D’exilé fiscal en candidat de la gauche et des jeunes : qui est Peter Obi, la nouvelle garde de la politique nigériane ?

Le 25 février prochain, le Nigéria retourne aux urnes pour la septième élection présidentielle consécutive depuis le retour à la démocratie en 1999. Après huit ans de mandat, le président sortant ne se représente pas. Face au candidat du parti au pouvoir et à son opposant historique, émerge un troisième homme, espoir de la « gauche » et de la jeunesse : Peter Obi. Enzo Fasquelle, chargé de mission Nigeria Watch (IRD) à Ibadan (Nigéria), analyse les enjeux de cette montée en puissance1 Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne sauraient être en aucun cas être attribuées à l’Institut de recherche pour le développement..

« J’appartiens à tout le monde, je n’appartiens à personne », prononçait le général (en retraite) Muhammadu Buhari lors de son élection à la tête du Nigéria en 2015. Une citation inspirée de Jacques le fataliste de Diderot, mais surtout une référence à un autre militaire devenu homme d’État, le général de Gaulle, qui avait prononcé la même phrase à la veille de son retour au pouvoir en 1958.

Dans les deux cas, l’objectif semble le même : émettre un message transpartisan d’union, mais aussi, récuser, par avance, tout héritier. À l’approche de l’élection présidentielle nigériane du 25 février 2023 – la septième consécutive depuis le retour à la démocratie en 1999 –, cette seconde dimension semble se vérifier.

Après deux mandats, avec une santé délicate, et dans le respect de la constitution, Muhammadu Buhari ne se représente pas. Bien qu’il soutienne officiellement Bola Ahmed Tinubu, le candidat de son parti, le All Progressive Congress (APC), il ne se montre que peu démonstratif.

Il faut dire que, à soixante-dix ans, le candidat Tinubu semble enchaîner les gaffes depuis le début officiel de la campagne, confondant les acronymes de son parti avec celui des identifiants électoraux récemment mis en place (APC et PVC), quand ses discours demeurent encore audibles.

Invité à Chatham House à Londres au début du mois de décembre dernier, il s’est contenté de suivre son prompteur, répartissant ensuite les questions du public à ses collaborateurs présents dans la salle. Les commentaires YouTube de la vidéo permettent de se faire une idée des dégâts en matière d’image publique.

Son principal opposant, Alhaji Atiku Abubakar du PDP (Parti démocratique populaire), soixante-seize ans, est un vieux « briscard » de la politique nigériane, vice-président il y a de cela vingt-quatre ans. Encore confiant en novembre 2022 lors de son séjour parisien, il a vu depuis sa campagne battre de l’aile, notamment du fait de la dynamique de celui qui s’annonce comme le troisième homme et la surprise de cette élection : Peter Obi, du Labour Party. Ce dernier bénéficie notamment du soutien d’une grande partie des moins de trente ans, ainsi que des populations plus urbaines réunies sous le nom « Obidients ».

Quel est le cheminement de cet ancien banquier, représentant une ethnie et un parti minoritaires, dont le nom figure dans les Pandora Papers ? Comment ce candidat, auparavant peu connu, ayant si souvent changé de plateformes politiques, a-t-il pu se muer en quelques mois en espoir de la « gauche » et de toute une génération ?

L’Emmanuel Macron de la politique nigériane ?

Peter Obi est Ibo, une ethnie qui représente entre 15 et 18% de la population totale du Nigéria, qui compte près de 220 millions d’habitants et 250 ethnies. Les Ibos, qui se trouvent majoritairement dans le sud-est du pays, sont connus pour avoir peuplé la majorité des rangs des sécessionnistes lors de la guerre du Biafra (1967-1970), comme le raconte très bien l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie dans son roman L’Autre Moitié du soleil.

Alors même que certains indépendantistes biafrais continuent clandestinement le combat, l’image actuelle des Ibos ne s’en retrouve pas trop marquée. Pour autant, être Ibo demeure un léger handicap, ne serait-ce que statistique, dans un pays où le vote ethnique demeure important. Lors d’une interview, Peter Obi a ainsi dû préciser qu’il se présentait en tant que Nigérian, et non pas Biafrais.

