À trois jours du premier tour de l’élection présidentielle, la dernière chronique d’Émeric Bréhier est à découvrir, en partenariat avec le Huffington Post.
La démocratie pour être efficiente a besoin de clivages permettant à chacune et chacun d’entre nous d’effectuer ses choix à l’occasion des élections. Nier leur existence et leur importance conduit à une impasse, non pas politique, mais bien démocratique. Ceux-ci sont variables et d’intensité différenciée selon le moment historique, les circonstances ou le territoire concerné. Ainsi ne jouent-ils pas le même rôle structurant à l’occasion d’une élection présidentielle ou à des élections locales. Les exemples sont légion. Ces clivages par ailleurs vivent, et survivent, différemment selon les modes de scrutin. Ainsi des clivages différenciés et multiples pourront-ils plus aisément subsister ou proliférer dans le cadre d’un scrutin à la proportionnelle.
Il n’empêche qu’en dépit de ces remarques la vie politique occidentale a été façonnée, pour le dire rapidement et donc caricaturalement, par l’opposition entre la gauche et la droite. Cette réalité s’est à ce point imposée qu’elle a façonné les stratégies électorales des grandes forces partisanes. Bien sûr, à plusieurs reprises, des candidatures à l’occasion des élections présidentielles antérieures se sont efforcées de briser ce qui leur apparaissait comme un carcan conduisant à des oppositions stériles et des alternances successives épuisant les capacités d’enchantement. À ce jour, vainement.
C’est bien cette règle d’airain que nombre de candidatures aujourd’hui dans le quatuor de tête remettent en cause. Chacune à leur manière. Bien sûr la candidate du Front national prenant en otage la notion de patriotisme. Mais d’une certaine manière Jean-Luc Mélenchon, en appuyant sa candidature sur le « dégagisme » d’abord, puis tout au long de ces derniers jours sur l’opposition entre le « peuple » et les « élites », s’attaque tout aussi frontalement au clivage gauche-droite, quand bien même sa trajectoire personnelle et ses soutiens partisans proviennent pour une grande part de la nébuleuse communiste. Quant à Emmanuel Macron, il a construit toute sa stratégie sur non pas la négation de ce clivage historique mais sur son nécessaire dépassement. C’est le sens de son affirmation « de droite et de gauche ».
En creux s’affirme ainsi, peut-être, à l’instar de ce qui se passe dans de nombreux pays voisins, à chaque fois avec des variantes fruits des cultures politiques nationales, des circonstances et des acteurs, l’émergence d’un nouveau clivage structurant : ouverture versus fermeture. Bien évidemment, comme pour toute distinction, ce clivage ne saurait résumer à lui seul l’ensemble des options et des enjeux politiques. Il affirme du noir et du blanc lorsque de nombreuses nuances de gris existent. Mais sa vocation est de structurer l’offre politique, non de la résumer. Si cela devait s’avérer pertinent, alors les mutations du système politique induites mettront plusieurs années à produire leurs effets et il n’est pas même certain qu’elles aient des conséquences sur les élections locales. L’affaissement du clivage « droite-gauche » perçu depuis de nombreuses années n’induit pas sa disparition mais simplement qu’il deviendrait second. Pas étonnant alors que les électrices et les électeurs en soient bouleversés et que cette élection présidentielle soit à maints égards indéchiffrable. Le temps est peut-être venu de chausser de nouvelles lunettes.
À l’occasion de cette élection présidentielle « hors norme », la Fondation Jean-Jaurès s’associe au Huffington Post pour apporter son éclairage sur la campagne électorale : rapport de forces, thèmes et enjeux structurants, opinion des Français. La Fondation mobilise un certain nombre de chercheurs et de personnalités pour fournir des analyses jusqu’au scrutin, et après.