au veto national et à l’intergouvernementalisme, qui grippe aujourd’hui les institutions européennes ?
L’Ukraine et la Russie : forces et faiblesses du RN
Le RN s’oppose à l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, en argumentant notamment sur le déséquilibre agricole qui en découlerait. Il épouse l’opinion de son camp – 64% des sympathisants du RN y sont défavorables –, ainsi que l’hésitation des Français, seuls 49% d’entre eux défendant le projet d’adhésion6« Le regard des Français sur la crise en Ukraine – vague 6 », enquête Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, 23 février 2024.. Les listes favorables à ce que l’Ukraine rejoigne l’Union – notamment celles du PS, d’EE-LV et de Renaissance – devront sur ce plan travailler leurs arguments pour expliquer à l’opinion publique l’accès au marché unique pour les produits agricoles ukrainiens par mesure de solidarité.
La liste de Jordan Bardella demeure toutefois fragile sur la question de la guerre en Ukraine et de sa vision des relations bilatérales avec la Russie. Le RN défend des « initiatives de paix » visant à « faire cesser le feu » au plus vite7Sébastien Chenu, député du Nord et vice-président du Rassemblement national, France 5, 4 mars 2024.. Ce qui reviendrait à reconnaître les annexions du territoire ukrainien par la Russie. Sur un autre dossier, l’assassinat d’Alexei Navalny serait le signe d’un simple « durcissement » du régime de Vladimir Poutine aux yeux de Marine Le Pen8Interview sur LCI, 18 février 2024.. Ceci intervient dans un contexte où les sympathisants du RN sont ceux qui ont l’opinion la plus positive de la Russie (+11 points, 25% de bonne opinion) au sein du panel de personnes interrogées9« Le regard des Français sur la crise en Ukraine – vague 6 », enquête Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, 23 février 2024.. Comme en 2022 lors du débat de second tour de l’élection présidentielle, la formation lepéniste peine à se sortir de sa familiarité historique avec le régime russe. Et prête ainsi le flanc à des attaques sur ce plan.
- 1Discours au congrès du PPE à Bucarest, Parti populaire européen (PPE), 7 mars 2024.
- 2« Européennes : le RN va ‘affaiblir l’Union européenne’ », France Inter, 4 mars 2024.
- 3« Enquête électorale française. Élections européennes », réalisée par Ipsos pour le Cevipof, Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, mars 2024.
- 4« Feux vert, orange, rouge… La stratégie de Bardella sur les compétences de l’UE », Challenges, 2 mars 2024.
- 5Ibid.
- 6« Le regard des Français sur la crise en Ukraine – vague 6 », enquête Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, 23 février 2024.
- 7Sébastien Chenu, député du Nord et vice-président du Rassemblement national, France 5, 4 mars 2024.
- 8Interview sur LCI, 18 février 2024.
- 9« Le regard des Français sur la crise en Ukraine – vague 6 », enquête Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, 23 février 2024.