Après avoir obtenu plusieurs diplômes aussi bien au Nigéria que parmi les plus prestigieuses universités britanniques et américaines (Harvard, LSE, Columbia), Peter Obi a occupé plusieurs postes à responsabilité dans le secteur du commerce et de la banque – sa participation à des mécanismes d’optimisation fiscale relevée par les Pandora Papers daterait de cette époque.

Il se lance ensuite dans la politique et est élu en 2003 gouverneur de son État d’origine, l’Anambra, pour le compte du All Progressive Grand Alliance (AGPA). À la suite de diverses contestations de son opposant du parti présidentiel PDP, il n’occupe son poste qu’effectivement en 2006, avant d’être réélu gouverneur jusqu’en 2014. Il quitte alors l’AGPA – trop peu implanté nationalement – pour faire carrière au PDP, parti qui a propulsé trois présidents depuis 1999.

En 2015, il est nommé par le président Goodluck Jonathan au sein de l’autorité de régulation des marchés financiers nigérians. Lors des élections de 2019, il est le colistier du candidat du PDP Atiku Abubakar et échoue alors à empêcher un second mandat Buhari. Après s’être présenté dans un premier temps à la primaire du PDP en 2022, il anticipe sa défaite face à l’inamovible Atiku, et décide de rejoindre le Labour Party. Cette transition – équivalente à un passage des Républicains au Parti socialiste – pourrait sembler étrange. Mais au Nigéria, où la plupart des partis partagent une idéologie libérale et développementaliste, les distinctions se font davantage sur le rapport à la centralisation ou sur les questions de société, ce qui rend possible une telle bascule.

Premier candidat « crédible » hors des deux principaux partis ayant structuré la vie politique nigériane depuis un quart de siècle, Peter Obi est alors comparé à Emmanuel Macron dans la presse nigériane. Il a d’ailleurs rencontré le président français lors de sa visite au Nigéria en 2018.

Davantage qu’un répertoire d’idées ou qu’une matrice idéologique, c’est une plateforme logistique, une organisation capable de mener campagne que Peter Obi est venu chercher au Labour Party. Pour autant, s’il existe depuis 2002 sous ce nom, le Labour Party nigérian ne compte qu’une poignée d’élus, et son dernier candidat à l’élection présidentielle de 2019 n’avait obtenu que 5 000 voix, soit moins de 0,01% des suffrages exprimés.

Le Labour Party se revendique social-démocrate, panafricaniste et humaniste. Il n’est pas membre de l’Internationale socialiste. Son manque d’implantation régionale – pour être élu au Nigéria il faut obtenir au moins 25% des suffrages dans 23 des 36 États – compliquera la tâche du candidat Obi. Il y a quelques semaines, il n’était même pas sûr qu’il y ait des candidats Labour Party dans tout le pays.

Une campagne plus innovante sur la forme que sur le fond

Très présent sur les réseaux sociaux, davantage suivi que Tinubu et un peu moins qu’Atiku sur Twitter alors qu’il a rejoint la plateforme huit ans après, Peter Obi signe certains de ses tweets personnellement, tandis que sa communication est généralement plus travaillée que celle de ses concurrents.

Là où Atiku et Tinubu insistent sur leurs expériences au pouvoir ou leur personne, Peter Obi mise davantage sur l’aspect collectif de sa démarche, en capitalisant sur les mouvements de jeunes qui le suivent.

Ses idées ne sont pas radicalement différentes de celles de ses opposants. Il propose par exemple comme Atiku d’augmenter le nombre des forces de l’ordre pour réduire l’insécurité, ou comme Tinubu de déléguer davantage la gestion de l’insécurité aux collectivités territoriales. Seule différence perceptible, il appelle à « mieux contrôler la police ». Dans un pays encore marqué par les manifestations #EndSars – du nom d’une brigade connue pour ses exactions – et par les violences policières qui les ont suivies, entraînant plusieurs centaines de morts selon la base de données Nigeria Watch, il s’agit d’une mesure importante pour son électorat.

