Défendre les droits des personnes intersexes

Dans le cadre de la semaine des fiertés, Flora Bolter, co-directrice de l’Observatoire LGBT+ de la Fondation, et Anne-Lise Savart, chargée de mission lutte contre la haine anti-LGBT et la haine sur Internet à la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), se penchent sur les enjeux de droits pour les personnes intersexes, afin de faire évoluer le droit et les pratiques.

Après avoir dressé un état des lieux des recommandations internationales et européennes en la matière pour le respect des droits fondamentaux des personnes intersexes et abordé les prises de position de la France sur ce sujet, les deux autrices formulent neuf recommandations, rappelant que les interventions sans nécessité médicale sur les personnes intersexes sont illicites. Elles plaident pour que s’engage une réflexion sur le sexe et le genre avec les institutions et les différentes parties prenantes pour faire respecter les droits fondamentaux des individus.

Tables des matières

Introduction

I. Un corpus conséquent de recommandations internationales et européennes

  1. L’intersexuation, un sujet émergent au croisement de multiples préoccupations de droit international
  2. Protéger les corps intersexes : la question des mutilations
  3. Protéger l’identité de genre des personnes intersexes : quelques éléments concernant l’état civil
  4. Une protection effective contre les discriminations et les violences

II. Une multiplication de timides prises de position en France

  1. Avant la loi, un débat confiné
  2. La loi sur la bioéthique ou l’amplification du sujet intersexe
  3. Mouvement intersexe et médecins : l’impossible coopération ? 

Conclusion

Neuf propositions pour reconnaître pleinement les droits des personnes intersexes

  1. S’agissant des interventions mutilantes réalisées malgré leur interdiction de principe sur les enfants intersexes, il est nécessaire d’estimer leur nombre et leur évolution année après année en France, par le biais d’extractions anonymisées (dans des conditions validées par la CNIL) des fichiers de l’Assurance maladie (SNIIRAM) ou des données d’hospitalisation (PMSI). Santé publique France pourrait être en charge de cette analyse. En fonction de cette veille régulière, une cartographie doit être réalisée.
  2. Il est nécessaire de clarifier, par un texte interprétatif, que les interventions ainsi réalisées sans nécessité médicale sont illicites et ne peuvent plus être pratiquées, sous peine de différentes sanctions. 
  3. Cette évolution suppose également la mise en place d’un mécanisme de réparation collective dont les modalités de mise en œuvre seront à déterminer. 
  4. Il est essentiel d’intégrer des modules sur les variations des caractéristiques sexuelles, les droits et expériences des personnes intersexes dans les programmes de formation initiale et continue des professionnels de santé, de l’éducation, et du social. Ces formations devraient entraîner une révision des protocoles de soins impliquant des modifications des caractéristiques sexuelles de l’enfant sans nécessité vitale. 
  5. Dans les maternités et tous les services accueillant de futurs parents, il faut mettre en place des supports et protocoles d’information des parents sur les réalités vécues par les enfants intersexes et donner systématiquement aux parents concernés les ressources existantes (en particulier le contact des associations intersexes). L’accès des personnes à leur dossier médical doit également être rendu plus transparent, au besoin par une instance de médiation dans des conditions à définir, de manière à leur permettre de faire valoir leurs droits. 
  6. À la naissance de leur enfant intersexe, les parents doivent déclarer son sexe à l’état civil sans pouvoir le déterminer ou connaître son genre. Il est donc indispensable d’assouplir les règles concernant la déclaration du sexe de l’enfant à sa naissance en cas d’intersexuation et de supprimer les références à des traitements médicaux dans la circulaire du 28 octobre 2011 qui régit cette déclaration. 
  7. Pour respecter au mieux les identités de genre des personnes intersexes, le changement de la mention du sexe à l’état civil doit pouvoir se faire de manière simple, déconnectée de considérations physiologiques et sans frais prohibitifs. En ce sens, par rapport à la situation existante, il faut dans l’immédiat veiller à éviter une « médicalisation de fait » des documents apportés en soutien de la demande, et permettre une transcription plus rapide des jugements rendus. Le changement de la mention du sexe à l’état civil doit par ailleurs être explicitement ouvert aux personnes mineures, avec l’accord de ses parents sauf lorsque son intérêt supérieur l’exige.
  8. Les identités de genre des personnes intersexes, comme celles des personnes dyadiques, ne se retrouvent pas nécessairement dans la binarité femme/homme. Pour faire droit à cette réalité, plusieurs scénarios sont possibles : une solution serait la suppression de la mention du sexe, puisque les droits et devoirs des personnes ne sont pas différenciés en fonction du sexe. S’il est certainement possible de restreindre cette mention dans les usages du quotidien, le Défenseur des droits juge qu’« une telle suppression en l’état actuel du droit positif […] est difficilement réalisable », notamment en raison des mécanismes existants de lutte contre les discriminations. La création d’une mention tierce est une autre possibilité, en veillant à adopter un vocabulaire non stigmatisant et à éviter de potentiels effets d’assignation identitaire. L’OII plaide pour cette solution, par l’instauration d’une « mention neutre ». Ce n’est toutefois pas le cas du Collectif intersexes et Allié.e.s, qui craint les effets stigmatisants d’une telle mention pour les enfants et ses potentielles conséquences contre-productives (notamment une augmentation du recours aux mutilations précoces). À terme, le collectif recommande la suppression de la mention du sexe, qui semble plus satisfaisante de ce point de vue.
  9. Enfin, la protection des droits des personnes intersexes doit être pleinement reconnue dans les politiques de lutte contre les discriminations et les violences ; les associations intersexes doivent être associées aux comités consultatifs ad hoc aux niveaux départemental, régional et national, et les formations et campagnes de sensibilisation mises en œuvre contre les discriminations et violences doivent intégrer les enjeux relatifs aux personnes intersexes.

Ce rapport a bénéficié de la contribution de Loé Petit du CIA-OII France, Benjamin Pitcho, avocat, Benjamin Moron-Puech, maître de conférences à l’Université Paris II-Assas, et Mila Petkova, avocate. 
Les autrices remercient également Diane Vitoux et Sana Hamdi pour leur aide.

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