On retrouve également, dans son programme, la promesse de mettre fin à la corruption et aux détournements des ressources par les élites – projet sur lequel Buhari s’était déjà fait réélire en 2019, avec un succès mitigé. En effet, quelques mois à peine après son élection, des fonctionnaires détournaient près de 35 millions de nairas (pas loin de 100 000 euros), destinés à financer les universités. Confrontés, les suspects avaient mis la faute sur un serpent, qui aurait mangé les fonds.

Si Peter Obi semble plus impliqué sur la question sociale, notamment sur le point spécifique des salaires les plus faibles – il propose la criminalisation des impayés –, son programme se garde d’expliquer comment il pourrait instaurer une telle mesure dans un pays où l’économie informelle reste prégnante.

Avec ses références au monde de l’entreprise ou des start-up, saupoudré de mots clefs écolos ou sociaux-démocrates, son programme, bien que flou, demeure du moins en apparence résolument plus moderne que ceux de ces concurrents.

Lors de son passage à Chatham House en janvier 2023, il s’est dit préoccupé par le changement climatique, propose la plantation de milliers d’arbres, bien que plusieurs études démontrent aujourd’hui qu’il ne s’agit pas de la méthode la plus efficiente, avant d’enchaîner en disant que le Nigéria devrait passer d’une économie de consommation à une économie de production. Des propositions en apparence contradictoires, mais qui contribuent à dessiner le portrait d’un homme de son temps. La plupart des commentaires s’attardent d’ailleurs plutôt sur son apparence : il est debout et parle distinctement, contrairement à la performance de Tinubu.

La principale limite à ce portrait reste son colistier, Datti Baba-Ahmed, qui en 2011 avait appelé à « tuer les éléments LGBTQ+ de la société nigériane ». Il se défend aujourd’hui en expliquant qu’il ne faisait pas référence aux personnes, mais aux désirs homosexuels.

Qu’attendre alors de Peter Obi en 2023 ?

L’année commence bien pour Peter Obi qui a vu le premier président (1999-2007) de la IVe République, Olusegun Obasanjo, lui apporter son soutien, plutôt qu’au candidat de son ancien parti, le PDP. Tinubu avait également été reçu par Obasanjo quelques mois auparavant avec l’espoir vain d’arracher un message de soutien de l’ancien chef d’État. S’il n’est pas synonyme de réservoir de votes, cet appel d’une figure politique de premier plan contribue à faire de Peter Obi le deuxième homme de cette campagne.

En raison des règles électorales favorisant les partis bien établis sur l’intégralité du territoire, Peter Obi n’a que peu de chance d’être élu le 25 février prochain. Peut-être arrivera-t-il à arracher la deuxième place, voire à provoquer un second tour — ce qui n’a encore jamais eu lieu au Nigéria — en offrant au favori Tinubu un opposant plus dynamique.

À soixante-et-un ans, il apparaît, dans un milieu politique peuplé de septua et d’octogénaires, comme la nouvelle garde. Il est probable qu’après cette élection, il s’établisse comme une figure politique de premier plan au Nigéria. Si les sondages disent vrai et que Tinubu – dont la santé est réputée fragile – est élu, on pourrait davantage entendre parler de Peter Obi dès la prochaine élection en 2027.

Restera-t-il alors le candidat du Labour Party  ? Retournera-t-il au PDP ou rejoindra-t-il une autre structure  ? Face à des adversaires plus jeunes ou plus « neufs », et après une première candidature, il sera sans doute plus difficile pour lui de se présenter comme le candidat antisystème. Il aura sans doute alors à choisir entre deux stratégies : poursuivre dans sa voie disruptive au sein du Labour Party, ou plus classiquement rejoindre un parti au maillage territorial préétabli.

Alors que la dernière ligne droite de la campagne se profile, Peter Obi multiplie les déplacements et les appels à s’inscrire sur les listes électorales. L’impossibilité de la diaspora nigériane de pouvoir voter, conjuguée à la potentielle faible participation des jeunes – ils n’étaient que 39% à être inscrits sur les listes électorales à la mi-janvier 2023 contre 51% en 2019 –, risquent de rendre la mission de Peter Obi encore plus délicate.

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    Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne sauraient être en aucun cas être attribuées à l’Institut de recherche pour le développement.

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